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« J’ai mis du temps à réaliser que je devenais une prostituée »

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À 25 ans, Naima* est maman d’un garçon de dix ans. Ayant arrêté l’école au collège après sa grossesse, l’habitante de Trévani, originaire de Koungou, n’a jamais travaillé. Les écueils de la vie l’ont mené petit à petit à se prostituer durant quelques années pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Depuis un peu plus d’un an, Naima a pris un nouveau tournant : elle ne fréquente plus ses clients et suit une formation professionnalisante dans l’espoir de trouver rapidement un emploi. 

 Mayotte Hebdo : Dans quel environnement social avez-vous évolué ? 

Naima : Je suis née dans une famille modeste de cinq enfants. Nous avons toujours vécu avec très peu de moyens, mais mon père qui travaillait dans les champs a toujours pu nous nourrir. J’ai toujours aidé mes parents. J’allais à la campagne avec mon père et au marché avec ma mère pour revendre les fruits et les légumes. Je n’ai pas vraiment eu d’éducation religieuse. Ma grand-mère faisait la prière, ma mère aussi, mais pas mon père. Moi je crois en Dieu, mais ne suis pas pratiquante. 

MH : Comment en êtes-vous arrivée à la prostitution ? 

N : J’ai mis du temps à réaliser que je devenais une prostituée. Pour moi, ce que je faisais n’était pas de la prostitution. J’étais plus une maîtresse. Je ne pensais pas en arriver là. J’étais dans une période triste de ma vie. J’avais arrêté l’école, je venais d’avoir un enfant. Avec ma famille on vivait difficilement. Mon père, qui est vieux, n’allait plus à la campagne. Avec un bébé c’était encore plus compliqué. Un enfant rend heureux, mais il faut s’en occuper. Des fois je n’avais pas de couches. Je donnais à manger à mon enfant et préférais me sacrifier. Mon grand-frère travaille, mais ne peut pas nourrir toute la famille. Je voulais trouver une solution et ne pas embêter mes parents. La plus facile c’était celle-là. C’est des amies à moi qui me disaient que de temps en temps des hommes leur donnaient des sous en échange de « quelques caresses ». Je pensais que ce n’était rien. 

MH : Quelle est la définition d’une « prostituée » selon vous ? 

N : Pour moi, une prostituée c’est une fille qui « fait la pute ». Elle vend son corps. C’est ce qu’on dit aussi dans nos villages. Dans notre tradition c’est ça. Les filles qui font ça sont très mal vues et c’est humiliant pour les familles. Ici, tu ne peux pas faire la pute ouvertement. Ça ne passe pas. 

MH: Qui étaient vos clients ? 

N : C’était tout le monde. Tous ceux qui pouvaient me donner de l’argent. Une fois, j’ai même eu un jeune homme qui voulait être dépucelé. « Faire de lui un homme », il m’avait dit en shimaoré. C’est une amie qui l’avait dirigé vers moi. Il m’avait donné 100 euros. C’est sa famille qui l’avait envoyé pour le préparer à une vie « d’homme », ne le voyant jamais avec une fille. Des fois c’était des relations rapides avec un homme de passage, je pouvais avoir 50 euros, des fois 20. Je prenais vraiment ce que je pouvais avoir. Je n’avais pas de clients tous les jours, alors je ne pouvais pas me permettre de ne rien prendre du tout. 

MH : Pourquoi ne jamais avoir fixé de tarifs ? 

N : Je n’ai jamais donné de tarifs aux hommes qui venaient me voir parce que je sais qu’on ne m’aurait jamais donné le montant exact. Je prenais ce qu’on me donnait parce que j’avais besoin d’argent, c’est tout. Une fois que tu commences, tu es embarquée dans ce monde. Tu ne peux plus t’arrêter, c’est de l’argent facile et il faut nourrir ton enfant et aussi aider ta famille. Même si ce n’était pas beaucoup, 50 euros en une journée me permettait d’acheter à manger pour la semaine. Je n’étais pas régulière. J’avais des clients de temps en temps. C’est peut-être pour ça aussi que je ne me considérais pas comme une prostituée. 

MH : Où et comment se déroulait la prise de rendez-vous ? 

N : Ça pouvait être n’importe où, surtout dans les coins de Koungou et Trévani. Dans un buisson au milieu de la nuit, à l’intérieur ou derrière une voiture en soirée. Je n’ai jamais été chez le client. C’était toujours la nuit, car la journée je me faisais discrète et j’étais avec mon fils. Il y a toujours quelqu’un qui te prévient quand il y a un client. Généralement, c’était des amis ou la famille des clients. On nous mettait en contact. Les hommes mariés m’appelaient sur mon téléphone, les autres, eux, n’avaient pas de formalités particulières. Je recevais un appel et sortais de chez moi pour retrouver le client. 

MH : Avez-vous songé à trouver une aide financière de manière différente ? 

N : Aujourd’hui, j’ai honte de dire ça, mais je n’ai pas cherché loin. Je n’ai pas voulu continuer à aller dans les champs, à galérer. Les gens t’aident des fois en te donnant quelques trucs, mais ils ne peuvent pas t’aider toute ta vie. Je voulais de l’argent sur le moment. Se former, tout ça, ça prend beaucoup de temps. Après, il faut espérer trouver un boulot. Je n’avais pas le temps pour tout ça moi. 

MH : Avez-vous déjà été en danger ? 

N : Non. Mes clients ne m’ont jamais frappée. Je faisais ce qu’on me disait de faire sans réfléchir. Ils étaient juste là pour s’amuser avec moi et repartir. J’ai souvent eu les mêmes clients. Je les connaissais. Ma seule peur était d’attraper des maladies. Durant mes cinq années de prostitution, il m’est arrivé d’avoir des rapports non protégés. Sur les conseils d’une amie, j’allais voir une gynécologue à l’hôpital de temps en temps pour être sûre que tout allait bien. 

MH : Votre famille est-elle au courant de votre ancienne activité ? 

N : Non et je ne veux pas qu’elle sache ce que j’ai fait. J’ai des grandes sœurs, mariées et avec des enfants. Mon grand-frère serait déçu aussi. Peut-être qu’on ne voudrait plus de moi à la maison. Je serai la honte de la famille si ça se savait. 

MH : Comment vivre avec ce lourd secret au quotidien ? 

N : Le plus dur c’était de faire comme si je ne connaissais pas les hommes quand je les croisais dans la rue. Je mentais aussi à ma famille, en leur disant que j’avais eu des sous en allant vendre des fruits aux marchands, ou bien que j’avais aidé une amie dans des travaux. Je n’étais pas la même à la maison que le soir avec les clients. Une fois à la maison avec ma famille, j’oubliais tout de ce que je faisais la nuit. J’étais une autre personne. 

MH : Quel a été le déclic pour mettre fin à votre activité ? 

N : La seule fois où je me suis absentée avec un client dans la journée, c’était pour un rapport de 10 minutes, j’ai retrouvé mon fils blessé en revenant. Il était encore petit et venait de se réveiller de sa sieste. Il s’est blessé en tombant et avait la bouche en sang. J’ai eu très peur quand j’ai vu tout ça. Je me suis dit que je ne laisserai plus jamais seul. J’ai pris les sous que j’avais et l’ai emmené à l’hôpital. On lui a recousu la lèvre. 

MH : Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ? 

N : J’ai honte. Parce que j’étais perdue. Je ne me rendais pas compte et j’ai mis du temps à réaliser ce que je faisais. Je regrette parce que je n’ai pas écouté ce que nous disent nos aînés, de vivre avec sa famille et de s’accrocher à nos traditions. Ça fait bientôt un an, que je n’ai plus personne qui vient me voir pour des faveurs sexuelles. J’ai encore des fois quelques difficultés, mais je ne veux plus d’argent sale. 

MH: Comment vous reconstruisez-vous ? 

N : Pour aller mieux, il faudrait que je déménage. Que je quitte Mayotte. La maison, le village, tout me rappelle de mauvais souvenirs. Je veux partir d’ici et construire une nouvelle vie avec mon fils. 

Aller dans un village où personne ne me connaît et où je pourrai travailler loyalement. En attendant ce jour, si Dieu le veut, je reste avec ma famille. Je les aide comme je peux et passe beaucoup de temps avec mon fils. J’ai commencé une formation, j’espère que la suite se passera bien. 

MH : Avez-vous consulté une association, un psychologue ou même parlé à quelqu’un pour un suivi, pour vous aider ? 

N : Non, je n’ai jamais pensé à aller voir un psychologue. Quand ça ne va pas, chez nous on passe d’abord par des cérémonies au village. Les plus croyants demandent de l’aide à Dieu. Les autres, les membres de ta famille, te diront qu’on « t’a fait quelque chose », c’est à dire jeter un mauvais sort pour que je devienne une prostituée. Je préfère m’en sortir seule. Parler avec vous, dans le journal, c’est déjà beaucoup pour moi. 

MH : Quel conseil donneriez-vous pour lutter contre la prostitution ? 

N : Je dirais aux jeunes, aux jeunes femmes surtout, de ne jamais faire ce que moi j’ai fait. J’ai beaucoup souffert psychologiquement et souffre encore aujourd’hui. J’ai très honte. Peut-être que j’en souffrirai toute ma vie. Je regrette et ne souhaite à personne de vivre ça. Il faut qu’elles aillent à l’école et qu’elles finissent leurs études pour trouver un travail et s’en sortir. Ne jamais jouer avec son corps. Après, on ne se reconnaît plus, on est détruites. 

 

Déni de racolage

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À Mayotte, la prostitution reste un sujet tabou. Prises au piège d’une conjoncture socioéconomique difficile, certaines femmes vendent leur corps et proposent des faveurs sexuelles en échange d’argent ou de matériel. Mais, rattrapées par les morales traditionnelles et religieuses, elles ne se reconnaissent pas pour autant comme des prostituées.

« Il n’y a pas de prostituées ici, on est juste là pour les sous », rectifie d’emblée Salinata*, rencontrée un soir de semaine à l’amphidrome de Mamoudzou. Une poignée d’hommes qui se tient à quelques mètres vient pourtant de la désigner ainsi, sans équivoque. « Oui, elles, ce sont des prostituées, elles sont là tous les soirs », confirme l’un d’entre eux dans un léger sourire, pointant le groupe de femmes qui l’entoure, sans détailler davantage. En effet, à voir la population qui stationne sur ce terrain en travaux, à peine éclairé par la lumière faiblarde de quelques réverbères et les phares des engins de chantier des ouvriers d’une entreprise du BTP qui s’activent à proximité, la question peut se poser. Le site est pourtant réputé pour être un point de rendez-vous quotidien de la prostitution à Mayotte. Mais le racolage y est nettement plus discret qu’ailleurs : l’amphidrome de Mamoudzou n’est pas le bois de Boulogne.

Postée entre deux voitures garées le long de l’embarcadère, Salinata attend les clients. Sa tenue ne laisse rien deviner de son activité : un legging et un tee-shirt ample recouverts d’un long kishali rose qu’elle maintient d’une main crispée juste au-dessous des paupières inférieures, n’offrant rien de plus à voir de son corps qu’une silhouette trouble et des sourcils froncés. Immédiatement chapitrée en langue locale par d’autres jeunes femmes – le visage, là aussi, soigneusement dissimulé – qui lui demandent de ne pas s’adresser à des journalistes, elle prend la fuite dès que nous l’approchons, et s’éloigne presque en courant de l’autre côté du parking. À faible allure, une camionnette de police fait irruption sur le terrain, passe devant les filles sans s’arrêter avant de se diriger vers le stop en direction de Kawéni.

Clients, passants, proxénètes ?

À intervalle régulier, une voiture s’arrête pour déposer ou embarquer une ou deux de ces femmes au visage entièrement voilé. L’une d’entre elles, en sortant, échange quelques mots en shimaoré avec un petit homme à casquette d’une cinquantaine d’années. « Vous les connaissez, ces dames ? », lui demande-t-on. « Non, non je ne les connais pas », répond-il, quand bien même tout dans son comportement et dans l’échange qu’il vient d’avoir, indique le contraire. Client, passant ou proxénète ? Autant de questions qui resteront sans réponse ce jeudi soir. « Vous pensez qu’elles seraient d’accord pour raconter leur histoire ? C’est anonyme. Nous ne voulons pas leur créer de problèmes ». Puis, après un moment de latence : « Je ne suis pas sûr qu’elles voudront parler », puis : « Je ne pense pas que je veux qu’elles parlent ». Et enfin : « Vous voulez quoi, que ça s’arrête, ce qu’il se passe là ? » Le mystérieux quinquagénaire ira finalement poser la question directement aux filles, sans plus de succès. Elles étaient une demi-douzaine, ce jeudi soir. Certaines errant nonchalamment entre les voitures tout en bavardant, tandis que d’autres partaient dans les véhicules d’inconnus pour revenir quelques minutes plus tard. Aucune d’entre elles n’a souhaité raconter son histoire. Après

plusieurs tentatives d’approche infructueuses, l’une des plus farouches finira par nous demander de quitter les lieux, lançant des invectives et exigeant « le respect » car « ici, il n’y a pas de prostituées ». Dont acte.

« En parler oui, mais pas seule »

Pour autant, certaines en conviennent et ne s’embarrassent pas de formules alambiquées pour éviter de prononcer le mot interdit. Dans une rue quelques encablures de l’amphidrome, nous reconnaissons un autre groupe de trois femmes, dont Claudia* avec qui nous avons pu échanger en amont. La quarantaine bien avancée, elle est arrivée de Madagascar il y a 22 ans. Elle assume, sans honte ni fierté, elle est « prostituée ». Un moyen auquel cette mère célibataire a recours avant tout pour subvenir aux besoins de son fils. « La vie est dure maintenant à Mayotte. Avant, quand je venais d’arriver, ce n’était pas comme ça », se souvient-elle. Claudia se positionne généralement au niveau de la BFC de Mamoudzou à des heures tardives. En souhaitant s’entretenir plus longuement avec elle au sujet de son activité, elle rechigne pourtant : « C’est vrai, je suis une prostituée, mais je ne suis pas la seule », explique-t-elle, en faisant référence à celles de l’amphidrome. « Je veux bien en parler, oui, mais pas seule ». Claudia ne comprend pas le silence de ses « collègues ».

D’autant plus que d’autres, souvent plus jeunes et originaires de Madagascar, sont bien visibles. Des femmes qui se positionnent sur les trottoirs, ou aux abords de certains ronds-points de la périphérie de Mamoudzou, les soirs de fin de semaine. En y regardant de plus près, l’automobiliste attentif peut observer à Mayotte des scènes qui rappellent les images d’Épinal de la prostitution métropolitaine. Juchées sur leurs hauts talons, elles arborent mini-jupes et maquillage outrancier, racolant ouvertement le passant, sans laisser place au doute. Bien loin des femmes voilées de l’amphidrome, dont la pudeur apparente semble plus en phase avec les codes d’une société traditionnelle où le poids de la religion contraint parfois à l’hypocrisie.

« Échanges économico-sexuels »

En matière de prostitution, plusieurs réalités se superposent. De même, celles (et ceux) qui la pratiquent n’ont pas un profil unique. Aussi, certaines ont-elles un toit, voire un emploi, même précaire, et peuvent être entourées malgré l’isolement dans lequel les place leur situation. Telles ces mères célibataires qui se livrent à des faveurs sexuelles afin d’arrondir leurs fins de mois et de subvenir aux besoins de la famille. Les mêmes qui refusent de se voir comme des prostituées et estiment plutôt se livrer à des « échanges économico-sexuels » de manière très anodine. Pour ces femmes, la sexualité se résume à un simple service, et non pas à une activité professionnelle à part entière.

C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude menée conjointement avec l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ireps) à Mayotte en 2013, sur laquelle se fonde la déléguée régionale aux droits des femmes, Noera Moinaécha Mohamed. « Nous sommes arrivés à la conclusion qu’à l’époque, on était surtout sur des échanges économico-sexuels. Donc des personnes qui, parce qu’elles avaient besoin d’acheter un sac de riz pour se nourrir, acceptaient de se donner pour des faveurs sexuelles », explique-t-elle. Un phénomène de paiement en nature qui se poursuit encore

aujourd’hui, et n’est toujours pas assimilé, par ces femmes en grande précarité, à de la prostitution en tant que telle

Mais où sont passés les Maillots jaunes ?

Successeurs annoncés du dispositif “Gilets jaunes” et placés sous la responsabilité directe de la police nationale, les “Maillot jaunes” en poste depuis le début de l’année sillonnent les différents quartiers de la commune de Mamoudzou pour surveiller, assurer une présence et sensibiliser les jeunes.

Si nous les avons bien distingués sur les trottoirs durant la visite d’Emmanuel Macron, le programme semble moins fourni en effectif qu’à son lancement. Stéphane Cosseron, commandant de la direction départementale de la sécurité publique de Mayotte, et Thierry Lizola, brigadier en charge du bureau partenariat et prévention, tentent d’apporter des éléments de réponse sur ce qui ressemble à un essoufflement. 

Flash Infos : Durant la venue d’Emmanuel Macron, nous avons pu croiser une ribambelle de Maillots jaunes, notamment à la sortie de Kawéni. Cependant, en dehors de ce jour spécial, il est de plus en plus rare de les identifier dans les rues de Mamoudzou. Quelles en sont les raisons ?  

Stéphane Cosseron : Oui, objectivement, nous avons une baisse du nombre de citoyens volontaires. Je rappelle qu’il s’agit d’un travail bénévole, non rémunéré, donc nous ne pouvons pas les fidéliser. Les habitants font ce qu’ils veulent ! Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette baisse. Déjà, il y a des obligations réglementaire assez strictes à respecter, liées au statut d’étranger en situation régulière, qui font que certaines personnes, du fait des particularismes de la délivrance des cartes de séjour à Mayotte, ne pouvaient plus participer à cette action. Certains ont trouvé un travail, d’autres se sont lassés, comme cela peut se retrouver chez les sapeurs-pompiers volontaires.  

Thierry Lizola : En termes d’effectif, une centaine de personnes sont sorties du dispositif sur les 240 citoyens volontaires. Pour 40 % d’entre eux, la raison de leur arrêt coïncide avec un départ en métropole ou à La Réunion ou encore à une reprise des études pour les plus jeunes. Pour les autres, des événements récents ont perturbé le fonctionnement. Les habitants ne savaient pas à qui ils avaient affaire et ont remis en cause leur légitimité. Et à force, ils ont fini par être fatigués de se faire interpeller. Heureusement, nous avons un noyau dur composé de 80 Maillots jaunes. Mais vous les voyez moins, car ils sont répartis sur l’ensemble des sept quartiers de Mamoudzou. 

FI : Y a-t-il une relation de cause à effet entre l’absence criante de Maillot jaunes sur le secteur de Doujani et les affrontements entre des groupes de jeunes et les forces de l’ordre de ces dernières semaines ? 

S. C. : Le fait qu’il n’y ait pas de citoyens volontaires dans le sud de la circonscription, notamment à Doujani, a engendré une recrudescence de la délinquance. Si des Maillots jaunes étaient sur place, cela aurait été plus difficile de mettre le feu à des poubelles. Les patrouilles de la police nationale ne peuvent pas mailler la zone de la même manière, c’est impossible ! À ce titre, il y a un rendu qui est énorme et un lien de cause à effet par rapport à la petite délinquance.

T. L. : Ce n’est pas parce qu’il y a des zones de sécurité prioritaire, comme Kawéni, que nous excluons les autres quartiers. Souvenez-vous, Kawéni était devenu un no man’s land de 2013 à 2016. Aujourd’hui, il y a une vraie accalmie qui permet d’aller bosser sans se faire agresser. Cette priorité-là a payé et nous arrivons à avoir une relative paix sociale. Pour Doujani, c’est peut-être une histoire de conjoncture. Mais une chose est sûre, avec ou sans Maillots jaunes, nous n’empêcherons jamais la création de mouvements sociaux. Sur ce secteur, nous travaillons de nouveau avec certaines associations, comme Espoir et réussite, les parents d’élèves du collège de Doujani, l’équipe de basket-ball, mais aussi les cadis locaux avec qui nous avons créé un véritable réseau. Un référent a été mis en place pour symboliser le dispositif. Beaucoup sont intéressés, à condition qu’il y ait des porteurs de projets, des têtes d’affiche !

Quand ces derniers nous quittent, comme cela a été le cas en juin dernier quand le programme a été attaqué, cela devient compliqué. Deux personnes grièvement blessées avaient dû être évasanées. Et quand la confiance s’évapore, le château de cartes s’écroule… 

FI : Cette baisse des effectifs peut-elle être synonyme de la fin du dispositif Maillots jaunes ? 

S. C. : C’est un dispositif que nous voudrions voir décoller à l’échelle nationale selon le ministère.

Mais ici à Mayotte, nous sommes plutôt bien lotis ! Il y a eu un travail de longue haleine et une coopération avec le bureau de partenariat et de prévention qui existe depuis 2016. Le but est d’avoir un maximum d’habitants, mais avec le cadre rigoureux, le nombre sera plafonné à 200. Sans cela, nous aurions beaucoup de monde, comme lors des Gilets jaunes. Si les gens ont des papiers en règle, ils sont insérés plus facilement, et fatalement ils peuvent difficilement être disponibles comme volontaire. En clair, si cela doit s’arrêter un jour, ce sera faute de combattants. 

T. L. : Des entreprises privées et les collectivités territoriales sollicitent la présence au quotidien de Maillots jaunes. Samedi dernier, pour la course des mamans, la mairie et les associations organisatrices nous ont demandé expressément des Maillots jaunes, des Services civiques et des réservistes civiques. Selon moi, il n’y a pas besoin d’avoir un nombre minimum de Maillots jaunes pour que le dispositif survive. Ceux qui restent sont en confiance, ils n’ont plus l’appréhension d’être en sous-nombre. Un seul Maillot jaune est déjà payant : il alerte, il protège, il secourt. C’est le rôle de base d’un citoyen ! Leur présence empêche l’action de petits larcins, mais ils ne sont jamais cités et valorisés. Pour y remédier, pourquoi ne pas créer un bulletin Maillot jaunes ? La limite de l’exercice est l’adhésion de la population. Si on veut monter en puissance, il va nous falloir de l’aide.

Anouar Mlambeou, dit Black Ä

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Auto-entrepreneur et photographe, anouar mlambeou est revenu s’installer à mayotte il y a trois ans après un long cursus à paris. depuis, il travaille tantôt devant, tantôt derrière l’objectif pour de gros partenaires locaux et compte bien étendre davantage son activité. et pas seulement à l’échelle de l’île.

Pas un Mahorais n’a pu rater les clichés d’Anouar Mlambeou. En août dernier, les cinq candidates au titre de Miss Mayotte se dévoilaient pour la première fois aux yeux du public, via une série de portraits officiels capturés par le jeune entrepreneur. Ici, le Petit-terrien est mieux connu sous son surnom de Black Ä, traduction anglais d’Anouar, ou « A noir » et nom sous lequel il créait, il y a trois ans, sa propre société.

Depuis, le professionnel est devenu le photographe attitré de trois gros réseaux locaux : le comité Miss Mayotte, d’abord, mais aussi l’agence régionale So’Coman Event et Bouge-toi Mayotte, spécialisée dans le social media. « Je travaille aussi pour Mayotte la 1ère, sur des émissions comme Zana Za Maoré », complète Anouar Mlambeou. « Au départ, j’acceptais pas mal de petits projets et ça a été formateur, mais je préfère avoir le temps de bien conceptualiser les choses.  » De la mode, du sport, du paysage, du mariage de l’évènementiel, l’artiste s’est, en trois ans, constitué une banque d’images aussi large que diversifiée. Mais aujourd’hui, c’est vers la photo de cinéma qu’il se tourne. « Ce qui me plait, c’est que ça véhicule du rêve, de l’émotion », sourit le trentenaire. « Puisque c’est de l’acting, le photographe maîtrise plus l’émotion, alors qu’en photo sportive par exemple, il la subit, il ne la maîtrise pas ! »

Mais Black Ä ne reste pas seulement derrière l’objectif, puisqu’il lui arrive fréquemment de passer devant la caméra. En s’associant avec un producteur audiovisuel, Naftal Dylan pour ouvrir son entreprise, Anouar met un pied dans l’acting, pour des courts métrages ou des spots publicitaires. Une nouvelle facette de sa discipline qui ne laisse pas indifférent. « J’ai beaucoup aimé la façon qu’à Naftal de filmer, de donner de l’émotion aux images et de les dynamiser. Au début c’était un peu pour rigoler mais il y a eu de bons retours et c’est parti comme ça ! », retrace le Mahorais.

C’est à Paris quelques années plus tôt que naissent les prémices de leur collaboration. Après son bac obtenu en 2003 sur l’île aux parfums – où il se faisait déjà appeler Black Ä lorsqu’il intervenait sur la radio du lycée de Petite-Terre –, Anouar s’envole poursuivre son cursus scolaire en métropole, alors qu’il touchait déjà à l’appareil depuis tout jeune. « À l’époque, je ne savais pas comment me lancer dans la photo, je ne savais pas comment en tirer de l’argent et je ne connaissais pas l’analyse du marché », se souvient le jeune homme.

La première année, il s’inscrit en licence d’anglais à Lille, « pour rigoler ». Puis il intègre l’une des premières promotions du BTS négociation relation client à Reims et décroche le diplôme deux ans plus tard. Anouar aurait pu s’arrêter là, mais il décide plutôt de partir, cette fois, pour l’université de Limoges où il intègre une licence professionnelle en management. « J’étais plutôt à l’aise avec les gens, j’a un bon sens du contact et j’aime bien transmettre mon savoir, alors j’ai choisi ça un peu par défaut », résume le désormais photographe.

Puis, il monte sur la capitale pour y réaliser un premier stage. Finalement, il reste sur Paris où il intègre l’International Business School, au sein de laquelle l’étudiant ne terminera finalement pas son master. « J’avais validé ma première année quand HSBC s’est présenté, alors je suis devenu conseiller financier », commente Anouar, dont le parcours sera également marqué par d’autres postes en tant que commercial et formateur.

Pour autant, jamais son rêve de devenir photographe ne le quitte. En parallèle, il continue de pratiquer de son côté, apprend la vidéo et multiplie les stages aux côtés de professionnels, comme Stéfan Bourson, spécialisé dans la mode et l’esthétique, qui l’aide notamment à se familiariser avec le jeu de lumière en studio. Naftal, son ami d’enfance, lui aussi Mahorais et venu à Paris pour étudier l’audiovisuel, l’aiguille et le conseille également. Petit à petit, les deux ultramarins se découvrent une sensibilité commune pour le cinéma et commencent à échafauder un projet commun : celui de rentrer sur l’île aux parfums pour y ouvrir, à deux, leur propre entreprise dédiée à leur passion. Finalement, après une douzaine d’années en métropole, Anouar décide de rentrer au pays pour donner vie à l’idée qu’il poursuit. Mais avant, il dépense ses économies pour acheter le matériel dont il aura besoin.

Sur le territoire où la concurrence est bien moins pesante qu’en métropole, l’entreprise du binôme fleurit, leur osmose se confirme. « Je gère tout ce qui est photo, acting et mise en scène, lui il s’occupe vraiment de la partie vidéo et réalisation. Mais quand l’un ou l’autre a besoin d’un assistant, on s’aide mutuellement », se réjouit l’entrepreneur. « Les grands projets commencent à s’installer et à durer. » Parmi eux, la future ouverture d’un studio professionnelle à Pamandzi, qui serait le premier du genre en Petite- Terre. Une structure ouverte à tous les publics, particuliers comme professionnels, « pour tout ce qui est portrait ou photos conceptuelles », précise l’instigateur du projet.

S’il a un pied à Mayotte, l’autre à Madagascar où il se rend fréquemment pour visiter ses parents et s’exercer par la même, à la photographie de paysages, Black Ä entend étendre son activité : « L’objectif ce n’est pas de s’arrêter là. Il y a un grand marché qu’on néglige, souvent dans le cinéma et la photo de cinéma, c’est le continent africain », rêve l’artiste, qui ne manque toutefois pas d’espoir pour son île natale. « Je pense qu’ici en 2020, beaucoup de choses vont se lancer. Il y a des jeunes qui commencent à monter à Mayotte et qui montrent qu’ils savent ce qu’est le travail ! » Tout comme lui. « Mais pour cela, il faut avoir beaucoup de recul et accepter la critique et les sacrifices… » Baada dhiki faradji* !

 

* Expression mahoraise signifiant « Après les difficultés, le bonheur ».

 

 

Longoni : les détails d’un drame remonté jusqu’aux oreilles du président

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Alors qu’Emmanuel Macron était en visite, un drame survenu à Longoni est venu perturber le cours normal de la journée. Si le président n’a pas pu se rendre sur place, le secrétaire général de la préfecture est intervenu en son nom. Sur place, ce triple décès reste profondément marqué dans l’esprit des populations, comme dans celui des élus.

“ Je connaissais bien le père de deux des trois enfants décédés. Je suis moi-même très touché par ce drame”. Au téléphone, le maire de Koungou, Assani-Saindou Bamcolo, ne cache pas sa peine face au drame survenu avant-hier dans sa commune. Alors qu’il déjeunait en compagnie du président, un coup de fil retentit pour le prévenir que “trois enfants sont décédés en tombant dans un puits”. “Emmanuel Macron a été mis au courant dans la foulée. Il a souhaité se rendre sur place, mais ce n’était pas possible au vu de l’agenda initialement prévu. Le secrétaire général de la préfecture, Edgard Pérez, a ainsi été mobilisé pour transmettre ses condoléances, et prévenir que les autorités se mettent à disposition de la famille en cas de besoin”, rembobine le maire de Koungou. Lui-même originaire de Longoni, l’élu s’est rapidement déplacé au contact de la famille endeuillée, emboitant ainsi le pas de l’un de ses proches déjà sur place : Mdallah Mahamadou, agent de service technique à la mairie de Koungou. “J’ai reçu un coup de fil à 13h18 pour m’avertir qu’il y avait du mouvement dans le village. Quand je suis arrivé, les sapeurs-pompiers tentaient encore de réanimer les enfants en faisant des massages cardiaques”, se souvient-il. 

Des détails bouleversants 

Mdallah Mahamadou détaille la disparition de ces trois enfants âgés de 2 à 4 ans. “Il s’agit d’un frère et d’une soeur, ainsi que de leur cousine. Ils étaient chez leur grand-mère, dont la cour est partagée par la mère des frères et soeurs. Inquiète de ne pas les trouver, la famille a entamé des recherches avant de comprendre qu’ils étaient tombés dans la fosse septique. Celle-ci n’était recouverte que par une couche de contreplaqué.” Rapidement, la population s’amasse autour du puits. “Ils ont tâtonné le fond avec un bâton en bois. Une chaussure est remontée, suivie du corps de la jeune fille”. Alors que personne n’ose plonger dans ce trou rempli de déjections et d’eau croupie, un passant est interpellé. Rapidement, il accepte de remonter les trois enfants avant que les secours ne les prennent en charge. En vain. Aujourd’hui encore, cet homme qui a témoigné d’un courage exceptionnel est sous le choc. “Il ne s’est rendu compte qu’après coup qu’il avait porté du bout des bras trois enfants morts. D’autre part, au vu du fait qu’il s’agit d’un clandestin, la venue des gendarmes l’a angoissée. J’ai tenté de le rassurer en lui expliquant qu’il ne serait pas embarqué”, explique-t-il. Une information confirmée par la gendarmerie qui atteste que l’homme n’a pas été arrêté. Aujourd’hui, Mdallah Mahamadou plaide pour sa régularisation : “Franchement, il a témoigné d’une grande bravoure et a tenté le tout pour le tout afin de sauver ces enfants”, insiste-t-il. De son côté, Assani-Saindou Bamcolo martèle : “Emmanuel Macron a vraiment été touché par cette disparition.” Si le président n’a pas pu se déplacer, sa consigne a été de se mobiliser auprès des familles afin de répondre à leurs besoins. “Ils ont émis le besoin de voir une psychologue. Cette rencontre s’est faite aujourd’hui, dans une salle de l’école élémentaire de Longoni spécialement aménagée pour l’occasion”, conclut l’agent municipal, la voix encore chargée d’émotion. 

 

Ce qu’il faut retenir des discours d’Emmanuel Macron

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Au cours de cette visite expresse, le chef de l’État a pris la parole quatre fois. Si les discours se sont ressemblés, certaines prises de paroles ont permis de développer ses annonces. Retour sur les principales d’entre elles.

 

Immigration. C’était le cœur des différents discours du président de la République. “La France c’est d’abord la sécurité”, a-t-il martelé, associant de fait l’insécurité à l’immigration clandestine. “Ce plan qui mobilise 1.500 personnes est un plan inédit”, a-t-il vanté en évoquant l’opération Shikandra. En fait d’annonces en la matière, l’heure était plutôt au premier bilan. Plus de 24.000 reconduites à la frontière depuis le début de l’année (tout n’est pas à mettre au crédit de l’opération Shikandra qui a démarré en août), 180 habitations illégales détruites, 50 % de hausse du nombre d’interceptions en mer sont quelques-uns des chiffres brandis par le chef de l’État. Celui-ci a par ailleurs annoncé que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) réorganisait son action à Mayotte autour du vidéo-entretien pour traiter les demandes d’asile. Objectif 30 dossiers traités par jour et deux mois de traitement par dossier.  

Sécurité. Elle a concerné à la fois la délinquance et le risque sismo-volcanique. Sur ce premier point, Emmanuel Macron a rappelé que 80 policiers supplémentaires avaient rejoint le territoire, tout comme un escadron de gendarmerie, et qu’un commissariat de police doit ouvrir ses portes. Concernant la sécurité civile, le président a évoqué “de nouveaux risques pour la population”, avec l’apparition du phénomène sismo-volcanique, ce qui a décidé les autorités à réviser le plan ORSEC du département et les plans de sauvegarde communaux. Une vingtaine de sirènes doivent à terme mailler le territoire tandis qu’un système d’alerte doit être mis au point d’ici la fin de l’année.  

Éducation. “Rétablir la confiance des Mahorais dans le système scolaire”, tel serait l’ambition du président de la République, qui sans faire d’annonces a rappelé qu’un renforcement de la formation locale des enseignants était à l’œuvre tout comme une politique d’attractivité pour les nouveaux titulaires. Le passage au rectorat de plein exercice irait également en ce sens. Surtout, le chef de l’État a rappelé que 430 millions d’euros étaient prévus pour les constructions scolaires d’ici 2022. 800 classes de premier degré doivent ainsi ouvrir d’ici la fin du quinquennat. 

Santé. Un nouvel hôpital ? Pas tout à fait sûr, mais avec 170 millions d’euros sur la table, une nouvelle structure, qu’elle vienne prolonger le CHM ou pousser ailleurs, doit voir le jour. 20 millions d’euros sont également mobilisés “en urgence” en faveur de l’accès à la santé. Là encore, on reste dans le cadre du contrat de convergence. Pas d’annonce donc. Droits sociaux. Cap “vers la convergence”, a ordonné le président. Oui, mais quand ? Si celui-ci a évoqué une allocation pour l’éducation des enfants handicapés, on restera sur notre fin avec l’annonce de “l’ouverture d’une négociation pour faciliter les départs à la retraite des travailleurs âgés avec une retraite décente”.

Infrastructures. On a gardé le meilleur pour la fin. Si Emmanuel Macron a annoncé devant la foule de Mamoudzou que la piste longue se ferait et qu’il ne se cacherait pas derrière de nouvelles études pour l’annoncer, le message était un tantinet différent lors de son allocution au collège de M’Tsamboro. “Nous allons lancer une étude de faisabilité et non plus une étude d’opportunités”, a-t-il doucement lâché devant la presse. Cette dernière doit commencer dans les prochains mois et ne devrait pas excéder les 18 mois à entendre le président. En attendant une éventuelle piste longue, Emmanuel Macron a annoncé des “obligations de service public sur toutes les compagnies effectuant des liaisons Paris-Mayotte”. En clair, il s’agit de réguler le tarif des billets, notamment à destination des jeunes. 

 

 

 

Une visite présidentielle très encadrée

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Alors que le président de la République est attendu mardi, différents dispositifs se mettent en place afin d’encadrer au mieux ses déplacements. Son programme est par ailleurs désormais connu, tout comme les thèmes de ses prises de parole. La lutte contre l’immigration clandestine occupera une bonne partie des allocutions présidentielles.

Alors que le Collectif des citoyens de Mayotte, réuni ce dimanche en congrès à Chiconi a appelé à accueillir le président de la République, le dispositif qui doit entourer Emmanuel Macron ne laissera que peu de marge à ses membres pour lui transmettre leurs doléances comme ils le souhaitent. Tout au long des déplacements du président, on s’attend en effet à un périmètre très sécurisé. D’autant plus que le président ne viendra pas seul : il sera très certainement accompagné des ministres de l’Intérieur et des Outre-Mer, Christophe Castaner et Annick Girardin, ainsi que du secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari. La délégation présidentielle est attendue à l’aéroport de Petite-Terre à 9h30 autour d’une cérémonie militaire et républicaine qui doit être suivie d’une déclaration à la presse. Dès 8h, la zone taxi/parking de la barge du côté du quai Issoufali sera fermée et le trafic maritime interrompu entre 9h30 et 11h. Deux départs auront toutefois lieu, à 10h et à 11h30. De l’autre côté, en Grande-Terre, aucun passage ne sera possible côté gabier et camion rouge dès la première barge. À noter que la navigation, le mouillage ou toute activtié nautique quelle qu’elle soit est interdite dans les environs du mardi 22 octobre à 9h au 23 à 12h. De manière générale, à Mamoudzou, de nombreux axes seront interdits à la circulation et “à toute forme de manifestation dans un rayon de 150 mètres”, précise la Ville. Dimanche déjà, de nombreux automobilistes se sont fait verbaliser pour avoir laissé leurs véhicules sur le parking du remblai. Celui-ci sera en effet réquisitionné aux alentours de 11h pour offrir un bain de foule à Emmanuel Macron, tout juste débarqué d’un intercepteur de la Police aux frontières. Il saluera par ailleurs dans ce secteur les unités engagées dans l’opération Shikandra. “En lien avec la Ville de Mamoudzou qui gérera un dispositif spécifique pour les citoyens de la commune, le conseil départemental met à disposition des bus dans les communes pour permettre aux Mahorais qui le souhaitent d’assister à la prise de parole du président de la République sur la rocade de Mamoudzou, prévue aux alentours de 10h30”, fait savoir le conseil départemental. 

Des annonces à M’Tsamboro ? 

Ensuite, et puisque tant d’émotions creusent l’appétit, le président est attendu pour un déjeuner républicain autour des différentes autorités et élus de Mayotte. Ce repas doit être pour lui l’occasion d’échanger sur “le développement de Mayotte et le plan de convergence”, selon le service de presse de l’Élysée. Puis direction le nord, qui constituera le gros de la visite d’Emmanuel Macron. Au programme, “déambulation et rencontre avec la population” à Hamjago puis “échanges sur l’évolution de la stratégie opérationnelle et les moyens déployés en matière de lutte contre l’immigration clandestine”. À 18h, le point d’orgue : la conférence de presse du président au collège de M’tsamboro doit être le théâtre d’annonces… Ou pas. Toujours est-il que ce sera pour lui le moment de s’exprimer le plus longuement et d’ouvrir les dossiers avec lesquels il est venu dans le 101ème département. S’ensuivront des échanges plus confidentiels, d’abord avec le président du conseil départemental, Soibahadine Ibrahim Ramadani, puis autour d’un dîner “avec les femmes investies dans la vie locale, en hommage à Zéna M’déré”. Sans geste du chef de l’État pour Mayotte, nul doute que le repas aurait pu être bien épicé si Zéna M’déré était encore là. 

Mamoudzou bouclée pour la visite 

Dans le cadre de la visite présidentielle, mardi 22 octobre 2019 Mohamed Majani, le maire de Mamoudzou, informe la population que toute manifestation sur les axes de circulation des secteurs indiqués, ainsi qu’à leurs abords dans un rayon de 150 mètres, de 5h à 22h est interdite. La circulation de tout véhicule, à la diligence des services de police et jusqu’à la levée du dispositif, sera interdite sur les sites suivants : 

  • Boulevard Mawana-Madi (Loft — Laboratoire de Mayotte), 

  • Boulevard Halidi Sélémani (services fiscaux) et ce, dans les deux sens, 

  • Avenue Abdoul-Bastoi Omar (intersection Caribou) formée avec la rue Said Soimihi, 

  • Boulevard Mawana-Madi dans son intersection avec la rue de l’accès Amphidrome, 

  • Rue Toumbou Sélémani (parking taxis urbains avec la SIM) et la rue Moinécha Moumini, 

  • Rond-point Zéna M’DERE vers la rue Moinécha Moumini, 

  • De même que sur l’Avenue Mchindra Said (intersection l’église) et le boulevard Halidi Sélémani, 

  • Rue Foundi Mariame Boina avec la rue Hamada Loungou, 

  • Avenue Chehou Soilihy dans son intersection avec la rue Amina Ousseni, 

  • Rond-point Mahabou vers la rue Amina Ousseni, Du dimanche 20 octobre 2019 de 9 heures jusqu’au mardi 22 octobre 2019 à 22 heures et jusqu’à la levée du dispositif, le stationnement sera interdit sur les chaussées et parkings suivants : 

  •  Parking du ponton de plaisance de sa totalité ; de même que sur le parking taxis de sa totalité, 

  • Parking 5/5, 

  • Tous les bords de la rocade jusqu’au rond-point Mahabou, 

  • Parking face “CADEMA”, 

  • Parking face de l’Hôtel de ville jusqu’à l’intersection avec l’Avenue Mchindra Said, 

  • Sur toute la longueur de la rue Foundi Moinecha Mognedaho, 

  • Sur l’Avenue Mchindra Said jusqu’à son intersection avec le boulevard Halidi Sélémani, 

  • Sur toute la longueur de la rue de la Mairie, 

  • Avenue Madame Foucault, 

  • Sur toute la longueur de la rue Amina Ousseni, 

Le voulé: toute une histoire

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Amical, politique, pédagogique, sportif ou encore électoral, mais toujours festif : à mayotte, le voulé se consomme à toutes les sauces. Mais si l’évènement est courant, pour ne pas dire obligatoire, peu savent à quand il remonte et quelles sont ses racines.

Il y a dans le regard de Saïd une satisfaction toute particulière. Il est 9h30 heures ce dimanche-là à Bambo Est. Avec sa longue plage et son vaste espace ombragé de palmiers, le lieu se prête particulièrement bien à la tradition du voulé. Nombreux sont ceux qui viennent ainsi y passer la journée. Saïd est de ceux-là. À 25 ans, l’homme est satisfait du travail effectué. Avec, Hamada, son acolyte du jour, il se sont rendus plus tôt que le reste du groupe sur la plage. Objectif : commencer à préparer les festivités. « Moi je ne vais pas m’enjailler le samedi soir », rigole-t-il, justifiant ainsi sa présence sur les lieux plus matinale que celle de ses comparses à venir. Et de poursuivre : « J’aime me lever tôt et préparer la journée. Ça c’est mon truc. On est bien là, au calme, à s’activer doucement. » S’activer doucement ? « Trouver un endroit sympa, aller chercher du bois, remettre en place quelques galets pour le foyer, en installer un deuxième, et puis me poser en attendant que les autres arrivent. Après tu vois, je me repose face à la mer, et j’attends que ça commence. » Pendant ce temps, Hamada est parti au village acheter une caisse de mabawas, « au cas où ils arriveraient plus tard que prévu. Quand on se lève tôt, on a faim plus tôt. Au moins on pourra faire un tchak en attendant. » Sur les coups de 11h, le reste de la troupe commencera à arriver. En tout, une dizaine d’amis, chacun apportant sa contribution : des cuisses de poulet que deux d’entre eux préparent dans une marmite, quelques brochettes pour un autre, du manioc et du fruit à pain que l’on pose dans la braise pour ceux-ci, des ustensiles ici, une grille oubliée remplacée par une autre empruntée au voulé voisin. Musique, préparation, jus divers et quelques bières ou verres de vin en cubi pour les moins attachés à la tradition religieuse. Sur le reste de la plage, à une dizaine de mètres les uns des autres, de nombreux groupes préparent eux aussi les festivités de la journée dans un mélange de musiques raggae, zouk, d’afro trap, de rap, et parfois aussi de musique plus traditionnelle. Objectif : se détendre et partager un moment « ouvoimoja ». Le voulé, c’est en effet une de ces habitudes de vie à la mahoraise, où l’opulence se discute à la convivialité.
C’est aussi « L’occasion de se retrouver » pour Mariama, à peine revenue de métropole et qui profite ici de son premier barbecue sur son île natale depuis deux ans. « C’est une des choses que j’attendais le plus depuis mon retour, la semaine dernière », assure-t-elle. Pourquoi ? « Pour l’esprit de convivialité ! On est là, on grignote, on rigole. Il y a des jeunes entre eux, des familles, des enfants qui se baignent. On discute toujours avec des gens nouveaux dans les voulés. » Une des particularités du voulé ? « Peut-être. Il est vrai qu’en métropole, les pique-niques sont plus isolés, les gens les pratiquent plutôt en groupe, à l’écart, sans forcément se mélanger. Mais ce n’est pas vrai partout non plus, alors je dirai plutôt que les voulés traduisent la mentalité mahoraise. On n’aime pas trop être seuls ! », rigole-t-elle avant de prendre dans ses bras une amie qu’elle vient justement de retrouver par hasard et qui participe elle aussi… à un voulé à 50 mètres de là.

L’ART DE LA SIMPLICITÉ

« Le voulé, c’est avant tout la manière la plus simple de manger », explique Alain-Kamal Martial, chercheur en littérature, auteur, et à la tête de la Direction départementale du livre, qui poursuit : « Cet aspect-là n’est pas à négliger. À la mer vous avez du poisson, à la rivière vous avez des crevettes, partout où vous êtes, vous trouvez une petite bête à manger, une banane à mettre sur le grill. La grillade, c’est vraiment le moyen le plus élémentaire de se nourrir. Il n’y a pas besoin d’eau, de casseroles, etc. Partout où on se trouve on peut faire un voulé. Même les enfants peuvent en faire un. C’est une pratique très simpliste, une habitude, un réflexe. C’est quelque chose que l’on fait sans même y réfléchir. » Et bien que l’art de la grillade soit partagé et apprécié partout dans le monde, cette simplicité serait, selon Alain-Kamal Martial, propre à Mayotte. Il le constate : « Je suis allé au Mozambique, en Tanzanie, un peu partout, et l’expression du voulé telle qu’on le connait à Mayotte, je ne l’ai pas retrouvé. Il y a des grillades bien sûr, mais ce n’est pas comme le voulé comme nous le concevons ici, avec la banane sur la braise et cette connotation de grillade à tout moment, sans même se concerter. Cette simplicité est typique d’ici. »

LIBERTÉ, LIBERTÉ CHÉRIE

Une simplicité typique donc, mais aussi une grande liberté. Il l’explique : « Le voulé se fait vraiment en dehors de la maison. On quitte la société quelques heures pour aller faire quelque chose ailleurs. C’est aussi pour ça qu’il s’est ancré : il n’est associé à aucune règle de la société. Les gens se trouvaient un lieu un peu caché, loin des vues de la société, et faisaient un voulé. » Une manière d’échapper aux règles, donc, qui a pu valoir à la pratique une mauvaise réputation à un moment. « Le voulé n’a pas toujours eu la réputation sympathique dont il jouit aujourd’hui », rappelle Alain-Kamal Martial. En cause : on ne se dissimule pas toujours des regards pour simplement méditer : « Les consommateurs de vin de palme, par exemple, organisaient des voulés pour pouvoir en boire. Il a donc aussi été associé à l’alcool, puis à un certain vagabondage et aux marginaux, parce que pour faire un voulé, certains volaient un cabri ou un poulet qui trainait dans le village. »
Mais cette mauvaise réputation s’est finalement effacée avec le temps et la récupération politique qui en est faite. Car lorsqu’il s’agit de rassembler les gens pour leur faire passer un message, comme ailleurs sur la planète, leurs habitudes sont le meilleur des vecteurs. En l’occurrence, « le voulé est devenu une sorte d’appât pour attirer les gens, leur parler et faire passer des idées. Lors d’un voulé, on est en amitié, en complicité. On se fait plus confiance. Comme partout, s’asseoir et partager à manger est un signe de confiance. À partir de là, le voulé a commencé à être légitimé comme un moyen de socialisation normale. » Légitimité et aujourd’hui encore bien pratique pour sensibiliser et faire passer un message : nombre de voulés sont encore organisés à l’aube de telle ou telle élections, lors de campagne de sensibilisation de telle ou telle institution, ou tout simplement pour faire connaître telle ou telle opération ou association.

DES ORIGINES ANCESTRALES

Mais, à l’instar d’autres traditions de pique-niques dans le monde, difficile de dater avec précision la naissance de ce plaisir simple et champêtre qu’est de manger en extérieur sans chichi. Toutefois, sans en connaître l’origine, tout le monde sur l’île a toujours connu la pratique. Yazidou Maandhui, écrivain, se rappelle ainsi des « festas », adaptées du terme « fiesta », « des pique-niques organisés après avoir cotisé et réservés à des grandes occasions, comme la « bonne année », explique-t-il en poursuivant : « Dans la société traditionnelle, l’oisiveté n’était pas très bien vue. Aller faire la fête tous les week-ends n’avait aucun sens. Ce qui explique que les voulés concernaient des évènements particuliers. » Ainsi, « souvent, les adolescents qui avaient leur banga étaient des adeptes du voulé. » Le voulé en tant que pratique liée à un moment de pure convivialité, serait donc contemporaine.
C’est une piste que soulève Mlaili Condro, linguiste et sémioticien. Mais attention, comme nous l’avons dit, il ne s’agit là que de son aspect convivial et de détente. Une conception assez récente : « Il s’est transformé en loisir avec l’arrivée des wazungus à Mayotte. De la même manière, le voulé s’est délocalisé, il a suivi les wazungus à la plage, car traditionnellement il se déroulait dans les champs, la plage étant un lieu mystique peuplé de djinns. En les fréquentant, les wazungus ont désacralisé ces lieux dans l’esprit des Mahorais, et ces derniers s’y installent aujourd’hui pour manger, ce qui n’était absolument pas le cas autrefois. C’est aussi à cette époque-là qu’ils se sont féminisés » Si le voulé a évolué et s’est modifié, c’est donc qu’il existait auparavant. Son sens et son importance étaient alors bien différents. Mlaili Condro le rappelle : « Il s’agissait d’un cheminement vers l’autonomie, comme un rite de passage vers l’âge adulte pour les jeunes hommes. Car traditionnellement, le voulé est avant tout une affaire d’hommes. » Une affaire d’hommes destinée à l’apprentissage de la vie, et à se débrouiller dans une nature que l’homme doit, en ces temps anciens, dominer pour vivre. Le chercheur poursuit : « Les jeunes hommes se retrouvaient entre eux en dehors du village, devaient chasser des hérissons ou pêcher du poisson par exemple, trouver de quoi les accompagner, etc. Ils devaient aussi couper du bois, faire du feu, cuire les aliments. À travers ces voulés, ils apprenaient tout ça et prouvaient qu’ils étaient capables de subvenir aux besoins de leurs familles, qu’ils étaient des hommes. »
Un apprentissage de la vie, en somme, bien nécessaire aussi pour se tailler une stature d’homme, physiquement parlant cette fois. « L’aspect sportif n’est pas à négliger », souligne Mlaili Condro en poursuivant : « Pour avoir un jus sucré, les garçons devaient grimper aux cocotiers par exemple. La coupe du bois, la marche, etc. sont autant d’exercices utiles pour se tailler un corps à même de subvenir aux besoins familiaux. D’autant qu’il n’était pas rare, après avoir bien mangé et être rassasié, de s’affronter amicalement dans des combats de boxe traditionnelle. » Un passé que l’on peut qualifier de sportif, donc ? Contre toute attente, oui. Mais d’ailleurs, ce terme voulé, d’où vient-il ? « J’avoue que la racine du mot m’échappe », avoue en rigolant la linguiste Lavie Maturafi. « C’est une bonne question », s’interroge aussi Mlaili Condro. Seul Alain-Kamal Martial a une piste, tout en restant prudent : « En shimaoré, le terme « vu » signifie « cendres ». Alors peut-être faudrait-il creuser de ce côté-là. » En guise de réponse, nous nous contenterons donc d’une question, qui traduit toute la convivialité de ce barbecue en plein air. Une convivialité qui, finalement, est la seule chose essentielle : « Voulé-vous partager un moment avec nous ? »

Circoncision 3/3

Micro-trottoir : des avis variés

Pour une circoncision rituelle ou médicale ? Quels souvenirs de ce moment ? Comm ent feront-ils avec leurs enfants ? Les habitants de l’île, parfois un peu gênés, nous répondent.

Samir, 31 ans

« Je ne me souviens pas vraiment de ma circoncision, j’étais très jeune, aux alentours de 4 ans. C’est mon père qui m’a rappelé le rituel. Le foundi est venu à la maison où il y avait quelques autres garçons. Il a d’abord brûlé des feuilles pour faire une grosse fumée et puis… Tchak ! À l’ancienne quoi ! En principe on ne doit pas pleurer, mais je ne peux pas y croire. Franchement quand on voit comment ça se passe on a forcément peur à cet âge. Mais mon père m’a raconté que tout s’était bien passé alors je l’ai cru et j’ai fait de la même manière pour mon fils. Je m’en veux parce qu’il a beaucoup souffert le pauvre. Ça s’est plutôt mal passé. Du coup, je ne ferai pas la même erreur pour mon autre fils. Même s’il faut payer on fera ça à l’hôpital. C’est plus sécurisant, il y a moins de risque. Et puis si jamais il y a un souci, je sais que je peux attaquer l’hôpital. Contre le foundi qui fait ça n’importe comment, par contre, on ne peut rien faire. »

Faouzia, 33 ans

« Pour moi c’est l’hôpital, sans aucun doute ! Même s’il faut aller en métropole pour le faire à mon fils, j’irais. Ici les hommes et les garçons n’en parlent pas trop, c’est un peu tabou et je le comprends. Mais j’ai quand même entendu pas mal d’histoires où la circoncision s’était mal passée et franchement je ne veux pas du tout ça pour mon fils. C’est important car c’est la religion mais il faut s’adapter aussi : si on peut le faire sans faire souffrir les enfants c’est forcément mieux. Je comprends aussi que certains veuillent respecter les traditions, mais pour moi c’est la santé de mon fils qui passe avant tout. J’ai déjà eu deux garçons et j’ai convaincu mon mari de les faire circoncire à l’hôpital [en métropole], il était un peu réticent au début à cause de ses parents mais finalement il a compris que c’était mieux. Du coup pour le troisième, on fera encore ça à l’hôpital, c’est clair et net. »

Ahmed, 25 ans

« Je viens de Grande Comore et je ne sais plus trop comment ça se passe là-bas au niveau de la circoncision. Mais je vois comment ça se passe ici avec mes voisins par exemple. Ils appellent le foundi, il y a une petite célébration avec quelques personnes. Ça a l’air de plutôt bien fonctionner et je fais confiance aux foundi, surtout si c’est mes voisins qui me le conseillent. Alors je pense que je ferais comme ça si j’ai un fils. En plus je crois que c’est assez cher de faire ça à l’hôpital. Pour l’instant la question ne se pose pas trop puisque je n’ai pas d’enfant ! En tout cas je n’ai aucun souvenir de comment ça s’était passé pour moi. Peut-être que j’étais trop petit pour m’en rappeler mais je me dis aussi que si je ne m’en souviens pas c’est que ça s’est bien passé… Ou alors c’est l’inverse et j’ai fait exprès d’oublier ce moment (rires) ! Ce qui est sûr, connaissant ma famille, c’est que c’était la méthode traditionnelle. »

Et aussi :

Les couples mixtes coupent court

Socialement, la circoncision marque l’entrée d’un jeune homme dans la communauté. Mais dans les couples mixtes, issus de culture et de religion différentes, cette dimension peine à trouver sa place. « À la naissance de mon fils il y a six ans, sa mère et sa grand-mère ont voulu le faire circoncire », se souvient Christian, un mzungu installé à Mayotte depuis dix ans. Le garçon qui l’a eu avec une Grande Comorienne ne va pas à la madrassa, et comme le dit l’enfant lui-même, il ne veut pas « se faire couper le kololo ». Alors ses parents ont décidé de lui laisser le choix. « Il pourra toujours se faire retirer le prépuce plus tard s’il le souhaite », tempère son père. Même son de cloche pour son collègue Étienne*. Il y a quelques mois, sa femme mahoraise a mis au monde un second enfant, cette fois-ci un garçon. Mais pour l’heure, la question de la circoncision ne semble pas encore avoir été élucidée au sein du couple : « À une époque où il n’y avait pas l’eau courante, l’argument de l’hygiène intime avait un sens, mais aujourd’hui, je pense que ce n’est plus le cas », juge le métropolitain. Native de

l’île, Anaïs estime quant à elle que la circoncision fait partie de son patrimoine culturel : « J’ai été élevée dans cette idée-là, c’est ma culture : les jeunes hommes doivent se faire circoncire. Le jour où j’aurais un fils, il le sera aussi », atteste-t-elle sans une once d’hésitation. À côté d’elle, Momo, 35 ans, approuve d’un signe de la tête : « Ah oui, c’est la tradition, il faut la perpétuer ! » Des enfants, le DJ n’en a pas encore. Mais lorsqu’il aura un fils, et ce quelques soient les origines, la religion et la culture de sa mère, « il se fera circoncire lui aussi ! Mais ce sera fait à l’hôpital, bien encadré médicalement », insiste-t-il.

Et aussi :

Le sambatra, l’exception malgache

Dans la région, les rites et traditions qui rythment la célébration de la circoncision divergent peu. Si à Madagascar aussi, l’ablation du prépuce s’opère désormais majoritairement par des professionnels de la santé, le folklore, lui, demeure intact. Au centre-est de la Grande île, dans le district de Mananjary, le peuple des Antambahoaka célèbre tous les sept ans le Sambatra, commémoration du voyage de leur premier ancêtre, Raminia, de La Mecque vers Madagascar. Pour tous les garçons nés dans cet intervalle, cette occasion sonne aussi l’heure de la circoncision. La fête et ses préparatifs s’étendent sur plusieurs semaines, souvent lors du mois d’octobre. Selon la tradition, les jeunes partent recueillir l’eau du fleuve sacré qui permettra de nettoyer les plaies des circoncis. À leur retour, pères et oncles s’adonnent, sur les berges, à un simulacre de bataille en échangeant des lancés de bambous. Pendant ce temps, les mères tissent les nattes sur lesquelles les enfants seront collectivement opérés. Le grand jour venu, les hommes sacrifient un zébu et les garçonnets enfilent leur tenue rouge avant de partir pour une grande procession. Des grigris sont placés autour de leur taille : ils contiennent des grains de riz qui leur apporteront l’énergie nécessaire pour rejoindre le fleuve. Leur prépuce, coupé au couteau ou au bambou, sera ensuite mangé par l’un des patriarches, accompagné d’une banane.

Psychiatrie : entre animisme et médecine occidentale

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Au Centre Médico-Psychologique du CHM, le personnel hospitalier occupe la lourde responsabilité du traitement des maladies psychiatriques. Entre les croyances locales qui mêlent religion et animisme, et la médecine occidentale, l’équilibre est délicat. Un exercice sanitaire particulier, qui porte néanmoins ses fruits auprès d’une population en constante augmentation dans les visites

Un petit bâtiment caché au milieu des grandes infrastructures. Au Centre Médico-Psychologique (CMP) du CHM, une quinzaine de professionnels accueillent et accompagnent les individus atteints de troubles psychiatriques profonds. Avec une vingtaine d’années d’existence sur le territoire, cette structure est encore jeune comparé aux autres services du CHM. Son bâtiment, en revanche, l’est nettement moins. “Nous sommes dans l’ancien laboratoire de l’hôpital”, présente l’infirmière Anne-Cécile Puget, 39 ans, en fine connaisseuse des lieux. Depuis presque dix ans qu’elle exerce dans le service, la professionnelle assure que les profils des troubles des patients “se sont diversifiés avec le temps”. Pour autant, certaines tendances restent inchangées.

Un djinn ou une maladie ?

“D’une manière générale, nous traitons de tout type de souffrances et de handicaps psychiques. À Mayotte, certaines particularités sont néanmoins constatables. Il nous arrive régulièrement de travailler auprès de personnes atteintes de troubles anxiodépressifs profonds, liés à leur clandestinité, leur absence de moyens financiers, d’entourage, et de perspective d’avenir”, détaille l’infirmière. Autres particularités : “Nous constatons aussi beaucoup de syndromes de stress post-traumatique chez les ressortissants de l’Afrique des Grands Lacs en raison des persécutions qu’ils ont pu subir. D’autres viennent également nous voir suite à un choc provoqué par une agression : vol, viols, cambriolages, etc.” Autant dire que le travail ne manque pas pour ces professionnels particulièrement investis dans leurs missions. Lesquelles relèvent d’un enjeu particulier, sur un territoire où les croyances animistes et religieuses s’articulent tant bien que mal avec la médecine occidentale. “À Mayotte, il est impensable de faire l’impasse sur le contexte socioculturel des patients. Pour les nouveaux arrivants, ce temps d’adaptation est incontournable”, insiste Anne-Cécile Puget. Elle prévient d’emblée : “Qu’il s’agisse des patients comme des soignants, il n’y a aucun tabou à évoquer ces questions. Les traitements prodigués ne sont pas forcément incompatibles avec les techniques de soin traditionnelles recherchées par les individus en dehors du CHM”.

Si la professionnelle reconnaît que ces traitements parallèles sont “assez obscurs”, elle dégage deux grandes tendances : “D’une part, les récitations du Coran couplées de pratiques religieuses, et d’un autre côté, des rites particuliers de tendance animiste censés établir un contact avec le djinn”. Autant de spécificités locales qui nécessitent une attention particulière pour le personnel hospitalier. “Nous travaillons beaucoup auprès des familles et de l’entourage du patient, quitte à nous déplacer à domicile. Il nous est même arrivé de nous entretenir avec un fundi, même si cette tendance est aujourd’hui à la baisse”. Un jeu d’équilibre permanent entre tradition autochtone et modernité, qui s’avère indispensable pour comprendre le parcours des patients.

Entre précarité et espoirs

La tâche des soignants dédiés au CMP est aussi noble et que nécessaire. Elle n’en reste pas moins des plus éprouvantes, d’autant plus vu la précarité du travail des professionnels de santé. “On manque

cruellement de personnel. Les consultations s’enchaînent alors que les patients sont accueillis dans des salles sombres et non adaptées. On ne fait jamais au mieux, on fait au moins pire”, résume Anne-Cécile Puget. Parmi les symboles de ces moyens succincts, seuls une dizaine de lits sont disponibles dans les chambres d’isolement du CMT. Dans cette petite arrière-cour à l’ambiance chaleureuse, infirmiers et psychiatres tentent tant bien que mal d’apaiser la santé mentale des internés malgré le manque de moyens. Un baby-foot, un ballon, quelques activités entre les visites… On s’adapte comme on peut aux circonstances. “Les places sont continuellement prises. Nous devons donc être très sélectifs quant aux personnes accueillies ici”, déplore-t-elle tout en reconnaissant : “Ce n’est pas toujours approprié au profil de ces hommes et femmes, parfois en grande souffrance”.

Loin de s’apitoyer sur son sort, l’infirmière nourrit des espoirs quant à l’avenir de ce secteur de santé dans le département. “D’ici l’année prochaine, nous devrions voir la création d’un CMP en Petite-Terre. La filière adolescente est aussi en train de se structurer. Les budgets et les projets ont été acceptés”, se réjouit-elle. Autre source d’optimisme : “Le développement du Diplôme universitaire en Santé communautaire à l’université de Dembéni.” Une approche des soins unique, qui mobilise l’ensemble des acteurs sociaux (pouvoirs politiques locaux, milieux professionnels, familles, etc.) pour un traitement global du patient. Une goutte d’eau dans l’océan face aux besoins nécessaires, qui n’en reste pas moins encourageante quant au traitement des maladies psychiatriques dans le département.

Circoncision 2/3

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Santé : « L’enfant est toujours préparé »

Zoubert* est infirmier de bloc opératoire au Centre hospitalier de Mayotte depuis trente ans. Parallèlement, depuis près de vingt ans il endosse la fonction de circonciseur dans les villages de Mayotte. Un travail non légalisé mais « autorisé » à Mayotte, explique-t-il.

*Le prénom a été changé

MH : Qu’est-ce que la circoncision ?

Z : La circoncision consiste à retirer le prépuce, c’est à dire tout ce qui couvre le gland du sexe mâle afin [d’éviter l’accumulation de sécrétion] et favoriser une meilleure hygiène.

MH : Vous pratiquez la circoncision au domicile de l’enfant, comment se déroule la pratique ?

Z : Je pratique une technique chirurgicale mais sous anesthésie locale. Il faut savoir qu’une circoncision à l’hôpital suscite une indication. Elle est pratiquée par les chirurgiens sous anesthésie générale. Ils procèdent parfois à des blocs péniens (une anesthésie et une analgésie postopératoire lors de chirurgie de la verge, ndlr) pour soulager les douleurs de l’enfant pour les premières 24h. Depuis 2005, les infirmiers de bloc opératoire ne sont plus habilités à la circoncision chirurgicale au CHM, mais nous sommes autorisés à exercer en dehors, en respectant les mêmes conditions. Je me rends au domicile de l’enfant à la demande des parents. J’exige d’avoir les mêmes conditions : un endroit propre, une table bien dégagée, un éclairage suffisant. Il faut que toutes les conditions soient réunies.

MH : Combien de temps dure l’opération ?

Z : La circoncision peut durer de cinq à dix minutes. Tout dépend de la condition de l’enfant, s’il est bien préparé, etc. Une fois que l’anesthésie a fait son effet, au bout de cinq voire dix minutes, il n’y a généralement pas de problème. L’anesthésie elle, tient entre 25 minutes et 30 minutes.

MH : Qu’en est-il de la préparation de l’enfant ?

Z : L’enfant est toujours prévenu [en amont] par la famille qui le prépare à la circoncision afin d’éviter les problèmes pendant l’acte. Il s’agit d’une préparation mentale. Qu’il sache qu’il va être circoncis et surtout qu’il l’accepte. Avec une bonne préparation tout se passe très bien.

MH : Quel âge préconisez-vous pour la circoncision ?

Z : Dès que l’enfant commence à reconnaître son sexe. L’enfant reconnaît son sexe à partir de trois ans. Pour moi, c’est l’âge idéal car il est propre et se maîtrise, il comprend ce qu’on lui dit et sait ce qu’on lui fait.

MH : Comment se déroule la convalescence ?

Z : La convalescence se tient entre une et trois semaines. Une fois l’acte réalisé, on pose le premier pansement tulle gras avec des fils résorbables rapides qui doit tomber au bout du troisième jour. Les fils quant à eux sont censés tomber au bout d’une semaine. Il est important que le pansement tienne au moins 24h. Une fois le pansement retiré, au troisième jour post-circoncision, l’enfant doit rester propre et procéder à des bains moussants à base de bétadine. Une pommade antibiotique est également à appliquer. En cas de forte douleur, il peut prendre un antalgique. Généralement, l’enfant est en bonne forme au bout d’une semaine. Les parents jouent un rôle important pendant la convalescence de leur enfant. Ils apprennent à faire la première douche et la toilette. Il arrive que les parents emmènent leur enfant en mer, trois jours après la circoncision, afin qu’il prenne un bain de mer et fasse tomber le pansement. Une fois rincé, ils procèdent au bain moussant puis à l’application de la pommade. Depuis toutes ces années de pratique, on ne m’a jamais rappelé pour un problème.

MH : Combien coûte une circoncision ?

Z : Je ne fixe pas de prix. J’interviens généralement pour les enfants de mes amis ou de ma famille. C’est très rare que je le fasse avec d’autres personnes. C’est pour leur rendre service. Ils me récompensent soit avec de l’argent, des gâteaux ou autres. Je préfère les gâteaux (rires), c’est plus convivial et plus festif. D’autres circonciseurs fixent le prix entre 50 et 100€ par acte. L’essentiel pour moi c’est que ce soit bien fait.

MH : Vous pratiquez la circoncision depuis vingt ans, comment cela se passait-il à l’époque ?

Z : Je me suis mis à la pratique, sinon à la maîtrise de la technique de la circoncision niveau chirurgical, avec mes collègues chirurgiens. À l’époque on autorisait certains gestes aux infirmiers et aussi pour soulager l’hôpital et éviter que la circoncision soit réalisée de façon barbare et archaïque dans les villages. Soulager les enfants tout en restant dans la pratique de la religion. C’était pour moi plus que nécessaire de maîtriser la technique pour rendre service à la population.

MH : Que devient le prépuce ?

Z : À Mayotte, le prépuce est remis à la famille qui l’enterre.

MH : La circoncision a-t-elle un effet protecteur face à l’acquisition de maladies sexuellement transmissibles entre autres ?

Z : Depuis plus de dix ans, l’Organisation mondiale de la santé (OMS, ndlr) recommande la circoncision. Elle a prouvé statistiquement que les hommes non circoncis étaient plus exposés aux risques de contraction du VIH, de MST et autres. Lorsque le gland est couvert il y a plus de risques de rétention de bactéries que lorsqu’il est nu.

Tradition : la circoncision, ça se fête ! 1/3

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Tous ou presque sont passés par cette étape dans leur vie : la circoncision. Les jeunes Mahorais se voient dès leur jeune âge retirer le prépuce pour motif religieux mais pas seulement. Traditionnellement, cette pratique ancestrale est synonyme de bon augure pour la future vie de l’enfant. Cérémonies coutumières et félicitations sont de rigueur.

 Le rendez-vous se tient toujours après la prière de l’aube, sobh, afin d’en tirer toutes les bénédictions. Il est un peu moins de 7 heures du matin, Karim* jeune Mahorais de cinq ans s’apprête à être circoncis chez lui, au sein de son village natal et dans sa maison aux côtés de son père, d’oncles et sa famille proche. Ils sont une vingtaine, tous en kandzu, symbole d’un évènement religieux. Tel est le scénario plausible pour un jour de circoncision à Mayotte explique Saïd*, Mahorais quinquagénaire habitant à M’tsapéré. Le père de famille est un adepte des traditions de son île d’ailleurs il explique d’emblée que la circoncision est une étape importante dans la vie du jeune Mahorais. « Plus tôt on l’a fait à l’enfant, moins il aura mal », explique celui qui a fait le même choix pour son fils. En effet, l’enfant mahorais est circoncis à trois, cinq ou sept ans. Des âges impairs choisis subtilement de par leur forte connotation. « Par rapport à la religion musulmane, nous à Mayotte on se base sur un chiffre impair, car Allah est unique, il représente donc le chiffre un ». Saïd garde tout de même quelques réserves quant à la circoncision des enfants plus jeunes car « l’acte est douloureux ». Et d’ajouter : « La circoncision est liée à la religion et à notre hygiène intime. C’est ce que nous avons reçu de nos anciens c’est pour ça que nous maintenons sa pratique ».

 Rituels et prières de protection

« La veille de la circoncision, les cérémonies traditionnelles commencent d’abord avec le heredza », indique Saïd. Un rite culturel pourvu de chants religieux réservé aux femmes qui se rapproche du « sauna » pour son bain de vapeur, mais qui est accompagné à Mayotte de plantes médicinales bouillies en amont. Un rite de purification aussi, durant lequel l’enfant est massé afin « d’éviter toute forme d’infection » après la circoncision. Ce même jour, l’enfant a également le crâne rasé, la plante des pieds et des mains couvertes de henné pour marquer cette étape cruciale dans sa vie de jeune homme. Le jour J, les mamans s’affairent en cuisine, les papas quant à eux s’apprêtent à célébrer solennellement la cérémonie de l’acte de la circoncision.

« Les cérémonies de la circoncision à Mayotte dépendent aussi des familles et de leur village », poursuit Saïd expliquant que ces dernières procèdent chacune à leur manière. En effet, plusieurs étapes sont à noter. La première, le chidjebou, une oraison tirée des textes du Coran sollicitant la protection divine avant l’acte. Chez Saïd, le matin même de la circoncision, les hommes de la famille récitent le chidjebou. Puis, vient le moment de la circoncision pratiquée par un infirmier ou « vraiment de manière traditionnelle avec un [circonciseur] du village, comme à l’époque de nos parents ». Une cérémonie relativement courte, durant laquelle l’enfant reste entouré des hommes de sa famille. Une fois l’acte fini, s’en suit un autre chidjebou.

Le choix du jour est également lié à la religion. Le vendredi, « jour du Seigneur pour les musulmans », souligne le père de famille. D’autres favorisent le jour de la naissance du Prophète Muhammad, le maoulida, « un jour béni » ajoute-t-il. Aujourd’hui, la circoncision se déroule de plus en plus durant les vacances scolaires afin d’éviter l’absence aux cours. De son côté, Saïd se réjouit de l’avancée de la science qui permet aujourd’hui, selon les pratiques, de circoncire l’enfant sans engendrer de période d’alitement longue. « Certaines familles, très traditionnelles ne veulent pas faire appel aux infirmiers. Les traditions c’est bien, moi aussi j’aime mes traditions, mais quand on a les moyens d’éviter la souffrance à l’enfant pourquoi ne pas le faire. Je pense qu’il faut évoluer avec le temps ».

 « Rendre visite au Boina Haroussi »

Une fois l’acte fini, une autre cérémonie suit, celle-ci « a plus tendance à fêter l’événement ». En effet, l’enfant circoncis suscite la visite de sa famille et du voisinage, tel un héros. Tout un chacun souhaite voir le « boina haroussi » (jeune marié) pour le féliciter et célébrer sa bravoure. Un tournant a eu lieu. « Traditionnellement, on considère que c’est son premier mariage », indique Saïd. Durant toute sa période de convalescence, l’enfant, reçoit cadeaux et offrandes en tout genre : gâteaux, jeux, enveloppes d’argent… Il est au centre de toutes les attentions. « Il ne sort pas. Il reste dans la chambre. On le laisse jouer dans la cour mais il est très surveillé pour éviter qu’il ne se blesse ou qu’il attrape des infections ». Trois semaines voire un mois après la circoncision, s’en suit un dernier chidjebou. À ce moment-là, « l’enfant est guéri, tout va très bien ». Place au mateheri, cérémonie qui marque le cap de l’enfance à la vie de jeune adulte, bien qu’il ne soit pas encore un jeune adulte, précise toutefois Saïd. « Certaines familles vont jusqu’à tuer un zébu ». Un sacrifice qui se perpétue encore aujourd’hui. La viande du zébu est partagée entre « notables du quartier » choisis subtilement par le père de l’enfant qui leur offre approximativement à chacun deux kilos. Le reste est cuisiné et consommé le jour même avec tout le voisinage. Si la circoncision s’avère être un rituel de joie et d’accomplissement pour les familles de l’enfant, ce dernier pour sa part s’étonne souvent de la « diminution » de la taille de son sexe quelques semaines plus tard se gausse Saïd.

 

 

 

 

 

 

 

Maria Mroivili, sociologue passionnée

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Alors qu’elle enseigne sa discipline aux adultes de demain au sein du centre universitaire, la mahoraise s’inquiète de voir que les transformations socioculturelles du 101ème département ne suivent pas, lorsqu’il est question d’offrir à sa jeunesse des métiers nouveaux et prometteurs, en somme, des métiers tournés vers l’avenir.

Plus de la moitié des bacheliers mahorais quittent le territoire pour poursuivre leurs études supérieures, la plupart du temps, à La Réunion ou en métropole. Entre difficultés de langue et d’insertion, différences de culture et de niveau, ils ne sont finalement qu’une poignée à atteindre la deuxième année. Pourtant, à 35 ans, Maria Mroivili compte à son actif deux masters et un doctorat, tous obtenus dans l’Hexagone. Mais alors même qu’elle se trouvait à plusieurs milliers de kilomètres de Sada, village où s’est établie sa famille, la Mahoraise a choisi de placer son île au coeur de ses travaux. Son île, oui, mais aussi sa propre histoire.

À la rentrée 2012, après une première thèse en écogestion dédiée à l’action sociale au sein d’une université parisienne, elle doit, cette fois dans le cadre de ses études de sogiologie “ pure ”, comme elle le dit elle-même, réfléchir à un nouveau sujet. La région champenoise où elle vit alors aidant, elle s’intéresse d’abord à la trajectoire professionnelle des femmes dans les métiers de la vigne et du vin. “ Évidemment, j’ai eu du mal à m’approprier ce thème, alors au bout de six mois, j’ai dû en changer ! ”, s’en amuse-t-elle aujourd’hui. “ Et je n’ai pas dû aller très loin pour ça ”. Sous ses yeux, son propre parcours l’inspire : pendant cinq ans, elle se consacre à la trajectoire, non plus professionnelle mais universitaire des étudiants mahorais à l’épreuve du genre. Quel rapport les différentes générations insulaires entretiennent-elles avec leur propre scolarité ? Comment, au fil du temps, les parcours évoluent-ils au sein d’une société en pleine mutation ? Vers quels secteurs ? Quelle influence joue le sexe des étudiants dans leurs orientations ? Autant de questions épineuses, mais certainement pas inconnues à la jeune Maria.

La révélation

Très tôt baignée dans la culture musulmane, la Sadoise assimile, à une vitesse incroyable, nombre de versets du Coran qu’elle récite par coeur à la madrassa. À tel point qu’au sein de sa famille, elle devient l’enfant prodige. “ Mais je ne me reconnaissais pas dans cette éducation-là, ça ne me correspondait pas ”, reconnaît à présent Maria Mroivili. Une sorte de mal-être intérieur grandit en elle. Une quête identitaire et intellectuelle, surtout. Elle intègre alors un collège laïque, puis le lycée de Sada où elle décide de s’orienter vers une filière économique et sociale, une révélation qui apportera quelques réponses aux questions qu’elle se pose à elle-même en son for intérieur. “ En classe, j’ai découvert les notions de normes et de valeurs et comme un miroir, elles m’ont aidées à me voir différemment ”, se souvient la trentenaire. Immédiatement, elle interroge son professeur sur

ses études. “ J’ai voulu à mon tour devenir prof car il avait fait naître en moi l’amour de la sociologie ”. Enfin, la femme en devenir trouve sa voie. En 2005, Maria Mroivili intègre le lycée de Mamoudzou et son internat. Elle troque son voile musulman contre des jeans déchirés, et devient même la première jeune fille de son village à arborer une coupe « à la garçonne ». Petit à petit et malgré l’incompréhension de son entourage, elle apprend à se façonner une identité qui enfin, lui correspond véritablement. Mais à l’obtention de son baccalauréat, la voilà contrainte de quitter son île, où le centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Dembéni n’a pas encore vu le jour. Des études, la jeune Maria rêve assurément d’en faire, et elle ne soupçonne pas alors l’étendue du parcours qui l’attend, toujours vertébré par sa passion alors naissante.

L’année de son départ, elle intègre l’université du Havre où la Mahoraise suit un DUT en carrières sociales. Trois ans plus tard, la voilà à Reims, qui deviendra “ sa ville d’adoption ”, celle qui verra naître son fils. Pendant deux ans, elle étudie l’intervention sociale dans le cadre de sa licence professionnelle. Puis, de 2009 à 2011, elle se consacre à un master en éco-gestion, management des services de santé et de l’action sociale à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, qui la ramène ensuite à Reims pour un master dédié cette fois aux sciences humaines et sociales, éducation et formation. Finalement en 2012, la consécration : Maria Mroivili intègre un doctorat en lettres et sciences humaines et sociales. Parallèlement à ses études, elle enchaîne plusieurs activités, dans le social évidemment : coordinatrice pédagogique au sein d’écoles de la deuxième chance, conseillère en insertion dans le milieu associatif et conseillère municipale de quartier, chargée de projet pour la Croix-Rouge française et même conseillère principale d’éducation d’un collège rémois, autant d’approches différentes qui assurent son épanouissement.

Une mutation sociale perpétuelle mais lente

Au contact de ses élèves, Maria Mroivili comprend que la nouvelle génération de mahorais privilégie encore des parcours universitaires courts et peu variés. Alors qu’en métropole, elle constatait avec bonheur la féminisation de plusieurs métiers jusqu’alors considérés comme typiquement masculins, elle comprend qu’à Mayotte, l’offre de vocations et le niveau scolaire en lui-même affichent un sérieux retard, en dépit du développement institutionnel et éducatif – parfois lent – de l’île aux parfums. Elle concentre alors ses recherches sur trois périodes distinctes : des années 70 à 90, ère de refonte du système scolaire mahorais, puis de 90 aux années 2000 et enfin, de 2000 à nos jours. Mais alors qu’elle s’attend à découvrir une évolution sociale profonde, Maria Mroivili s’aperçoit au contraire qu’aujourd’hui encore, “ on se limite à de brèves formations conduisant à des métiers déjà bien connus ”. Finalement, “ les jeunes mahorais ne s’identifient pas aux transformations de leur société ”.

La doctorante produit même une cartographie des parcours universitaires locaux. Sa thèse cite ainsi comme exemple une famille sadoise dans laquelle, sur une génération entière, tous les parents et enfants ont occupé la fonction de policiers ou gendarmes. “ Je remarque une tendance à quitter le système scolaire, favorisée par des dispositifs comme le RSMA ”, pointe-t-elle du doigt. “ Beaucoup de jeunes intègrent ce genre de structures alors qu’ils ont largement le potentiel pour poursuivre leurs études : la nouvelle génération qui devrait pouvoir s’émanciper est finalement en train de subir ce manque de formations universitaires »

Elle identifie “ les métiers de la paix ” comme les plus populaires, chez les hommes comme chez les femmes. “ D’une part, c’est une bonne chose qui prouve la volonté des jeunes Mahoraises, leur capacité à oser, mais le problème c’est qu’elles interrompent leurs études pour rejoindre la fonction à des niveaux peu élevés ”. Autre constat que Maria Mroivili déplore, le manque de prise en compte des métiers d’avenir dans l’offre de formations localement dispensées, comme le paramédical, notamment. “ Il y a toute une dynamique à construire, même si le conseil départemental commence à s’intéresser au sujet, à travers la mise en place de bourse au mérite pour inciter à aller vers ces branches-là ”.

En ce sens, la sociologue relève une lente mais progressive prise de conscience collective : “ Notre société est en perpétuelle mutation. Après une phase de transformation, elle est maintenant dans une phase de révolte marquée à tous les niveaux ”, analyse-t-elle. “ Je ne parle pas de mouvements sociaux, mais du fait que la société entière, toutes générations confondues, se rend compte peu à peu du manque de moyens à Mayotte ”. Preuve en est selon elle, le développement rapide du nombre de conférences et séminaires dans tous les domaines, particulièrement depuis ces deux dernières années. “ Nous sommes en train de comprendre l’importance de l’analyse de la parole, et plus largement du travail d’étude et de la place des universitaires ”. Alors que la sociologie en elle-même n’a jamais fait l’objet d’orientation universitaire à Mayotte, les sciences humaines pourraient finalement sembler vouées à se développer. Une aubaine, peutêtre, sur l’île hippocampe où, en 2017, 65 % des jeunes de 16 à 29 ans étaient en rupture scolaire avant même d’avoir décroché un seul diplôme qualifiant.

Construire un tunnel entre grande-terre et petite-terre

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Un temps imaginé, le pont entre Petite-terre et Grande-terre n’aura été qu’un fantasme. De toute façon, cela n’aurait pas été très beau sur le lagon. En revanche, pourquoi pas un tunnel ?

En mai dernier, on fêtait les 25 ans de l’inauguration du tunnel sous la Manche. À Mayotte, bon nombre d’habitants imaginent un pont pour relier Grande-Terre à Petite- Terre. Mais un pont sur le lagon, c’est moche, alors pourquoi pas un tunnel ? La distance ne représente que 1,8 km : bien loin des 50,5 kilomètres séparant le sud-est du Royaume- Uni au nord de la France. Dans le monde entier, il existe peu de tunnels sous-marins connectant deux îles. Le plus long se trouve au Japon, entre Honshu et Hokkaido. En Europe, l’un des plus célèbres se trouve aux Îles Féroé et permet de rejoindre la ville de Leirvik depuis Klaksvik au terme d’un trajet de 6,3 km. Dans l’océan Indien, un projet est en prévision aux Seychelles. Il consiste en la construction de deux tunnels sur Mahé. Le principal devrait relier Grand Anse, à l’ouest, à Providence, à l’est. L’autre serait entre le district nord de Beau Vallon et English Rivers, un district central. L’étude estime qu’une fois le chantier démarré, il faudrait environ trois ans pour le mener à bien et qu’il devrait coûter plus de soixante millions de dollars. Si l’on tient compte du fait qu’un projet de pont entre Petite-Terre et Grande-Terre ne répond pas aux objectifs fixés par le plan global de transports et de déplacements puisqu’il amènerait une grosse partie du trafic en centre-ville, il apparaît comme peu probable qu’un tunnel soit dans les cartons. D’autant plus que la construction est estimée à plus de 220 millions d’euros d’investissement et que le Département ne semble pas avoir les ressources financières suffisantes pour assumer une telle opération. De facto, un tunnel est pour le moment inconcevable sur l’île aux parfums. Mais qui sait ? Un jour peut-être…

Flaccine Daniel : entrepreneuse gourmande

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 Fondatrice de l’agence de communication May Kidz et plus récemment du salon de thé et traiteur ô gourmandises, la jeune mahoraise ne compte pas arrêter là son expérience de cheffe d’entreprise. Flaccine fourmille d’idées novatrices qu’elle compte bien exporter dans la région, avant de s’attaquer à l’international, où elle n’a cessé de voyager. Rencontre.

Sa nouvelle enseigne, raffinée, orne la façade des vitrines de M’gombani depuis maintenant trois mois. Nous sommes à quelques pas du brochetti mangrove, mais ce sont cette fois les douceurs sucrées, traditionnelles ou non, qui se dévoilent généreusement derrière le comptoir fraîchement décoré, entre bocaux de bonbons et grands verres de citronnade, qui attirent l’attention et attisent l’appétit des passants. Il faut dire qu’à Mayotte, Ô Gourmandises est la première entreprise du genre à proposer à la fois traiteur, salon de thé, magasin de confiseries, bar à salades, à wraps, etc. Même les curieux Bubble Tea, les premiers de l’île aux parfums, sont au rendez-vous. Une idée originale sortie tout droit de la tête de Flaccine Daniel. À 32 ans, la Mahoraise n’en est pas à son coup d’essai, puisque trois ans plus tôt, elle créait May’Kids, une agence évènementielle exclusivement dédiée aux fêtes pour enfants. Une première activité, déjà inédite sur le territoire, qui complète parfaitement celle nouvellement créée.

« Le but, c’est de proposer un service à la carte, du sur-mesure adapté à toutes les demandes », développe Flaccine Daniel. De la simple animation musicale à la décoration, du repas aux jeux et ateliers ludiques, en passant par les mascottes de Mickey et Minnie – là encore, les premières de l’île –, la jeune entreprise révolutionne les évènements familiaux que sont les baby shower – des fêtes destinées à annoncer la grossesse d’une future maman –, les baptêmes, la circoncision, les manzaraka, les anniversaires, etc. Tout pour accompagner, de la pré-naissance à l’adolescence, les premiers événements clés de la vie, sur lesquels les Mahorais ne transigent jamais. « C’est une façon d’amener de la modernité dans la tradition, sans l’abîmer », résume simplement l’entrepreneuse, bercée depuis l’enfance par les coutumes locales, comme le montre le voile gris qui entoure délicatement son visage. « Cela me permet d’apporter au côté mahorais une petite touche à la française, qui est une référence largement reconnue à l’international ! ». Et ça, la jeune femme en sait quelque chose.

DES VOYAGES À L’ANCRAGE

Née de parents mahorais, Flaccine Daniel quitte en bas âge le 101ème département avec sa famille qui, comme beaucoup d’autres, préfèrent s’installer à La Réunion. Elle vivra 10 ans sur l’île intense avant de débarquer en métropole pour y poursuivre sa scolarité dans la région toulousaine. La Mahoraise se lance dans un bac hôtelier, suivi d’un BTS tourisme en vente et production. Un parcours qui lui permet de mettre, très jeune, un pied dans le monde professionnel : « J’ai fait un peu de tout, j’ai travaillé dans l’insertion, dans l’aérien », se souvient Flaccine Daniel, accoudée sur l’une des petites tables roses qui remplissent la salle de sa nouvelle entreprise.

Diplômes en poche, la jeune femme, curieuse de s’ouvrir au monde, s’envole pour l’Australie où elle s’installe quelques temps. Puis, « En revenant en métropole, je n’ai plus supporté y vivre, il fallait que je reparte ! », commente-t-elle dans un large sourire qui ponctue souvent ses phrases. Elle décide alors de retourner quatre mois seulement à Mayotte, en vacances, avant de finalement s’y établir pour de bon. Rapidement, la trentenaire comprend que nombre de services manquent sur l’île, plus qu’ailleurs. Ni une, ni deux, elle fonde sa première entreprise, May’Kidz. « À l’époque, pour les enfants, il y avait déjà le parc gonflable Kiddy Kid, mais ce n’est pas la même chose, il n’y a pas vraiment de concurrence sur ce créneau ».

Des années plus tard, elle décide de s’inspirer de la chaîne américaine Starbucks pour créer, cette fois, un salon de thé à l’ambiance douce et élégante, où il serait à la fois possible de bruncher, prendre le goûter et déguster quelques sucreries. Le tout dans un cadre très british, à la façon des cafés londoniens dans lesquelles Flaccine Daniel a eu l’occasion de savourer toutes sortes de gourmandises tout au long de ses voyages. « Petit à petit, j’ai repensé à toutes les heures passées là-bas pour profiter de la connexion wifi pour pouvoir appeler ma famille et mes amis », s’amuse la baroudeuse. « Je commandais un milkshake et je restais des heures, à table, sur Skype ! » Et si le tourisme manque à Mayotte, « il y a quand même une diaspora assez importante qui désire peut-être profiter d’un espace comme celui-ci pour joindre ses proches à l’autre bout du monde. » Finalement, grâce à ses voyages, la jeune femme contribue au développement de son territoire, dont les habitants semblent déjà accrocher à ce nouveau projet : le mois dernier, alors que Flaccine et ses deux employées faisaient face à une pénurie d’oeufs, nombreux ont été les clients à débarquer à la boutique les bras chargés de boîtes, afin de pouvoir continuer à déguster les fameuses Bubble gaufres, spécialité asiatique dont la forme ronde et aérienne garantit une gourmandise moelleuse à souhait.

CARRIÈRE ET CARACTÈRE

La solidarité, le sens de la communauté, incarnent des valeurs qui ont toujours bercé la jeune femme. Les premiers temps de l’installation de la boutique, son mari l’a accompagné de l’administratif jusqu’aux travaux, en passant par la logistique. « Les nuits blanches, on les a faites à deux ! », sourit Flaccine Daniel. Sa famille, aussi, l’épaule beaucoup. Rien de plus naturel, pour cette fille issue d’une fratrie de huit enfants, « dont cinq carriéristes », se réjouit la gérante de Ô Gourmandises by May’Kidz. Une énergie, une soif d’aller de l’avant héritées de sa mère, célibataire, qui a toujours transmis à ces enfants la confiance dont ils avaient besoin pour rêver et oser. Une force de caractère, aussi, que Flaccine Daniel porte encore au coeur. Car au gré des projets concrétisés, les idées se renouvellent sans cesse et s’ouvrent à présent vers l’international. Soutenue par l’Agence De l’Outre-mer pour la Mobilité (Ladom), Flaccine Daniel projette d’étendre son activité à Madagascar dans un premier temps, particulièrement en tant que consultante dans le milieu de l’hôtellerie, où elle proposerait, évidemment, les services évènementiels de May’Kids, avant de les exporter en dehors de l’océan Indien. Un projet ambitieux pour cette jeune Mahoraise qui porte, comme elle le dit en souriant, « le syndrome de l’entreprenariat. »

« 1 jour 1 plaisir » livre de l’amour aux Mahorais

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En moins de trois semaines, la jeune entreprise 1 jour 1 plaisir a séduit le cœur des Mahorais. Son principe : livrer une preuve d’amour ou d’affection par un professionnel équipé d’une caméra discrète. Pour ceux qui vivent loin de l’île, ou qui sont trop timides pour assumer leurs sentiments, témoigner de son affection devient désormais possible en quelques clics.

« Le messager de vos émotions« . Le slogan est simple et parle de lui-même. Avec son entreprise 1 jour 1 plaisir, le Mahorais Bachir Cassim, 30 ans, livre des preuves d’amour à travers l’île depuis la mi-septembre. Qu’il s’agisse d’une rose, d’un mot doux, d’un cadeau matériel ou d’une bonne nouvelle, ses idées comme ses clients ne manquent pas. « On a déjà dépassé la trentaine de livraisons ! », se réjouit-il. Avec sa petite GoPro sur le casque, le jeune homme filme discrètement, et permet ainsi à ses clients de constater l’émotion procurée par leur attention. Une bénédiction pour les personnes vivant à l’extérieur de l’île et qui souhaitent chouchouter leurs proches au travers d’une attention particulière. « Des gens de Marseille, Toulon, et de La Réunion ont déjà fait appel à nos services« , détaille-t-il. « C’est un bonheur de voir la réaction des gens et de la transmettre à la personne concernée. Je viens de livrer une femme à la mairie de Sada, les gens m’ont carrément applaudi« , rembobine l’entrepreneur, sourire aux lèvres.

 « Qui a dit que les Mahorais n’étaient pas romantiques ? »

Sur sa jeune page Facebook qui dépasse déjà le millier d’abonnés, Bachir propose différentes offres. Du pack roses à 10 euros, en passant au pack mots doux à 20 euros, jusqu’au pack prestige à 90 euros où l’entrepreneur installe carrément un jacuzzi à domicile orné de pétales de rose, les recommandations positives ne manquent pas. « Franchement chapeau ! Cela fait  trois ans que je poursuis mes étude sur l’île de La Réunion. Je n’ai jamais pu procurer autant d’émotions à ma mère, et ce n’est pas faute d’avoir essayé« , peut-on lire.

Plus qu’une aventure entrepreneuriale, Bachir avoue éprouver une certaine satisfaction dans son travail aux allures de Cupidon. « Un homme était dingue d’une femme qu’il croisait tous les jours sur la barge, sans oser lui parler. Il m’a appelé pour un pack mots doux, et la semaine suivante je les voyais en train de boire un coup au 5/5. C’est génial« .  Dans une île où témoigner son affection, voire son amour, n’est pas toujours une sinécure, 1 jour 1 plaisir permet de fluidifier les rapports en s’émancipant des contraintes sociales. Un filon que l’homme a repéré suite à la venue d’un ami sur l’île. « Il est tombé amoureux d’une Mahoraise et tentait par tous les moyens de la séduire. J’ai dû trouver une activité à lui proposer chaque jour durant une semaine. C’est ainsi que m’est venu le concept. » si l’entreprise est encore jeune, ses projets ne manquent pas. « Nous allons développer le pack restaurant. Je m’occupe des réservations en fonction de la demande du client et de mes partenaires. Ensuite, j’installe un tapis rouge et des couverts haut standing, en plus d’annoncer la bonne nouvelle. C’est ainsi qu’on transforme une simple soirée au restaurant en événement d’une plus grande ampleur« , ambitionne-t-il avant de conclure : « Qui a dit que les Mahorais n’étaient pas romantiques ?« .

 

Pour contacter 1 jour 1 plaisir :  0639 09 96 28

 

Sida : « Le réflexe du dépistage n’est pas encore là »

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Chaque année, 30 nouvelles personnes sont dépistées séropositives dans le département. Problème : plus de la moitié de ces individus sont des femmes, qui apprennent la nouvelle lors de leurs examens de grossesse. Le réflexe du dépistage n’est donc toujours pas acquis sur le territoire, et le sujet est généralement uniquement évoqué lors de campagnes nationales ou régionales spécifiques. Pourtant l’urgence est là, et son combat se mène au quotidien.

Le sujet est grave, et pourtant majoritairement abordé dans l’espace public uniquement lors d’événements particuliers.Tout au long de l’année pourtant, le sida continue sa route dans le département. Dans le petit local de Narike M’sada à Cavani, l’association travaille au quotidien pour faire reculer le virus dans l’île. Avec comme fer de lance : « La nécessité du dépistage », martèle Moncef Mouhoudhoire, directeur et membre fondateur de l’association.

Depuis l’année dernière, cette structure permet aux hommes et aux femmes de se faire dépister en toute discrétion. « L’année dernière, nous avons réalisé 178 dépistages alors même que l’île était sujette à de graves mouvements sociaux », indique Moncef. Plus qu’une prise de sang, il s’agit également d’accompagner les malades en leur offrant un soutien. Également dans leurs activités ? « Des campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, associatifs, daministratifs et pénitenciers. Nous réalisons également des maraudes nocturnes afin notamment de sensibiliser les travailleurs du sexe ». Pour autant, sa priorité reste inchangée: « le dépistage reste le meilleur moyen de freiner l’avancée du virus. Une fois la personne consciente de la maladie, elle peut prétendre à la charge virale indétectable qui la rend intransmissible auprès de ses partenaires sexuels, même sans préservatif », insiste-t-il. À Mayotte pourtant, le « réflexe du dépistage » semble loin d’être acquis, selon le professionnel.

Un changement timide

« L’urgence pour la population mahoraise, c’est d’assurer le quotidien. Pour ce qui est du futur, beaucoup sont tentés de dire: « Inchallah, Dieu y pourvoira ». Il y a donc un manque d’anticipation », introduit le président de Narike M’sada. Il poursuit : « Les gens vont voir le médecin quand ils sont malades, mais comment leur expliquer la nécessité d’y aller en amont, par anticipation ? » Pour autant, pas question de blâmer la population. « Il faut dire aussi qu’on ne fait pas assez la promotion du dépistage. Celui-ci reste généralement hospitalocentré sur Mamoudzou et ses environs. Or, on connaît le manque de transports en commun sur le territoire », explique-t-il. Malgré ces difficultés, force est de constater que les mentalités évoluent. « Lorsque nousavons lancé notre campagne de communication sur le dépistage avec des couples en février dernier. Douze couples ont répondu à l’appel. Il y avait même des personnes âgées dont une djahoula. C’était impensable, il y a encore peu de temps, que des gens acceptent d’associer leur image avec la problématique du sida ». Si cette dernière semble relativement connue pour les jeunes publics, notamment autour de la promotion du port du préservatif, celui-ci semble nettement moins automatique « en ce qui concerne leurs parents ». Pour autant, « chez les jeunes, nous constatons toujours les mêmes questions et les mêmes remarques que lors de nos premières interventions dans les collèges. Il y a encore beaucoup de méconnaissance. Pourtant cette jeunesse a accès au savoir via internet. Mais elle a aussi accès à du cyber sexe… »

Le combat continue

En 1989, Mayotte enregistrait son premier dépistage positif sur le territoire. Depuis, « le nombre de séropositifs n’a jamais dépassé 300.
Cela s’expliquant par les mouvements des populations, entre les métropolitains qui finissent leur contrat, les reconduits à la frontière, ou les Mahorais qui préfèrent s’exiler en métropole ou à La Réunion par crainte du jugement social ». Chaque année pourtant, 30 nouveaux cas sont décelés. À 62%, il s’agit de femmes ayant appris la nouvelle lors de leurs examens de grossesse. Pour modifier cette tendance, Narike M’sada ambitionne de nouveaux projets. « On est en train de récupérer un véhicule pour aller faire du dépistage au plus près de la population. Il faut se décentrer de Mamoudzou », insiste-t-il. Son objectif ? S’inscrire avec succès dans l’objectif universel de l’ONU sida à l’horizon 2025, à savoir « 90% de la population mondiale dépistée, 90% de séropositif ayant accès à une prise en charge médicale, et 90% de personnes ayant accès à la charge virale indétectable ». Également dans ses espoirs : « Mettre en place durablement le traitement PreP à Mayotte, qui permet aux personnes non atteintes, mais qui ont une conduite à risque, de ne pas contracter la maladie ».

Conscient que la problématique sida relève d’un contexte particulier dans l’île, Moncef Mouhoudhoire n’oublie pas la situation sociale et économique du département le plus pauvre de France. « Il faut faciliter l’accès au préservatif. Or Mayotte ne compte que vingt pharmacies dont près de la moitié sont concentrées sur Mamoudzou. 84% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Nous avons le taux de chômage le plus élevé de France. Difficile dans ces conditions d’imaginer un jeune prendre le taxi pour se rendre à la pharmacie, puis mettre encore la main au portefeuille pour acheter des préservatifs ». On l’aura compris : réduire la progression du sida est donc un combat global, qui doit se mener au quotidien pour espérer un avenir meilleur dans l’île aux parfums.

Il y a 12 000 ans, Mayotte était cinq fois plus grande

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Il y a 10 ans presque jour pour jour (Mayotte Hebdo n°443 du vendredi 18 septembre 2009), nous publions un article présentant Mayotte il y a 12 000 ans. Puisqu’il est question aujourd’hui de montée des eaux, l’occasion nous est donnée de le republier et de se pencher sur le phénomène inverse, quand Mayotte était bien plus grande qu’aujourd’hui. Saisissant !

 

À l’échelle de l’histoire géologique, Mayotte, même si elle est la plus ancienne de l’archipel des Comores, est une île très jeune : elle est en fait la réunion de deux édifices volcaniques qui ont commencé à se former il y a 15 millions d’années, pour émerger il y a seulement 9 millions d’années. La construction de l’île s’est achevée il y a 1,5 million d’années par les derniers apports du volcan du M’tsapéré. Il y a 100 000 ans, un volcanisme plus récent marquera la création des dépressions de Cavani, Kawéni et Petite Terre, avec des éruptions jusqu’à – 6 000 bp (before present). Depuis, l’île est soumise à l’érosion due aux aléas climatiques. Aujourd’hui, le relief est donc quasiment le même qu’il y a 100 000 ans, à une exception près : entre -80 000 et -12 000 bp, l’île était 5 fois plus grande, à cause de la grande glaciation de Würm qui a provoqué une baisse du niveau de la mer de 120 mètres !

« Le paysage actuel de Mayotte date d’il y a 3 000 ans seulement ». Arnauld Malard, hydrogéologue au BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) de Mayotte a rassemblé divers travaux publiés dans des revues spécialisées, notamment les articles de l’océanographe Bernard Thomassin, pour étudier l’ère quaternaire de l’île, qui s’étend de -1,9 million d’années à aujourd’hui. Pour comprendre comment l’île s’est formée, il faut d’abord en étudier les profondeurs. « Mayotte est comme un iceberg : l’île ne représente en fait que 1 à 3% de toute la masse du cône volcanique, qui descend jusqu’à 3 400 mètres en dessous du niveau de la mer. » Il y a 1,5 million d’années, les apports de matériaux issus de l’activité volcanique ont fini par ne plus compenser la « subsidence », un phénomène naturel qui absorbe tous les déficits et les excédents de matières, la croûte terrestre équilibrant les pressions. « Quand l’édifice n’accumule plus de matériaux, il a tendance à s’enfoncer », résume Arnauld Malard.
Tandis que l’île commence à s’enfoncer, le récif frangeant continue de se développer : les coraux étant attirés par la lumière, ils vont petit à petit former une barrière récifale, rendant les pentes du volcan de plus en plus abruptes. C’est ainsi qu’apparaît un lagon. À terme, l’île finit par être engloutie sous la mer et il ne reste plus que la barrière : c’est ce qu’on appelle un atoll, le stade final des îles volcaniques.

« Le niveau de la mer change en fonction des glaciations »
« Depuis un million d’années, le lagon et Mayotte s’enfoncent de 2 mètres tous les 10 000 ans, ce qui est assez faible. La barrière actuelle montre le contour de l’île à l’époque où il y avait une émersion maximale », explique Arnauld Mallard. On peut donc dire que l’île d’aujourd’hui est la même qu’il y a un million d’années, sauf qu’elle était moins érodée, plus émergée et donc plus haute de 200 mètres. « Mais le niveau de la mer change en fonction des glaciations », rappelle le scientifique.
Les glaciations sont des phénomènes cycliques naturels « conditionnés à 80% par des changements climatiques provoqués par des modifications orbitales ». Il y a trois facteurs astronomiques qui expliquent les glaciations : la « précession axiale », la variation de l’axe de rotation de la terre qui décrit un cône en 10 000 ans, modulé par la lune ; « l’obliquité », la variation de l’angle de rotation de la terre qui s’ouvre et se ferme en 41 000 ans ; et « l’excentricité », la variation de l’orbite terrestre, avec un cycle de rapprochement et d’éloignement du soleil de 100 000 et 400 000 ans. Un quatrième facteur, le rayonnement solaire, ne semble en revanche pas suivre de cycle déterminé.
L’ère quaternaire est ainsi composée d’une succession de périodes glaciaires et interglaciaires, appelées Gunz, Mindel, Riss et Würm, du nom des affluents du Danube où ces glaciations alpines ont été découvertes. En 1996, un forage à plus de 3 000 mètres de profondeur dans le lac gelé de Vostok en Antarctique a permis d’extraire une carotte glaciaire dont l’étude a révélé le climat passé sur une période remontant à 420 000 ans.

Les rivières se jetaient dans la mer sur des cascades de 60 mètres
La dernière période interglaciaire s’appelle l’Eemien (du nom de la rivière Eem aux Pays- Bas), et s’étend de -131 000 à -114 000 bp (before present) : les températures à l’époque avoisinaient celles d’aujourd’hui. Puis commence la glaciation de Würm, la dernière qu’a connue notre planète et qui ne s’achèvera que vers -10 000 bp. De -80 000 jusqu’au pic de glaciation atteint vers -18 000 bp, les températures chutent et des calottes glaciaires apparaissent sur tout le Nord de l’Europe et tout le Canada. Il y a 18 000 ans, le niveau de la mer a chuté de plus de 120 mètres par rapport à son niveau actuel. De nouvelles terres apparaissent, comme la Béringie entre la Sibérie et l’Alaska (qui explique le peuplement de l’Homme en Amérique) ou le Sahul, un continent formé de l’Australie, de la Nouvelle Guinée et de la Tasmanie. La France et la Grande-Bretagne sont alors reliées par un cordon terrestre, tout comme l’Indonésie et les Philippines ou le Japon et la Corée. Mayotte n’a bien sûr pas échappée à ce phénomène, ce qui explique qu’elle était 5 fois plus étendue qu’aujourd’hui : le lagon, situé à environ 60 mètres de profondeur maximum, était entièrement à découvert et l’île mesurait 1 800 km², contre 374 km² actuellement. Les falaises abruptes formées par l’amoncellement vertical des coraux faisaient de Mayotte une sorte de forteresse dont les eaux s’échappaient en se jetant dans la mer du haut de cascades qui pouvaient potentiellement atteindre 60 mètres !

40 000 ans sans coraux
Complètement « exondé » pendant la glaciation de Würm, le lagon s’est peu à peu végétalisé, jusqu’à devenir une savane herbacée, au milieu de coraux morts.
Comme il faisait plus froid et plus sec à cause des alizés sudpolaires, il y avait d’autres espèces végétales, comme des fougères (analogues à celles du Mont Choungui d’aujourd’hui) et des forêts d’euphorbes et de petits conifères. Les plages se sont tassées, et les cours d’eau beaucoup plus puissants ont entraîné une érosion très rapide, créant la célèbre Passe en S à l’Est et les passes Sada et Bateau à l’Ouest. Quand il n’y avait pas de passe, les cours d’eau creusaient des grottes pour se jeter dans la mer, comme en témoigne « la Cheminée », un site de plongée au Nord de la Passe en S. Durant cette période qui s’étale de -50 000 à -10 000 bp, tous les coraux qui colonisaient le lagon sont morts. Le niveau des océans remonte depuis -18 000 bp, mais le lagon n’a commencé à se remplir que vers -12 000 bp, de manière très progressive mais irrégulière, de quelques millimètres à 2 centimètres par an selon les périodes, ce qui est très rapide. Vers -10 600 bp, l’eau de mer s’infiltre dans les endroits les plus profonds du lagon, au banc de l’Iris et à la sortie de la baie de Bouéni et forment ce qu’on appelle des « rias » ou petites mers intérieures. Il y a 10 000 ans, Mayotte est constituée d’une multitude d’îles, et on peut encore aller à l’îlot de M’tsamboro à pied. En -9.000 bp, nous sommes à 22 mètres en dessous du niveau actuel de la mer : on peut toujours aller en Petite Terre à pied et faire le tour de l’île sur la barrière.

Il y a 9 000 ans, on pouvait aller de Mamoudzou à Petite Terre à pied

Il y a 7 000 ans, Grande Terre et Petite Terre ne sont plus reliées. En -6 000 bp, il n’y a plus que 5 mètres de moins. Les derniers évènements volcaniques de Petite Terre, dont on observe les traces dans les maars de Moya, datent de cette période.
Les coraux – qui avaient disparus – recolonisent le lagon au niveau de la barrière récifale, mais aussi au niveau du récif frangeant au gré de la remontée. La mangrove également se déplace en fonction de la montée des eaux.

« Aujourd’hui, on retrouve quasiment les mêmes traits de côtes qu’à l’époque interglaciaire de l’Eemien », précise Arnauld Malard. La seule différence, c’est l’érosion du lagon, qui est beaucoup moins plat et plus entaillé qu’avant la glaciation de Würm, à cause de l’érosion provoquée par la pluie, le vent et les cours d’eau. Mayotte telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec ses passes, ses coraux et ses mangroves, n’a en fait que 3 000 ans, le début de l’âge de fer en Europe.

Le Banga Parc ouvre ses portes à Chirongui

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Ce weekend, le Banga Parc ouvre ses portes à l’occasion des journées du patrimoine. Dernier témoignage des habitations traditionnelles de Mayotte, le lieu accueille également les enfants au travers d’activités ludiques : balançoires, toboggans, trampolines… On s’amuse en découvrant l’histoire du territoire.

Le patrimoine mahorais fait de la résistance. Sur son terrain de Tsimkoura, l’entrepreneur Fayadhu Halidi surnommé « J’accuse« , entretien avec passion les derniers bangas traditionnels du département. Un labeur des plus éprouvants, que l’enseignant de profession peine à rendre lucratif. Lorsque nous le rencontrions l’année dernière, l’homme s’avouait résigné face à son projet de maison d’hôte dans la plus pure tradition mahoraise : « en l’absence de soutien des institutions et avec la baisse du tourisme à Mayotte, je suis obligé de détruire ces bangas que j’ai construits de mes mains« , déplorait-il . Une déchirure sentimentale, que l’entrepreneur n’a apparemment pas réussi à encaisser. « J’ai commencé à en détruire deux, puis je me suis dit : non. J’aime trop mon île et son histoire.  Je dois reconstruire. Je ne peux pas jouer à ce jeu. Il faut dépasser le simple concept du banga pour le faire perdurer« . Ainsi vint au monde le Banga Parc : un espace de jeux, de détente, et de convivialité, ou les petites attractions cohabitent avec les habitations historiques des Mahorais. Pour le découvrir, rendez-vous ce week-end sur son terrain à l’occasion des journées du patrimoine.

Les enfants jouent, les parents font la fête
 
 

Balançoires, toboggans, trampolines… Le Banga Parc se définit comme un lieu d’accueil à destination des familles. Pendant que les plus jeunes s’amusent, des tables et des espaces d’intimité sont aménagés pour les adultes. « J’accuse » a tout prévu, des repas aux boissons en passant par la sono. Egalement présents : les fameux « bangas traditionnels »,que les couples, familles et touristes peuvent louer la journée, voire tout le weekend. « Le Banga Parc, c’est aussi un lieu de convivialité pour les adultes qui souhaitent se détendre à la campagne pendant plusieurs jours« , précise l’entrepreneur. Là où son terrain était autrefois réservé aux touristes désireux de toucher du doigt les racines du département, il est aujourd’hui également un lieu d’accueil pour les Mahorais. L’occasion de diversifier son activité sans renier sa passion première : la tradition mahoraise, et ses habitations historiques.

Initialement ouvert au début de l’année, le Banga Parc a dû fermer ses portes suite aux dégâts provoqués par la dernière saison des pluies. « Tout le monde m’appelait pour venir, mais le terrain était impraticable. J’ai dû investir à nouveau pour réhabiliter les lieux. Dorénavant, nous ne serons plus obligés de fermer pendant la saison des pluies« , rembobine le passionné. Lui qui martèle son désir de ne pas modifier les techniques ancestrales de construction a cependant dû faire quelques concessions dans un souci financier. « Les bases des habitations sont en béton, et les toits sont en tôles recouvertes de feuilles. C’était obligatoire pour qu’ils restent en place sans devoir les entretenir quotidiennement« , reconnaît-il, le regard plongé sur ses créations. Pour le reste, la tradition est respectée. Bois, bambous, pieds de riz, terre… les murs végétaux retiennent la fraîcheur sans devoir utiliser de climatisation. Ce qui n’empêche pas « J’accuse » de raccorder certains bangas en électricité, tout en proposant des commodités contemporaines.

Un échantillon de « Musada »


Plus qu’une simple habitation, le banga représente, pour « J’accuse », le pilier d’un ordre social considéré comme révolu : « La musada » (l’entraide villageoise,en français). « Avant que les Mahorais investissent les habitations en dure, le banga était un symbole de cohabitation et d’entraide. Les familles construisaient les leurs à proximité pour garder un lien. C’est un logement sain qui respecte la nature. La nécessité de l’entretenir permettait aussi aux jeunes de prendre conscience de leur environnement et de le respecter« ,insiste-t-il. Comme un symbole de son caractère historique, le Banga Parc ouvrira ses portes ce weekend à l’occasion des journées européennes du patrimoine. Des jeux, activités ludiques, et ateliers de confections sont organisées. De quoi redonner un second souffle à une tradition dont la perte laisse, encore aujourd’hui, des conséquences difficilement réparables dans l’île aux parfums. 

 

Pour réserver sa place et son repas à l’occasion de l’ouverture du Banga Parc, contacter J’accuse au 06 39 22 31 37.

Mayotte est un super terrain de jeu pour la randonnée

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Si les activités nautiques se multiplient pour admirer les mammifères marins présents dans le lagon, à quelques encablures de l’eau bleu azur se dressent, sur le terre ferme, un paysage tout aussi spectaculaire. « Mayotte regorge de zones de forêt encore bien préservées, c’est un super terrain de jeu. Plus de la moitié du territoire a les caractéristiques de l’environnement spécifique montagne », affirme David Vancauteren, accompagnateur en montagne et formateur au centre de formation professionnelle et de promotion agricole au lycée de Coconi. En ce moment, il enchaîne les séries de tests dans le but de dénicher les douze candidats qui participeront à la formation de Guide Pays à partir du début du mois d’octobre. 

L’idée ? « Former des personnes compétentes pour encadrer les randonnées. » Seulement, cette formation, prise en charge par le plan d’investissement compétences (PIC) de Pôle Emploi, n’est pas diplômante (une réflexion est actuellement en cours avec le ministère des Sports pour y remédier)… Elle facilite simplement à la préparation au probatoire du diplôme d’État d’accompagnateur en moyenne montagne qui se passe à La Réunion. Néanmoins, cette formation s’avère tout aussi sérieuse. Les futurs stagiaires vont suivre un calendrier chargé au cours des quatre prochains mois, avec pas moins de 400 heures d’instruction pédagogique, dont la moitié sur le terrain, et un mois de stage en entreprise, par exemple dans un centre de loisirs, chez les Naturalistes ou le groupe d’études et de protection des oiseaux de Mayotte (Gepomay). Au programme : un apprentissage complet de la faune et de la flore, mais aussi de la biodiversité au sens large du terme, par exemple la végétation indigène, grâce aux données du Conservatoire botanique de Mascarin.

 

 

Un complément de revenu intéressant

« À l’issue de la formation, les accompagnateurs ne peuvent pas s’installer à leur compte, mais ils peuvent devenir bénévoles dans des associations, par exemple à Mayotte Rando », glisse David Vancauteren. « Il est compliqué de vivre de ce métier, mais ça peut apporter un complément de revenu intéressant. » Lui-même encadre chaque week-end des ascensions en direction du mont Bénara, le point culminant de Grande-Terre. 

Malheureusement, la structure a malheureusement du mal à se professionnaliser… Le Département ayant visiblement d’autres priorités en matière de tourisme ! Si l’étude pour la réhabilitation des sentiers de grande randonnée est déjà réalisée, la réalisation des aménagements reste entre les mains de la collectivité. « On n’a pas forcément besoin d’énormément de balisages pour encadrer un groupe, mais dans le cadre d’une sensibilisation des jeunes, bon nombre d’outils sont vétustes. » Un point non négligeable qui permettrait également de sensibiliser la population à la richesse terrestre du territoire.

 

 

Une diversité de paysages du nord au sud

Un constat amer pour celui qui a animé le site AROMaoré pendant deux ans, lui permettant ainsi de faire la promotion de la randonnée sur l’île aux parfums. « Mayotte offre une telle diversité de paysages du nord au sud », admet-il. « Il y a quelques spots bien connus, mais il en existe également beaucoup d’autres qui sont à découvrir. » Toutefois, l’insécurité peut naturellement rentrer en ligne de compte dans la tête des promeneurs, qui y réfléchissent bien souvent à deux fois avant de s’aventurer en pleine brousse. « Certaines personnes ont peur de rentrer dans les terres et de se perdre. »

Toujours est-il que David Vancauteren a des idées plein la tête pour partager sa passion de la randonnée. Son but ? « Étendre cette discipline sur les autres îles de l’archipel, à savoir Anjouan, Mohéli et la Grande Comore, qui présentent un très grand intérêt. » En effet, alors que Mayotte propose un relief collinaire, le voisinage s’avère plus montagneux. « D’où l’idée de faire le lien et de créer un circuit global. La seule difficulté dans ce projet réside dans les moyens de transport entre les îles. »

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes