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UNE Mayotte Hebdo N°364 – Vendredi 18 janvier 2008

UNE Mayotte Hebdo N°364 - Vendredi 18 janvier 2008

La poste en grève

Kavou courrier na colis

 > Elections cantonales – la relève à mamoudzou 3
 > Magazine – découverte d’un requin crocodile
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Justice – 12 ans de réclusion pour l’oncle tortionnaire
 > Croisières – le nouveau filon du tourisme mahorais

 

18/01/2008 – Les Léos de Mayotte rénovent une école malgache

Plus de 100 élèves par classes, odeurs de moisissures et d'eau croupie, pas d'éclairage, un manque cruel d'enseignants et aucune fourniture scolaire pour ces enfants qui viennent de famille extrêmement défavorisées. Malgré ces conditions inimaginables, le taux de réussite aux examens de fin d'année est de 90%, un résultat qui montre la détermination des enseignants et de leurs élèves.

Une situation qui n'a pas manqué d'émouvoir les Léos, d'autant que certains d'entre eux sont d'origine malgache. Le Club, qui regroupe 27 membres, lycéens pour la plupart, a donc pris contact avec le Léo Club de Tananarive pour faire établir un devis des travaux de réfection du bâtiment. Les frais s'élèvent à 12.000€.
"Dans un premier temps l'école va recevoir un chèque de 1.000€, somme que possède actuellement le Léo Club, pour l'achat de fournitures scolaires, annonce Jean-Louis Rigot, parrain du Club. Le 13 février je me rend avec d'autres Lions à Tananarive pour rencontrer notre président international, je leur remettrai la somme. Si nous avions obtenu une subvention j'aurai pu emmener avec moi 8 Léos."

 

Un concert pour collecter des fonds

Une subvention qui a été demandée il y a déjà 11 mois au conseil général, dans le but justement de faire des voyages qui permettront une collaboration entre Léo Clubs de la région. Passé de bureaux en bureaux, le dossier n'a toujours pas été examiné en commission. "Comment faire ressentir à ces jeunes le côté international du Lions Club s'ils n'ont pas la possibilité de se déplacer ?", se désole le parrain.
Pour atteindre la totalité de la somme requise, les jeunes organisent le 22 février un concert dans l'hémicycle du conseil général, mis à leur disposition gratuitement, qui regroupera chorales et artistes malgaches. D'autres évènements destinés à collecter des fonds seront mis en place les mois suivants.
Ils bénéficieront également de l'aide du Léo Club de Cannes, dont l'un des membres est le frère de la présidente des Léos de Mayotte, qui collecteront des fonds de leur côté. En mars, lors du congrès du Lions Club, plusieurs membres se rendront à Madagascar et donneront, si tout se passe bien, un nouveau chèque à l'école.
Fidèles à la devise du Lions Club, "we serve" ("nous servons"), les Léos de Mayotte espèrent collecter suffisamment de fonds pour permettre à ces enfants de travailler dans des conditions décentes d'ici quelques mois, et montrer les possibilités d'action de l'association qui est présente partout dans le monde.
Hélène Ferkatadji

 

18/01/2008 – Un requin crocodile à Mayotte !

La bête, d’un mètre de longueur environ, a été capturée accidentellement par Fabien Fridericci, pêcheur professionnel. Celui-ci a immédiatement alerté la direction de l'environnement du conseil général qui l'a récupéré. L'expertise de Jérémy Kiszka (chargé de recherche de la DEDD et doctorant de l’Université de La Rochelle) a permis de déterminer qu'il s'agissait d'un requin crocodile (Pseudocarcharias kamoharai), espèce rarissime dans le monde et dont les exemplaires sont très recherchés par les muséums d’histoire naturelle.

Il s’agit d’un requin vivant en eaux profondes, jusque 300 mètres environ, ce qui permet de comprendre les raisons de sa morphologie particulière, notamment la taille importante de ses yeux. Le requin crocodile capturé dans les eaux de Mayotte a été photographié puis placé en congélation pour examen plus complet ultérieur. La nouvelle a fait rapidement le tour de l'île : "je reçois chaque jour des appels de gens qui veulent le voir !", raconte M. Kiszka. Le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris a été contacté pour signaler la capture de cet animal. Le responsable du département d’ichtyologie, le Dr. Bernard Séret, a proposé que le spécimen leur soit envoyé pour sa mise en collection. Pour l’heure, le requin demeure dans les locaux du conseil général mais il est pratiquement sûr que le Muséum en héritera, après envoi à divers laboratoires d'échantillons pour étude.

 

Des particularités très utiles pour la médecine

Caractéristique intéressante de cet animal, la richesse de son foie en squalène, un lipide également présent dans le sébum humain, mais aussi par exemple dans l’huile d’olive, et très utile pour la diminution du cholestérol. Cette substance a des propriétés avérées dans la cicatrisation des plaies, dans le traitement de nombreuses maladies et de manière générale dans le renforcement du système immunitaire. L'étude approfondie de cet animal laisse ainsi entrevoir certaines perspectives intéressantes pour la médecine humaine.
La direction de l’environnement tient à souligner l'importance du partenariat entre professionnels de la mer (comme c’est le cas avec M. Fridericci), présents en permanence sur le terrain, et ses services pour une meilleure connaissance et pour la préservation de l’exceptionnel patrimoine naturel de Mayotte.

 

Caractéristiques du requin crocodile

Ordre des lamniformes
Famille des Pseudocarcharias (seule espèce)
Aspect : Son nom lui vient de ses dents proéminentes, étroites et cuspidées. Le requin crocodile est un animal océanique de petite taille, au corps fusiforme, aux yeux énormes. Le museau est allongé, pointu et conique, les mâchoires protractiles. Les fentes branchiales sont de grandes dimensions. Cet animal possède des fossettes précaudales et des carènes caudales latérales surbaissées. La nageoire caudale, asymétrique et courte, présente un lobe ventral de longueur modérée.
Taille : Longueur maximale d'environ un mètre.
Habitat : Surtout en plein océan et au large des eaux continentales.
Distribution : Par endroits, dans l'Atlantique est, dans l'océan Indien ouest, dans le Pacifique nord-ouest, dans le Pacifique central et Est.
Reproduction : Quatre jeunes par portée.
Alimentation : Poissons osseux pélagiques, calmars et crustacés.
Hélène Ferkatadji
Avec Jérémy Kiszka

 

Janvier 2008 – Société – Une nouvelle classe dominante

"Ce terme est apparu pour désigner les personnes haut placées dans la société, mais qui n'étaient pas dans l'aristocratie. Elles occupaient leurs positions sociales par leur activité : commerçants, avocats, médecins… Ce sont des citadins qui ne connaissaient rien au monde rural. Ils ne doivent pas leurs positions à leur naissance", décrit le sociologue David Guyot.
Pour Saïd Ahamadi dit Raos, maire de Koungou et auteur d'ouvrages sur l'histoire de Mayotte, la référence à la bourgeoisie entraîne forcément le renvoi à la noblesse. "Les bourgeois aspirent aux mêmes privilèges que ceux des nobles", avance-t-il. Cependant, le contexte mahorais est différent des conditions moyenâgeuses et il convient d'être prudent quant à l'emploi du terme bourgeois. Aujourd'hui, la définition la plus connue est celle qui a été définie par Karl Marx et Friedrich Engels dans leur Manifeste du parti communiste.

"La condition essentielle d’existence et de suprématie pour la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse dans des mains privées, la formation et l’accroissement du capital; la condition du capital est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux", décrivent-ils dans la première partie de leur Manifeste intitulée "Bourgeois et prolétaires".

Les bourgeois mahorais sont ceux qui occupent des fonctions de cadres, de chefs d'entreprise, d'élus ou même d'instituteurs

Cette définition, à connotation négative, de la bourgeoisie a parcouru les années et bien que la Guerre froide soit terminée, peu de gens acceptent l'étiquette de "bourge' ". Dans la société mahoraise, il est également difficile de transposer telle quelle cette analyse, car Mayotte ne s'est ouverte à l'industrie que récemment. De plus, le secteur secondaire pèse moins en terme de salariés que le secteur tertiaire dont les conditions de travail ne sont pas identiques, même si l'on retrouve beaucoup de revendications similaires. Pour savoir vraiment ce qu'on entend par bourgeoisie mahoraise aujourd'hui, il est nécessaire d'avoir un aperçu de la société mahoraise depuis l'époque fani jusqu'à la période contemporaine (voir encadré).
Aujourd'hui, ces classes sociales sont plus difficiles à distinguer, car au fil des années, de plus en plus d'autochtones ont eu accès à l'école et ont donc pu s'extirper de ce schéma social. Actuellement, les bourgeois mahorais sont ceux qui occupent des fonctions de cadres, de chefs d'entreprise, d'élus ou même d'instituteurs. Pour Raos, une grande partie d'entre eux doit sa position privilégiée à la propriété foncière. "Des gens comme mon père ont travaillé à la Bambao et ont pu mettre de l'argent de côté. C'est avec cela qu'ils ont racheté des terrains à cette société. Ensuite, ils ont pu construire en dur, contrairement aux autres qui avaient des habitations de type végétal", raconte le maire de Koungou. Un argument qui est confirmé par David Guyot.
Au cours de diverses enquêtes, ce sociologue qui travaille depuis des années sur Mayotte a eu connaissance d'un certain nombre d'anciens militaires qui se sont vus attribuer des "cadeaux fonciers" en retour de services rendus à la patrie et qui par la suite sont devenus des personnages respectés dans leurs villages.

 

Les notables et l'école de la République

Raos définit deux catégories de bourgeois qui naissent dans les années 60. La première est la bourgeoisie pro indépendantiste très impliquée au sein du Pasoco (Parti socialiste des Comores) et basée dans le quartier de M'balamanga à M'tsapéré. Ses membres occupaient des places de choix dans l'administration comorienne et avaient eu la chance d'aller à l'école. La seconde est la classe profrançaise dont le symbole serait le MPM et son chef de file Younoussa Bamana, elle aussi scolarisée à l'école de la République.
Un autre élément très important a favorisé l'émergence d'une classe aisée à Mayotte : le salariat. Pendant de nombreuses années, les revenus des Mahorais dépendaient du travail agricole et des récoltes. La plupart du temps, la production était d'abord destinée à la consommation familiale et c'est seulement le surplus qui était échangé ou vendu à des personnes différentes. Mais dès les années 1975-1976 avec les instituteurs et la mise en place d'institutions locales, puis au début des années 80, les communes et le conseil général ont recruté de plus en plus de salariés, d'autres administrations ont fait de même.
"Les gens ont pu avoir pour la première fois accès à un travail stable rémunéré en numéraire. Cette classe a pu capitaliser et commencer à faire des projets, à se constituer un patrimoine", explique David Guyot. D'ailleurs, celui-ci raconte les quiproquos que ce genre de situations a pu provoquer auprès de fonctionnaires "expatriés" à Mayotte.

 

Naissance de la bourgeoisie dans les années 1980

"Les dames qui travaillaient à la DE en tant que femmes de ménage étaient des bourgeoises dans les années 80. Elles avaient certes un faible capital scolaire, mais étaient de grandes familles et avaient donc une influence importante dans leurs quartiers ou villages, surtout si elles combinaient leur emploi salarié à une fonction de maître coranique. Elles ont obtenu ces emplois grâce à leurs maris, frères ou oncles qui eux avaient été plus loin dans leur scolarité. L'administration n'a rien vu de tout ça. C'est un peu comme l'éducation nationale qui s'adresse aux instituteurs comme à des ouvriers du savoir. C'est une erreur fondamentale, car ces instituteurs sont très nombreux dans la sphère politique et pour beaucoup forment la bourgeoisie mahoraise".
Toutefois, cette bourgeoisie est qualifiée de "petite" bourgeoisie par le sénateur Soibahaddine Ibrahim Ramadani. En effet, il y a encore très peu de hauts fonctionnaires d'État, dans l'Éducation nationale, dans la justice ou PDG d'une grande société. Pour l'instant, la catégorie la plus élevée concerne des chefs de service dans l'administration, dans certaines entreprises et des patrons de PME.
En ce qui concerne le mode de vie, les bourgeois disposent aujourd'hui d'un patrimoine important. "Cela donne des pouvoirs que le citoyen ordinaire n'a pas", résume Soibahaddine Ibrahim Ramadani. Raos se veut plus prolixe sur le quotidien de cette catégorie de Mahorais.

 

Le foncier comme première source de richesse

"Pour la plupart, ils ont une maison conçue selon le modèle européen, avec une cour fermée en dur et plus de pièces que les maisons traditionnelles – qui en avaient 2. L'intérieur aussi est façonné à l'occidentale, ils ont des grands salons avec télé, lecteur DVD, mini-chaîne, bouquet satellite. Dans la cuisine, il y a des éviers, des armoires de rangement, un ou plusieurs congélateurs, un frigo. Le chauffe-eau est courant, la machine à laver aussi et le couple a au moins un véhicule. Souvent, ces personnes ont une maison secondaire qu'elles mettent en location", analyse le maire de Koungou.
Si aujourd'hui, il est difficile de distinguer la noblesse de la bourgeoisie et que cette dernière catégorie semble avoir les clés pour diriger la société mahoraise, quelques codes anciens subsistent. En effet, auparavant, les nobles avaient certains avantages, mais ils n'étaient pas les seuls. Les notables étaient ceux qui régentaient la vie sociale des villages et de l'ensemble de l'île. Toutes les grandes décisions ne pouvaient être prises sans qu'ils aient été consultés.
Leur statut était dû principalement à leur savoir religieux. "Mon père était un notable respecté à Koungou. C'était un grand fundi religieux en plus d'être un propriétaire terrien. Je n'ai jamais manqué de quoi que ce soit, mais nous étions d'une famille modeste", concède Raos tout en s'incluant dans cette bourgeoisie. Ce pouvoir spirituel a été conservé et il est observable notamment lors de la grande prière du vendredi.

"Les descendants d'esclaves parvenus à une certaine aisance financière ont du mal à s'introduire dans certains milieux"

"À Pamandzi, selon qui vous êtes vous ne pouvez pas vous asseoir n'importe où", affirme David Guyot. Soibahaddine Ibrahim Ramadani de son côté confirme le même phénomène dans le cadre des alliances matrimoniales. "Les descendants d'esclaves parvenus à une certaine aisance financière ont du mal à s'introduire dans certains milieux. C'est difficile d'y rentrer à Sada, Tsingoni, Pamandzi Hachiwawa, Bandrélé et M'tzamboro. Les gens disent "Kari tsaha ra tsangana, iyo damu ya peu" ("On ne veut pas se mélanger, ils ont du mauvais sang"). On ne se marie pas avec n'importe qui. Les rois en Europe faisaient la même chose et ne mariaient leurs enfants qu'entre eux", affirme Soibahaddine Ibrahim Ramadani.
"Je connais des hommes qui ont subi des pressions familiales pour faire un "bon" mariage. Mais cela mène à des dispositions schizophréniques, car ces mêmes hommes ont une femme mahoraise et une maîtresse anjouanaise, la femme de la raison et la femme de cœur", développe David Guyot.
Bien que la situation diffère quelque peu de Mayotte, ce genre de prescriptions et d'interdictions (notamment celle concernant le anda, le grand mariage) régissant la vie en Grande Comore est bien décrit par Sultan Chouzour dans son ouvrage "Le pouvoir de l'honneur" paru chez L'Harmattan en 1994.
Aujourd'hui, certains admettent que les élus politiques, les instituteurs ou les acteurs du monde associatif possèdent une aura semblable à celle des notables traditionnels (fundi, cadis) et que ces deux mondes sont parfois en conflit pour user de leur influence dans la vie quotidienne des Mahorais.

"Les notables traditionnels sont plus âgés, ils sont respectés pour leur sagesse et parce qu'ils font basculer les élections"

"Les notables d'aujourd'hui sont de plus en plus jeunes et ont de plus en plus de moyens matériels. Les notables traditionnels sont plus âgés, ils sont respectés pour leur sagesse et parce qu'ils font basculer les élections", indique le sénateur. "Si quelqu'un est riche, cela ne signifie pas forcément qu'il gagnera une élection. Il faut connaître les mécanismes sociaux de la société mahoraise. Autrefois, tout fonctionnait de façon clanique, c'est un peu le cas à Sada, Pamandzi et Tsingoni aujourd'hui. Ailleurs, on est plus libre. En 1997, qui aurait pu deviner que je deviendrais un jour maire de Koungou ? Cette année, si Mansour Kamardine a perdu, ce n'est pas parce qu'il n'a rien fait. C'est parce qu'il n'était pas soutenu par les notables et qu'il était qualifié de mécréant, alors qu'Abdoulatifou Aly était considéré comme le candidat de la préservation de l'islam", avance de son côté Raos.
Si la bourgeoisie mahoraise s'affirme au point d'absorber l'ancienne noblesse de l'île, malgré l'absence d'un prolétariat (qui est cependant en train de voir le jour selon David Guyot), elle est néanmoins en position de lutte contre une catégorie d'individus : le muzungu. "Pour moi, la noblesse à laquelle s'oppose la bourgeoisie d'aujourd'hui, ce serait les wazungu "expatriés" fonctionnaires de l'État. Ce sont eux qui assument les postes de direction ou d'encadrement des administrations d'État ou du conseil général. Il en est de même pour les grandes entreprises. Ce sont ces postes-là que les Mahorais aspirent à accéder un jour", précise Raos.
Ainsi lorsque des employés mahorais subissent des discriminations de supérieurs mahorais, la revendication est moins marquée qu'en cas de présence d'un chef muzungu. "Du fait des positions, la discrimination est plus mal vécue quand le patron est blanc", observe Soibahaddine Ibrahim Ramadani.

 

Les Indo-Pakistanais, bourgeois mais musulmans "et surtout ils ne font pas de politique"…

Un ressentiment qui est beaucoup moins accentué envers la communauté indo-pakistanaise. Ceux-ci pour la plupart ont tous de bonnes situations, sont dans le commerce et pourraient eux aussi être qualifiés de bourgeois selon les définitions citées plus haut. Leur installation est ancienne sur notre île et ils parlent le shimaore ou le kibushi.
"Ils ont une connaissance de la culture des autres. Même si parfois les comportements envers les Mahorais peuvent être durs, ils sont respectés, car ils respectent les habitudes des Mahorais. Ils font des cadeaux pour le jour de l'Ide, participent aux enterrements et cotisent pour l'organisation des obsèques. Ce sont des gens puissants qui ne sont pas considérés comme des cibles", perçoit David Guyot.
Pour Raos, deux aspects fondamentaux jouent en faveur des Indo-Pakistanais. "Ils sont musulmans pour la majorité d'entre eux, comme les Mahorais, ils parlent les langues de Mayotte, ce sont des Mahorais. Et surtout, ils ne font pas de politique", lance le maire de Koungou. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont pas influents, au contraire.
Mais désormais les élus mahorais sont les premiers décideurs de la politique à mener à Mayotte et les forces économiques, quelles que soient leurs origines, doivent composer avec cette partie de la bourgeoisie mahoraise pour faire avancer leurs projets.

Faïd Souhaïli
 


L'évolution historique des classes sociales mahoraises
Le sultan, les villageois et les esclaves

Du 13e siècle à la fin du 15e siècle, la vie se fait en communauté. L'individu n'est rien, on n'existe que par le groupe. Chaque groupe (qui peut s'étendre à plusieurs villages) est dirigé par un fani. Celui-ci doit être d'un certain âge, avoir une connaissance en matière d'islam et être reconnu par ses pairs. "Dans la mémoire collective, c'est cette époque qui semble avoir été retenue dans l'histoire orale", fait remarquer Soibahaddine Ibrahim Ramadani, sénateur de Mayotte et auteur de plusieurs recherches sur la société mahoraise.
Puis arrive l'époque du sultanat qui s'étendra du 16e siècle à la seconde moitié du 19e. "C'est à cette période que se fait l'institution des différenciations sociales, en fonction de la détention du pouvoir politique, de la terre et des esclaves", explique Soibahaddine Ibrahim Ramadani.
La classe la plus haute était celle des Wafaume ("les rois" en shimaore), qui formaient l'aristocratie mahoraise. Faisaient partie de cette classe le souverain et sa cour qui vivaient dans son enceinte à M'tzamboro, puis à Tsingoni et enfin à Dzaoudzi. Les Wafaume détiennent également un pan du négoce qui se fait principalement avec les principaux ports de l'aire swahilie – Zanzibar et Dar Es Salaam pour les esclaves – mais aussi avec l'Hadramaout pour d'autres produits.

 

Kabaila, "les ancêtres des entrepreneurs"

En descendant dans la hiérarchie des catégories sociales, nous avons les Kabaila ou Wangwana. "Ils ne faisaient pas partie de la noblesse royale, mais n'étaient pas non plus des esclaves, c'était des hommes libres, vivant essentiellement du commerce", précise le sénateur. Cette définition semble se rapprocher en tout point de celle de la bourgeoise européenne donnée par David Guyot.
Les Kabaila possédaient des boutres et les Wafaume faisaient appel à eux pour le commerce d'esclaves, venus du Mozambique et du Zimbabwe. "Ils ont développé l'initiative privée, ce sont en quelque sorte les ancêtres des entrepreneurs", indique le sénateur. Certains d'entre eux s'affirmaient dans la religion sans pour autant occuper la position d'imam.
Puis il y avait les Watrani, des paysans sans terre qui étaient réduits à cultiver des bouts de terrain appartenant aux Wafaume, moyennant l'uchuru : une rente en nature, souvent une partie de la récolte. Enfin, tout en bas de l'échelle, les esclaves ou Warumwa. Ils étaient destinés à la cour du roi, à la culture des propriétés royales ou à la vente.

 

Les Kabaila commercent, achètent des terres et envoient leurs enfants à l'école de la République

Toute cette organisation va être bousculée à l'ère coloniale. Les Wafaume vont voir leur pouvoir confisqué par les colons. Ils n'auront plus d'avantage politique, l'essentiel des terres sera accaparé par des colons pour en faire un espace de culture capable de rivaliser avec les Antilles françaises et la Réunion. Ses acquis économiques disparaissent d'autant plus que l'abolition de l'esclavage contribue à la perte de leur capital travail, à savoir les esclaves.
Toutefois, si la richesse matérielle s'amenuise, les nobles mahorais gardent tout leur prestige sur le plan intellectuel. "Les lettrés, les cadis, fundis étaient des Wafaume. Même en situation de paupérisation matérielle, ils jouissent d'une origine réputée noble, ils se prévalent d'être des Mazarifi ("Sharif" au singulier) : des descendants du Prophète. Ce sont des gens respectés, des notables dans leurs villages et qui conservent le pouvoir spirituel et intellectuel", continue le sénateur.
Bien intégrés à la localité, les Wafaume participent à toutes les activités traditionnelles des toirikat (confréries) avec les mulidi. Il y a aussi les mariages, circoncisions, grandes réunions de villages, etc. L'arrivée puis le déclin du système colonial va être profitable dans une certaine mesure aux Kabaila.
"Le réseau swahili décline et les partenaires commerciaux deviennent occidentaux. Ils vont s'affirmer à trois niveaux. Tout d'abord, ce seront les premiers à envoyer leurs enfants à l'école républicaine. La noblesse s'y refusait puisqu'elle était très musulmane et à ses yeux l'école française était l'école des catholiques. Ensuite, les Kabaila avaient des économies et ont acheté des terres partout où ils le pouvaient dès la seconde moitié du 19e siècle, à Coconi, Kangani, M'ronabéja, etc. Enfin, ils ont ouvert des boutiques qui au fil du temps sont devenues de plus en plus grandes", décrit Soibahaddine Ibrahim Ramadani.
Désormais, par leur richesse et leur prestige ils concurrencent les nobles, dont ils cherchent parfois à acquérir le statut. Certains mariages y participent. Les esclaves et les Watrani eux ne devront leur ascension sociale qu'à l'éducation.

 



Plus on est blanc, plus on est noble

Mayotte a beau faire partie de l'archipel des Comores et par conséquent du continent africain, à cause de ces différenciations sociales liées à la religion certains Mahorais renient leur africanité, au point qu'ils utilisent le substantif "Africain" – comme les Britanniques utilisent le nom d'"Européen" – pour désigner les continentaux.
"Il existe une généalogie imaginaire dans l'esprit de certains Mahorais. Ils s'inventent des ancêtres shiraziens ou arabes. Ceux-ci avaient la peau claire et étaient soient des nobles, soit des bourgeois, au contraire des esclaves qui étaient noirs", explique David Guyot. Cette différenciation est encore très marquée en Grande Comore et dans les deux médinas "arabes" d'Anjouan : à Mutsamudu et Domoni. Les "esclaves", eux, sont conservés aux champs. A Mayotte, la très faible implantation de Shiraziens (à Tsingoni principalement), la forte population d'origine malgache et l'implantation française de longue date avec ses écoles, contrairement aux trois autres îles de l'archipel, ont conduit à affaiblir ces distinctions de classes sociales, toutefois encore vivaces.
"Aujourd'hui, il y a un phénomène phénotypique qui pousse les femmes à tout faire pour ne pas noircir leur peau. Maintenir la couleur claire, c'est maintenir sa lignée et sa position sociale. Certains, surtout dans les classes les moins aisées, pensent qu'on peut y arriver par un raccourci de l'Histoire en épousant un homme ou une femme muzungu. Dans la bourgeoisie c'est rare, et si tel est le cas c'est la femme qui est blanche. Un mariage se fait généralement dans la même 'tribu' sociale, mais également dans la même 'tribu' raciale", rappelle David Guyot.
Comme dans de nombreux autres territoires, les mariages se sont ainsi longtemps réalisés entre membres de "grandes familles", avec les soucis de consanguinité qui sont apparus étant donné la petite taille de l'île. Quand aux mariages mixtes, bien d'autres raisons les expliquent, notamment l'amour.
Et si le mariage n'aboutit pas, il reste encore la solution du pandalao et autres crèmes "cosmétiques" qui éclaircissent la peau, mais celles-ci peuvent causer de graves pathologies cutanées.

 


Portrait d'un entrepreneur
"La seule chose que je mendie, c’est le boulot !"

Il est jeune, joli garçon, bon vivant et a un avantage à son actif à Mayotte : il a créé et dirige une société dynamique dans le BTP. "Une fois mariée à un homme pareil, on ne doit manquer de rien à la maison", vous répondront les femmes sur son passage. Cette allusion le classe lui et son beau 4×4 parmi la classe aisée de l’île. Portrait d’un jeune homme qui a su s’imposer, par son travail.

Le parcours d’Abdullatif* est similaire à celui de beaucoup de jeunes ayant la trentaine tout juste passée de nos jours, avec comme chacun une touche personnelle qui l'a conduit à sa condition sociale actuelle. "J’ai eu une éducation 'de force' avec mes parents. Un père évoluant dans le milieu hospitalier et une mère, maîtresse d’une école coranique. Ils nous ont toujours appris comment se débrouiller dans la vie", remercie t-il. Une famille soudée mais un père polygame. "Malgré cela j’ai toujours pris comme exemple le parcours de mon grand demi-frère. Un homme qui a su s’imposer en respectant sa propre vision de la vie. Ce qui lui a bien réussi", fait remarquer notre jeune entrepreneur.
Neufs enfants de même mère et même père, 21 enfants de mères différentes au total. Le jeune Abdullatif persiste et poursuit sa route :
– J’ai d’abord effectué un BEP, ensuite un bac professionnel et j’ai fini par créer ma boite. Alors vous voyez, je ne suis pas ce qu’on appellerait un bourgeois !
– Dans quelle tranche de la société vous classeriez-vous alors ?
– Un Mahorais moyen, une personne qui ne fait pas la manche et qui ne meurt pas de faim, contrairement à d’autres couches de la société, comme les Anjouanais par exemple.
– Vous confirmez tout de même gagner suffisamment votre vie et faire partie des classes sociales les plus élevées ?
– Vous savez, contrairement à d’autres je ne me fais pas de salaire. Je vis des rentrées de mon entreprise. Je ne fais pas la manche. La seule chose que je mendie, c’est le travail pour faire avancer mon artisanat, reste discret l’homme quant à ses revenus. Il roule en 4×4 double cabine – "c’est un outil de travail", précise t-il en rigolant. Il surfe sur internet, possède ordinateur, téléphone portable dernier cri, imprimantes, climatisations…
– Ça reste des outils de travail, insiste t-il avec le sourire. Abdullatif est loin de la vie originelle du petit mahorais lambda. Même si notre homme reste évasif sur ses conditions de vie, il reste néanmoins très conscient de la vie qu’il mène.
– Je me suis acheté un petit bateau pour profiter de la mer et en faire profiter mes amis. Et qui sait ? Un jour peut-être que je me lancerai dans le tourisme ?, réfléchit-il déjà. Amoureux de la mer, son regard s’illumine dès qu’il est question de ses activités nautiques.
– Louer un jet ski chez Maliki et aller se faire des bonnes courbatures en mer, il n’y a rien de meilleur. Se poser au large avec la femme qu’on aime et voir un vivaneau remonter au bout de ta ligne de pêche, ce sont des plaisirs que 'le petit mahorais' ne s’offre pas, reconnaît le dynamique chef d'entreprise qui profite ainsi de ses rares temps libres pour souffler, au calme.
La pêche au vivaneau peut en effet réjouir le petit pêcheur local qui pourra ainsi les revendre et nourrir sa famille, mais le jet ski reste une découverte que seule s’offre une classe privilégiée de Mahorais.

"Je vis avec mon temps mais je n’oublie pas qui je suis. Je travaille dur pour ce que j’ai"

A écouter les hobbies que s’offre notre jeune entrepreneur, il est vrai qu’il se démarque de la classe moyenne de la société et qu’il serait ainsi plus facile de le classer dans la catégorie montante des privilégiés, de la nouvelle bourgeoisie qui construit sa vie par son travail acharné.
Avec les années, il s'est ainsi offert un bateau personnel à 3.000 euros. Une belle et spacieuse maison à étage. Un 4×4 qui le rend bien visible par la société, des équipements modernes – "un bon resto… et des vacances à la française, j’aime la France en hiver", reconnaît-il. Tout cela peut créer la confusion quant à la modestie d’Abdullatif. Pourtant l’homme est loin d’être un matamore, pour lui chaque chose en son temps.
– Attention, il ne faut pas confondre vie moderne, vacances, travail et culture, rappelle instinctivement notre citoyen. Je suis un Mahorais et je suis fier de l’être. Je vis avec mon temps mais je n’oublie pas qui je suis. Je travaille dur pour ce que j’ai. J’aide ma famille et rends à mes parents ce qu’ils ont un jour donné pour moi (comme un bon musulman éduqué à la mahoraise).
– Tous les jours, je cours derrière les fournisseurs. Je travaille seul. D’ailleurs à Mayotte, c’est une situation de plus en plus complexe. Voilà deux ans que l’ANPE s’est implantée. Depuis deux ans je suis à la recherche d’une personne pour me seconder. J’ai déposé tous les documents à l’ANPE et toujours rien. J’avais une main-d’œuvre clandestine qui travaille très très bien on a refusé de la légaliser car c’est un clandestin. Comment voulez-vous qu’on travaille alors ? Ici on organise des forums pour motiver les jeunes à créer des entreprises et on nous barre la route pour ce genre d’histoire. Où trouver une main-d’œuvre qualifiée ?, interroge avec insistance Abdullatif.
Des privilèges certes, mais des réalités quotidiennes similaires à celle de tout un chacun. Jeune, dynamique, aimant la vie, Abdullatif est le symbole de la nouvelle génération et de la future classe dirigeante de l’île. Un jeune homme vestimentairement pas plus distingué que d’autres, mais plus évolué, plus moderne, plus ouvert.
– Est-ce que mes enfants iront dans des écoles privées ? Non. Mes enfants iront dans la meilleure école. Je suis allé à l’école publique, nous étions plus d’une trentaine sur les bancs de l’école. J’ai su m’imposer et les autres ne s'en sont pas mal sortis aussi. Au moment venu, ma femme et moi nous étudierons pour donner le meilleur à notre progéniture, aspire-t-il.

* Prénom d'emprunt



"On sent qu'il y a de l'argent"

La voiture est un moyen de locomotion bien pratique à Mayotte, surtout en l'absence de lignes régulières de transport en commun. Mais c'est aussi un marqueur social fort. La bourgeoisie mahoraise, comme toutes les autres classes sociales, n'échappe pas au phénomène et cela se voit chez les concessionnaires automobiles.

Il y a tout juste 20 ans, le parc automobile mahorais était très réduit et la 504 bâchée faisait figure du nec plus ultra des véhicules présents sur l'île. Mais aujourd'hui, bien des choses ont changé. Si vous avez cru apercevoir une Jaguar, quelques Mercedes, des BMW, des Volkswagen (New Beetle, Passat ou Touareg), haut de gamme ou les derniers modèles vous ne rêvez pas, ces véhicules sont bien en circulation à Mayotte.
Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'y a pas que les Blancs ou les Indiens qui roulent en véhicules haut de gamme. A la SMCI, on l'a bien compris puisque le groupe est depuis un an le concessionnaire d'une marque de prestige, le constructeur allemand BMW. "D'année en année, nous effectuons une montée en gamme. Les gens dépensent de plus en plus dans l'automobile, le marché augmente en volume et en coût. C'est pour cela que nous avons fait venir BMW. BMW, tout le monde connaît, les gens regardent la télé, voient les publicités. Cela montre aussi un besoin de reconnaissance", affirme Daniel Santos Jean, directeur commercial de la SMCI, premier concessionnaire automobile de l'île.
C'est pour cette raison que désormais la gamme de véhicules disponibles à Mayotte est celle des Dom-Tom, alors qu'auparavant la SMCI importait les modèles destinés au marché africain. Si les berlines BMW commercialisées à Mayotte partent moyennement, en revanche les 4×4 partent très bien, achetés surtout par des chefs d'entreprise.

 

"Une demande de confort correspond à un embourgeoisement certain"

Pour les autres marques du groupe, les clients recherchent les modèles sophistiqués avec des options électroniques ou esthétiques qui peuvent paraître parfois superflues. "Le pouvoir d'achat augmente, les Mahorais veulent se faire plaisir et avoir un joli véhicule. Les jantes en aluminium, le radar de recul, la climatisation, le détecteur de pluie, les feux anti-brouillard répondent à une demande de confort qui correspond à un embourgeoisement certain. On sent qu'il y a de l'argent. Les gens sont très soucieux de la consommation de carburant, mais l'écologie ce n'est pas encore ça, sauf pour les administrations", avance le directeur commercial.
Daniel Santos Jean avoue qu'il ne possède pas de critères objectifs pour définir la bourgeoisie mahoraise, mais qu'il existe indéniablement une classe aisée de Mahorais. "Nous réalisons des chiffres étonnants, dignes de pays émergents. Nous avons eu une hausse des ventes de 15% en 2006, actuellement nous en sommes à 20% alors que l'année n'est pas terminée et cette hausse s'élève à plus de 50% en 3 ans. Mais c'est partout pareil, dans le domaine de l'électroménager, les chiffres sont encore plus étonnants", précise-t-il.
Cette plongée frénétique dans le monde de la consommation s'explique selon Daniel Santos Jean par la subite explosion de l'offre. "Avant il n'y avait rien pour consommer, aujourd'hui il y a des produits très séduisants. Mais le Mahorais n'est pas un flambeur, il n'achète pas seulement pour se montrer. De toutes façons, le vrai bourgeois ne flambe pas. Le Réunionnais par contre est un vrai flambeur. A Mayotte, le foncier, le patrimoine immobilier passe encore avant toute chose", reconnaît-il. Toutefois, il identifie aisément la voiture type du bourgeois mahorais. "La 407, c'est la voiture de quelqu'un qui a réussi, du notable du village, du maire".

Faïd Souhaïli
 

Portrait d'un cadre du privé
"Par mon travail, je me suis fais un nom"

Issu d'une grande famille, titulaire d'un diplôme de 3ème cycle et occupant un poste de cadre important dans l’une des sociétés clef de l’île, Mistoih* est déjà un homme influent sur Mayotte. Enga gé dans la vie associative, s'intéressant à la politique, fringant, bel homme, heureux mari, il affiche tous les atours de la classe dominante locale, une étiquette qu’il porte bien malgré lui.

Son sourire et ses yeux ravageurs qui se baissent dès qu’on lui parle de sa place dans la société locale en disent long. Si l’homme n’avait pas été un homme de couleur, une coloration rouge vive s’instillerait sur ses joues, tellement la perception des autres sur son statut semble le gêner. "J’ai facilement accès à certains contacts. C’est un beau privilège mais je ne me classe pas pour autant dans la bourgeoisie mahoraise", sourit–il. C’est peut-être le terme de bourgeoisie qui dérange ? "Disons que je viens d’une grande famille respectée sur l’île et dans mon village. Et de par mon travail je me suis fais un nom", débute t-il alors.
Par son poste dans le secteur privé, par sa famille, par ses engagements dans le milieu associatif, Mistoih a l'occasion de faire de nombreuses rencontres, ce qui ouvre sans aucun doute des portes non négligeables, mais l’homme préfère la modestie. Titulaire d’un DESS d’une école supérieure de gestion, notre homme n’est pas arrivé sur le flanc mahorais par hasard.
"Lorsque j’ai pris mon poste à Mayotte, j’avais déjà de l'expérience en métropole dans le domaine de l’emploi. Quand on arrive après avoir vécu si longtemps en dehors de son île, on acquiert d’autres idées. Il faut toutefois les manier avec précaution, car dans le monde du travail local les diplômés ne sont pas bien acceptés", cerne très vite Mistoih.
Chaque pays à ses croyances, et à Mayotte il est redouté que les diplômés ne s’emparent des postes des anciens, car ils sont plus efficaces et plus compétents dans le travail. Mistoih opte alors pour la discrétion. "Les autres nous apportent autant que nous leurs apportons. Parfois on est plus diplômé que les supérieurs eux-mêmes, mais il faut accepter son rang", réfléchit-il.

"J’ai conscience que j’ai une vie privilégiée par rapport à d’autres Mahorais, mais je connais aussi mes engagements"

Installé sur son nouveau fauteuil, l’homme est tout de même très ambitieux. Rapidement, il sort des cartes de son jeu et multiplie son influence. Il veut s'impliquer, apporter ses compétences, prendre une part active à l'évolution de Mayotte. Double casquette, triple casquette, il s’investit dans la vie sociale locale et la classe dirigeante mahoraise l’adopte progressivement.
"J’ai conscience que j’ai une vie privilégiée par rapport à d’autres Mahorais, mais je connais aussi mes engagements", ne cesse-t-il de répéter. Il évolue avec les artisans et entrepreneurs locaux : "je me sens très proche des agriculteurs, des commerçants… Je côtoie les mêmes soucis au quotidien qu’eux. La société de consommation est à double tranchant. Mes courses me reviennent à 200 euros, la vie ici est particulièrement chère".
Mistoih fait partie de ces Mahorais qui aiment se rendre au restaurant. "Un bon resto de temps en temps ça fait du bien quand on peut se l’offrir", vous répondra-t-il l’air toutefois toujours gêné qu’on vienne à interpréter ses propos. Il s'offre des déplacements réguliers dès qu’un congé le lui permet, en compagnie de sa femme et son enfant : "nous logeons dans des hôtels et nous nous déplaçons principalement vers les îles voisines : Maurice, la Réunion, les Comores… Nous connaissons déjà assez bien la Métropole alors nous découvrons la région".
Œuvrant dans le milieu associatif, il accompagne dès qu’il peut la nouvelle génération pour se construire progressivement une place. Une manière de vivre qui se distingue doucement de la façon de vivre locale, surtout lorsque Mistoih nous apprend que son fils unique ne va pas à l'école publique mais à l’école privée. "En réalité je n’ai jamais voulu que mon enfant aille à l’école privée, mais il a été refusé en école publique. Encore heureux, parce qu’avec les grèves à la rentrée prochaine, il va avoir 3 ans et risque d’être sérieusement en retard", calcule le père.

 

1.200 euros la scolarisation de son fils

Une situation qui n’est pas sans difficultés pour l’homme. "C’est vrai qu’on mène une vie aisée par rapport à d’autres, mais ce n’est pas non plus toujours un avantage", avance-t-il. L’homme explique alors que pour les écoles privées il existe deux systèmes à Mayotte. Dans certaines écoles le prix annuel est fixe pour tous, mais dans d’autres il varie selon les moyens des parents et il n’y a pas toujours beaucoup de places disponibles.
"Le tarif devient alors proportionnel à la vie que tu mènes. Je paye environ 400 euros par trimestre, alors que certains parents ne payent que 50 euros. En plus, je ramène à manger à midi, plus la collation de la journée", surenchérit l’homme. 1.200 euros l’année, plus les déplacements. "L’enfant ne va pas dans l’école du village, car il n'y en a pas. Ce sont aussi des déplacements à payer, mais quelque part ça nous arrange. Nous sommes ensemble dans la capitale et rentrons ensemble", ce qui finalement satisfait la petite famille.
L’homme garde la discrétion en ce qui concerne son salaire avec tout de même une petite précision : " on ne dépense pas autant que l’on gagne. Tout est une question d’organisation. On s’arrange de manière à pouvoir payer l’école et la vie qu’on choisit de vivre". Roulant dans une petite voiture qu’il détenait déjà étant étudiant, l’homme se voit souvent interpellé : "dans ta situation, pourquoi tu ne t’achètes pas une belle voiture neuve ?". "Je n’ai pas le goût du luxe, une voiture simple me convient parfaitement, avec ma famille, mon champ". Voici ce qui fait le bonheur d’un homme.

Denise Marie Harouna

* Prénom d'emprunt


Portrait
"Dans la vie, il faut oser"

Durant sa jeunesse, ses études et avec l'armée, Ahmed* a beaucoup voyagé, en Métropole et à l'étranger. Déterminé à revenir dans son île natale, visionnaire, il a économisé chaque sou et a acheté quelques terrains pour lui et sa famille. Il se retrouve aujourd'hui à la tête d'un patrimoine foncier qui le classe automatiquement parmi les hommes les plus riches de l'île. Modeste, il se lance aussi dans l'agriculture et incite les siens, comme les enfants en général, à continuer leurs études, à prendre des risques pour avancer. Portrait d'un Mahorais qui a osé.

Ahmed est aujourd'hui père de cinq enfants et si ces derniers sont fiers de lui, il y a de quoi. En 1955, il quitte Mayotte avec sa mère et son frère pour rejoindre son père à Majunga, exerçant le métier de cuisinier. Il avait alors cinq ans. A cette époque, Madagascar était prospère par rapport aux quatre îles des Comores réunies. A huit ans, le patron de son père l’inscrit à l’école élémentaire réservée aux vazahas ("les blancs"). En 1961, il revient à Mayotte avec sa maman et son frère et deux ans plus tard son papa revient dans l'île définitivement. Ce dernier y trouve un poste de cuisinier et la famille est réunie à nouveau.
Ahmed quant à lui continue sa scolarité et après la Petite Terre, il va à l’école à Sada. Son maître en CM2 n’est autre que le défunt Younoussa Bamana. Après la réussite à son examen d’entrée en sixième, il retourne sur Dzaoudzi pour le collège. "Dans ma classe nous étions 25 élèves. Après la 3ème, je suis parti à Moroni. A cette période, le lycée ne se trouvait qu’en Grande Comore. Pour les parents qui avaient les moyens financiers, ils envoyaient leurs enfants en métropole, à la Réunion ou encore à Madagascar."
Bien qu’il soit bon élève, il échoue au baccalauréat. Cet échec n’empêche pas Ahmed de quitter les îles pour la métropole. En parallèle avec la terminale, il se préparait en effet à passer un examen pour entrer dans l’armée. Pari gagné car il réussit le concours et part pour la Métropole en 1973, dans une école de sous-officiers de l’armée. Il a alors 23 ans.

"J’avais des idées mais ça ne collait pas avec la mentalité d’ici. C’était complètement différent de la métropole"

"Quand je suis arrivé à Paris, c’était le 4 décembre. C’était l’hiver et il faisait froid. Je portais une chemise à manches longues et des sandalettes. Pour moi, rentrer dans l’armée était le seul moyen pour venir en France. Une fois sur place je voulais faire autre chose, mais quand j’ai vu la galère que rencontraient mes amis d’Orléans, de Dijon et de Toulouse qui étaient à la faculté, j’ai préféré rester dans l’armée. Au moins là-bas on te donnait 50 FF tous les mois. En fonction de ton grade, tu pouvais gagner plus. Par ailleurs, on poursuivait des études pour apprendre un métier rapidement.
J’ai passé six mois de formation militaire et un an de formation professionnelle avec comme spécialité technicien dans les transmissions. J’ai réussi dans l’armée parce qu’on est obligé de réussir. Tous les quatre mois, il y avait un examen. Quand tu redoublais, c’était terrible. Dans les matières où tu avais une note inférieure à 12/20, tu devais faire la plonge de 4h30 à 7h. J’en ai fait l’expérience et j’ai senti la douleur". Après sa formation, il a été affecté dans différentes casernes, en France et à l'étranger.
Après 23 ans dans l’armée, il prend sa retraite et revient sur sa terre natale. Il s'investit alors dans la vie associative. En métropole, parallèlement à l’armée, il a en effet suivi plusieurs formations et a obtenu des diplômes. Mais il est rapidement déçu et démissionne de son poste. "J’avais des idées mais ça ne collait pas avec la mentalité d’ici. C’était complètement différent de la métropole."

"Beaucoup de Mahorais possèdent des terrains et n’osent pas prendre de risque"

Toujours déterminé à aider sa famille et à préparer son avenir, Ahmed ne gaspille pas son argent. "Quand j’étais lycéen, je mettais de côté une partie de ma bourse. Avec cet argent, j’ai réussi à couvrir le toit de mes parents en tôle qui était en feuilles de cocotier. Je me suis sacrifié pendant deux ans. A l’armée, je divisais ma bourse en trois. Une part que j’envoyais à mes parents, une part pour moi et la dernière que j’épargnais pour les imprévus. Je partais toujours du principe qu’il y avait le vital. Lorsque j’ai eu la prime d’engagement s’élevant à 6.000 FF, je l’ai mise de côté. Mes amis ont dépensé la leur pour passer leur permis, acheter une voiture ou voyager."
Grâce à ses économies qu'il envoie à Mayotte, son père lui achète un terrain que la société Bambao avait mis en vente. "J’ai eu la chance de tomber sur de bons créneaux." L'homme s'est ainsi constitué, à la sueur de son front, par son travail, un patrimoine immobilier conséquent.
A son arrivée dans l’île, très décidé, Ahmed démarche les différentes banques pour décrocher un prêt pour construire. Une première lui a catégoriquement refusé le prêt car, d’après elle, il n’avait pas grand-chose à mettre en hypothèque. En revanche, une nouvelle venue le lui accorde moyennant l’hypothèque de son terrain situé dans la commune de Mamoudzou. En collaboration avec son cousin, il construit des bureaux qu'ils mettent en location à destination d'entreprises. Et la forte demande fait qu'ils sont rapidement remplis. De quoi financer un autre immeuble…
"Beaucoup de Mahorais possèdent des terrains et n’osent pas prendre de risque. Ces gens ne voient que du négatif, or il faut oser. En 1996, deux Métropolitains sont venus me voir et m’ont proposé de leur vendre mon terrain à 2.000 FF le m2. J’ai refusé et ils m’ont dit que j’étais bête". Malgré son refus, les deux Métropolitains ont commissionné un Mahorais. Ce dernier s’est présenté devant Ahmed en tant que client. En vain.

"Il n’y a pas d’esprit de compétition et pourtant cet élément est important pour réussir"

Il n’y a pas meilleure chose que de travailler à son propre compte. Outre les bureaux mis en location, Ahmed et sa femme mettent sur pied une société immobilière dont il est le gérant. "Et là encore, des requins sont venus me voir pour gérer mes affaires mais j’ai refusé." La réussite d’un homme, autant dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle, la solidarité familiale sont des atouts.
"J’ai eu la chance d’avoir eu de l’argent et un père qui m’a soutenu au bon moment. J’ai eu des amis qui ont envoyé de l’argent à Mayotte depuis la métropole, mais ils n’ont jamais vu la couleur du billet. Rien n’a été acheté à leur profit. Je suis reconnaissant envers mes parents qui ont travaillé dans les champs et qui m’ont toujours soutenu. J’ai pris conscience que c’est en travaillant qu’on réussit. Aujourd’hui il n’y a pas d’esprit de compétition et pourtant cet élément est important pour réussir. On a beau faire des études, mais lorsque l’on n’est pas audacieux on ne réussit pas."
Aujourd’hui Ahmed est un homme respecté, fier de son parcours et comblé. Il a réussi à concilier vie familiale et vie professionnelle. Il s’est marié lorsqu’il était dans l’armée. En dépit des affectations sur différents sites, malgré l’éloignement, sa vie de couple ne s’est jamais disloquée. Des enfants sont nés de cette union. Les trois premiers ont bénéficié d’une scolarité plus que privilégiée. En effet, ils ont été encadrés par des militaires. Sa femme et lui sont satisfaits de l’éducation qu’ils leur ont inculquée.
"On a fait le nécessaire et on continue à les épauler. On essaie de leur donner ce qu’ils veulent, pas le grand luxe mais juste ce qu’il faut. L’armée et le sport m’ont beaucoup apporté en terme d’éducation et de relations. Pour réussir, il faut travailler." Comme dans la majorité des grandes familles à Mayotte, la langue française est parlée chez les Ahmed. Cependant, le kibushi et le shimahoré sont également employés. En période de vacances, les voyages se font en grande partie en famille. Les parents ont constitué une base solide. Aux enfants de prendre la relève.

"Aujourd’hui on s’ignore. Dès que tu as une bonne situation par rapport à quelqu’un, la haine s’installe"

"Quand j’étais au collège, on se connaissait tous. Aujourd’hui on s’ignore. Dès que tu as une bonne situation par rapport à quelqu’un, la haine s’installe. Les relations amicales ne sont plus ce qu’elles étaient. A l’heure actuelle, pour avoir des amis à Mayotte, il faut être soit dans la bande de ceux qui picolent, des fêtards, ou se lancer dans la politique. Il y a beaucoup de choses à revoir. Moi au contraire, je suis content d’aider quelqu’un qui veut réussir", se désole Ahmed.
Outre son inquiétude sur l’évolution de la société, ce père de famille incite les jeunes à faire des études. La médecine est l’une des filières à privilégier. "A Mayotte il y a plus d’établissements hospitaliers qu’aux Comores. Et pourtant il y a beaucoup plus de médecins comoriens là-bas que des médecins mahorais à Mayotte. Je ne comprends pas."
Ahmed est un homme ambitieux et qui a su saisir les opportunités quand il fallait. La politique est un domaine qui ne le séduit pas. "La majorité des élus sont là pour se servir et non servir le peuple ou le pays. L'intérêt personnel prime sur l'intérêt général. Certains n'oseraient jamais voyager ou rouler avec de belles voitures sans l'apport de la Collectivité ou de l'Etat. Dommage !"

Souraya Hilali
 

 

Éducation
Les écoles privées font recette

Toujours très prisées par les familles m'zungu, les écoles maternelles et primaires privées accueillent de plus en plus de petits mahorais. Surcharge des classes, rotations, mauvais niveau de français parfois, grèves à répétition, tous ces ingrédients détournent peu à peu les familles mahoraises aisées du système public. Beaucoup veulent offrir le meilleur à leurs enfants.

"200 € par mois c'est cher, mais la crèche c'est bien utile quand on est deux à travailler." Depuis que son épouse travaille, ce père de famille de Combani, instituteur, a découvert tous les avantages de la crèche. Son fils de 2 ans y reste tous les jours, matin et après midi. Le tarif est calculé en fonction des revenus de la famille. "C'est plus cher que de prendre une bouéni anjouanaise à la maison, mais c'est beaucoup moins risqué ! Ici il est bien accueilli, il fait des jeux éducatifs, il parle français…"
Le français, élément le plus important, se pratique également à la maison, plus on apprend jeune, mieux c'est. La loi sur la répression du travail dissimulé chez les particuliers et la conscience de l'importance de pratiquer le français dès le plus jeune âge ont entraîné une montée d'effectifs dans les crèches et la multiplication de celles-ci, surtout accompagnées d'écoles primaires.
"Moi ce sont les grèves à répétition qui m'ont convaincu d'abandonner le public, raconte ce cadre du conseil général. J'ai des instituteurs dans ma famille, ça fait des années qu'ils font grève et je sais que ça n'est pas prêt de s'arrêter. Cela fait deux ans que mes enfants sont à Pomme Cannelle (l'école associative de Combani, ndlr), quand je vois la grève interminable qu'il y a eu l'an dernier, je me dit que j'ai eu raison."

 

Maîtriser le français pour réussir ses études

Sa voisine approuve, ses enfants sont arrivés dans l'école justement pendant la grève, elle les a réinscrits cette année. "Il n'y a pas que la grève qui joue. Les classes sont moins chargées, il n'y a pas de rotations, c'est un rythme bien trop perturbant pour un enfant, et surtout on parle français correctement. Je ne veux pas dire du mal de nos instits, mais c'est quand même la loterie, on peut tomber sur quelqu'un de compétent, comme sur un qui parle un très mauvais français."
Les deux familles ont instauré le français à la maison, "pour que nos enfants aient moins de mal que nous à le pratiquer, qu'il fassent de bonnes études en métropole." Le shimaore reste leur langue maternelle, ils le parlent avec les copains, avec les autres membres de la famille. Pas d'inquiétude de ce côté, car pour tous parler les deux langues est une richesse, il ne faut jamais oublier qui l'ont est.
"Nos parents ne sont pas allés à l'école, ils n'avaient pas conscience de l'importance d'une certaine éducation, estime un chef d'entreprise dont les enfants sont aux P'tits Loups à Cavani. Quand je vois comme ça été dur de rattraper le niveau en métropole, j'essaie de faire mieux pour les miens. Nous parlons français le plus souvent possible depuis qu'ils sont nés, nous avons un ordinateur avec internet à la maison, c'est important de savoir s'en servir de nos jours. Nous partons régulièrement en vacances aux Comores pour la famille, mais aussi à la Réunion et en Métropole, qu'ils ne soient pas perdus lorsqu'ils iront y faire leurs études."

 

En attendant que le public s'améliore…

Le système de calcul du prix en fonction du revenu de la famille, largement répandu dans ces écoles, est jugé comme le plus juste. "Evidemment c'est cher, mais pour la personne qui paie moins parce qu'elle gagne moins, c'est aussi cher si on y réfléchit. Et puis il est normal que les familles mahoraises puissent donner les mêmes chances que les m'zungus à leurs enfants, or l'école publique n'assure pas ces chances pour le moment." Cette femme, épouse d'élu, a choisi d'investir au maximum pour la réussite de ses enfants. Français à la maison, ordinateur, internet, jeux éducatifs pour les cadeaux de Noël, voyages…
"Je contrôle aussi ce qu'ils regardent à la télévision. On diffuse tellement de bêtises, je préfère les voir sur l'ordinateur, jouer à quelque chose d'intelligent, ou lire un bon livre, nos enfants ne lisent pas assez." Plusieurs de ces familles regrettent de ne pouvoir confier leurs enfants au système public, aux instituteurs mahorais.
"Le jour où notre système sera aussi bon que n'importe où ailleurs, mes enfants iront à l'école publique, assurent bon nombre d'entre eux. En attendant, je préfère qu'ils aient des profs m'zungus qui leur donneront de bonnes bases pour qu'ils prennent leurs places plus tard. Il ne faut pas faire les choses trop vite."
Pour Noël, les jeux éducatifs connaissent un large succès chez les familles mahoraises, soucieuses d'occuper intelligemment les plus jeunes. Une nouvelle grève est prévue à la rentrée, les effectifs du privé vont sûrement s'en ressentir…

Hélène Ferkatadji
 

 


 

Portrait d'une chef d'entreprise
"On n'allait pas aux champs, alors on nous traitait de Muzungu !"

Mariama* admet difficilement qu'elle soit qualifiée de bourgeoise. Pourtant, aujourd'hui elle est matériellement à l'aise et est influente dans toutes les activités dans lesquelles elle est impliquée. C'est sûrement dû à une enfance tranquille mais sans paillette et son éducation qu'elle a ce sentiment d'être quelqu'un de modeste.

Mariama est une femme qui vit avec son temps. À un peu plus de 40 ans, cette dame énergique court dans tous les sens pour mener de front plusieurs occupations. Politique, associations, syndicalisme, monde de l'entreprise, elle essaie de s'y engager avec conviction et à fond. Née dans le nord de Mayotte, elle y a grandi, près d'une exploitation d'ylang-ylang. "Mon père y travaillait, c'était quelqu'un de très respecté. Mon grand-père était un métis arabe, il était lui-même respecté, c'était un grand fundi qui possédait sa madrass", explique Mariama.
Elle a eu une enfance un peu privilégiée puisque contrairement à ses frères ou à ses camarades du village, elle n'allait pas aux champs travailler la terre. "Les gens disaient que nous étions de Wazungu. Chez nous, les filles n'allaient pas aux champs et je crois que cela suscitait beaucoup de jalousie chez les autres familles", se souvient-elle.
La famille de Mariama n'était pas riche, mais elle n’a jamais manqué de rien. Son père insistait énormément sur l'apparence vestimentaire de ses enfants. "Il était hors de question d'être mal habillé, surtout les filles", raconte Mariama. Les enfants n'allaient pas n'importe où et dès qu'ils quittaient l'école, ils revenaient à la maison. "On s'amusait entre nous, les garçons ne traînaient pas, ils revenaient à la maison pour étudier. C'est quelque chose qui est resté dans la famille, nous avons la même mentalité avec nos enfants", confie notre bourgeoise anonyme.

"Je ne me dis jamais que j'ai ce que je veux. J'ai toujours des projets plus grands"

Malgré toutes ces différences, elle a constamment senti que les gens la respectaient et ce respect elle l'a toujours rendu. Sa scolarité s'est déroulée jusqu'au lycée, mais elle est partie au collège en France métropolitaine dans les années 70, ce que peu de Mahorais faisaient à l'époque. Ensuite, en revenant à Mayotte, elle s'est mariée et a commencé à faire du commerce dans l'habillement.
"Cela a marché pendant 10 ans, ensuite la concurrence est arrivée et a cassé les prix. En plus, les clients ne payaient plus", constate-t-elle un brin amère. Mais cela ne l'a pas découragée pour autant puisqu'elle s'est reconvertie avec son ex-mari dans un autre domaine, le BTP, où elle sévit toujours. Tout comme pour l'habillement, Mariama a appris sur le tas, tout en recherchant des formations qualifiantes.
"Je m'informe moi-même et je ne me dis jamais que j'ai ce que je veux. J'ai toujours des projets plus grands", répète-t-elle. L'éducation pour elle, c'est primordial. D'ailleurs, elle est fière du chemin pris par ses enfants. Une de ses filles a eu son bac en Métropole (elle y est partie pour des raisons personnelles), l'autre le prépare cette année.
"Mes enfants comprennent que parfois je n'ai pas les moyens de leur offrir ce qu'ils veulent. Mais quand je vois que ma fille travaille jusqu'à une heure du matin, sans que je la pousse, je suis contente car elle comprend que c'est pour elle qu'elle travaille, pas pour moi", dit-elle avec une certaine pointe d'admiration.

 

Pas de 4×4, mais la télé satellite, l'ordinateur et internet pour les enfants

Du point de vue matériel, Mariama n'est pas à plaindre. Elle possède une maison qui ne paie pas de mine et qui sert pour plusieurs activités. Elle en loue une partie à un commerce et le reste est utilisé comme domicile et bureau. Son véhicule est également ordinaire, peu en rapport avec ce que ses émoluments pourraient lui permettre d'acheter.
"Pour moi, une petite voiture suffit, les gros 4×4, très peu pour moi. J'ai également la parabole, mais c'est surtout pour les enfants. Moi, je regarde les informations. Par contre, l'ordinateur et internet sont indispensables pour mon travail. Pour mes enfants, cela leur permet de faire des recherches liées aux études", précise Mariama.
Elle ne possède pas de maison secondaire et pour l'instant elle ne cherche pas à construire de nouvelles demeures. Le découpage des terrains familiaux dans sa famille est en cours de réalisation, mais selon elle son statut n'est du qu'à sa soif de connaissance et à son parcours académique, plus qu'à la possession du foncier.
"Je me considère comme quelqu'un de normal, mais certains considèrent qu'on n'est pas comme eux. Pourtant, il y en a qui sont riches aussi, plus que moi même, mais je ne sais pas pourquoi on me considère comme la seule riche", se demande-t-elle. Certaines femmes l'admirent et l'interrogent sur la façon dont elle arrive à gérer sa vie professionnelle avec sa vie syndicale et sa vie privée. À chaque fois que la question lui est posée, elle ne sait quoi répondre, car elle ne se considère pas comme un modèle.

Faïd Souhaïli

*Ce prénom a été changé à la demande de la personne interrogée

UNE Mayotte Hebdo N°363 – Vendredi 28 décembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°363 - Vendredi 28 décembre 2007

Dossier 5 pages

La nouvelle bourgeoisie Mahoraise

 > Economie traditionnelle – ca chauffe avec le gingembre !
 > Ouangani – chasse aux clandestins après la mort d'un enfant
 >
Tounda – expositions, les artistes se dévoilent

UNE Mayotte Hebdo N°362 – Vendredi 21 décembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°362 - Vendredi 21 décembre 2007

Elections cantonales et municipales

Cohue dans les parties

 > Education – les jeunes face à la caméra
 > Nature – un cachalot échoué dans le lagon
 >
Tounda – le msindzano, l'amour du santal et du corail

 

UNE Mayotte Hebdo N°361 – Vendredi 14 décembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°361 - Vendredi 14 décembre 2007

Alors que les forces de l'ordre interceptent de plus en plus de Kwassas, l'Ambassadeur régional envisage un assouplissement de la procédure d'attribution des visas – Pages 3 & 8

Vers la fin des Kwassas ?

 > Elections – l'UMP présente ses candidats
 > Mayotte Eco – interview de Michel Taillefer
 >
Lieu-dit – Vahibé, des racines cachées

14/12/2007 – Alain-Kamal Martial à la direction du Service culturel

Sa candidature a été largement soutenue « depuis Paris », par des directeurs de centres dramatiques, « des gens indispensables pour nous ». Il tient à remercier ces derniers et « tous ceux qui m’ont permis d’apprendre auprès d’eux et de faire connaître mon travail », a-t-il déclaré après sa nomination. « J’exprime également le souhait de collaborer avec vous autour des grandes lignes de travail que je compte mettre en place et dont l’objectif est de développer les arts contemporains à Mayotte et dans sa région à travers la coopération artistique régionale et les échanges sur le plan national », a-t-il ajouté.

Alain-Kamal Martial incarne la jeunesse mahoraise qui porte l’empreinte de la nouveauté. Né à M’zoizia au sud de l’île, Alain est connu dans la région et sur le plan national comme étant le Molière de Mayotte pour ses œuvres théâtrales et son travail de metteur en scène. C’est un auteur édité et plein de mérite, il a reçu de nombreux prix littéraires, régionaux et nationaux. Il est le directeur artistique de la compagnie de théâtre professionnel Istambul qu’il a créée en 2000. Depuis 2004, il travaille au Service culturel de Mayotte comme responsable du département Théâtre et Littérature.

De 2004 à 2005, il était associé au Centre dramatique régional de l’océan indien. Alain-Kamal est l’artiste mahorais qui voyage le plus, invité le plus souvent à des festivals et à des scènes théâtrales dans l’Hexagone. Homme d’échanges, il mène son travail d’écriture et de recherche avec des auteurs et dramaturges de la région océan indien et de l’Afrique australe. Diplômé d’études théâtrales de l’Université d’Avignon en 2004, Alain-Kamal est en phase finale de doctorat de littérature à l’Université de Cergy-Pontoise.

Aujourd’hui directeur du Service culturel, Alain-Kamal Martial ne fait que continuer son parcours de combattant culturel. Il affirme que ce sont les évolutions et les mutations de la société mahoraise qui l’ont amené à réfléchir sur les enjeux d’une politique culturelle « à la mesure des besoins socioculturels et intellectuels de la population mahoraise et aux attentes des artistes locaux ». Son contrat d’objectifs intègre politique culturelle et action territoriale autour de trois axes.

Défense du patrimoine, développement des arts contemporains, formation…

« J’entends par politique culturelle une notion très large qui recouvre autant la définition des moyens que les actions à mener pour mettre en œuvre cette politique. Ainsi suite à l’évaluation des besoins en termes de moyens et des actions à mettre en place dans le domaine culturel à Mayotte, je souhaite orienter la politique culturelle du SC autour de trois axes majeurs », explique AKM.
Le premier axe, celui qui lui tient à cœur, constitue un besoin bien criant à Mayotte. Il s’agit de « la prise en compte des besoins en infrastructures de formation, de création et de diffusion des arts au profit des artistes et des écoles pour la proposition d’une politique d’équipement en infrastructures dans un partenariat tripartite conseil général-municipalité-Etat ». Sur ce point, ambitionne Alain, « on va faire en sorte qu’il y ait d’ici trois ans au moins trois lieux de spectacle, des salles fermées, de 200 places en moyenne ».
Les deux derniers axes sont « la prise en compte des besoins socioéducatifs pour la proposition d’un éventail de programmes culturels formulés dans le sens d’un accompagnement culturel de la société mahoraise et d’un suivi technique des artistes et la valorisation des atouts socioculturels de Mayotte ».

Le développement culturel, explique AKM, « constitue la volonté politique de coordination d’actions culturelles et artistiques à long terme. Cette volonté définit l’ensemble des propositions qui alimentent le programme artistique, ses caractéristiques esthétiques, intellectuelles et politiques d’une part et ses contenus d’autre part ». Concrètement, AKM propose de décliner le contenu de la programmation et l’orientation de l’action culturelle territoriale autour de quatre points.

Le premier est la défense du patrimoine culturel local qui nécessite selon lui un travail autour de la mémoire collective, du patrimoine historique et artisanal et du récit de tradition orale.
Le second est le développement des arts contemporains. AKM souhaite « associer les artistes locaux les plus professionnels à l’action culturelle et artistique, en mettant en place un projet commun de culture ». Et cela permettra de « diffuser les artistes locaux et les artistes internationaux, les plus pertinents, sur les scènes mahoraises, favoriser l’inscription des artistes mahorais dans les réseaux régionaux et donner une bonne visibilité des arts et artistes vers une professionnalisation de leur pratique ».
Le troisième point est la formation des artistes et des jeunes dans les milieux scolaires, éducatifs et associatifs dans le cadre d’échanges et de coopération dans la région et sur le territoire national.
Enfin, le dernier aspect apparaît comme le plus primordial : le fonctionnement du Service culturel. AKM veut « un service qui va tout de suite valoriser les compétences que nous avons ici ». Citant en terme d’exemple des personnes qui travaillent au Service culturel, le jeune directeur veut « une équipe responsabilisée ». « L’individu sera évalué à la fin de l’année sur la mission qui lui sera confiée ».
Il veut pour cela constituer une régie technique, un comité artistique de programmation annuelle, une équipe de communication et un service administratif, tous « compétents, capables d’assurer le projet de formation des agents techniques et administratifs du SC, la qualité de la programmation et l’équilibre des disciplines, la qualité de la communication du programme et la gestion des projets d’investissement en moyens et les dossiers relatifs à la légalité des réalisations diverses liée à l’administration des collectivités ».

Nombreux sont les artistes qui souhaitent voir un renouveau pour ce service. « Je pense que Alain était le mieux placé sur les trois derniers candidats », approuve un chanteur local. « Il est connu à Mayotte comme étant à la fois artiste et acteur culturel. Il a su se faire un nom dans son art. Maintenant il faut qu’il soit ouvert à toutes les activités artistiques… Je sais qu’il y a un nouvel élan à prendre, et c’est à lui de savoir comment le prendre ». Alain-Kamal Martial le sait bien, il a deux semaines pour se préparer à la mise en œuvre de son projet culturel.
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Appel à projets pour la programmation 2008

Le Service culturel de Mayotte veut publier fin mars 2008 la programmation pour l’année 2008-2009. Pour ce faire, il demande aux artistes et associations de l’île de présenter leurs projets au SC. La date limite de dépôt des projets est le 30 janvier. Le Service culturel veut « travailler dans une collaboration vaste avec les artistes des différentes disciplines ». Son comité de programmation mènera au mois de février une série de rencontres avec les intéressés pour l’élaboration de cette programmation.
Pour tous renseignements : 0269 61.11.36.

Rafik

14/12/2007 – Combani – La jeunesse citoyenne s’active

Composée d’une dizaine de membres actifs, tous élèves de terminale ES ou S à Sada, à l’exception d’Ali Abdou, 28 ans, qui est contrôleur de gestion à la sécurité sociale, Nahana est structurée en quatre pôles qui regroupent plusieurs actions chacun. Formation et accompagnement, information et communication, développement durable et animation sont les quatre champs d’action de cette association qui bouillonne d’idées pour améliorer la vie des habitants, des jeunes en particuliers.

Premier point remarquable, l’excellente organisation. Chaque projet fait l’objet d’une fiche détaillée qui comporte une présentation, le public ciblé, le budget prévisionnel, les partenaires potentiels… « Il est important de savoir comment fonctionne la conduite d’un projet, estime Ali Abdou. Les membres de l’association apprennent à monter une fiche projet, à rechercher des partenaires. Même si le projet n’aboutit pas, il leur aura servi à s’améliorer dans ce domaine. »

La formation, c’est en effet le but premier de Nahana. En tête de son projet « Réussir 2008 », on trouve les cours de soutien, débutés depuis le mois dernier. Tous les soirs de 19h à minuit des étudiants en contrat avec le Cefsm et des intervenants bénévoles donnent des cours aux collégiens et lycéens, dans une salle de l’école primaire, selon une convention établie avec la mairie de Tsingoni qui leur confère également l’utilisation de la maison des jeunes – en piteux état.

 

Un site internet eu un journal, Kwéli !

Les cours d’informatique sont aussi à l’honneur, d’abord pour les membres de l’association qui apprennent avec Ali Abdou à élaborer une maquette de journal ou un site internet, plus tard peut-être pour les autres jeunes s’ils trouvent un moyen de financer la création d’une salle informatique, reliée au net, qui leur couterait la bagatelle de 20.000€. Une subvention a été demandée au conseil général, inutile de demander à la mairie « nous sommes bien trop critique avec elle dans Kwéli Infos ! ».

 

Kwéli Infos, c’est la grande vitrine de l’association, journal mensuel qui en est à son troisième numéro, distribué gratuitement par mail, il traite des actualités de la commune de Tsingoni : manque de structures pour les jeunes, installation d’une auto-école à Combani, problèmes de salaires pour les animateurs… Tous les articles ainsi que des informations pratiques sur la commune se retrouvent sur le site internet www.kweli.fr.

 

Le prochain numéro en janvier devrait évoquer le scandale des caniveaux de Combani, débutés en juillet et toujours inachevés et l’orientation post-bac. L’association organise justement un forum sur le sujet le mois prochain après les vacances. Un forum sur la recherche de stage est prévu pour mars.
L’éducatif n’est pas le seul dada des jeunes de Nahana, ils ont également organisé le bal des lycéens de la commune et une sortie à la Baie des Tortues à Bouéni, financée par des personnalités locales. Le pôle développement durable, encore, justement, en développement, prévoit la valorisation de la retenue collinaire de Combani « quand le conseil général et la mairie auront fini de se taper dessus pour savoir qui en a la gestion… »

 

Il est aussi prévu l’organisation de randonnées l’été prochain. Futurs bacheliers, les jeunes actifs de Nahana prévoient de faire l’an prochain des études en métropole, que ce soit en médecine, journalisme, gestion des entreprises ou bien d’autres domaines, du moment qu’ils reviennent travailler ici plus tard. Reste à espérer que les plus jeunes reprendront le flambeau de cette organisation prometteuse.

 

Hélène Ferkatadji

Décembre 2007 – Embargo sur Anjouan – Les derniers jours de Bacar

Pays sous embargo, blocus, une armée tanzanienne de 235 hommes au mouillage, prêts à en découdre sous l'égide de l'Union africaine, réclamée par l'ayatollah pourtant lui aussi originaire d'Anjouan, le président de l'Union des Comores Abdallah Ahmed Sambi. L'actualité s'avère des plus inquiétantes à Ndzuani, l'île dont beaucoup de Mahorais sont originaires, le point de terre qui apparaît au loin, dans le nord de l'île, à 70 km de là.
L'équipe de Mayotte Hebdo qui a réussi à pénétrer sur le sol d'Anjouan le week-end dernier, malgré l'opposition de l'Union des Comores à Mohéli, n'a pas beaucoup de temps pour travailler. En ville, déjà, les rumeurs fusent sur notre compte. "Vous avez été achetés par Bacar", crie un jeune, avec véhémence à notre hôtel. Alors, dans ce contexte de guerre civile larvée, malgré ce que peut dire le gouvernement en place de l'île autonome, nous devons faire vite.
Pour prendre le pouls d'un territoire, rien ne vaut son port. Le grand port en eau profonde de l'archipel. Par là passent 80% des marchandises en direction de Mohéli, 40% vers Moroni. L'effervescence est de mise en cette fin d'après-midi. Le Maria Galanta s'annonce au loin. "C'est comme ça à chaque fois avec l'arrivée du Maria Galanta. Un vrai lien économique existe entre Anjouan et Mayotte. Vous allez voir toutes les affaires débarquées. C'est impressionnant. Moi-même je viens souvent récupérer des paquets qui me sont envoyés par ma sœur depuis Pamandzi", raconte Mahamadou, le directeur de la coopération décentralisée.
Pendant le déchargement à la main du Maria Galanta – dont la quasi-totalité des passagers sont "des reconduits" – au bout du quai, les conteneurs de l'UAFL Express, feeder connu à Mayotte, quittent le navire. Les stackers sont flambants neufs. Ils ont été offerts par le port de Nantes et feraient rêver n'importe quel employé de la Smart.
Adossé à une boite de 20 pieds, le commandant malgache du Tatringa III regarde le soleil tomber, paisiblement. Il part demain, dimanche vers Mayotte. Le surlendemain, enfin, le bateau de l'armateur franco-anjouanais Camille Boudra pourra transporter des clients entre les deux terres. "Depuis le temps qu'on attend les autorisations. Nous les obtenons cinq jours avant le blocus, étonnant, non ? Enfin, nous préférons ne pas se poser de question. Nous ne faisons pas de politique ni de diplomatie", se dédouane le commandant Henry Robin.

 

"Notre pays est pris en otage par leur guerre"

Du côté des dockers, tout aussi vieux que ceux de Mayotte, le discours change quelque peu. "Nous avons connu cette crise en septembre 2000. Nous savons réagir. Ma famille a déjà constitué des réserves de riz et de farine. Ce que je me demande toujours, c'est de savoir pourquoi c'est au peuple de souffrir ? Nous aussi nous n'aimons pas Bacar." Voilà une compilation de réflexions entendues sur les quais et à proximité du port.
Dans les rues, le calme règne. Loin du décor apocalyptique décrit par des "amis". Ouani, la ville de l'aéroport, bastion de Bacar, est une ville minuscule. Mutsamudu est sauvé de la laideur par une médina pittoresque. La torpeur règne sur la capitale. Le m'hraha et les dominos rythment la fin de journée. La guerre menace et les Anjouanais jouent. Ils discutent aussi, mais beaucoup moins forts que les dominos sont frappés. Le m'zinga ("la couronne du perdant") fait encore rire, combien de temps encore ?
"C'est un problème d'hommes. Bacar et Sambi ne se sont jamais aimés. Ils 'agit de deux entrepreneurs qui se battent pour quelques francs de plus. Notre pays est pris en otage par leur guerre", vilipende un badaud au bord de la plage. Bidon à la main, il cherche de l'essence. "Il parait qu'il y a du pétrole, mais seul les pro-Bacar en ont. Je vais devoir aller quémander", continue, résigné mais pas abattu, cet homme. Dans son autre main, il possède une Castle. "Regarde. Je l'ai achetée 250 francs comoriens (0,50 euro). Pas cher non ? Normal. Sa date de péremption est prévue en 2005."
Pendant ce temps, Mohamed Abdou Madi, ministre de la coopération décentralisée, de l'environnement, du transport, du tourisme, président du conseil interministériel fondé pendant la crise politique, sirote un whisky coca à l'Al Amal, "l'espoir", en arabe. L'hôtel de luxe de Mutsamudu, refait à neuf par le propriétaire du Moroni, appartient désormais à l'Etat.
Abdou Madi a établi ses quartiers dans ce charmant resort de 22 chambres, avec vue sur la baie de Mirontsy. "Que fait l'Union des Comores ? Pas mieux, pas plus que Bacar. Notre avenir se situe dans l'agriculture", assure-t-il quand on évoque le développement économique. Un projet ambitieux de rénovation des alambics d'ylang vient d'être lancé. Il s'agit de passer du bois au fuel.

 

Une rivière qui termine sur la plage des kwassa

"Ce qui m'inquiète le plus dans cet embargo, ce sont ses conséquences écologiques. Il ne faudra pas longtemps pour que le pétrole vienne à manquer. C'est une déforestation désastreuse qui menace."
Au final, Anjouan dévoile un caractère plus proche de Mohéli que de Grande Comore ou de Mayotte. Un vrai savoir agricole (voir par ailleurs) existe indéniable. Ici, la culture en terrasses ne résonne pas comme une excentricité de m'zungu. Les terrasses en pierre jonchent les montagnes très hautes de ce pays flamboyant.
Les karafou, (clous de girofle) et les litchis donnent une couleur rougeoyante dans un océan de vert. Les femmes lavent leur linge, avec un savon de Marseille moins polluant que l'horreur chimique en vente chez nous, près des chutes de Bambao. Terrain de jeu exceptionnel pour les enfants dont la rivière aboutit sur l'une des grandes plages à kwassa-kwassa. A Anjouan, les seuls qui ont le droit de rêver sont les volontaires au cauchemar migratoire.

Gérôme Guitteau
 
 

 

Communiqué officiel de l'Union des Comores
"Dans un délai de 45 jours (…) une intervention militaire aura lieu"

Le 10 octobre 2007 s’est tenu à Addis-Abeba au siège de l’Union africaine une réunion du Comité de paix et de sécurité (CPS) qui a examiné les sanctions proposées par les experts, les pays contributeurs de troupes et par les ministres des Affaires étrangères de la région.

Après avoir constaté que Mohamed Bacar et ses complices constituent un obstacle au processus de mise en place du nouveau cadre institutionnel et que ces derniers ont défié l’ensemble de la communauté internationale en s’opposant à l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques dans l’île d’Anjouan. Sans oublier que Mohamed Bacar et ses partisans ont pris l’île d’Anjouan en otage et y font régner un climat de terreur tout en pillant systématiquement les ressources financières de cette île. Le CPS a adopté les sanctions suivantes qui frappent Mohamed Bacar, son pseudo gouvernement, son pseudo cabinet, les députes de l’île, les membres corrompus de la commission insulaire électorale, les membres de la pseudo cour d’appel d’Anjouan, l’état major de la force de gendarmerie d’Anjouan et toutes les personnes qui soutiennent financièrement ce régime illégal :
– Dans un premier temps, tous les pays africains et l’ensemble de la communauté internationale sont appelés à interdire tout accès à leur territoire de ces personnes ;
– Leurs avoirs bancaires sont gelés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ;
– S’ils persistent dans leur refus de mettre en œuvre les mesures préconisées par l’Union africaine, un embargo sur le trafic maritime et aérien vers l’île sera imposé ;
– Dans un délai de 45 jours, si aucune de ses sanctions n’a fait fléchir la position des séparatistes, une intervention militaire aura lieu.

Le gouvernement de l’Union des Comores salue la position claire et rigoureuse de l’Union africaine. Il appelle tous les patriotes comoriens à s’unir pour sauver l’unité de notre pays et faire échec aux manœuvres opportunistes de ceux qui veulent tirer parti de la situation pour des intérêts particuliers et partisans.
Le gouvernement de l’Union des Comores est conscient du climat de terreur qui règne à Anjouan et de l’ampleur de la répression sauvage qui s’est abattue sur les villages de Domoni, Sadapoini, Tsembehou, Sima et tout récemment à Moya, causant le déplacement de bon nombre de nos concitoyens d’Anjouan pour trouver refuge dans les îles sœurs.
Le gouvernement de l’Union des Comores mettra tout en œuvre pour que l’île d’Anjouan retrouve sa place dans l’ensemble comorien et que la justice, la paix et le progrès y reviennent dans les meilleurs délais.

Le directeur de cabinet de la présidence de l’Union, chargé de la défense, Mohamed Dossar
Le 13 octobre 2007
 
 

 

Entretien exclusif
Mohamed Bacar, président de l'île autonome d'Anjouan

"Madeira et Sambi ont tué l'Union des Comores. Ils sont en train de l'enterrer"

L'ultimatum de l'Union africaine imposant à Anjouan l'organisation d'une élection présidentielle prend fin ce week-end, alors qu'elles ne se dérouleront pas. Ayant l'opportunité de rencontrer le président de l'île autonome d'Anjouan Mohamed Bacar, que nous n'avions pas entendu depuis le début de la crise, Mayotte Hebdo a décidé de se rendre à Anjouan. Trois journalistes ont fait le déplacement samedi, dimanche et lundi derniers. Pour l'occasion, nous avons proposé à Patrick Millan et son caméraman de nous accompagner, ce qu'ils ont accepté immédiatement.
Mayotte Hebdo et Othentika production ont ainsi pu rencontrer Mohamed Bacar dimanche en début d'après-midi dans le salon VIP de l'aéroport de l'île voisine. Un entretien poignant d'un homme mis au banc des nations par Ahmed Abdallah Sambi et Francisco Madeira le représentant de l'UA aux Comores. La France soutient l'organisation panafricaine. Alors l'homme qu'on dit très proche de la France joue l'une de ses dernières cartes auprès des médias français.

Que va-t-il se produire le 24 novembre ?
Mohamed Bacar : Une décision déterminante pour l'avenir de l'Union des Comores sera prise ce samedi par l'Union africaine. Elle sera déterminante parce qu'Anjouan prendra aussi une décision.

Vous êtes en train de parler de guerre ?
Mohamed Bacar : Notre organisation, l'Union africaine, devrait nous apporter la paix. Malheureusement elle répète qu'elle va nous faire la guerre. C'est ce que Madeira laisse entendre. Est-il sincère ? Ce n'est pas à moi de répondre. On verra sa réponse le 24 novembre. Je ne souhaite pas la guerre, mais quand Madeira et Sambi le disent… Il ne serait pas responsable de notre part de ne pas prendre leurs menaces au sérieux. A chaque fois qu'ils évoquent le débarquement, ils l'assimilent à la guerre.

Le sang peut couler ?
Mohamed Bacar : Je ne le souhaite pas, mais il est certain qu'on ne croisera pas les bras. Il existe déjà un précédent en 1997. Les Anjouanais ont déjà fait leurs preuves. Je tiens à dire que les Anjouanais appartiennent à l'Union des Comores, mais ses représentants exercent une propagande de diabolisation contre nous. Ils n'ont qu'un seul objet en tête : "nuire à l'image de Bacar, nuire à l'image d'Anjouan". Comparez Anjouan et Grande Comore. Vous le voyez, vous êtes ici. Personne n'est arrêté ici pour ses idées politiques alors que même les acteurs économiques d'Anjouan le sont à Mwali ou en Grande Comore car on les soupçonne d'être pro-Bacar. Mais je ne crois pas qu'on en arrivera là. On trouvera des responsables politiques sages qui vont essayer de trouver une voie qui maintienne l'unité et la fraternité des Comores.

"Ils veulent engendrer le génocide des Anjouanais"

L'union des Comores est-elle d'ores et déjà morte ?
Mohamed Bacar : M. Francisco Madeira et Sambi ont tué l'Union des Comores. Ils sont en train de l'enterrer. A chaque négociation, nous avons apporté des propositions, eux rien. Madeira, en particulier, ne parle que de Bacar. Il pense que l'embargo va me fragiliser auprès de ma population. Bacar ne cédera jamais. Depuis 1975, nous avons connu cinq constitutions. A chaque fois, on se dit qu'il faut changer. Cinq ans après les accords de Fomboni, nous remarquons que nous sommes sur la bonne voie. Il n'y a que des petites retouches à faire. Je crois en l'Union des Comores, mais seulement si elle apporte du bien aux Grands Comoriens, aux Anjouanais, aux Mohéliens. C'est pour cela que Bacar n'a pas cédé et ne cédera jamais. Madeira, lui, il s'en fout des Comores. Il veut juste gagner pour sa petite personne. Si trois jours après, la crise revient, ça lui importe peu. L'Union africaine s'occupe des Comores depuis 1995 et le départ de Djohar vers la Réunion. Qu'ont-ils réussi ? Rien.

Vous allez tenir combien de temps sous embargo ?
Mohamed Bacar : Il y a deux semaines, un cargo de carburant de la société d'hydrocarbures de Moroni devait venir. Il a été empêché par Madeira. C'est lui qui a détourné le pétrolier. Nous sommes déjà sous embargo. Nous avions anticipé ces mesures. Nous n'allons pas sortir la lampe dès samedi. C'est pareil pour le riz. Les prix actuels sont moins chers qu'à Moroni.

Avez-vous peur ?
(A cette question, la respiration de Mohamed Bacar se bloque. Un sentiment se dégage, il joue gros dans cette entrevue.)
Mohamed Bacar : J'ai peur quand je pense que depuis 1995 l'Union africaine s'occupe des Comores sans jamais trouver de solutions. Beaucoup de gens sont morts. Ce ne sont pas les mitraillettes qui m'effraient. Nous sommes là pour apporter le bien-être au peuple comorien. Mon pays est ma suprême priorité. Je suis prêt à mourir pour lui. L'UA va nous isoler complètement le 24 novembre. Je vois deux étapes. La première est de prendre le large si on nous y pousse avec l'UA. S'il y a embargo, nous ferons une croix sur l'Union africaine. Ensuite, nous allons observer les réactions de nos frères grands comoriens et mohéliens.
S'ils ne font rien ça signifiera qu'ils se moquent de notre Union, qu'eux non plus n'en veulent pas. Nous on prendra le large. Ça signifiera la fin de l'Union.

L'Union des Comores a sorti une liste de 145 noms, interdits de sortir du territoire anjouanais. A votre tour, vous avez publié une liste de 40 noms…
Mohamed Bacar : D'ailleurs Sambi est en premier dessus.

"Je ne suis pas pour la guerre, encore une fois, mais si c'est le prix à payer pour le bien-être de mon île, ce sera avec regret mais nous la ferons"

N'est-ce pas puéril quand même ?
Mohamed Bacar : Dans leur liste, ils ont mis tous les élus, tous les opérateurs économiques, les magistrats d'Anjouan. Nous en avons quarante et c'est Sambi qui crie au séparatisme. Interdire de bouger à des Anjouanais, ce n'est pas cela le séparatisme ? Ils asphyxient un pays en bloquant ses entrepreneurs. Les Anjouanais ont vécu un embargo très dur en 2000. Nous subissions le choléra et l'Union africaine a refusé l'accès aux médicaments. Nous avons survécu. Ils veulent engendrer le génocide des Anjouanais. C'est le vrai nom de cet embargo. Nous, peuple anjouanais, par mon intermédiaire ou celui de mon successeur, porterons plainte contre ce génocide. Ailleurs, des gens ont été condamnés. Il n'y a pas de raison qu'ils ne le soient pas.

Quelle est votre réaction par rapport au soutien de la France apporté à l'Union Africaine ?
Mohamed Bacar : Je ne dirais pas que la France a un rôle à jouer. La France constitue le premier partenaire d'Anjouan. Nous comprenons que la France soutienne l'Union africaine, même si j'aimerais que le pays des droits de l'homme comprenne notre combat, comme Maurice, Madagascar. Les Seychelles nous comprennent. Cela importe peu, nous irons jusqu'au bout malgré tout. Nous assumons notre choix. Nous n'avons pas besoin du soutien des autres Etats. Nous sommes sûrs de notre fait.

On vous dit proche de réseaux français, notamment de Michèle Alliot-Marie qui aurait un appartement comme vous à Nantes. Elle est venue aux Comores en tant que stagiaire à l'époque ?
Mohamed Bacar : Je suis un francophile comme tous les Anjouanais. J'aime la France, je ne le cache pas. A ce titre, j'ai des amis français. Des membres de ma famille sont aussi Français. Je crois que mon frère a d'ailleurs fait parler de lui contre son gré dernièrement à Mayotte.

Allez-vous faire appel aux Anjouanais de l'extérieur ?
Mohamed Bacar : Oui, et pas seulement. Nos frères comoriens ne sont pas pour la guerre. Il n'y a que Madeira et Sambi qui la veulent. Le président de Ngazidja est venu me voir la semaine dernière et m'a apporté son soutien. Je ne suis pas pour la guerre, encore une fois, mais si c'est le prix à payer pour le bien-être de mon île, ce sera avec regret mais nous la ferons. Je suis sûr que si un pays comme l'Afrique du sud a réussi à créer cette union entre tous ses membres, nous pouvons réussir aussi chez nous, avec Mayotte dedans. Sans aucune suprématie d'un membre sur un autre.

"Je reconnais Mayotte française. (…) Cessons avec l'hypocrisie et respectons le choix des Mahorais"

Vous réclamez le retour de Mayotte dans le giron comorien ?
Mohamed Bacar : Mayotte est une île comorienne qui a choisi la France. En 1975, nos parents ont fait un choix, ceux des Mahorais un autre. Bon, maintenant la question importante est de savoir comment on peut vivre en harmonie fraternellement ? Il faut se dire les choses clairement. Je reconnais Mayotte française. Sambi, lui, va saluer la délégation mahoraise aux Jeux des îles, puis il demande le soutien de la France, via Mayotte. C'est hypocrite. Les Mahorais ont gagné. Madeira est allé à Mayotte pour légitimer le choix de Mayotte.
L'acte le plus important de la présidence de Sambi, d'après lui-même, a été que la France accepte ses enfants à l'université. Comment fait-il ensuite pour réclamer Mayotte ? Cessons avec l'hypocrisie et respectons le choix des Mahorais.

Quel avenir imaginez-vous pour l'archipel ?

Mohamed Bacar : L'Union doit être une interface entre nous et le monde extérieur. Elle ne doit s'occuper que des affaires extérieures, même pas de la défense. Je ne pense pas qu'elle en aurait les moyens d'ailleurs. Chaque président des îles pourrait pendant deux ans être le président de l'Union. Ensuite, comme les Chinois le réalisent avec Hong-Kong, il faut développer l'idée d'un Etat, trois systèmes. Mayotte et son administration française, Anjouan, et Mohéli avec Ngazidja. Si Mohéli demande aussi son autonomie, on verra. Il faut que chaque île soit responsable de son développement, qu'elle puisse attirer des investisseurs. Pour Anjouan, je veux accentuer la coopération régionale. L'Union des Comores coûte trop cher dans sa version actuelle. J'ai encore d'autres idées mais je ne voudrais pas les dévoiler avant une éventuelle table ronde que je réclame depuis la campagne présidentielle conclue le 10 juin. Nous parlons de plus en plus des Comores. Nous accueillons des Chinois, des Réunionnais. Notre port est dirigé par des Kenyans d'origine anglaise. Notre archipel est une terre vierge économiquement. A nous de ne pas les décevoir. Les Anjouanais sont réputés travailleurs. Nous fournissons beaucoup de matière grise et de main-d'œuvre à Mayotte et aux autres îles. C'est pour cette raison qu'on ne peut pas nous accuser de séparatisme. Les Anjouanais sont les seuls à être partout dans l'archipel. Au lieu de réclamer Mayotte, au lieu d'opprimer les îles, nous devons forger un destin commun entre les quatre îles. Nous devons répondre à la seule question importante : "Comment lutter contre la pauvreté, comment vivre en paix dans un islam sunnite modéré ?"

"Sambi est un chiite, cela veut dire la guerre, le terrorisme. Nous, Comoriens, sommes des sunnites modérés"

Que pensez-vous d'une montée possible de l'intégrisme ?
Mohamed Bacar : Quand on voit avec quelle facilité Sambi a été élu en faisant miroiter l'improbable, nous ne sommes pas à l'abri de la chose. Un rapport a montré dernièrement que la pauvreté était un terreau favorable à l'intégrisme religieux. Sambi est un chiite, cela veut dire la guerre, le terrorisme. Nous, Comoriens, sommes des sunnites modérés.

Quand on vous écoute, on comprend que dans les faits le problème lié à l'élection importe peu. C'est un prétexte pour en découdre avec l'Union par rapport à un partage des prérogatives.
Mohamed Bacar : Les élections représentent effectivement la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Pour un observateur extérieur, il est certain qu'il serait ridicule d'arriver à la guerre à cause d'une histoire de sept jours (Bacar a maintenu l'organisation de l'élection présidentielle à la date prévue par l'UA, le 10 juin dernier, mais Grande Comore et Mohéli, estimant ne pas être prêts, ont décalé leur élection d'une semaine, ndlr). Nous ne voulons plus d'un président dieu qui décide dans son bureau de notre avenir. Nous avons connu, nous Anjouanais, une période où nous avons dirigé notre propre avenir. De cette expérience a découlé une prise de conscience de nos possibilités.

A tel point que vous espérez gagner contre l'armée nationale et l'Union africaine…
Mohamed Bacar : Si nous étions une équipe de football, je vous dirais que nous avons déjà battu l'AND (Armée nationale de développement) par deux fois, en 1997 et le 2 mai 2007. Jamais deux sans trois. Par rapport à l'Union africaine, je ne vois pas pourquoi elle voudrait mesurer ses muscles avec nous.

Pourquoi ne pas retourner aux urnes comme vous y autorise l'Union africaine ?
Mohamed Bacar : Cela ne sert à rien. Je veux une table ronde afin d'établir une nouvelle constitution. Si cette table ronde exige de nouvelles élections, j'irai sans souci. Mais pourquoi redemander aux gens de se déplacer alors que le problème ne sera pas résolu ? Azali avant Sambi avait aussi tenté de discréditer Anjouan. C'est un problème de fonctionnement. Il n'y pas de haine entre nous frères comoriens. Sambi est dans l'erreur et j'espère que les Grands comoriens et les Mohéliens sauront lui faire comprendre quand nous, Anjouanais, souffriront de l'embargo.

Propos recueillis par Gérôme Guitteau,
Envoyé spécial à Anjouan
 
 


2ème entretien avec Mohamed Bacar
Président de l'île autonome d'Anjouan

"Il nous faut une paix durable pour engager la bataille du développement de mon île, de mon pays"

Mayotte Hebdo : Monsieur le président, l’Union africaine et le gouvernement de l’Union des Comores viennent d’obtenir le soutien de la France, mercredi dernier à Dzaoudzi, pour renforcer le blocus maritime et aérien contre Anjouan, avec l’interdiction de voyager de vous-même et plusieurs membres de votre entourage. Comment prenez-vous cette mesure et quelle alternative avez-vous ?

Mohamed Bacar : Ce qui s’est passé à Mayotte courant novembre 2007 entre la délégation conjointe de l’Union africaine et de l’Union des Comores avec les autorités préfectorales n’a rien à voir avec un quelconque soutien de la France à une démarche entachée d’illégalité, à une structure de non-droit. Je tire deux leçons de ce déplacement aventurier, de l’Union des Comores et de l’Union africaine :

1. Si l’Union africaine et l’Union des Comores peuvent prétendre ne pas avoir reconnu l’appartenance de Mayotte à la France, il y a eu incontestablement reconnaissance du statut actuel de Mayotte en tant que "système" pouvant contribuer à dégager des options pour un futur cadre constitutionnel des Comores. L’Union africaine et l’Union des Comores viennent de reconnaître du coup qu’avec le recul, le choix des Mahorais de juillet 1974 est salutaire et que la contribution de ce choix au règlement de la crise comorienne vient de s’imposer face à des alternatives de sortie de crise africaines et comoriennes dans l’impasse.
Je pense que l’Union africaine et l’Union des Comores se sont trompées de diagnostic. Il fallait peut-être dans un premier temps revoir la médiation africaine incarnée par Monsieur Francisco Madeira et qui remonte à dix ans en arrière, avant d’envisager l’option mahoraise. Tant mieux pour les Mahorais. Ils méritent des félicitations. Ils ont tenu, ils ont réussi.

2. La responsabilisation directe des représentants de l’immigration – émigration de l’Union des Comores pour s’occuper eux-mêmes à Dzaoudzi de l’exécution de leurs propres mesures arbitraires et infondées sans aucune base juridique, en l’absence de toute décision de justice, et portant sur un principe très cher en ce qui concerne les restrictions des libertés individuelles et collectives en dehors de tout jugement, a un grand sens pour des pays de démocratie respectable comme la France.
Je comprends à travers ce comportement que la France n’a pas voulu être mêlée à une démarche qui s’est démarquée du droit. Je m’en félicite de cette position de la France. Quand vous me demandez l’alternative prévue pour contourner cette mesure, ma réponse est courte : Je continue avec mon équipe à opposer le droit que nous défendons, à l’arbitraire que l’équipe Sambi cherche à imposer. Ce sont deux écoles différentes. Je suis certain que le droit finira par l’emporter sur l’arbitraire.

Mayotte Hebdo : Combien de temps croyez-vous pouvoir résister et que pense le peuple anjouanais de cette situation exceptionnellement dangereuse ? Bien que démocratiquement élu, ne craignez-vous pas d’être déporté hors de votre pays comme Saïd Mohamed Djohar en son temps ?

Mohamed Bacar : La crise comorienne ne saurait durer. Les temps sont révolus. L’apartheid est fort heureusement vaincu. Le mercenariat en Afrique est mis en déroute. Les partis uniques ont disparu. Il n’y a plus d’empereurs. La déportation n’est plus d’actualité et si je devais la subir parce que je défend le droit et la démocratie, je dirai très humblement que c’est malheureusement un destin : je l’assumerai. Cependant, je sais que les Anjouanais sont mûrs; ils ont beaucoup d’expérience et d’ailleurs ce sont eux qui m’ont déterminé à poursuivre la défense de leurs intérêts et à imposer le droit. C’est plutôt l’équipe de Sambi qui doit finir par comprendre et se remettre en cause. Et peut-être c’est la déportation des hors-la-loi qu’il faudrait envisager… Suivez mon regard.

"Monsieur Francisco Madeira s’est lui-même disqualifié. Il était nommé médiateur de l’Union africaine pour venir aider aux retrouvailles des Comoriens"

 

Mayotte Hebdo : José Francisco Madeira a donné instructions aux soldats tanzaniens de riposter en cas d’attaque de vos forces et a déclaré que vous regretterez le jour de votre naissance si vous persistez dans votre rébellion contre Moroni. Quelle réponse apportez-vous à ces menaces ? Pensez-vous qu’il faille en arriver à une telle extrémité plutôt que de trouver un compromis avec l’ayatollah Sambi, qui est avant tout Anjouanais comme vous ?

Mohamed Bacar : Monsieur Francisco Madeira s’est lui-même disqualifié. Il était nommé médiateur de l’Union africaine pour venir aider aux retrouvailles des Comoriens. Il n’a pas honoré son mandat puisqu’il n’a pu faire asseoir les protagonistes autour d’une même table. La situation l’a démissionné de fait. Monsieur Francisco Madeira s’entête pour rester aux Comores, alors qu’il sait que son séjour est arrivé à terme suivant les termes de références initiaux de sa mission. Si d’aventure, l’Union africaine opte pour les coups de feu comme alternative de sortie de crise aux Comores, Monsieur Francisco Madeira doit laisser la place à un général qui est censé connaître les munitions qui tuent plus efficacement et plus rapidement, pour ouvrir l’espace domanial aux futurs investisseurs sans territoire et pourchassés de chez eux pour s’installer et créer une autre nation.
Le comportement de Monsieur Madeira laisse comprendre qu’il est candidat peut-être pour s’installer à Anjouan sur des terrains qu’il envisage d'acquérir parce que laissés vacants, les occupants étant être les victimes qu’il a envisagées. Une chose est sûre, les Anjouanais sauront lui répondre tout bientôt.
Vous conviendrez avec moi que Monsieur Sambi a un problème, je le comprends : son école est connue, la monarchie et non l’Etat de droit et la démocratie. Il doit comprendre qu’en politique et surtout en ces temps, il n’y a que deux choix possibles : le droit ou le dialogue et la concertation. Entre les deux, il n’existe plus d’espace.

Mayotte Hebdo : Pourquoi refusez-vous l’organisation de nouvelles élections à Anjouan, puisque l’UA reconnaît que la nouvelle constitution des Comores est compliquée et elle accepte l’idée de son toilettage, y compris pour accorder plus d’autonomie que maintenant, si cela peut permettre d’éviter une partition politique de l’archipel comme en 1975 ?

Mohamed Bacar : L’élection n’est pas une fin en soi. Pourquoi une élection ? Si c’est pour satisfaire l’orgueil d’un homme, je dis non. Si c’est pour répondre au respect du droit, je dis Oui. J’ai fait deux propositions :

1ère proposition :
Monsieur Sambi et l’Union africaine devront accepter un débat constitutionnel à travers la mise en place d’une commission mixte d’experts constitutionnalistes internationaux et nationaux, devant statuer sur l’ensemble des textes législatifs, réglementaires et consensuels ayant présidé à l’organisation du scrutin sur l’ensemble du territoire de l’Union des Comores.

2ème proposition : Monsieur Sambi et l’Union africaine peuvent opter pour un débat politique afin de dégager un jugement consensuel sur le déroulement des présidentielles des îles. Je respecte l’Union africaine certes, mais s’il faut reprendre les élections parce que l’empereur Sambi l’a dit, j’exprime beaucoup de regrets et mon accord aurait été une contribution à l’assassinat de l’état de droit aux Comores et à l’élan démocratique qui a pris son envol dans le pays.
J’ajouterai que le futur toilettage projeté des constitutions plaide pour qu’une éventuelle élection en soit sa conséquence et non une fin. Il n’est pas logique d’organiser une élection sur la base de lois fondamentales condamnées à être toilettées. Pour ensuite revenir sur la même élection parce que le nouveau statut issu du toilettage le dicte. Je cite l’adage : "ne jamais mettre la charrue avant les bœufs". L’Union africaine devrait me dire ce qu’elle cherche à faire aux Comores, plus particulièrement à Anjouan. Qu’on dévoile le but recherché ?

"La tenue de nouvelles élections dans les trois îles, comme prévu par la loi, coûterait moins cher en argent, en vie humaine et en temps que le déploiement de l’armada de l’Union africaine"

 

Mayotte Hebdo : Que craignez-vous à travers les propositions qui vous ont été faites ?

Mohamed Bacar : Ces propositions qui me sont faites n’obéissent ni au droit, ni au consensus. Il serait dangereux d’installer le pays dans une logique monarchique. Le Roi a dit, il faut s’exécuter ! Ce sont des temps révolus. Les Comores ne méritent plus d'y revenir après tant d’années de révolutions, mercenariat, dictature de parti unique. Le pays doit aller de l’avant.
Je pense que c’est Monsieur Sambi qui a peur. En appliquant l’article 80 du code électoral qui stipule la reprise des élections sur les trois îles, il doit se réjouir. Monsieur Sambi prétend que les présidents de Ngazidja et Moili sont les biens élus et que celui d’Anjouan serait minoritaire au niveau de l’île d’Anjouan. Pourquoi Monsieur Sambi a-t-il peur de la reprise des élections sur les trois îles, conformément à la Loi ?
En matière de coût, la tenue de nouvelles élections dans les trois îles, comme prévu par la loi, coûterait moins cher en argent, en vie humaine et en temps que le déploiement de l’armada de l’Union africaine et de l’AND (Armée nationale de développement des Comores) de Monsieur Sambi.

"Mon premier souci c’est mon peuple; le second c’est le droit; le troisième c’est le respect de la personne humaine"

 

Mayotte Hebdo : Vue de Mayotte, le bras de fer qui oppose Moroni à Mutsamudu, paraît dérisoire tant la détresse de vos populations respectives est grande. N’est-ce pas en vérité un problème d’orgueil personnel qui vous empêche, l’ayatollah Sambi, vous-même et Francisco Madeira, de conclure une paix profitable pour les Anjouanais ?

Mohamed Bacar : Je préfère qu’on exclue pour un premier temps Monsieur Madeira, un diplomate mozambicain. Il ne discute pas les mêmes intérêts aux Comores que Monsieur Sambi et moi-même. Pour Monsieur Madeira, sa présence aux Comores découle d’un contrat de travail et de termes de références dictés par l’organisation qui l’emploie. Son souci c’est de justifier ce qu’il coûte à l’Union africaine. Les résultats ne sont pas liés à ses dividendes. C’est d’ailleurs cette raison qui l’emmène à conseiller et à faire décider n’importe quoi, y compris l’usage des armes, donc l’écoulement du sang. L’essentiel est qu’il y ait prorogation de mission. Il se comprend, mais les Comoriens ne le comprennent pas. Dans tous les cas, Monsieur Madeira ne pleurerait pas pour les défunts Anjouanais et même s’il devait pleurer, ça n’aurait rien à voir avec ce que je ressentirai, et encore si je m’en sors. Je fais confiance aux Anjouanais.
Pour ce qui est de Monsieur Sambi et de moi-même, je ne ressemble pas du tout à Monsieur Sambi au point de vue comportement vis-à-vis de la crise. Monsieur Sambi gère son orgueil, canalise ses rêves et ne se soucie guère de ce qui pourrait arriver à son pays, à son peuple, à ses frères et sœurs comoriens et plus particulièrement les Anjouanais. Pour lui, c’est d’abord le pouvoir, le reste vient après.
Pour ce qui me concerne, mon premier souci c’est mon peuple; le second c’est le droit; le troisième c’est le respect de la personne humaine, sa dignité et sa légitimité, plus particulièrement pour les Anjouanais qui m’ont massivement accordé leur confiance.
Je suis prêt à conclure et le plus rapidement possible une paix à Anjouan et au-delà aux Comores, voire même en Afrique, mais pas à n’importe quel prix. Il nous faut une paix durable pour engager la bataille du développement de mon île, de mon pays. Cette paix ne peut passer qu’à travers le droit ou le dialogue, la concertation et l’implication de tous les Comoriens : Anjouanais, Mohéliens, Grand comoriens et Mahorais si nous nous donnons les capacités qui intégreraient une Union des Comores plurielle. C’est ce cadre de conclusion de paix que les Anjouanais entendent profiter.
Enfin, je remercie Mayotte Hebdo et plus particulièrement Monsieur Saïd Issouf, journaliste, qui s’est intéressé à la découverte de ce qui se passe à Anjouan et de ce que les responsables Anjouanais ressentent. Encore une fois merci de votre contribution.

Propos recueillis par Saïd Issouf
 
 

Rencontres
"Ici l'embargo a déjà commencé"

L'Union africaine et l'Union des Comores sont intransigeantes sur la question de la présidence anjouanaise : "il faut asphyxier le régime rebelle" de Mohamed Bacar. Ce gouvernement est accusé d'occupation illégale du pouvoir. Des sanctions se dessinent et se renforcent progressivement. Pour le peuple anjouannais, la principale victime dans ce conflit "c'est encore et toujours la population".

Si une phrase suffisait à rassembler le peuple anjouanais dans une même voix, c'est : "ici l'embargo a déjà commencé". Et pourtant, en atterrissant à l'aéroport de Ouani, rien ne laisse réellement percevoir ce ressenti de la population. Il y règne un certain calme apparent : les colliers de fleurs, les chiromanis aux multiplient couleurs, les habituels brouhahas des aérogares accueillant tout bonnement les nouveaux arrivants.
Les signes d'une crise politique se présentent plus sur le tarmac de Mohéli où le seul avion transportant des passagers en provenance de Mayotte à destination d'Anjouan est dérouté "pour une vérification des agents de la Paf. Ils doivent s'assurer qu'aucune personne présente sur la liste n'entre ni ne sort d'Anjouan", semblent être très bien informés les passagers.
En vol, la situation amuse plus qu'elle n'inquiète. De quelle liste parle t-on ? "Le gouvernement Sambi a émis une liste de personnalités clefs à surveiller", explique encore une fois les clients de Comores Aviation. Soit ! Après 30 minutes de vol, tous les passagers débarquent à Mohéli. "S'il vous plait, veuillez présenter vos passeports au contrôle de police", lancent les haut-parleurs de l'avion. En touchant terre :
– Toi, toi, toi… Restez ici et complétez ça, ordonne un agent de la Paf mohélien.
– C'est pour quoi ça ?, cherchent à comprendre les voyageurs.
– Complétez, c'est tout ! On vous expliquera plus tard, jette notre agent en se dirigeant vers d'autres clients.
– Vous, vous, vous… Avancez et entrez dans la salle d'attente située à votre droite.
– Pourquoi vous ne retenez que les wazungus ?
– Vous êtes Mahoraise ?
– Oui…
– Alors avancez dans la salle d'attente vous n'avez pas besoin de visa.
– Pourtant je suis Française comme ces wazungus ?
– Vous êtes d'origine comorienne, vous n'avez pas besoin de visa, un point c'est tout.

"Des journalistes en provenance de Mayotte souhaitent se rendre à Anjouan. Stoppez-les !"

Une demi-heure plus tard… notre agent revient à la charge
– Montez dans l'avion et descendez tous les bagages des wazungus. Ils restent ici !, jettent-ils en langue mohélienne aux agents de Comores Aviation.
– Pour quel motif ?, cherchent à comprendre les métropolitains. Ils n'obtiendront aucune réponse.
– Vous ne partez pas pour Anjouan, c'est tout.
– Mais informez-nous au moins pourquoi ?
– Vous restez ici, c'est tout.
Le dialogue est loin d'être gagné. Un autre homme est escorté par les agents de la Paf mohélienne.
– Pour lui aussi descendez ses bagages, jette l'autorité des lieux. Inutile d'en demander le motif !? Une discussion s'entame toutefois. Finalement notre homme accepte de lâcher quelques mots :
– On a eu des ordres venants de la Grande Comore. Des journalistes en provenance de Mayotte souhaitent se rendre à Anjouan. Stoppez-les !
– Vous êtes sur que vous avez eu les bonnes informations ?…
Le regard de notre interlocuteur devient rouge vif, ce regard parle de lui-même… Mieux vaut ne pas l'énerver.
– Laissez-nous au moins parler à vos responsables.
– Vous n'avez à parler à personne. Vous restez ici c'est tout.
– Et après ?
– Vous retournez à Dzaoudzi…
– Vous vous rendez compte que vous n'avez arrêté que les wazungus ?…
Le regard de notre agent s'intrigue.
– Vérifiez bien vos informations, vous verrez que vous êtes mal informé, oriente un des journalistes.
Un brouhaha s'entame encore, alors que les bagages touchent eux aussi terre. Puis :
– Moi aussi je suis journaliste.
Le regard est surpris.
– Vous ?
– Oui moi.
– On nous a dit que les wazungus étaient accompagnés d'un journaliste mahorais, mais jamais d'une Mahoraise.
– Alors, vous voyez que vous n'avez pas les mêmes informations. Laissez-nous parler à vos supérieurs.
– Alors elle aussi, elle reste ici…, joue à la sourde oreille notre agent.
Rajoutons une couche… Des militaires escortent un cinquième homme
– Celui-ci déclare aussi être avec les journalistes.
– Vous ? Vous êtes quoi ?
– Journaliste…
Le regard de la Paf mohélienne ne comprend plus rien.
– Vous êtes deux Mahorais alors ?
Un coup de téléphone s'exige rapidement :
– Oh les gars, vous nous faites quoi là ? Il y a plus de journalistes que prévu…
La suite de la conversation se poursuit à huis clos et puis :
– Très bien, faites remonter les bagages des journalistes dans l'avion.
– Concernant cette situation, aucun stylo, cahier et encore moins appareil photo ne sera toléré… Vous venez de prendre une photo ? Donnez-moi votre appareil ! Donnez-le moi tout de suite !, s'énerve et tente de bousculer un militaire suite à une photo prise illustrant l'arrestation d'un homme descendu de l'avion, escorté par les militaires. Un second militaire intervient :
– Ne la bouscule pas, c'est une Française !
Comorienne pour le visa, ressortissant française à ne pas bousculer, wazungus à retenir à tout prix, journaliste… La situation ne dépasserait pas un peu la police de l'air et des frontières mohélienne ? La photo prise sera effacée de l'appareil, l'Anjouannais arrêté alors que son nom n'apparaissait pas sur "la liste noire" fut emmené sous bonne escorte par les militaires, tandis que les wazungus payeront 15 euros de frais de visa avant de quitter Mohéli. Direction Anjouan…

Au mois de juillet des hommes armés ont pris d'assaut l'hôtel Al-Amal

 



Comores – Discours à la nation du chef de l’Etat

"J’irai bientôt à Anjouan pour enterrer le séparatisme"

Dans une adresse à la nation, prononcée ce lundi à 21h00, le président de l’Union, Ahmed Abdallah Sambi s’est particulièrement exercé à mettre en garde le colonel Mohamed Bacar et son entourage, pour les conséquences qu’il fait courir à la population d’Anjouan à cause de son "entêtement" à vouloir défier l’Etat et la communauté internationale.

"Vous les citoyens comoriens d’Anjouan qui, dans votre grande majorité, n’approuvez pas la politique suivie par les autorités illégales actuellement au pouvoir dans l’île, n’avez rien à craindre des mesures d’embargo" décidées par l’Union africaine, à l’encontre de ce "groupuscule de 145 personnes qui entourent Mohamed Bacar".
C’est en ces termes que le président Sambi, a tenu à réaffirmer sa détermination à mettre fin au "calvaire" et aux "multiples souffrances dont sont quotidiennement victimes de nombreuses personnes civiles innocentes" à Anjouan, les obligeant même à prendre le chemin de l’exode vers les autres îles de Mwali et Ngazidja pour échapper, dit-il, à "la terreur du régime rebelle de Bacar".
Les restrictions imposées aux dirigeants anjouanais n’ont d’autres buts que de les amener à revenir à la raison, en acceptant de se soumettre aux règles du jeu démocratique par l’organisation d’une nouvelle élection dont les résultats seront acceptés par tous, explique le chef de l’Etat sur un ton grave et avec la voix saccadée. "Si vous ne voyez plus arriver dans votre île aucun projet d’investissement comme à Ngazidja ou à Mwali, ce n’est point de ma faute, mais celle des autorités hors la loi" qui persistent dans l’erreur.
Pour le président comorien, les sanctions sont graduelles et inévitables jusqu’à ce que Mohamed Bacar et ses hommes comprennent que leurs jours sont désormais comptés. Et le président Sambi d’en appeler directement aux éléments armés du régime anjouanais pour qu’ils changent de camp "avant qu’il ne soir trop tard". "Tout militaire membre de la Force de gendarmerie d’Anjouan (FGA) qui obéira à nos ordres sera immédiatement réincorporé au sein de l’armée nationale de développement, et bénéficiera de tous les avantages, car la FGA sera dissoute et démobilisée conformément aux recommandation du Conseil paix et sécurité de l’UA".
Et le président de la république de conclure son allocution retransmise à la radio et la télévision nationales, en invitant les Anjouanais à se préparer à l’accueillir prochainement. "Je serai bientôt parmi vous pour enterrer définitivement le séparatisme et y semer la bonne gouvernance, car jamais notre pays n’a eu autant d’opportunités de développement qu’en cette période de l’histoire", affirme le président de l’Union qui venait de recevoir l’après-midi les membres du comité de suivi de la mise en œuvre des sanctions internationales frappant les autorités de fait d’Anjouan.

El-Had Said Omar
 
 


Politique
Bacar et l'oligarchie

Depuis la crise avec le pouvoir de l'Union des Comores, Bacar qu'on dit très autoritaire a décidé de s'ouvrir. Il a ainsi fondé une oligarchie avec ses anciens opposants Caambi El Yachourtui et Halidi, l'ancien protégé du colonel Azali.

La table est jolie. Des feuilles en plastique du plus beau kitsch de Dubaï sont posées. Des sièges bien rembourrés s'alignent en face du fauteuil qui accueillera le président Mohamed Bacar. Dessus s'assoyent, les tenants du pouvoir : Djanfaar Salim, ministre de l'intérieur, très connu à Mayotte surtout chez l'ancienne SPPM, Caambi El Yachourtui, ancien secrétaire général de la COI, plusieurs fois ministres, conseiller spécial du président, le favori de l'ambassade de France lors des dernières élections présidentielles, Mohamed Abdou Madi, ancien ambassadeur à Madagascar, partisan de l'autonomie d'Anjouan de longue date, et consort…
Ils désirent tous se montrer, mais en retrait de Bacar qui reste l'homme fort. "J'ai décidé de m'ouvrir parce que la situation avec l'Union des Comores exige l'union de tous. Il existe beaucoup de qualités à Anjouan. On se débrouille toujours tout seul. Il faut savoir s'unir, nous sommes ainsi plus forts. C'est tout", confie le colonel Bacar.
Une ouverture qui ne fait pas beaucoup parler à Mutsamudu. En revanche, à Domoni, les langues se délient. "Il s'est mis dans la poche tous les notables de Mutsamudu. Ce sont eux qui détiennent les rênes du pouvoir, mais le peuple reste contre lui. C'est la fin du régime même s'il se croit fort avec ses amis", assure un animateur de l'ONG ID.
Mohamed Abdou Madi ne dit pas le contraire lors de notre accueil. "Le président Bacar n'est pas très bavard, mais depuis notre arrivée nous l'avons convaincu d'être très bavard avec vous. Les choses ont changé, il n'a plus les mêmes conseillers." D'ailleurs ces derniers se montrent beaucoup plus vindicatifs que le président lui-même.
"Nous sommes prêts à la guerre maintenant. Pourquoi attendre ? Venez maintenant, nous sommes prêts. Plus ils attendront, plus le risque d'une guerre sale se pointera. Je veux une guerre propre, homme de rang contre homme de rang. Alors que s'ils attendent, si la rumeur devient incontrôlable, que se passera-t-il ? Les gens sur la liste des Comoriens qui ne peuvent pas quitter l'île sont en danger. Et je ne veux pas que des innocents soient tués. Des innocents qui ont comme seul tort d'être des proches de Sambi. Mais un rien peut créer l'étincelle. Nous sommes entrés dans un contexte de haine", insiste le ministre Abdou Madi.

"Je préviens juste les ressortissants français qu'il faut qu'ils se préparent à nous accueillir. A accueillir des estropiés, des manchots…"

Les réactions des gouvernants s'apparentent à celles d'une bête blessée. Ils jouent leurs dernières cartes. Le régime de Bacar vit ses derniers instants et ses courtisans l'ont bien compris. Ils ne se battent qu'avec plus de force. Aux Comores, vivre sans pouvoir est impossible alors il vaut mieux mourir ou s'exiler. "Je préviens juste les ressortissants français qu'il faut qu'ils se préparent à nous accueillir. A accueillir des estropiés, des manchots…", assure le conseiller plénipotentiaire.
"Personnellement, je pense qui si l'AND se présente seule, il y aura une guerre et nous sommes loin de partir vaincus. En revanche, s'ils obtiennent le soutien de l'Union africaine, notamment aérien, cela sera dur, mais nous nous battrons. Gouverner c'est prévoir. Nous avons déjà commencé le rationnement. Nous pouvons tenir plus de deux mois. Mais nous ne laisserons pas les gens se révolter. Nous ne laisserons pas le temps pour ça. Nous forcerons l'Union des Comores à la guerre avant. Les Grands comoriens et les Mohéliens qui sont de notre côté dans les autres îles, ne nous abandonneront pas. Nous nous battons pour le bien-être de tous : Anjouanais, Grands Comoriens, Mohéliens et même les Mahorais", conclut Mohamed Abdou Madi.
L'oligarchie n'a jamais autant été si évidente. Une poignée de familles se bat afin de conserver son pouvoir, ses avantages. Elle essaye d'en obtenir plus sous différents prétextes, loin d'être absurdes. En quoi l'autonomie serait un mauvais système dans un pays qui ne connaît pas de nationalisme. Un pays où le village constitue la structure de référence du quotidien. Les villageois de Mohéli développent en toute autonomie un tourisme citoyen exemplaire.
Pourquoi ne pas tenter l'expérience sur une plus grande échelle ? Ce système profitera plus à certains qu'à d'autres. Il peut aussi échouer, mais pourquoi l'Union des Comores aurait peur de l'échec, alors que depuis plus de 30 ans, elle a appris à l'apprivoiser ?

Gérôme Guitteau
 
 

Embargo sur Anjouan
L’ultimatum de 45 jours expire demain

Les 45 jours imposés par l’Union africaine et le gouvernement de l’Union des Comores au régime du colonel Mohamed Bacar et ses acolytes pour organiser des élections arrivent à échéance demain samedi. Le ministre de la coopération décentralisée Mohamed Abdou Madi est formel : "s’il faut se battre, on se battra jusqu’à notre dernier souffle".

Depuis quelques semaines, la population anjouanaise vit quotidiennement dans le doute et le stress. La jeunesse désoeuvrée, ne sait plus à quel saint se vouer. A l’approche du blocus total, les commerçants de la place commencent à faire leurs réserves en denrées alimentaires et produits de première nécessité, comme le pétrole et la farine. L’explosion du prix de cette dernière a d’ailleurs provoqué une grève des boulangers.
"On va encore nous enfoncer au fond de la tombe", lance un jeune sportif qui s’entraîne avec son équipe de football qui doit se rendre se rendre à Mayotte le 4 décembre prochain pour participer au Tournoi de la Concorde. "J’aimerai bien que nos représentants politiques se mettent autour d’une table pour discuter afin de trouver une solution à cette crise qui risque encore de pénaliser l’Anjouanais d’en bas. On n’est pas encore sous embargo et la situation est déjà difficile", poursuit le jeune sportif. Un refrain qui résonne dans les chaumières de la capitale anjouanaise.
Pourtant, au sommet de la pyramide gouvernementale, on se dit "calme et serein". Le bouillonnant ministre de la coopération décentralisée, Mohamed Abdou Madi ancien rédacteur en chef de Radio Comore et ex-ambassadeur des Comores à Madagascar, numéro trois de la liste des 145 personnes considérées comme des "menaces pour la paix", juge les mesures de l’Unité africaine (UA) et du gouvernement de l’Union des Comores "abusives et non injustifiées" dans une rencontre avec la presse.
"Ils nous bassinent les oreilles avec leur Conseil de paix et de sécurité (CPS), moi je leur conseillerai de changer leur sigle en CGP, Conseil de guerre et de provocation. Des commerçants et des hommes d’affaires anjouanais qui ne sont ni ministres, ni mêlés de près ou de loin à la politique et qui ne figurent même pas sur la black liste sont visés par ces mesures restrictives et privés de leur liberté de voyager. De telles pratiques relèvent de l’arbitraire si elles ne sont pas motivées d’une décision judiciaire", poursuit le ministre.
En effet, samedi dernier, Amir Djanfar, un entrepreneur originaire de Domoni et propriétaire d’un grand hôtel dans la plus importante ville du Sud, qui faisait escale à Mohéli à l’issue d’un voyage en métropole, a été interpellé par les forces de la gendarmerie à sa descente à l’aéroport Bandar Essalam de Mohéli. Reconnu comme étant un fervent défenseur du séparatisme anjouanais et soupçonné d’être un partisan du régime Bacar, il passera son week-end dans les geôles mohéliennes avant d’être refoulé sur Mayotte dans la journée de lundi, suite à une décision du gouvernement de l’Union des Comores.

"Nous mènerons notre combat jusqu’au bout de notre dernier souffle"

"Si Mohamed Abdallah Sambi veut nous mettre à genoux, nous lui montrerons que nous mènerons notre combat jusqu’au bout de notre dernier souffle", persiste le ministre.
Pourtant, dans les rues de Mutsamudu, si certains redoutent les méfaits de l’embargo et d’un éventuel débarquement militaire de l’UA, d’autres estiment en revanche que seule la force permettra de mettre fin définitivement à la crise. Pour ceux-là, les forces de gendarmerie anjouanaise (FGA) sont en effet constituées essentiellement de jeunes dépourvus de formation et elles se replieront à la première détonation d’une arme à feu. Un sentiment que les autorités anjouanaises, par le biais du ministre de la coopération décentralisée, ne partagent pas du tout.
"Nous avons déjà concocté notre plan de résistance et nous sommes suffisamment armés pour lutter. Nous nous sommes déjà confrontés à l’armée comorienne sous l’ère Taki en 1997 et nous sommes sortis vainqueurs. Nous attendons avec une impatience farouche l’arrivée de la date du 24 novembre", prévient avec détermination le ministre.
Anjouan qui ne dispose aujourd’hui d’aucun organe de presse excepté la Radio et Télévision d’Anjouan, (RTA), dont les informations sont contrôlées par le gouvernement, donne le visage d’un régime dictatorial. Dans les rues de la capitale et de ses environs, décrocher des informations concernant le régime Bacar auprès de la population est un vrai parcours de combattant.
"Si on me voit discuter avec toi, je risque de me retrouver au camp militaire de Mirontsy baptisé "Pentagone", lance sous couvert de l’anonymat un vendeur de poissons originaire de Pagé. Mon grand frère instituteur s’est fait licencier de son boulot parce qu’il avait eu le malheur de critiquer le régime", poursuit-il.
Craignant le durcissement de l’embargo et un débarquement militaire imminent, certains se disent prêts à braver la mer pour regagner Mayotte par kwassa-kwassa avec femmes et enfants plutôt que de tomber sous les balles de l'armée tanzanienne.

De notre envoyé spécial à Anjouan,
Soldat
 
 

Immigration clandestine
"Les kwassas sont invisibles"

Malgré la vigilance, chaque jour des sans papier expulsés reviennent à Mayotte. Comment parviennent-ils à rentrer ? D’où partent-ils ? Dans quelles conditions ? La surveillance s’accroît également du coté anjouanais. Les gendarmes rodent sur les plages. Mais police, gendarmerie, douane, service maritime ne parviennent pas à stopper l’élan des kwassas. Un nouveau dicton est même né à Anjouan : "les kwassas seraient devenus invisibles".

Alors que le ministre de la coopération décentralisée et de l’environnement, "son excellence Abdou Madi" comme l’appellent ses partisans, se distrait à une soirée en déclarant : "vous voyez, ici je n’ai pas de contrainte, on s’amuse et on fait la fête comme partout", à quoi donc peuvent s’occuper les gens du peuple ?
– Si je savais par quel moyen quitter cette île sans aller mourir en kwassa, je le ferai, songe le serveur de la même soirée. Ses pensées vont encore plus loin :
– Quand je les vois tous s’amuser alors que le peuple à faim, il m’arrive de prier Dieu : qu’Anjouan s’écroule une fois pour toute et ça sera fini pour nous tous, plutôt que de continuer à vivre cette vie de misère, crache-t-il.
Travailler tous les jours avec un salaire mensuel de 80 euros pour nourrir sa famille, il est vrai que la vie est chèrement payée pour notre homme qui finit par devenir raisonnable :
– Mieux vaut me taire, je risque sinon de perdre mon boulot.
Les rencontres de ce genre, il n’y en a pas des masses à Anjouan. Lorsqu’il s’agit de discuter kwassas, beaucoup ont peur pour leur travail, leurs familles :
– Ici, parler de kwassa peut nous conduire en prison, nous informe-t-on.

"Avec 100 euros gagnés à Mayotte on peut toujours nourrir sa famille"

Il y a à peine une année, une équipe de Mayotte Hebdo accompagnée de journalistes de TF1 s’étaient rendue sur la plage de Bambao la M’tsanga pour s’informer sur les départs des kwassas et si nous y retournions ?
Pour atteindre ce village, nous parcourons le village de Patsy où se trouve la résidence présidentielle de Mohammed Bacar. Une halte dans ce village, à la rivière, et toutes les personnes rencontrées déclarent revenir de Mayotte :
– Je n’ai pas choisi. C’est la loi chez vous là bas. Maintenant je préfère rester à Anjouan. Il est vrai que la vie est plus simple pour nous à Mayotte. On a toujours des petits boulots pour nourrir la famille, mais courir à longueur de journée, ça finit par rendre malade. À force j’avais mal aux côtes.
Cette déclaration amuse les camarades de Saïd*, mais comme lui, tous ces jeunes hommes qui lavent paisiblement leur linge à la rivière ont déjà au moins une fois dans leur vie connu cette situation. Abdou* déclare même :
– Moi, dès qu’on m’envoie des sous je reprends la mer. Regardez, ici il n’y a rien à faire. Il n’y a pas de travail. Il n’y a pas d’argent. Mieux vaut aller faire du sport à Mayotte. Avec 100 euros gagnés, on peut toujours nourrir sa famille.
– Et quand comptes-tu partir ?… Les clapotis des linges mouillés tapant sur les roches de la rivière sont les seuls échos qui parviennent jusqu’à nous. Ces sujets là sont devenus tabous ici.

"Avec les portables, les renseignements remontent vite jusqu’ici"

Mêmes sons de cloches dans le village. Une épicière déclare être déjà venue à Mayotte :
– J’avais un kyste à la main droite. Je suis restée 3 mois à Labattoir. Mais vivre cachée ce n’est pas une vie. J’ai préféré revenir dès que mon opération s’est finie.
Aujourd’hui, Amina* tient une petite boutique :
– Je ne gagne rien car ici il n’y a pas d’argent, mais au moins je suis chez moi, se console-t-elle. Une construction sort lentement de terre juste à coté, un monsieur nous reconnaît :
– Vous êtes des journalistes de Mayotte ? Je vous connais, je suis de Combani, jette-t-il du haut du béton qui se coule.
– Et maintenant vous vivez ici ?
– Et oui, mais je n’ai pas choisi, c’est la loi à Mayotte.
– Et vous comptez repartir ?… Les bruits des marteaux ne cachent nullement la réponse. Notre Marseillais choisit d'endiguer là la conversation.
Nous reprenons la route. Sur le chemin, un autre homme semble nous avoir reconnu. Il a les pieds plongés dans la Tratringa, une rivière qui traverse le village de Chandra et coule jusque vers le pont qui porte le même nom.
– Vous êtes de Mayotte ? Donnez-moi votre adresse svp. J’ai l’intension de venir à Mayotte, je recherche un point de chute. Regardez, je suis un bon cultivateur, montre-t-il en direction de sa femme et ses enfants qui grattent les mangues pour la préparation des achards.
– Mais vous savez qu’à Mayotte ce n’est pas facile. Les policiers sont très vigilants.
– Oui, mais je connais un commandant qui m’amènera sans grabuge. Il est bien informé sur les patrouilles de la Paf, il a des amis là-bas…
– Des amis au sein de la Paf ?…
– Je ne sais pas au juste si c’est au sein de la Paf, mais avec les portables les renseignements remontent vite jusqu’ici.
– Quels renseignements ?
– Par exemple quand la Paf sort en mer. Quand elle ne sort pas. Comme ça, c’est plus simple pour les kwassas de rentrer.
– Et vous pouvez nous amener jusqu’à votre ami ? La chute de la cascade s’entend à des kilomètres à la ronde, notre ami stoppe net la discussion.
Demain à l’aube un kwassa est prévu au départ.

Bambao la M’tsanga, "deuxième port anjouanais, n°1 pour les départs des kwassas"

Nous atteignons finalement le village de Bambao la M’tsanga, "deuxième port anjouanais, n°1 pour les départs des kwassas", rapportaient les gens lors de notre précédent voyage. Allons-y au culot…
– La plage des kwassas, c’est par-là ?, interroge-t-on. Des jeunes gens regroupés au bord de la route répondent
– Oui oui, descendez tout droit.
– Mais tu es fou ou quoi ? Tu ne sais même pas qui sont ces gens et tu réponds, se soulève une seconde voix tandis que la voiture s’éloigne et arrive à ladite plage.
Comme il y a une année, des hommes sont paisiblement assis en train de jouer aux dames version anjouanaise. Des pierres noires s’affrontent aux pierres blanches installées à même le sable.
– Bonjour messieurs…
– Vous êtes des journalistes de Mayotte Hebdo ?, questionne immédiatement un jeune homme, la vingtaine.
– Oui et vous ?
– J’étais à Mayotte.
– Vous vivez ici maintenant ? Le regard est méfiant…
– Ici ce n’est plus comme avant. Je n’ai pas le droit de vous parler sinon je risque gros.
– Vous risquez quoi ?
– L’emprisonnement et si les kwassas sont pris, vous comprenez que je me fais des ennemis.
– Il y a beaucoup de kwassas qui partent d’ici ? La réponse ne vient pas, mais le regard en dit long. Soudainement une voix se lève :
– Avant, ici, des kwassas il en partait beaucoup, mais maintenant c’est fini ça.
– Alors d’où partent-ils ?
– Il n’y a plus de kwassa. Les Anjouanais préfèrent rester chez eux.
– Pourtant chaque jour il y a des arrivées à Mayotte ? Le jeu de dames bat son plein… aucune réponse ne sortira plus de cet échange.
Un peu plus loin, un vieux monsieur, bras repliés derrière le dos observe la scène. Il nous fait signe d’avancer.

"Quand un de nos enfants parvient jusqu’à Mayotte, c’est toute la famille qui est sauvée"

– Vous recherchez des informations sur les kwassas ? Les gens ne vous diront rien. Le kwassa reste le seul moyen pour un Anjouanais de quitter cette île et le gouvernement surveille. Personne ne livrera les commandants. Quand un de nos enfants parvient jusqu’à Mayotte, c’est toute la famille qui est sauvée, explique t-il de la voix posée d’un vieillard sage. Il poursuit :
– Les kwassas sont là. Vous ne les voyez juste pas. Mais ils sont là. Demain à l’aube, il n'y en a qu'un qui est prévu au départ. Il partira d’ici. De cette plage. Mais personne ne vous le dira. Les gendarmes sont là. Le monsieur en chemise blanche et pantalon bleu que vous voyez là-bas, c'en est un. Une fois qu’on a fini de parler allez vous promener sur la plage… Faites comme si je ne vous avais rein dit. Regardez-moi, je ne suis qu’un vieil homme. Respectez mes paroles et n’interrogez plus personne ici. Chacun travaille dur pour réussir à gagner 200, 250, parfois jusqu’à 400 euros pour gagner Mayotte. Les Comoriens cotisent même entre eux et achètent eux-mêmes un kwassa pour effectuer le trajet.
– Achètent un kwassa ?
– Oui ! Tout le monde sait où en trouver. C’est vendu comme de simples bateaux de pêche. Avec 2.000 euros, si tu payes cash, tu repars immédiatement avec ta barque de 7 mètres. En crédit il faut compter 3.000 euros. Pour ceux qui voyagent à 10 sur une barque, en payant 400 euros par tête, le commandant a déjà remboursé sa barque, vous voyez ? Tous les passagers payent à l’avance. Les commandants laissent l’argent en sûreté ici. Si la barque est saisie, sa famille a déjà de quoi vivre.
– Il semble que le plus compliqué à se procurer ce sont les moteurs ?
– Vous savez ce qu’on dit ? Les moteurs seraient volés à Mayotte… Moi je ne suis qu’un pauvre homme, je ne peux confirmer si c’est vrai ou faux. Ce que je sais, c’est qu’avec Dubaï et Zanzibar, il n’est pas difficile de se procurer des moteurs. Mais vous savez, quelle que soit la situation, si Anjouan ne redresse pas sa balance économique, les kwassas ne peuvent s’arrêter. Pour quatre raisons précises les gens partent d’ici pour Mayotte : des raisons économiques; pour l’hôpital, pour les accouchements; les mariages, les circoncisions de leurs enfants installés à Mayotte; et pour l’argent. Nous ne sommes pas prêts à obtenir ces choses à Anjouan. Alors à 30 euros, 40 euros, 50 euros comme ce fut le cas à mon époque, ou aujourd’hui où on paye jusqu’à 400 euros, les Anjouanais continueront à venir à Mayotte au péril de leur vie.

Denise Marie Harouna
 
 


Mission d’assistance électorale et sécuritaire (MAES) aux Comores de l’Union africaine

Chronologie

8 juin 2007
Les élections prévues dimanche sur l’île d’Anjouan ont été reportées, une semaine après des tirs des gendarmes anjouanais qui ont fait trois blessés parmi les civils. Selon les autorités, "les conditions en matière de sécurité ne sont pas assez satisfaisantes à Anjouan pour que des élections y aient lieu dimanche". Le scrutin est repoussé au 17 juin. L’UA a condamné les dirigeants d’Anjouan, jugeant "intolérable" l’incident qui s’est déroulé à l’aéroport.

10 juin 2007
Les Comoriens ont voté lors du premier tour des élections des présidents des trois îles de l’archipel, dont Anjouan où le scrutin a été maintenu par les autorités locales malgré un report d’une semaine ordonné par le gouvernement fédéral. Le conseil de Paix et de Sécurité de l’UA a mis en garde les autorités anjouanaises contre l’organisation du scrutin, "en violation" du décret le reportant d’une semaine. Les candidats opposés au président sortant Mohamed Bacar ne participeront pas au vote.

12 juin 2007
Le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, a "condamné fermement" la tenue de l’élection du président de l’île comorienne d’Anjouan, non reconnue par l’État fédéral des Comores, malgré l’appel du Conseil de paix et de sécurité du 9 juin 2007. Le président de la Commission "portera l’évolution de la situation à Anjouan à l’attention du Conseil de paix et de sécurité". L’ex-président d’Anjouan, Mohamed Bacar, a été réélu dimanche au premier tour de l’élection de la présidence de l’île.

14 juin 2007
Le porte-parole du gouvernement fédéral, Abdouroihim Saïd Bakar, a déclaré que "suite à l’intransigeance et à l’insoumission des autorités d’Anjouan, toutes les options sont possibles, y compris l’option militaire". Le porte-parole a déploré le fait que le président d’Anjouan, Mohamed Bacar, proclamé élu au premier tour du scrutin tenu dimanche, ait "campé sur ses positions", précisant qu’il "a lancé un défi, non seulement l’État comorien mais aussi à l’UA".

15 juin 2007
L’Union africaine (UA) fait savoir qu’elle n’excluait pas de transformer le mandat de sa mission actuelle de sécurisation des élections aux Comores en vue d’une éventuelle intervention armée sur l’île comorienne d’Anjouan, en conflit ouvert avec l’État fédéral. "On ne peut pas exclure l’option de transformation du mandat de la mission (de l’UA aux Comores) pour l’ajuster à la situation actuelle", déclare le Commissaire à la paix et à la sécurité de l’UA, Saïd Djinnit.

16 juin 2007
Le gouvernement des îles Comores demande l’aide de l’UA pour mettre au pas l’île d’Anjouan qui a procédé à l’élection d’un président malgré la remise du scrutin par l’UA pour cause de manque de sécurité. Le Vice-président des Comores, Idi Nadhoim, est en visite au siège de l’UA en Éthiopie et souhaite l’envoi d’une force de 320 policiers et militaires sur l’île renégate pour procéder à l’arrestation du Président autoproclamé Bacar et au démantèlement de sa milice privée.

20 juin 2007
L’UA, qui juge "nulle et non avenue" l’investiture du colonel Mohamed Bacar à la présidence de l’île comorienne d’Anjouan demande aux autorités d’Anjouan de "faciliter l’organisation d’un premier tour de l’élection du président de l’île à une date qui sera convenue par toutes les parties prenantes (…) et de créer les conditions d’élections libres, justes et transparentes". L’UA exige en outre des autorités anjouanaises qu’elles "autorisent le déploiement de la MAES".

22 juin 2007
La ministre des Affaires étrangères sud-africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, dirigera une mission de l’UA samedi aux Comores, chargée de rendre compte de la situation tendue à la suite d’élections dans cet archipel de l’océan Indien, notamment dans l’île d’Anjouan. L’UA n’exclut pas de transformer le mandat de sa mission actuelle de sécurisation des élections aux Comores (MAES) en vue d’une éventuelle intervention armée sur l’île d’Anjouan.

25 juin 2007

Selon des résultats provisoires annoncés par le ministère comorien de l’Information, L’ex-ministre Mohamed Abdouloihabi a été élu dimanche président de l’île comorienne autonome de Grande-Comore, alors que l’homme d’affaires Mohamed Ali Said arrive en tête du scrutin sur l’île de Mohéli. À Anjouan, l’ex-président de cette île, Mohamed Bacar, a été élu le 10 juin dès le premier tour et investi à l’issue d’un scrutin organisé en dépit du refus de l’État fédéral, et la condamnation de l’UA.

26 juin 2007
La délégation ministérielle de l’UA qui s’est rendue aux Comores a demandé la tenue d’une élection présidentielle libre et transparente dans l’île autonome d’Anjouan. La mission ministérielle de l’UA "s’engage à poursuivre les négociations avec toutes les parties comoriennes pour surmonter les obstacles au processus de réconciliation nationale aux Comores". L’UA juge "nulle et non avenue" l’investiture du colonel Mohamed Bacar à la présidence d’Anjouan.

1er juillet 2007
Les autorités fédérales de l’Union des Comores ont demandé à l’UA d’intervenir militairement dans l’île d’Anjouan "pour rétablir l’ordre". Dans un communiqué, le gouvernement comorien demande la tenue d’une réunion du Conseil de paix et de sécurité pour autoriser la révision du mandat de la Mission d’assistance électorale et sécuritaire de l’UA à Moroni, et lui permettre d’intervenir à Anjouan pour rétablir l’ordre et faciliter l’organisation rapide d’élections libres et démocratiques".

2 juillet 2007
Le gouvernement comorien a critiqué la décision de l’UA d’organiser des négociations en Afrique du Sud avec les autorités de fait d’Anjouan, à la suite d’une mission ministérielle conduite par l’Afrique du Sud le 24 juin dans l’archipel. Selon le gouvernement, cette mission a été "un échec" et ses "objectifs n’ont pas été respectés", précisant que "cet et échec a provoqué une grande déception et risque de mettre en danger la paix et la stabilité qui ont toujours prévalu dans les deux autres îles comoriennes".

20 juillet 2007
Un nouveau chef de l’armée a été nommé aux Comores. Selon un décret signé par le chef de l’État, le lieutenant-colonel Mohamed Amiri a été nommé chef d’état-major de l’armée nationale de développement, en remplacement du lieutenant-colonel Said Hamza, limogé en mai par le président de l’Union des Comores. Le lieutenant-colonel Hamza avait été démis de ses fonctions après des affrontements sur l’île d’Anjouan, entre l’armée comorienne et les gendarmes d’Anjouan.

10 août 2007
Le président de l’île comorienne d’Anjouan, Kaambi Houmadi, nommé fin avril par le pouvoir fédéral, a formé un gouvernement "de transition et de libération" de l’île. Cette nomination était intervenue à l’expiration du mandat de cinq ans du président d’Anjouan, le colonel Bacar, et peu avant les élections des présidents des îles en juin. Le colonel Bacar avait rejeté cette nomination, avant d’être réélu lors d’un scrutin non reconnu par le pouvoir fédéral et l’UA.

16 août 2007
Le Conseil de paix et de sécurité (PSC) de l’UA menace d’imposer des sanctions ciblées à certaines autorités de l’île d’Anjouan. Le Conseil a aussi décidé de réviser le mandat de la Mission électorale et d’assistance à la sécurité de l’UA (MAES) et la taille de ses forces déployées aux Comores, prolongeant le mandat de la mission jusqu’au 31 décembre 2007. Le Conseil encourage les pays qui ont fourni des troupes à cette Mission, à savoir l’Afrique du Sud, le Soudan et la Tanzanie, à maintenir leur soutien.

19 septembre 2007
Les ministres des Affaires étrangères de l’UA ont tenu une réunion au Cap, en Afrique du Sud, pour discuter de la situation politique aux Comores. Les ministres ont rappelé la priorité de l’UA "de consolider la paix, la sécurité et la réconciliation nationale aux Comores". Lors d’une réunion précédente, en juin, l’UA avait déclarée "nulle et non avenue" la réélection du colonel Mohamed Bacar à la présidence d’Anjouan, une des trois principales îles de l’archipel.

10 octobre 2007
L’UA a imposé des restrictions sur les déplacements et gelé des avoirs financiers à l’étranger des autorités de l’île d’Anjouan. Selon le responsable du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, Said Djinnit, "si durant cette période (45 jours), les autorités (…) acceptent d’organiser de nouvelles élections, ces sanctions seront levées. Dans le cas contraire, le CPS prendra des mesures plus coercitives comme un blocus aérien et maritime".

2 novembre 2007
L’UA et le gouvernement de l’Union des Comores décident d’appliquer des sanctions contre les autorités rebelles d’Anjouan, une des trois îles qui forment l’Union des Comores (Grande-Comore, Mohéli et Anjouan). Les sanctions ont pour but de "restreindre les mouvements des autorités et de ceux qui les soutiennent […] et de geler leurs avoirs". Selon l’UA, tout retard supplémentaire dans la résolution de la crise déstabiliserait l’Union encore davantage.

5 novembre 2007
L’Union africaine a commencé son blocus naval sur l’île d’Anjouan dans les Comores samedi, tel qu’annoncé le mois dernier. L’envoyé spécial de l’UA aux Comorres, Francesco Madeira, a déclaré au cours de la fin de semaine que rien ne pouvait entrer sur l’île avant d’avoir été vérifié par la Mission d’assistance électorale et sécuritaire (MAES) de l’UA, qui patrouille au large de l’île. Les soldats y participant sont issus des Comores et de Tanzanie.

6 novembre 2007
Le gouvernement fédéral des Comores affirme lors de la visite d’une délégation de l’UA que plusieurs navires bafouent les sanctions et le blocus maritime imposé à l’île d’Anjouan par l’UA. Les autorités des Comores désignent notamment un navire de l’île d’Anjouan qui accosté en Tanzanie et un navire français de passagers ayant voyagé entre Anjouan et l’île de Mayotte, à proximité des Comores. Le blocus de l’UA est en application depuis la fin de semaine.

Centre d'études et de recherches internationales – Université de Montréal – Canada
Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix
 
 


Economie anjouanaise

"Ici on survit"

Anjouan est la principale zone de production agricole de l'Union des Comores avec la vanille, l'ylang-ylang et le clou de girofle qui fournissent 80% des apports en devises. Pourtant, la population principalement rurale ne s'en sort pas. Au quotidien, elle s'atèle à la campagne et aux petits boulots pour essayer de survivre.

Impressionnant, la végétation anjouanaise ! Une nature riche, avec une agriculture qui semble plus développée qu'à Mayotte, s'aperçoit des kilomètres à la ronde. Malgré le relief plus montagneux, le peuple anjouanais cultive des hectares de clous de girofles, de pieds de bananes, de feuilles de cressons, de plants de cacahuètes, de maniocs… Et contrairement à Mayotte, les cultures ne se mélangent pas.
Un champ de cacahuètes ne contient que des plants d'arachides, idem pour les autres cultures, ce qui procure à l'œil une toute autre vision en admirant les vallées, les cuvettes et l'intérieur des terres anjouanaises. A Patsy, un adolescent de 16 ans s'est lancé dans la culture de cresson, il en plante sur 5 kilomètres le long de la rivière. "Encore là, c'est rien du tout. Lui, il est encore jeune, il veut imiter les adultes", se moquent ses camarades. Belle copie.
"Hélas, je ne vends pas beaucoup cette salade. Les gens ici n'ont pas l'argent pour acheter. Alors ça orne la rivière c'est tout", se chagrine le gamin. Vendu à 25 centimes d'euro le tas au marché, le cresson comme beaucoup d'autres produits du marché ne s'écoule pas.
"Ici, l'argent ne circule pas. Le tourisme ne marche pas. L'Anjouanais est confiné sur son île. Comment voulez-vous qu'il y ait un échange d'argent ?", interrogent les agriculteurs. Pourtant, les prix sont plus qu'abordables : 50 centimes d'euro le tas de cacahuètes fraîchement débarquées des campagnes, 2 euros le kilo de litchis… sans compter les fruits de mer. Sur 427 km de côtes, les langoustes se monnayent entre 2 et 4 euros et le poisson à 2,5 € pour le plus cher au kilo. Malgré leur volonté, les Anjouanais n'arrivent pas à vivre de l'agriculture ni de la pêche, "à moins que ce soit juste une culture vivrière", expliquent les marchands.
Alors beaucoup se tournent vers des travaux plus laborieux mais qui rapportent un peu plus. Comme toute cette famille qui travaille à la récolte de sable et petits cailloux au bord de la mer. "Nous devons avec nos mains gratter le sable de la mer et en remplir des sacs de riz. Nous nous dirigeons ensuite vers la route où nous devons faire des piles de 3 tonnes. Si un acheteur arrive à remplir son camion, il règle 30 euros. Nous, nous gagnons 15 euros, le reste se partage entre l'état et les gros propriétaires qui gèrent ce gisement", déroule une vieille dame qui, à force de creuser, nous répond depuis son trou. Ce sable et ces petits cailloux ramassés servent à la construction des maisons en dur.
Les enfants à partir de 5 ans sont également réquisitionnés. Les visages sont tristes, les corps fatigués, "mais nous n'avons pas le choix. Soit nous vivons ainsi, soit nous partons mourir à la mer", déclare un grand frère qui a déjà connu le voyage vers Mayotte et qui jure ne plus jamais recommencer.
D'autres activités permettent la survie à Anjouan, comme les chariots transportant les provisions. Fabrication artisanale de tôles, de tuyaux assemblés sur quatre roues poussées par un homme, "par jour si tout va bien je peux gagner jusqu'à 15 euros, mais c'est rare. Il se peut que je me promène toute la journée sans presque rien gagner", se désole l'un des remorqueurs de ces petits chariots. L'homme est d'autant plus bouleversé qu'il a quatre bouches de 4 à 16 ans à nourrir, "rien que leur école me revient à 20 euros par mois".

Denise Marie Harouna
 
 

Biographie du président colonel Mohamed Bacar

Mohamed Bacar est né le 5 mai 1962 à Anjouan. Cadet d'une famille nombreuse, il effectue après son bac une formation à l'école navale de Brest. De retour aux Comores, il est responsable de la gendarmerie. Il effectue ensuite divers stages de perfectionnement aux États-Unis ou en France.
Très rapidement après les mouvements d'insurrection du 3 août 1997 de l'île d'Anjouan face à la République fédérale islamique des Comores, le commandant Bacar avec le lieutenant-colonel Said Abeid Abdérémane prennent les opérations en main. Le 9 août 2001, Said Abeid est écarté par un coup d'état de la gendarmerie. Dès lors, devenu le colonel Bacar, il participe activement et en plein jour à la vie politique de l'île.
Il négocie et obtient d'Azali Assoumani, président de la nouvelle Union des Comores, la révision de la constitution et une très large autonomie au sein de l'Union des Comores avec les Accords de Fomboni, du nom de la capitale de Mohéli où s'est déroulé la signature de l'accord en 2001.
Les résultats des élections de 2002 restent contestés. En juin 2007, alors que le président de l'UC Ahmed Abdallah Sambi reporte les élections du 10 juin au 17 juin, parce qu'il n'a pas pu atterrir à Anjouan afin de vérifier les conditions de vote, Bacar maintient les élections le 10 juin. Il est le seul à faire campagne. Il récolte 46% de vote si l'on prend en compte l'abstention, 73% des votants.
La crise avec la présidence de l'UC a débuté quand Sambi a déchu de son mandat le colonel Bacar puisque celui-ci était arrivé à terme le 14 avril 2007. Lors de l'intronisation du président intérimaire, le 2 mai 2007, la gendarmerie d'Anjouan, contrôlée par Bacar, a affronté l'armée nationale de développement aux mains de Sambi. La première a mis en déroute l'AND et a même tué un de ses membres.

Avec Wikipédia
 
 


A quelques jours de la fin de l'ultimatum de l'UA

La population s’inquiète

Mohamed Youssouf dit Cosio, 27 ans, sans emploi

"Nos représentants politiques doivent savoir ce qu’ils veulent. En 1997, la population anjouanaise s’est massivement prononcée en faveur du séparatisme. En 2001, sous l’égide de l’UA, les dirigeants comoriens se sont retrouvés à Mohéli pour parapher les Accords de Fomboni. Je pensais qu’à partir de cette date les Comores allaient sortir du gouffre. Je m’aperçois avec une immense tristesse qu’au lieu d’avancer, on recule. Avec cette présidence tournante, je croyais qu’à notre tour, les choses allaient s’arranger. J’ai l’impression aujourd’hui que mon rêve s’est transformé en cauchemar.
Plongé au fond de l’abîme, on va nous mettre en plus sous embargo. Sincèrement, si j’avais la possibilité de partir d’ici je le ferai et croyez-moi je n’y remettrai plus jamais les pieds car je n’ai plus d’espoir pour mon île".

Mohamed Lihadji dit Mascaroi, 36 ans, fonctionnaire
"L’embargo n’est pas la solution pour ramener les dirigeants anjouanais sur la table des négociations. Nos élus et ceux de l’Union des Comores doivent se concerter pour ne pas mettre encore une fois la vie des Anjouanais en danger car ce n’est pas Mohamed Bacar qui sera touché, mais l’ensemble des citoyens anjouanais. Nous avons encore en mémoire le débarquement de l’armée comorienne en 1997 conduite par Abderémane Ahmed Abdallah et Armand Humblot. La première cible visée par les Anjouanais (sur place) était les biens du président défunt (car c'est son fils qui était à la tête de l'armée qui débarquait, ndlr), aussi bien à Domoni sa ville natale que dans la capitale. Le président Sambi doit bien réfléchir car il a toute sa richesse ici. Il n’a pas intérêt à suivre les conseils du secrétaire général de l’Union africaine M. Francisco Madeira qui a l’habitude de rétablir la paix par les armes. Il n’a qu’à aller s’occuper des affaires de son continent miné par la corruption et la famine".

Abdou Halidi, 52 ans, agent de la Paf
"On n'est pas encore sous embargo et la situation est déjà difficile. Les commerçants de la place commencent déjà à profiter de la situation. Sous prétexte de risque de pénurie, ils commencent à monter artificiellement les prix pour rentabiliser leur commerce. Beaucoup disent par exemple que le pétrole commence à manquer, or ils ont des milliers de litres dans leurs magasins. Aujourd’hui le litre de pétrole est à 500 fc (1 euro) contre 250 fc auparavant. La même chose se produit avec la farine. Cela fait quelques jours qu’on ne mange plus du pain car les boulangers sont en grève. C’est une stratégie honteuse pour faire monter les enchères. Pour faire des marges et des bénéfices ils sont prêts à tout, même à affamer la population. C’est inadmissible".

Moursoidi Soulaïmana, 32 ans, policier
"Je m’inquiète de manière sérieuse des mesures qui seront prises par l’Union des Comores et l’UA. Depuis le mois de mai dernier, la vie s’est dégradée à Anjouan. On n’a jamais reçu quoi que ce soit de l’Union des Comores. Anjouan se gère avec les moyens du bord. Ils veulent en plus nous imposer un embargo, c’est une pratique génocidaire. Cette solution n’est vraiment pas la bonne. Sambi doit bien réfléchir car c’est son peuple qui souffrira, mais pas le colonel Bacar, ni Mohamed Abdou Madi et encore moins Djanfar Salim. En imposant un blocus total sur Anjouan c’est l’ensemble des Comores qu’il bloque. Tous les bateaux qui arrivent aux Comores transitent par Anjouan. Il se retrouvera très vite en mauvaise posture à la Grande-Comore car si les commerçants de Ngazidja ne parviennent pas à récupérer leurs marchandises ils risquent de se retourner contre lui. Que fera-t-il à ce moment-là ? Il ira se réfugier chez Madeira ? Je ne pense pas que ce dernier acceptera de le recevoir".

Nayle Aoulade dit Pipo, 27 ans, secrétaire général de la mairie de Mutsamudu
"L’embargo ne m’inquiète guère car je vis dedans depuis ma naissance. J’ai remarqué depuis mon jeune âge qu’il y a toujours quelque chose qui manque à Anjouan. S’il n’y a pas une pénurie de riz, c’est le sel qui manque. Nous sommes les damnés de l’archipel des Comores avec nos voisins Mohéliens. Mais comme ils n’ont pas l’habitude de se révolter, ils subissent.
Nous les jeunes nous en avons vraiment marre de cette situation. Nous ne le disons pas publiquement, mais nous n’en pensons pas moins. Nous tenons à notre liberté d’expression autant que nous pouvons tenir au progrès de notre île. Les deux vont de pair d’ailleurs. Mais comme on dit familièrement : "ventre affamée, tête vide". Je ne comprends pas pourquoi on n’arrive pas à sortir la tête hors de l’eau. Anjouan est un carrefour de commerce. L’île a des atouts dans la pêche, l’agriculture et le tourisme. Les jeunes ne sont pas impliqués dans ces activités. Les dirigeants ont l’air d’oublier que l’avenir de cette île nous appartient. Quand ça va mal, c’est nous qui subissons les conséquences".

Zayar Borlodja, 26 ans, sans emploi, titulaire d’un diplôme de maintenance de systèmes informatiques
"Moi personnellement je suis favorable à un débarquement militaire. J’en ai ras-le-bol de vivre dans cette situation. Ca fait des années que nous vivons dans la galère. Beaucoup de nos frères prennent la mer au péril de leur vie pour se rendre à Mayotte. Pourquoi on ne s’en sort pas. Nous sommes déjà pauvres, on crève de faim, on a rien pour s’en sortir et on va nous imposer un embargo. Il est temps que nos dirigeants aussi bien de l’Union des Comores que du gouvernement de l’île autonome prennent leurs responsabilités. Au lieu de se tirailler dans des querelles intestines qui seront lourdes de conséquence, ils devraient plutôt se réunir afin de trouver une solution pacifique, car c’est la population qui va en pâtir. Quand je regarde à la télévision comment vivent les jeunes Mahorais, je me demande pourquoi on n’a pas eu cette chance. Ils ont la facilité de voyager, de poursuivre leurs études en métropole avec des bourses de l’Etat. Chez nous si tu n’es pas le fils d’un tel, tans pis pour toi".

Ali Ben Saïd dit Le Blanc, originaire de Mjamawé, 25 ans
"Les armes ont parlé en 1997 et nous nous sommes retrouvés dans le séparatisme. A partir de cette date c’est la descente aux enfers. L’éducation a périclité, la santé s’est détériorée à vitesse grand V et les conflits de compétence ont refait surface. Les dirigeants politiques ne pensent qu’à s’enrichir. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Mohamed Abdallah Sambi et le colonel Bacar n’arrivent pas à s’entendre. Ils sont pourtant tous les deux Anjouanais. Leur priorité devrait être tout d’abord de servir pour l’intérêt de leur peuple. En ben non ! C’est l’inverse. Résultat des courses, avec leur guéguerre ils vont prendre en otage la population avec un embargo dont l’instigateur n’est autre que Madeira. Ce n’est pas de cette manière qu’on gouverne un pays. J’ai eu mon Bac l’année dernière, mon rêve était d’aller poursuivre mes études en métropole et faire carrière dans l’armée. Un rêve illusoire. Je me retrouve aujourd’hui au chômage sans aucune perspective".

Mohamed Nadhoir, président et entraîneur de l’équipe Groupe choc de Mutsamudu
"Notre équipe est pour la deuxième année consécutive championne de l’île d’Anjouan. Nous devons nous rendre à Mayotte le 4 décembre prochain pour participer au Tournoi de la Concorde. J’ai des joueurs hyper motivés, mais j’ai peur que cet élan soit contrarié avec la situation que vit aujourd’hui l’île d’Anjouan. Dans la liste noire établie par le gouvernement l’Union figurent plusieurs responsables de l’équipe qui ne pourront évidemment pas faire le déplacement. J’espère de tout mon cœur que nous parviendrons à trouver une solution afin de ne pas pénaliser la jeunesse qui n’a rien à voir avec la politique. Sambi et Bacar doivent mettre de côté leurs dissensions car en empêchant les jeunes Anjouanais de prendre part à ce tournoi, ils risquent de provoquer un choc qui sera lourd de conséquence. La plupart d’entre eux n’ont aucune occupation à part le sport et cette activité reste leur seul épanouissement".

UNE Mayotte Hebdo N°360 – Vendredi 07 décembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°360 - Vendredi 07 décembre 2007

Colloque sur les personnes agées

Seul(e) au monde

 > Obésité – 55% des mahoraises en surpoids ou obèses
 > Magazine – la révolution des fourmis
 >
Agriculture – Dani Salim s'explique
 > Carnaval – tous déguisés ce samedi !

07/12/2007 – Visite ministérielle – L’hôpital va se recentrer sur ses missions d’origine

La première visite officielle à Mayotte de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, de la jeunesse et des sports, se sera passée à la vitesse de l’éclair. Arrivée sur le territoire à la mi-journée, elle est repartie en milieu d’après-midi, après avoir visité le dispensaire de Koungou et l’hôpital de Mamoudzou (en cours d’extension) et promis à l’issue d’un point de presse à la Dass, de revenir prochainement avec la casquette de ministre de la Jeunesse et des sports.

Pas de grande déclaration historique ni de promesses politiciennes, la ministre s’est contentée de faire le point sur l’état d’avancement de la modernisation de l’outil hospitalier dans notre île. Dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », Mayotte a été dotée d’un scanner de seconde génération et d’une série d’hôpitaux dits de référence, à Chirongui dans le sud en 2005, à Kahani au centre en 2006 et à Bandraboua au nord (en début 2008).

L’hôpital de Petite Terre qui devait fermer cette boucle enregistre un important retard consécutif au choix de sa localisation. Les communes de Dzaoudzi-Labattoir et de Pamandzi se disputent en effet son implantation (voir texte ci-après), alors que les fonds sont disponibles depuis plusieurs années. Un Institut de formation en soins infirmiers (composé d’écoles d’infirmiers, d’aides-soignants et d’auxiliaires de puériculture) forme chaque année 50 nouveaux diplômés et complète ces investissements d’un montant total de 40 millions d’euros.

Hôpital : de 260 à 490 lits et 48 médecins supplémentaires

Mme Bachelot a annoncé la mise en route du nouveau service des urgences pour 2008, ainsi qu’un doublement de la capacité en lits de l’hôpital de Mamoudzou en 2009 : de 260 à 490 lits. Autre investissement de taille consenti pour Mayotte, la livraison très prochainement d’un IRM (imagerie à résonance magnétique) qui permettra d’établir des diagnostics performants sans avoir à recourir aux plateaux techniques réunionnais comme dans le passé.
En parallèle à tout cela, la ministre a constaté l’augmentation conséquente du personnel hospitalier avec 48 créations de postes de praticiens hospitaliers et 317 emplois non médicaux nouveaux. « J’ai conscience que cet établissement est devenu la référence sanitaire dans la région et, son activité en témoigne, de l’attraction qu’il représente pour la population des îles voisines », a rappelé Roselyne Bachelot, avant d’émettre pour l’avenir le souhait que cet établissement continue à participer au recueil des données épidémiologiques indispensables selon elle à une meilleure connaissance de l’état sanitaire de la population.
La ministre a assuré que ses services suivront avec intérêt les enquêtes que le CHM conduira dans le domaine de la prévalence du diabète, des maladies tropicales émergentes et de la malnutrition.
Autres annonces importantes à retenir, l’ouverture possible d’une unité de dialyse dans l’île pour éviter les évacuations sanitaires sur la Réunion, et l’intégration de tous les agents de l’hôpital en 2008 (en qualité de titulaires ou contractuels) dans un statut identique aux autres hôpitaux de France (conforme au titre 4 du Code de la santé publique). « Cette intégration s’accompagne d’une adhésion pleine et entière aux différents organismes de gestion nationaux tels que l’association nationale pour la formation continue des personnes hospitaliers, les œuvres sociales, la retraite (après approfondissements et études particulières) », a tenu à préciser Mme Bachelot aux nombreux agents de l’hôpital venus l’écouter dans la cour de la nouvelle maternité de Mamoudzou.
Dernier point soulevé par la ministre dans son intervention, l’étude par les instances hospitalières des aménagements nécessaires pour se mettre en conformité avec la réglementation nationale. Ainsi, l’hôpital se prépare à se recentrer sur son cœur de métier en favorisant notamment le développement de la médicine libérale dans les villes et en renonçant à la distribution des médicaments qu’elle laissera progressivement aux officines de pharmacie libérale.

Saïd Issouf

 

A propos de l’hôpital de Petite Terre

Roselyne Bachelot est restée diplomate au sujet de l’hôpital de Petite Terre, se contentant de dire qu’elle a pris connaissance des avancées les plus récentes quant au choix de sa localisation. Objet de joutes verbales et d’un usage politique intensif des différents camps en présence pour les élections de mars 2008 dans la circonscription de Dzaoudzi-Labattoir, cet édifice à construire devient le principal enjeu pour la conquête du fauteuil de conseiller général de cette circonscription.

Le sujet n’en finit pas de déchaîner les passions, entre partisans de Saïd Omar Oili – actuel conseiller général de la ville, initiateur d’une délibération du CG en faveur de l’achat de foncier et du transfert de cette équipement à Pamandzi – et d’Insa Soulaïmana – le maire qui cherche à rallier tous les Labattoiriens à son refus de voir l’hôpital délocalisé ailleurs.
Chacun y va de ses arguments, essentiellement politiciens quoique enrobés, pour certains, d’un soupçon juridique. On comprend mieux la prudence de la ministre qui n’a pas voulu commenter ce dossier au cours de son point de presse, souhaitant simplement que le choix du lieu d’implantation ne retarde pas trop la réalisation de l’ouvrage, déjà budgétisé.
Sur cette affaire, le maire de Dzaoudzi-Labattoir vient de recevoir le soutien indirect de Mme Aïda Boura M’colo, ancienne alliée politique de S2O. Dans une tribune libre adressée aux médias locaux et distribuée aux habitants de Labattoir, elle accuse le président du CG de vouloir tromper les électeurs en leur faisant croire que la délocalisation de cet équipement n’est pas actée et lui rappelle la délibération qu’il a fait voter en ce sens par une majorité de conseillers généraux.
Mme Boura M’colo, n’hésite pas à distribuer copieusement des « amabilités rares » au président du conseil général. Elle demande à son ancien allié politique qu’elle combat aujourd’hui, de ne pas prendre les habitants de Labattoir pour ce qu’ils ne sont pas et d’assumer ses responsabilités en n’essayant pas de faire croire à la population « qu’une décision n’en pas une et que de la même manière une délibération (du CG) n’a pas de valeur et ne vaut pas une décision ». Cette tribune libre est en soi un véritable réquisitoire contre l’action politique de S2O et équivaut, de fait, à une vraie déclaration de guerre « politique ».

La Carte vitale bloquée par des questions d’état civil

Après une visite guidée des locaux de la nouvelle maternité de Mamoudzou en cours d’extension, la ministre de la Santé entourée a innové en matière de protocole républicain, en se prêtant à un jeu de questions-réponses, face aux nombreuses attentes et inquiétude du monde médical, tous secteurs confondus.

Aux pharmaciens libéraux qui s’inquiètent du maintien de la distribution de médicaments par les dispensaires hospitaliers, sans suivi du patient (et accès à des conseils appropriés), Roselyne Bachelot a répondu que non seulement les choses ne resteraient plus dans cette configuration à partir de 2008, mais aussi qu’il sera permis à certaines catégories de malades non-assurés sociaux comme les immigrés clandestins présentant des pathologies lourdes ou graves, de bénéficier d’un titre de séjour sur recommandation d’un médecin, pour bénéficier d’une couverture sociale.
Pour les médecins libéraux qui lui ont fait part de la stagnation de leur nombre dans l’île (11) contrairement aux prévisions de départ, elle a reconnu l’inégalité de la répartition des soins dans l’île et à affirmé sa préférence pour la médecine libérale comme dispositif de premier recours, estimant qu’une efficience de l’offre de soins n’est pas antinomique avec une économie de marché, et qu’elles vont de pair en général.
A propos de la Carte vitale qui met du temps à entrer en usage à Mayotte, Mme Bachelot a expliqué que 2 problèmes étaient à l’origine de ce blocage :
– la version n°2 de la Carte vitale en cours d’expérimentation dans l’Hexagone n’a pas donné des résultats probants,
– l’absence d’un état civil fiable pour tous à Mayotte constitue une difficulté supplémentaire.
Pour ce dernier point la ministre de la Santé a indiqué qu’un rapprochement avec le Crec (en charge de la révision de l’état civil mahorais) a déjà permis un doublement des dossiers traités qui passent de 12 à 25% en quelques mois seulement, assorti d’une promesse d’arriver à 60% l’année prochaine. Pour elle, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la résolution de ce problème n’est qu’une question de mois. Il faut donc attendre…

UNE Mayotte Hebdo N°359 – Vendredi 30 novembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°359 - Vendredi 30 novembre 2007

Recensement général de la population 2007

186.452

 > Conseil Général – 400 millions d'euros pour 2008
 > Anjouan – le blocus reconduit pour 60 jours
 >
Petit déjeuner de Mayotte Hebdo – Commandant Boina & Baco: "le militaire et le rasta"

 

30/11/2007 – Projet académique 2008–2011

« J’ai préféré éviter de partir d’un bilan de nos actions passées, qui peut prendre des mois de discussions, pour travailler sur un programme évolutif, des grandes pistes qui se déclineront au fur et à mesure du travail en actions concrètes », expliquait M. Cirioni vendredi dernier lors du séminaire qui rassemblait personnels de direction, inspecteurs de circonscriptions, conseillers pédagogiques et chefs de divisions du vice-rectorat, pour un premier travail autour des quatre ambitions arrêtées par le comité de pilotage.
La méthode est simple, un groupe par ambition (qui regroupe les personnels cités ci-dessus) se charge de définir trois à quatre programmes d’actions, ou mesures pour réaliser ces ambitions, qui seront validés avant les vacances de Noël. A la rentrée de janvier ces programmes seront transmis à tous les établissements scolaires et écoles dans lesquels tous les personnels seront appelés à élaborer des fiches actions, soit la traduction des programmes en actions concrètes de terrain, avec description de l’objectif, acteurs, publics visés, moyens nécessaires, source de financement, etc. Ces fiches doivent remonter fin mars pour être validées avant la fin de l’année scolaire et être efficaces dès la rentrée 2008.

 

Langue, citoyenneté et orientation

Première ambition, « Faire progresser les résultats des élèves et promouvoir l’égalité des chances : au cœur des apprentissages, la maîtrise de la langue. » La maîtrise du français est ainsi le premier outil de progression et d’égalité des chances mais ne sera pas le seul, d’autres doivent être définis. Cette maîtrise doit être assurée par plusieurs moyens autres que les cours purs de français. Deuxièmement, « Préparer les élèves à leur future citoyenneté. » Le terme futur évoque à la fois l’entrée des élèves dans la société et la préparation à leur rôle de citoyen, mais aussi l’accompagnement dans l’évolution institutionnelle de Mayotte, qui devrait marquer une avancée considérable au 1er janvier prochain (application de nombreux textes de loi).
La troisième ambition, intitulée « Rendre plus efficientes l’orientation et l’insertion des élèves dans un contexte insulaire », revient d’une part à monter des formations localement qui répondent aux besoins de l’île et d’autre part à travailler l’orientation à l’extérieur : trouver des lieux de stages en métropole, monter des partenariats avec d’autres académies, soigner l’accueil des jeunes… Il existe déjà une convention avec les académies de Nantes et Toulouse pour l’accueil des stagiaires.
Enfin, pilier des trois autres, la quatrième et dernière ambition s’intitule « Développer et consolider les systèmes de pilotage académiques. » Elle comprend à la fois la phase de bilan : travailler sur les statistiques pour une meilleure prévision du futur et des orientations à prendre, et le travail sur les services du vice-rectorat, les circonscriptions, l’équipement, l’intégration, etc.

 

Former les élites mahoraises

Trois objectifs globaux découlent de ces statistiques, accueillir de plus en plus d’élèves, au niveau des constructions comme au niveau pédagogique, élever le niveau de formation, c’est-à-dire créer les élites des 30 années à venir, parmi les élèves mais aussi leurs maîtres. « Il faut former les futurs enseignants du second degré, des enseignants mahorais », précise le vice-recteur. Troisième objectif, la mise à niveau du système de pilotage en tenant compte de l’augmentation des effectifs, un système qui passe par la modernisation et la structuration du vice-rectorat, déjà bien avancées. Enfin un travail est en cours sur le statut de l’IFM qui est amené à devenir un véritable pôle de formation du premier cycle universitaire.

 

Hélène Ferkatadji

 

30/11/2007 – Recensement – La transition démographique est bien enclenchée

La DGF, Dotation globale de fonctionnement, est en effet la principale source de financement des communes de Mayotte (avec maintenant le Fip) et son montant est fixé par l’Etat en fonction de la population de la commune. D’où les remarques de certains maires qui regrettaient que des concitoyens n’aient pas été recensés, comme à Mamoudzou où le maire a comptabilisé 380 familles non recensées, ou à Koungou où le maire estime la population de sa commune sous-évaluée.
La perfection n’étant pas possible dans un travail de cette ampleur, le préfet, dans son allocution, a toutefois mis en avant « la fiabilité, la rigueur, la neutralité, l’impartialité » de l’Insee, et « les nécessaires connaissances sans lesquelles on ne peut agir ».

Un taux de croissance en baisse
Le premier constat concerne la transition démographique définitivement amorcée. La croissance démographique annuelle a chuté en dix ans, quasiment de moitié, passant de 5,6% en 1997 à 3,1% en 2007. C’est un point de moins que lors de la période 1997/2002. Cela reste un taux qui marque un fort dynamisme, puisque qu’au niveau national il se monte à 0,6% et à la Réunion à 1,5%. Ce ralentissement de la croissance ne permet pas d’arriver au chiffre de 200.000 âmes sur le sol mahorais, contrairement aux estimations des experts du territoire qui se basaient sur une progression aux alentours des 4%.
Les études plus fines pourront peut-être répondre à différentes questions, notamment celle des mouvements migratoires. En quoi la lutte contre les sans-papiers agit sur ce ralentissement, avec 10 à 12.000 reconduites par an. L’émigration des Mahorais vers les départements constitue aussi une soupape importante, mais de quel ordre alors qu’on évoque près de 15.000 installations de Mahorais à la Réunion ou en Métropole. Sans oublier les étudiants qui, par les études qui vont en s’allongeant, commencent à constituer une masse importante dans l’Hexagone. Ces conclusions arriveront l’an prochain, dans le courant du second trimestre, avec l’ensemble des résultats, comme la proportion de la jeunesse dans la population, l’allongement de la durée de vie…
En ce qui concerne Mamoudzou, sa croissance démographique chute de moitié, passant de 6,8% entre 1997 et 2002 à 3,1% entre 2002 et 2007. Tsoundzou 2 et Cavani sont les deux quartiers les plus attractifs. La capitale reste la plus grande ville du territoire avec 53.000 résidants, contre 45.000 en 2002. Koungou consolide sa 2ème place et atteint presque la barre des 20.000 avec une progression annuelle de 5,2%, juste devant Dzaoudzi-Labattoir.
Du côté des surprises, le village de Bouéni a perdu du monde malgré les efforts de la municipalité pour créer de l’activité dans sa presqu’île, -0,6% par an. Mtsamboro et M’tsangamouji sont les deux seules communes de Mayotte à perdre des gens en 5 ans : -0,4% pour la première, -1,4% pour la seconde.
En terme de densité, Mayotte passe quand même un cap avec 511 hab/km² contre 439 en 2002. La Petite Terre reste la zone la plus densément peuplée avec 2.182 hab/km² pour Pamandzi et le record à Labattoir avec 2.349 hab/km².

UNE Mayotte Hebdo N°358 – Vendredi 23 novembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°358 - Vendredi 23 novembre 2007

Anjouan – Entretien exclusif A l'approche de la fin de l'ultimatum prévu ce dimanche 25 novembre, le président de l'ile autonome d'Anjouan, Mohamed Bacar a accordé un entretien exclusif à nos envoyé spéciaux Cahier spécial 12 pages

"Je n'ai pas peur de la guerre…"

 > Justice – l'incarcération, oui mais…
 >  Estrosi – "référendum sur la départementalisation en mars prochain"
 > 
Sports – foot, basket, volley, hand, rugby à 7…

23/11/2007 – Pour le développement de la lecture

Pour la région de Boeny à Madagascar, les choses sont déjà en place. Ahamed Attoumani Douchina, directeur du Centre de documentation pédagogique (CDP) est un fervent partisan de cette politique d’ouverture vers nos voisins. En partenariat avec la CDM et le vice-rectorat, le CDP a inauguré lundi dernier une formation de 15 jours à destination des bibliothécaires de la région.

Ceux-ci sont au nombre de 15 et viennent de l’Union des Comores, de Madagascar (Antsiranana et Mahajanga) et de Mayotte. Jean-Claude Cirioni, vice-recteur de Mayotte trouve là un moyen pour notre île de rayonner dans notre région. « Nous avons déjà mis en place des formations à Anjouan, des CAP en collaboration avec des établissements locaux. Le but de cette formation est de favoriser une meilleure relation avec le livre. Le rôle des animateurs de bibliothèque est donc très important. On a accumulé à Mayotte des savoir-faire et des expériences professionnelles. On est en capacité d’écrire, de faire des livres, c’est un potentiel important à partager », s’enthousiasme le représentant de l’Éducation nationale.

Saïd Omar Oili, président du conseil général a également applaudi des deux mains pour une telle initiative. « L’article 1er de la loi statutaire indique que l’insertion de Mayotte dans son environnement régional doit être une priorité. Les peuples doivent se connaître, on ne peut pas construire que des murs, il faut aussi des ponts », a signalé le conseiller général de Labattoir. Pour l’exécutif de la Collectivité, faire le pari de la formation, c’est élever la culture et donc développer la tolérance et l’acceptation de nos différences.

Les apprenants étaient impatients de commencer, histoire de confronter les pratiques des uns et des autres et nouer des contacts qui promettent d’être intéressants.

 

Faïd Souhaïli

23/11/2007 – « En mars prochain aura lieu un référendum sur la départementalisation »

23/11/2007 - "En mars prochain aura lieu un référendum sur la départementalisation"

Lors de la séance matinale de ce mardi 20 novembre au Sénat, Adrien Giraud a posé une question à propos de l’indexation des salaires des fonctionnaires mahorais. Le secrétaire d’Etat à l’Outremer Christian Estrosi a répondu. Compte-rendu analytique de cette séance.
M. Adrien Giraud :
Je veux évoquer l’indexation des rémunérations des agents publics de Mayotte. Un décret de juillet 1967 a fixé les modalités de rémunération des fonctionnaires en service dans un territoire d’Outremer, posant le principe d’une indexation propre à chaque territoire. Or, l’indexation a été supprimée pour Mayotte en 1978 alors qu’elle reste en vigueur dans tous les autres DOM et TOM ! Les agents mahorais demandent son rétablissement au nom du principe d’égalité devant la loi : ils dénoncent cette discrimination.
Monsieur le ministre, comptez-vous organiser une concertation avec les syndicats locaux, afin de sortir de la crise ?

M. Christian Estrosi, secrétaire d’État chargé de l’Outremer :
Vous évoquez en somme la question de l’équilibre économique et social de Mayotte. Il convient de ne pas fragiliser ses collectivités. Un travail vient d’être lancé au sein de l’Observatoire des prix de Mayotte, installé récemment sous l’autorité du préfet pour évaluer les mécanismes de formation des prix et les moyens d’agir sur eux. Il s’agit aussi de conforter le pouvoir d’achat de nos concitoyens, à Mayotte comme ailleurs.
Le travail accompli depuis près de dix-huit mois sur la fonction publique à Mayotte est considérable. Le processus d’intégration n’a pas encore produit tous ses effets, mais les mesures apportent des avantages nouveaux aux fonctionnaires en poste : perspectives de déroulement de carrière, augmentations de rémunération. Ce processus n’est toutefois pas achevé et nécessite des ajustements. Le préfet de Mayotte sera prochainement chargé d’effectuer un point d’étape.

En mars prochain aura lieu un référendum sur la départementalisation. Si tel est le choix de la population, un transfert de compétences sera opéré en faveur de la collectivité locale. Il est d’autant plus utile d’avoir ce débat avec les syndicats représentant les agents publics et je les recevrai s’ils en font la demande. Leur rôle est essentiel dans ce territoire où les enjeux économiques et sociaux exigent une démarche adaptée et progressive.

M. Adrien Giraud :
Merci de ces propos rassurants sur l’indexation des rémunérations et de votre promesse de recevoir bientôt les syndicats.

 

UNE Mayotte Hebdo N°357 – Vendredi 16 novembre 2007

UNE Mayotte Hebdo N°357 - Vendredi 16 novembre 2007

Cannabis

Saisie record

 > Agriculture – 60.000 enfants à nourrir chaque jour
 > TF1 – carnet de route à mayotte
 >
Travaux – le marché de mamoudzou en avril
 >
Immigration clandestine – "le pire centre de rétention de france"

 

16/11/2007 – Concours d’écriture – 100% Mayotte Hebdo

16/11/2007 - Concours d'écriture - 100% Mayotte Hebdo

« Une tradition qui se perd » est le thème d’un grand concours d’écriture. Il s’agit de décrire, raconter, présenter une tradition ou une pratique culturelle, en voie de disparition.

Votre journal Mayotte Hebdo lance ce concours d’écriture en partenariat avec 100% Mayotte et RFO.
Tout le monde peut y participer dans l’une des trois catégories : primaire, collège-lycée ou adulte.
Les élèves peuvent participer en individuel, par classe ou au nom d’un établissement scolaire dans l’une ou l’autre des catégories.

Le texte doit tenir sur deux pages A4 manuscrit (recto verso) ou sur une page A4 dactylographié (recto simple). Il doit parvenir de préférence par internet à mayotte.hebdo@wanadoo.fr, avant le vendredi 14 décembre 2007.
Les meilleurs textes seront publiés notamment dans le journal Mayotte Hebdo/Tounda et 25 DVD de 100% Mayotte sont à gagner.
Un prix spécial tournage sera décerné au gagnant. Ce dernier verra son idée tournée par 100% Mayotte.

Alors vite ! A vos stylos !

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes