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Mayotte dans le viseur du conseil scientifique

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L’avis spécifique des experts dédié aux Outre-mer dresse un tableau réaliste sur la situation particulièrement préoccupante de l’île aux parfums. Qui justifie une catégorisation à part, et des recommandations particulières.

Pour les Outre-mer, c’est un peu le calme avant la tempête. Du moins à en croire l’avis du conseil scientifique Covid-19 du 8 avril spécifique aux DOM-TOM. La ministre des Outre-mer, Annick Girardin, a présenté les conclusions de ce rapport et les mesures associées lors d’une conférence de presse vendredi. Et si rue Oudinot, on se félicite sur l’efficacité de la stratégie adoptée depuis le 16 mars, en particulier la mise en place du confinement en même temps que la métropole, le ton est un peu plus prudent dans l’avis publié par les experts sous la houlette du professeur Jean-François Delfraissy.

“Cet avis nous conforte dans la stratégie et les mesures adoptées, en particulier le confinement, et ont déjà un impact positif en diminuant l’intensité de la propagation du virus dans les Outre-mer”, note ainsi Annick Girardin, rappelant aussi que “nous sommes à 141 hospitalisations pour l’ensemble des Outre-mer, soit quatre de moins qu’hier

[bilan établi en date du vendredi 10 avril, ndlr]”. Le premier point du rapport précise toutefois que “l’épidémie dans les territoires d’Outre-mer va s’aggraver dans les semaines qui viennent”. À noter que nos territoires ont trois à quatre semaines de décalage par rapport à l’Hexagone en ce qui concerne les débuts de l’épidémie.

Mayotte, catégorie à part

L’autre point de vigilance des experts ? C’est bien la situation de notre coin du monde : “Mayotte, le rapport en parle particulièrement en raison de ses fragilités sociales et de ses réalités sociétales”, constate également la ministre. À tel point que le rapport en fait une catégorie “à part”. La situation préoccupante de l’île aux parfums n’a donc pas échappé aux experts du conseil scientifique, qui relèvent des chiffres tristement connus : plus de 80 % de la population vit ici sous le seuil de pauvreté, 30 % des habitations n’ont pas l’eau courante et l’offre de soins est limitée. Rare avantage du territoire face au Coronavirus, la jeunesse de sa population, 50 % des habitants ayant moins de 18 ans et seulement 4 % plus de 70 ans. Mais l’information est “à tempérer par le fait que diabète et obésité, facteurs de risque de formes graves de Covid-19, touchent une partie importante de la population”. Sans compter que l’hyper-concentration du système de santé, et la méfiance d’une partie importante de la population envers l’administration, risquent de peser largement dans la gestion de la crise, voire d’engendrer un dépassement des capacités sanitaires “lorsque les quartiers pauvres de Mamoudzou, comme le bidonville de Kaweni, seront touchés”, décrivent aussi les experts.

Pour faire face à l’urgence, l’avis du conseil scientifique préconise d’abord la quatorzaine contrôlée pour tous les nouveaux arrivants, assortie de tests dépistages pour tous les voyageurs présentant des symptômes, et en fin de quatorzaine pour les voyageurs asymptomatiques. Il conseille aussi le suivi actif des personnes contacts et l’isolement des cas avérés en structure contrôlée extrahospitalière ; une telle structure doit justement ouvrir ses portes officiellement cette semaine, à l’internat de Tsararano. Enfin, la situation sanitaire particulièrement difficile pour les plus précaires justifie le recours à la gratuité d’accès à l’eau et la mise en place d’un circuit d’aide alimentaire, d’après l’avis du 8 avril. Deux derniers points sur lesquels a justement travaillé la préfecture, salue Annick Girardin, tout en appelant à “renforcer nos efforts”.

Un ratio lit/habitants à prendre avec des pincettes

D’une manière générale, les experts ont établi une liste de dix recommandations valables pour l’ensemble des Outre-mer. On y retrouve la poursuite du confinement strict, la mise en place de la quatorzaine préventive, l’intensification des mesures d’aide alimentaire, le suivi des cas contacts, la bonne disponibilité des masques, des équipements de protection individuelle et des solutions hydroalcooliques, mais aussi, le doublement de la capacité d’accueil en lits de réanimation, et les renforts des équipes sanitaires. Sur ces sujets aussi, la ministre Annick Girardin s’est voulue rassurante, en confirmant l’arrivée de 28 personnes issues de la réserve sanitaire pour Mayotte, et le passage de 16 lits de réanimation en capacité initiale à 50 lits aujourd’hui, “pouvant encore augmenter en fonction des renforts”, a-t-elle ajouté sans donner de détails. “Au niveau national, il est prévu un lit pour 5.400 habitants, et nous avons le même ratio pour les Outre-mer”, a-t-elle évoqué. Un ratio, valable pour Mayotte, certes, à condition de prendre en compte la population officielle de 270.000 habitants ; mais avec des estimations officieuses qui oscillent plutôt entre 350.000 et 400.000 habitants, le ratio s’établirait davantage autour de 1 lit pour 7.000 à 8.000 habitants…

 

À défaut d’intérêt à agir, le référé du Collectif des citoyens et du Codim rejeté par le tribunal administratif de Mayotte

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La décision du tribunal administratif concernant la demande en référé déposé par le Collectif des citoyens de Mayotte et du Comité de défense des intérêts de Mayotte n’aura pas pris trop de temps au juge administratif. En l’absence d’éléments prouvant l’intérêt à agir des demandeurs, le tribunal a rejeté la requête sans étudier les demandes. À La Réunion cependant, une requête similaire a été reçue, sans que le juge administratif n’accède toutefois aux demandes des requérants.

“Il n’y a rien dans cette requête, il y a bien des demandes, mais rien ne permettant au juge administratif de considérer que les demandeurs ont intérêt à agir”, explique Gil Cornevaux, président du tribunal administratif de Mayotte et de La Réunion. “Si un groupe de rock m’avait demandé de moduler le couvre-feu afin que son concert puisse tenir, il y aurait eu plus d’intérêt à agir que dans cette requête”, illustre encore le magistrat, tout en soulignant qu’il ne s’agit pas à travers ce rendu jeudi “d’un rejet méprisant du revers de la main sur le fond, mais bien d’une impossibilité par le juge administratif de statuer en l’absence d’un élément primordial. L’intérêt à agir est très clair en droit administratif et repose sur une jurisprudence constante”. Or, dans la requête déposée par Maître Ahamada, représentant le Collectif des citoyens de Mayotte et le Comité de défense des intérêts, rien ne permet de soutenir que ces deux requérants ont effectivement ce fameux “intérêt à agir”. Lequel doit être démontré par les demandeurs. Mais dans la requête déposée par l’ancien bâtonnier de Mayotte, rien ne figure à ce titre. “C’est vide, je ne sais même pas s’il s’agit d’associations, je le présume simplement. Or pour analyser l’intérêt d’un requérant à agir, il nous faut regarder le bien fondé des demandes au regard de la personne qui les portes. En l’occurrence, s’agissant d’une personne morale, il faut que les demandes aient une certaine corrélation avec les statuts ou objets sociaux de l’association. Ici, rien ne vient même tenter de le démontrer puisqu’il n’y a aucun élément”, justifie encore Gil Cornevaux.

À travers ce référé liberté, les requérants demandaient au juge des référés d’enjoindre aux directrices de l’ARS et du CHM de passer commande de 400.000 tests de dépistage, de mettre en œuvre à Mayotte un dispositif de dépistage complet à destination des personnels soignants, des forces de sécurité et des membres des familles de personnes atteintes par le virus. Le Collectif et le Codim demandaient également au juge d’enjoindre les deux administrations de “prendre toutes mesures utiles pour fournir le département en masques de protection respiratoire individuelle de type chirurgical FFP2 et FFP3 aux professionnels de santé, aux forces de sécurité ainsi que des masques chirurgicaux aux malades et à la population en général”. Autre demande, la commande de “doses nécessaires au traitement de l’épidémie de Covid-19 par hydroxyxhloroquine, d’azithromycine en nombre suffisant pour couvrir les besoins actuels et à venir de la population mahoraise”. Enfin, il était également demandé au juge administratif d’enjoindre de “prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre à la population vivant au sein d’habitats insalubres de mettre en œuvre les mesures exigées, gestes barrières et confinement, par la fourniture de solutions hydroalcooliques notamment et de produits de première nécessité, limitant ainsi la propagation du virus”.

Des demandes similaires rejetées à La Réunion

Autant de demandes qui n’ont pu être étudiées. Mais qui ressemble à s’y méprendre, hormis la dernière qui correspond à une particularité de l’île à celles sur lesquels Gil Cornevaux, en audience collégiale, a du statuer le 6 avril à La Réunion. “Il s’agissait alors d’un groupement de personnes agissant chacune en leur nom, mais représentées par le même avocat et qui formaient leur demande en tant que professionnels de la santé ou surveillants pénitentiaires. Bien entendu, dans ce cadre nous avons déclaré la recevabilité de la requête”, explique le président du tribunal administratif. “Il y avait un intérêt direct à agir”, estime encore le magistrat tout en détaillant les motifs de rejet de la requête en question. “Concernant la chloroquine, le rejet est lié au fait que ce traitement est prescrit sous contrôle collégial en milieu hospitalier en vertu d’une ordonnance gouvernementale et non pas à destination de toute la population compte tenu de l’incertitude qui pèse encore sur ce traitement. Pour l’instant, aucun traitement général n’est validé par les autorités, ce qui nous empêche d’enjoindre qu’il soit délivré à grande échelle”, expose le juge administratif.

Concernant la demande de tests à destination de la population, la même logique est de mise concernant les dépistages dits sérologiques “qui ne sont pas encore tous validés par les autorités”. Et sur les tests nasaux, il faut s’en référer aux capacités du territoire pour enjoindre ou non un dépistage systématique. En l’occurrence : “le nombre de laboratoires en capacité de les effectuer n’est pas suffisant”, indique Gil Cornevaux. Enfin, les masques. “Nous avons également rejeté cette demande pour plusieurs raisons. D’abord au vu de la situation extrêmement tendue et concurrentielle qui règne sur la fourniture de masques qui limite nécessairement les efforts effectivement déployés par les autorités pour en obtenir dans la mesure du possible. Car il faut, dans cette analyse mettre en regard les efforts déployés au regard des circonstances pour juger de l’atteinte aux libertés soulevée par les requérants”, ajoute encore le magistrat pédagogue.

Autant d’éléments donc, qui laissent à penser que si l’intérêt à agir du Collectif des citoyens de Mayotte et du Comité de défense des intérêts de Mayotte avait été retenue, leurs demandes auraient tout de même été rejetées. Exception faite de celle portant sur les quartiers informels, situation toute particulière à Mayotte et à propos de laquelle le juge aurait dû se pencher sur les moyens effectivement déployés par les autorités.

 

La vitesse de croisière des évacuations sanitaires de Mayotte divisée par quatre

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En 2018, le service des évacuations sanitaires a effectué 1.006 transports en direction de La Réunion. Sollicité par n’importe quelle unité de l’établissement public ou par des médecins libéraux, il organise les transferts des patients qui ne peuvent être pris en charge sur le territoire. Entre la propagation du virus, la fermeture des liaisons aériennes et la suspension d’une grande partie des consultations dans son ensemble, l’équipe en poste s’adapte au mieux pour répondre aux urgences vitales. Éléments de réponse avec Ludovic Iché, le responsable du service Evasan.

Flash Infos : Depuis l’annonce le 28 mars dernier de la suspension des vols commerciaux entre La Réunion et Mayotte, comment vous organisez-vous pour assurer la continuité des évacuations sanitaires ?

Ludovic Iché : Les autorités ont réquisitionné le Dreamliner d’Air Austral à raison de deux fois par semaine pour le mettre à disposition des évacuations sanitaires. Notre service envoie la liste de patients à l’agence régionale de santé et à la préfecture qui la valident. Comme nous travaillons en temps normal avec Air Austral, le processus n’a pas changé que ce soit pour les civières ou l’oxygène. Le seul problème est que les urgences vitales ne nous préviennent pas à l’avance… Si par exemple il y en a une qui tombe durant ces deux rotations, nous avons recours à deux autres solutions grâce aux forces armées. Il y a tout d’abord le vecteur aérien, avec le CASA qui est basé à La Réunion, dans lequel nous pouvons transporter deux patients sur civières médicalisées avec oxygène. Puis il y a la voie maritime que nous avons déjà utilisée trois fois. La contrainte de la navigation est son temps de réactivité : si je les appelle aujourd’hui, ils ne seront là que demain ! Mais ça nous permet tout de même d’avoir deux autres cordes à notre arc.

La plus grande difficulté à l’heure actuelle pour le service est l’adaptation en permanence. Comme il n’y a plus de billetterie, tous les processus administratifs sont à revoir pour avoir l’aval des différentes autorités. Le plus gros travail en ce moment est d’avoir les bons contacts en fonction du transporteur et les bons circuits d’information pour que tous nos patients puissent embarquer. Et surtout que tout ne tombe pas à l’eau pour des questions administratives. En sachant que nous devons toujours gérer nos contraintes comme l’oxygène, le matériel, les prises électriques si besoin… Cela rajoute une complication, d’autant plus que nous travaillons pour la première fois avec les militaires.

FI : En cette période de confinement, comment analyseriez-vous l’activité du service des évacuations sanitaires ? Et surtout, comment évaluez-vous les risques une fois que la liaison avec La Réunion sera rétablie ?

L. I. : Bien évidemment, notre activité a diminué puisque bon nombre de consultations sur rendez-vous sont suspendues durant le confinement. Mais il ne faut pas oublier que les urgences continuent de tourner ! Rien que mardi, nous avons fait partir une rotation de cinq patients. En temps normal, nous sommes à 100 evasan par mois. Durant la période de crise, nous allons plutôt osciller entre 20 et 25… Tout simplement parce que les dossiers non urgents, comme les chirurgies programmées, ont été annulés. Ils sont mis en stand-by et reportés à la reprise du pont sanitaire.

D’ailleurs, je suis déjà en train d’anticiper la levée de crise parce que cela va être très compliqué à plusieurs niveaux pour nous. Je pense à la gestion administrative de tous les patients, à la réservation des places dans les avions et à l’absorption de tout ce retard par La Réunion. Il va falloir que nous étalions au maximum dans le temps les envois et que nous réévaluions les dossiers médicaux, pour diagnostiquer ceux qui seront prioritaires. À l’instar de la cancérologie. Heureusement, certaines évacuations sanitaires peuvent être facilement déplacées de six mois.

FI : Chez certains habitants, les conditions sanitaires font craindre une crise de grande envergure. Pouvons-nous envisager que La Réunion nous ouvre ses portes en cas d’explosion du nombre de malades atteints du Covid -19 à Mayotte ?

L. I. : Tout va dépendre de l’évolution de l’épidémie dans les deux îles. Si notre service de réanimation dépasse ses capacités d’accueil et que ce n’est pas le cas de celui de La Réunion, il est fort probable que nous évacuerions des patients du Covid -19. C’est même quasiment certain ! Cela ne représenterait pas une contrainte particulière pour nous. Après, le débat se situerait davantage entre nos agences régionales de santé et nos hôpitaux respectifs. L’entente est très cordiale entre les personnels soignants d’ici et là-bas, il n’y aurait donc aucune difficulté de notre côté. Nous avons même déjà évoqué cette possibilité ensemble et bien souvent, nous résolvons les problèmes entre nous. C’est une force qui peut nous permettre d’appuyer nos jugements médicaux, face à cette potentielle rivalité médico-politique entre Mayotte et La Réunion.

 

1898 : la variole à Mayotte décime 2.300 personne

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Année noire à Mayotte en 1898 : si l’île est régulièrement touchée par l’affection en ce XIXème siècle, la variole y fait cette année-là 2.300 victimes. Pour venir à bout de l’épidémie, il aura fallu une campagne de vaccination et l’établissement d’un lazaret sur l’îlot Mbouzi. Un îlot qui a par ailleurs également aussi servi de léproserie. Plongée dans un bout d’histoire de la santé à Mayotte.

De par la proximité de zones endémiques comme Zanzibar et la côte ouest de Madagascar, avec lesquelles sont entretenus de nombreux échanges commerciaux, l’archipel des Comores est, au XIXème siècle, régulièrement touché par la variole. Anjouan est ainsi atteinte en 1867, en 1869-1870, en 1897 et en 1901 ; Grande-Comore l’est en 1890 et en 1892-1893 ; Mohéli en 1890 ; et Mayotte en 1875, 1886, et surtout 1898. Cette année-là, l’épidémie de variole consécutive au passage d’un cyclone fait 2.300 victimes sur une population d’environ 12.000 habitants, soit près d’un quart de la population.

Il faut dire que, s’il existe bien un lazaret sur l’îlot M’bouzi pour mettre en quarantaine les personnes porteuses du virus, et ainsi prévenir au mieux les contaminations venues de l’extérieur, il est dans les faits très difficile de contrôler tous les navires entrant et leurs équipages : les boutres peuvent en effet accoster sur d’autres côtes, non contrôlées. Une difficulté de contrôle qui s’ajoute à une immunisation à la maladie insuffisante de la population jusqu’au XXème siècle, due à des tournées de vaccination incomplète, faute de personnel et de vaccin en quantité suffisante puisqu’acheminé depuis Madagascar, l’Indochine, et la métropole et supportant mal la chaleur. Conséquence évidente : des épidémies de varioles à répétition.

Présent à Mayotte en 1897, un an avant la grande épidémie, le docteur Neiret observe ainsi : “J’ai vacciné à Dzaoudzi dans les premiers jours de septembre. Je me suis servi de vaccine de Saigon arrivé quelques jours avant : il m’a donné d’assez bons résultats (40 % de succès). J’ai revacciné ensuite de bras à bras, mais comme j’étais en course le jour où le vaccin aurait dû être recueilli, j’ai vacciné un jour trop tard, et je n’ai eu que des résultats insignifiants (10 %)”.

Autre problématique, enfin : les difficultés de communication dans l’île et la méfiance de la population d’alors à l’égard de ces campagnes. À ce titre, le docteur Blin, en poste à Mayotte, note ainsi : “Bien que les réfractaires à la vaccination soient encore nombreux, je ne désespère pas néanmoins de les convertir ; aussi, afin de ne pas décourager les habitants par des séances inutiles, vais-je continuer la vaccination du reste de l’île en n’employant que du vaccin sur l’efficacité duquel je serai fixé par quelques expériences préalablement faites à l’hôpital. Les pérégrinations sur la Grande-Terre seront longues et pénibles, mais la population totale de Mayotte une fois mise à l’abri des atteintes de la variole, ce sera la sécurité presque absolue pour plusieurs années, durant lesquelles le Chef du service de santé n’aura qu’à vacciner les enfants et les nouveaux venus dans la colonie.”

Quand les îlots Mbouzi et Mtsamboro accueillaient des lépreux

Aure fait méconnu : si l’îlot Mbouzi a longtemps fait partie intégrante du système de santé à Mayotte en accueillant un lazaret pour la mise en quarantaine des voyageurs arrivant sur l’île, il a aussi été une léproserie pour accueillir les lépreux, et ainsi préserver le reste de la population d’un risque de contamination. Un mal alors nécessaire. Présente en Europe et en Asie depuis des millénaires, la lèpre est en effet alors considérée comme “la maladie la plus grave et la plus repoussante qui frappe les populations intertropicales.” La contamination étant favorisée par des contacts étroits avec des

lépreux, l’isolement des malades est la solution la plus répandue, même si, selon les régions, le suivi n’est pas facile. Dans un rapport politique daté de 1947, on apprend ainsi qu’à Mayotte, “les lépreux ne sont pas considérés comme dangereux. De ce fait, il est assez difficile de les dépister, car les habitants des villages les cachent assez facilement. Dans ce domaine encore, il ne s’agit que d’éducation. Rien ne l’indique mieux que l’étonnement et la crainte des notables amenés un jour à l’île des lépreux de Bouzi (sic), quand ils ont pris conscience, devant tous ces malheureux rassemblés, des ravages que pouvait exercer cette maladie”.

Auparavant, ceux-ci sont internés sur l’îlot de Mtsamboro. Lors d’une visite au début du XXème siècle, un médecin militaire, Alexandre Kermorgant, en compte 64. Il décrit : “Au point de vue de l’isolement, l’emplacement a été bien choisi, car les communications ne sont pas toujours faciles. À part la crique, où les lépreux ont bâti leurs demeures, les côtes de l’île sont à pic, rendant toute escalade et toutes fuites impossibles.” Un autre témoignage d’époque permet de mieux comprendre que les malades étaient laissés là, quasiment à leur sort, malgré la visite régulière de médecins. “Nous n’en pûmes compter qu’une vingtaine [de malades], car les autres, les plus gravement atteints, avaient été relégués par leurs camarades eux-mêmes à l’autre extrémité de l’île. La colonie est sous les ordres d’un chef, chargé de transmettre ses doléances à l’administration. Elle a à sa disposition un certain nombre de pirogues, au moyen desquelles les lépreux vont pêcher le poisson, qui, avec le riz, qu’envoie de loin en loin Dzaoudzi, constitue la nourriture commune. Un puits leur fournit une eau rare et saumâtre. Les lésions observées ressortissaient à la lèpre mutilante et plus rarement à la lèpre tuberculeuse. Des plaies, pansées avec des linges sordides, creusaient les chairs atrophiées des membres. Les femmes étaient assez nombreuses, mais nous n’avons pas remarqué d’enfants.”

Si l’éloignement est un temps jugé idéal, il complique toutefois le suivi des malades. Est-ce la raison pour laquelle la léproserie est ensuite établie sur l’îlot Mbouzi ? Quoi qu’il en soit, des lazarets y sont construits ou rénovés. En 1936, l’administration y installe une colonie de lépreux, qui atteindra 150 personnes entre 1940 et 1950. Le groupe vit en autarcie, cultive du manioc, des bananes, et des oranges, élève un troupeau de chèvres, et cultive du tabac qu’il revend lors des visites médicales afin d’acheter d’autres vivres. Trois villages apparaissent ainsi sur l’îlot : “Les Mahorais se trouvaient derrière, sous les arbres, les Grands Comoriens à l’Ouest et les Anjouanais à l’Est. Ces derniers avaient construit une trentaine de bangas, pour une population estimée à une quarantaine de personnes”, commentaient le botaniste et chercheur, Vincent Boullet lors d’une conférence donnée en 2019.

Des faits historiques et des solutions qui, heureusement, ne sont plus d’actualités aujourd’hui. De quoi, néanmoins, se rappeler de l’importance d’endiguer les épidémies, et celle de s’accommoder d’un confinement qui, finalement, n’apparait pas si dramatique à vivre au regard de l’Histoire.

 

Mayotte : À la cellule d’écoute psychologique aussi, le manque de nourriture en question

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Le numéro mis en place par le CHM avait pour but de décharger les numéros d’urgence, envahis d’appels de personnes angoissées par le confinement et la propagation du coronavirus. Mais les professionnels se retrouvent aussi face à des situations de détresse d’un autre genre et doivent réorienter les familles vers les solutions de distribution alimentaire.

Avec le confinement, il y a le risque de burn-out, des troubles du sommeil, du stress lié une actualité anxiogène qui défile sur les réseaux sociaux, écrans de télévision et postes radios. Et à Mayotte, il y a aussi l’angoisse du manque de nourriture. À la cellule d’écoute psychologique mise en place depuis le 30 mars au CHM, ils sont plusieurs psychologues, psychiatres ou traducteurs à avoir reçu ce genre d’appels. “Nous répondons ces derniers jours à des gens en difficulté sur ces questions alimentaires, car le confinement les a brutalement privés de revenus”, explique Elodie Bérenguer, psychiatre au centre médico-psychologique (CMP) et coordinatrice de la cellule d’écoute.

Même constat pour sa collègue Charlotte Placier, psychologue, qui est d’astreinte sur la ligne ce jeudi 9 avril au matin. “C’est peut-être la particularité à Mayotte, nous avons de plus en plus d’appels à ce sujet, et on sent une vraie inquiétude des gens par rapport à la demande de nourriture.” Quand ils y sont confrontés, les professionnels à l’écoute tentent alors d’orienter ces personnes, soumises à un stress supplémentaire, vers les institutions qui peuvent les prendre en charge. “Nous ne pouvons pas organiser nous-mêmes d’aide alimentaire, mais nous essayons de les mettre en lien avec les CCAS et les mairies, car des distributions commencent à être organisées sur le territoire”, développe Elodie Bérenguer.

Des familles qui passent sous les radars

Mais ces dispositifs, qui sont en effet en train de se déployer, en sont encore à leurs balbutiements. En attestent les légers couacs qui ont émaillé la distribution alimentaire des collations de la PARS la semaine dernière : jeudi soir, la préfecture a dû annuler son opération de distribution de “sachets collégiens”, refourguée dans l’urgence aux communes, par crainte de débordements. Depuis, c’est aux centres communaux d’action sociale (CCAS) et aux mairies que revient la lourde tâche d’assurer l’aide alimentaire pour les ménages les plus démunis, sous forme de bons ou de distributions. Problème : certaines personnes peuvent encore passer sous leurs radars. “Nous avons dès le début averti les CCAS sur ces populations qui d’habitude ne bénéficient d’aucune aide et ne figurent donc pas dans leurs listes”, précise Enrafati Djihadi, la directrice de l’Union départementale des associations familiales (UDAF).

Si l’organisme qui défend les intérêts des familles ne constate pas, à ce stade, de troubles psychologiques provoqués par le confinement, la question alimentaire, elle, arrive aussi souvent jusqu’à leurs oreilles. Et elle constitue en elle-même une source de stress importante pour les familles. “Au stress de l’isolement, s’ajoute celui de savoir comment ils vont pouvoir subvenir à leurs besoins”, explique la responsable de l’UDAF. Et le ramadan qui approche n’est pas pour les rassurer non plus. L’interruption brutale de l’économie informelle joue un rôle prépondérant dans cette situation. “On a beaucoup de familles monoparentales avec des petits boulots, qui désormais ne travaillent pas, et sont sans ressources”, poursuit Enrafati Djihadi. “Avant, ils prenaient 50 euros sur le RSA d’un de leurs proches bénéficiaires d’aides, et les utilisaient pour cuisiner des petits gâteaux qu’ils vendaient sur le bord de la route. Aujourd’hui l’aide sociale d’un seul membre est devenue la seule ressource pour tout le foyer”. Confinées chez elles, avec leurs enfants qui, eux non plus, ne vont plus à l’école, ces familles ne savent désormais pas comment “elles vont pouvoir aller jusqu’au bout”, conclut la directrice.

 

“Le confinement ne peut pas être seulement métropolitain, il faut adapter la distanciation sociale”

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Les récents chiffres du Coronavirus à Mayotte sont plutôt stables. Mais l’agence régionale de santé n’en démord pas, la crise à Mayotte n’est pas encore arrivée à son point critique. Le confinement n’est pas toujours respecté, et le réapprovisionnement de l’île risque de rencontrer des difficultés en cours de route.

À ce jour, Mayotte compte 186 cas de Covid-19. Un chiffre qui augmente très peu depuis deux jours. Mais cela ne signifie en aucun cas que l’épidémie est en train de ralentir. “On enregistre moins de cas positifs par jour depuis deux jours et pour le moment on est incapables d’expliquer la raison. Mais cette évolution ne nous rassure pas plus que cela”, indique la directrice de l’ARS, Dominique Voynet. D’autant plus que le respect du confinement n’est pas rigoureusement appliqué par tous. Une partie de la population, très souvent la plus précaire, s’octroie quelques libertés, car il est impossible de rester enfermé dans une case en tôle sans jamais y sortir. Les conditions de bien-être ne sont pas réunies. Il y fait très chaud et les occupants n’ont pas accès à l’eau courante. Afin de remédier à ce dernier problème, les autorités ont décidé de changer de stratégie. “On a pris la décision de réinstaller des rampes dans les quartiers où il n’y a pas d’eau courante. Mais aussi de rouvrir les lieux publics disposant de robinets pour permettre d’organiser la distribution en évitant l’attroupement”, annonce Dominique Voynet. Cependant, la distribution d’eau n’est pas l’unique raison des rassemblements. Les distributions de denrées alimentaires provoquent également des afflux, raison pour laquelle désormais les CCAS et les associations privilégieront les bons alimentaires. Ceci dit, la directrice de l’ARS Mayotte comprend les situations dans lesquelles se trouvent certaines personnes sur l’île. “Pour qu’il soit acceptable, le confinement ne peut pas être simplement métropolitain. Il est vrai qu’il y a des endroits où les gens se regroupent, mais ça serait inhumain de leur demander de ne pas s’attrouper alors qu’ils vont chercher les cours de leurs enfants, leur mandat à la poste ou leur bouteille de gaz à la station. Il faut adapter la distanciation sociale.” L’enjeu est de réussir à convaincre les personnes à respecter le confinement qui ira au-delà du 15 avril.

Le réapprovisionnement humain, médical et matériel : un enjeu de taille

Les acteurs politiques, sociaux et médicaux de Mayotte se trouvent sans aucun doute dans une situation inédite. La gestion de la crise est par conséquent semée d’embûches par moment. “La coordination de tout cela est difficile. On est confrontés à des difficultés logistiques. C’est un métier tout nouveau pour nous”, admet Dominque Voynet. Particulièrement lorsque “les négociations avec La Réunion sont parfois ardues”, ajoute-t-elle. En effet, une partie de l’approvisionnement matériel et médical de notre territoire dépend de l’île voisine puisque les commandes qui arrivent par voie aérienne passent d’abord à La Réunion. Jusqu’alors trois avions commerciaux atterrissent à Saint-Denis, par semaine. En plus des passagers, ils sont capables de transporter des frets allant de 20 à 30 tonnes. En plus de ceux-là, un avion cargo d’une capacité de 100 tonnes arrive également toutes les semaines. Par la suite, une partie est envoyée à Mayotte grâce à deux avions. Pour le moment, ce système semble fonctionner, mais un nuage sombre plane au-dessus. Les préfets de La Réunion et de Mayotte, tout comme les directeurs des ARS craignent que la fluidité des vols entre Paris et Saint-Denis s’arrête. “On a demandé que certains vols soient consacrés uniquement qu’à l’approvisionnement de Mayotte. Les avions feraient un stop à La Réunion que pour décharger les passagers”, explique Dominique Voynet. Certains lots n’ont pas besoin de passer par l’île Bourbon et peuvent arriver par voie maritime, à l’exemple des masques. À ce sujet, la directrice de l’ARS indique que pour l’instant l’hôpital dispose d’un stock suffisant.

Le personnel soignant a également besoin de renfort. 25 professionnels de la réserve sanitaire débarqueront à Mayotte le lundi ou mardi prochain. Cela permettra à ceux qui travaillent en ce moment de se reposer. Raison pour laquelle ces nouveaux arrivants “n’iront pas en confinement. Ce n’est pas valable pour les professionnels de santé. Mais ils respecteront les gestes barrières et seront affectés à des postes où ils ne risquent pas de contaminer s’ils sont malades”, précise la directrice de l’ARS. Ils devront redoubler de vigilance, car une bonne partie du personnel de santé à Mayotte est déjà infectée.

 

À Mayotte, les visières de protection dépendront aussi du bon vouloir de la métropole

Depuis une dizaine de jours, un groupe de bénévoles fabrique, grâce à des imprimantes 3D, des visières de protection à destination du personnel de santé notamment. Mais alors que le collectif travaille sur ses fonds propres, les stocks de matériel diminuent drastiquement.

Il a commencé seul. Mais désormais, le collectif monté par Jérôme Mathey a pris de l’ampleur. Le 30 mars dernier, ce professeur de physique était intervenu dans les colonnes de Flash Infos pour encourager toutes les personnes ou entreprises pourvues d’une imprimante 3D à rejoindre son action, à savoir confectionner des visières de protection pour les redistribuer gratuitement aux professionnels de santé et de terrain, comme les pompiers et les policiers. Un appel bien reçu, puisqu’ils sont aujourd’hui une quinzaine de bénévoles à s’être engagés dans cet acte solidaire. Pour autant, rien n’est acquis.

Alors que la petite équipe peut produire jusqu’à 100 protections par jour, les stocks de filaments d’impression baissent, sans être réapprovisionnés. “Il ne nous reste plus qu’une semaine à dix jours de matière première”, explique Jérome Mathey. Alors que le rectorat vient de mettre à disposition du groupe douze de ses propres imprimantes. “Là, il va falloir un soutien financier pour pouvoir importer la matière depuis la métropole.” Problème, avec la suspension des vols, difficile de ramener à Mayotte le précieux matériau, d’autant plus qu’une majorité de territoires nationaux ont également adopté l’impression 3D pour la confection de protections sanitaires. Ainsi, il ne faudra pas compter sur l’île de La Réunion, qui préfère en toute logique, garder ses ressources pour ses propres besoins.

Mais après le soutien de la CCI qui avait permis de solliciter le matériel de l’entreprise 3Découpe, la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) et la préfecture ont à leur tour décidé de donner un coup de main pour acheminer de nouveaux filaments via les frets de matériels médicaux. Une bonne nouvelle, puisque sur l’Hexagone, toutes les entreprises spécialisées sont elles-mêmes en train de se réapprovisionner pour revendre la matière première. Pour faciliter les démarches, le sous-préfet, Julien Kerdoncuf, suit le dossier de près et devrait apporter plus d’éléments d’ici la semaine prochaine, autrement dit, quand les stocks locaux seront à sec.

450 visières depuis le début du mois

“Nous avons encore de quoi fabriquer 2.000 masques”, tempère Jérôme Mathey. Un chiffre qui semble élevé, mais qui pourrait pourtant bien vite descendre, en sachant que sur la seule journée d’hier, le collectif a permis de livrer 180 protections au bloc opératoire, et 100 autres à la CSSM. “Il faudrait essayer de sécuriser un mois de protection, soit 10.000 masques”, projette encore le groupe de bénévoles, qui pour l’instant, compte 450 visières fabriquées depuis le début du mois, alors que les imprimantes mises à disposition étaient bien mois nombreuses qu’aujourd’hui et les volontaires, aussi.

Pour l’instant, le collectif doit compter sur les dons de feuilles transparentes et d’élastiques offerts par des entreprises locales, le reste des fonds étant strictement apportés par les bénévoles, qui s’attendent déjà à une hausse de la demande. Car si le personnel hospitalier reste prioritaire, bien d’autres corps de métier sont dans les petits papiers de ces petites mains. Certes, ce type de masque ne protège “que” des projections salivaires, mais ils pourraient s’avérer cruellement nécessaires aux agents en contact avec le public, comme ceux d’EDM ou de la Mahoraise des Eaux (Smae), dont certains sont déjà touchés par le Covid-19. “Le manque de personnels va entraîner des coupures.

Chez Total, cela pourrait provoquer des pénuries. Et on sait tous à quoi ressemble l’île quand ses services ne tournent plus ”, souligne Jérôme Mathey, ravivé par les souvenirs de la grève générale du début 2018.

Ainsi, l’équipe de bénévoles cherche, en plus des matériaux et des imprimantes supplémentaires, constamment à grossir ses rangs. Si la maîtrise d’une imprimante numérique nécessite un certain temps de formation, “on a quand même besoin d’un coup de main pour la logistique, la communication, le secrétariat, etc.”, glisse le porte-voix du projet. Alors, pour occuper son confinement de façon solidaire, rendez-vous sur le groupe Facebook Mayotte Impression3D Urgence (MIU) — Makers contre le Covid 976.

 

Mayotte n’est pas épargnée par la guerre mondiale des masques

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Entre la lutte sans merci qui se joue sur le marché des protections en ces temps de pandémie, et les priorités du secteur médical, les entreprises privées et services de proximité sur l’île aux parfums, bataillent sans relâche pour obtenir leurs commandes de masques.

“Far west”, “jungle”, “loi du plus fort”… Les expressions pour qualifier la situation ubuesque qui agite le marché mondial des masques ne manquent pas, chez les commanditaires et chez les médias qui s’en font le relais. Épisode révélateur de cette pagaille généralisée : le rachat, par un intermédiaire américain, d’une commande faite par le président de la région Provence Alpes Côte d’Azur, il y a une semaine. Directement sur le tarmac en Chine, et en cash qui plus est ! Pas de doute, la situation est inédite. Détournement de palettes, vente au plus offrant, depuis, les accusations vont donc bon train entre puissances étatiques, parfois même alliées. Et dans le 101ème département, institutions publiques et entreprises privées ne sont pas épargnées par cette guerre des masques. “Ce qui bloque, c’est la pénurie mondiale, toutes les entreprises se ruent sur les mêmes fournisseurs, et nous ne faisons pas exception”, souligne Frédéric Guillem, le directeur régional de Vinci à Mayotte.

Au risque de souffler sur les braises, l’accalmie n’est malheureusement pas pour tout de suite. Au contraire, le combat est devenu encore plus féroce ces derniers jours, alors que l’Union européenne a assoupli la réglementation pour les achats vitaux, le matériel médical ou les médicaments. Depuis, tout le monde vient toquer aux mêmes portes, de Vinci au conseil départemental de Mayotte en passant par l’Allemagne et les États-Unis. Comment expliquer la ruée vers ce nouvel or, blanc ou bleu ? La propagation du virus, qui touche désormais 180 pays bien sûr. La délocalisation d’une partie importante de la production des protections sanitaires en Chine, depuis les vingt dernières années, est sans doute, aussi, un facteur aggravant dans cette situation de pénurie. Le gouvernement en a d’ailleurs conscience et c’est pourquoi de vieilles usines françaises à l’arrêt pourraient reprendre du service. Mais même avec la fin de la réquisition des masques d’importation, décidée par décret du 20 mars, pas sûr que cela ne suffise pour réapprovisionner tout le monde. Les fournisseurs habituels de Mayotte, Symbiose médical et Mahonet, entreprises de matériel professionnel, médical ou d’hygiène, sont d’ailleurs toujours à sec.

Des entreprises en attente de leurs commandes

Or certains secteurs à Mayotte, qui tournent encore malgré le confinement, s’en trouvent particulièrement handicapés. Et c’est notamment le cas pour les sociétés de construction, dont certaines, comme Vinci ou IBS, ont d’ailleurs fait un don de masques au CHM au début de l’épidémie. Et se retrouvent donc désormais sur la paille… “On traite le sujet au cas par cas avec les maîtres d’ouvrage, certains travaux peuvent continuer en appliquant les gestes barrières, mais il faut reconnaître que tout est très ralenti sur le bâtiment”, constate Frédéric Guillem. D’autant plus qu’après le bras de fer engagé entre les fédérations professionnelles et les ministères de la Santé et du Travail, un guide des bonnes pratiques a été publié le 3 avril et oblige désormais les entreprises de BTP à fournir leurs employés en matériel de protection. “Nous sommes en train de nous organiser pour faire venir par fret aérien des masques et d’ici la semaine prochaine, cela devrait nous permettre de reprendre très progressivement notre activité”, explique Julian Champiat, le président de la Fédération Mahoraise de Travaux Publics (FMBTP). En tout, il évalue à près de 150.000 masques FFP2 la commande passée pour l’ensemble du secteur. Un achat qui a été rendu possible d’après lui car “deux grosses entreprises dans notre fédération bénéficient de moyens logistiques et de réseaux”. Et du côté de Vinci, on nous confirme en effet avoir pu passer commande, avec Colas, de “60.000 masques chacun”.

Reste qu’entre la commande et la livraison, il y parfois un monde, ces temps-ci, comme nous l’avons expliqué plus haut. Et même si les stocks sont disponibles en métropole, encore faut-il pouvoir les acheminer jusqu’au 101e département. “Nous attendons la livraison par un vol Air France vers la Réunion, puis en fret militaire jusqu’à Mayotte, mais nous n’avons aucune visibilité”. Car c’est encore la préfecture qui gère l’acheminement des stocks de marchandises vers Mayotte, et le dispatch du matériel de protection en fonction des priorités.

Certains en profitent

“Nous avons énormément de mal à charger nos produits dans les soutes, car ils sont classés priorité 2”, décrit ainsi Fahridine Mlanao, le directeur d’exploitation de Sodifram. La priorité numéro 1 étant naturellement le CHM et toutes les activités médicales. Résultat, les enseignes de distribution elles aussi risquent de manquer de masques, même si certaines, comme la Sodifram, ont accepté l’alternative en tissu mise en avant par l’ARS. Grâce à ces masques cousus localement, et à raison de deux par personne, l’entreprise assure une protection minimale à 70 % de ses salariés. Mais la Sodifram reste complètement engagée dans la bataille d’approvisionnement qui se joue au niveau mondial. Et pour cause : l’une de ses commandes de masques, passées au début de la crise, lui est, elle aussi, passée sous le nez. “Cannibalisée par la Chine et les États-Unis”, fait valoir le directeur. Il doit savoir d’ici le 20 avril si cette commande de 5.000 masques sera remboursée, ou pourra lui être livrée. Mais “nous ne sommes pas à l’abri d’un coût supplémentaire”, peste-t-il. Le prix payé il y a quinze jours risque en effet fort d’être éloigné des réalités du marché, aujourd’hui sous tension…

Certains profitent d’ailleurs de la situation, comme l’a montré une enquête de la Cellule investigation de Radio France. La radio publique d’informations a pu retrouver quatre “nouveaux acteurs” du marché de l’équipement médical, qui proposent à prix d’or — 2 dollars l’unité — des masques chirurgicaux qui en valaient vingt fois moins il y a quelques semaines. Et d’après cette enquête, hôpitaux, cliniques, régions sont tous la cible de ces propositions commerciales parfois étranges. À Mayotte, Cécile Hammerer, la directrice des services à la mairie de Chirongui confirme d’ailleurs elle aussi recevoir régulièrement des emails douteux. “Dans certains, on nous offre 30 % de réduction si nous payons tout de suite”, décrit-elle. “Mais je vous avoue que, vu la situation de certains en métropole, la plupart de ces offres finissent dans ma corbeille…” Plutôt que de se faire avoir, la mairie a donc pour l’instant choisi d’économiser le plus possible les 400 masques qu’elle a reçus de l’ARS pour ses agents de proximité. Gratuits, ceux-là.

CHM : La réanimation et la régulation du SAMU, les seuls indicateurs fiables du Coronavirus

L’ancien site des urgences devrait d’ici peu reprendre du service pour accueillir les patients qui ne sont pas concernés par le Covid-19. Cette mesure de précaution se justifie pour anticiper une éventuelle explosion du nombre de cas et un passage de l’épidémie en phase 3. Toutefois, les chiffres de la réanimation et de la régulation du SAMU démontrent que l’activité reste encore calme dans le 101ème département.

À l’entrée des urgences, la file d’attente est étonnamment dépourvue de monde en cette période de confinement. Une impression qui se confirme dans les couloirs ave une grande majorité des chambres vides. Constamment sur le qui-vive, le personnel soignant court, quant à lui, beaucoup moins dans tous les sens qu’à l’accoutumée. Confinement oblige dirons-nous… Mais ce calme anormal n’empêche pas la direction d’anticiper le passage en phase 3 de l’épidémie de Coronavirus. La principale mesure est le prochain transfert de manière temporaire des urgences sur son ancien site, devenu en 2009 le point de chute des consultations pour les anesthésies et les chirurgies viscérales et orthopédiques, pour ne pas mélanger les patients non contaminés et ceux positifs. Cette réorganisation est en effet possible grâce à l’activation du plan blanc le 14 mars dernier, qui a déprogrammé les interventions et les hospitalisations ainsi que les consultations de médecine générale et de spécialité. “Les médecins continuent de suivre une liste de patients actifs, mais le volume [des différents services en question] a été divisé par 4 ou 5 par rapport à l’activité journalière habituelle”, souligne Christophe Caralp, le chef du pôle URSEC (urgences, réanimation, SAMU-SMUR, Evasan, caisson hyperbare).

Ce futur dispositif a pour but de prévenir une aggravation de la propagation du Covid-19 sur le territoire. À l’instar de la montée en puissance des lits de réanimation. Aujourd’hui, l’établissement en comptabilise 29, contre 16 en temps normal. “Techniquement, l’élément indispensable est le respirateur. Nous en avons 49 et nous ne pourrons pas aller au-delà, c’est le chiffre maximal.” Si les hospitalisations venaient à s’envoler, il faudrait alors déloger de nouveaux services pour faire de la place aux malades. Mais cette hypothèse n’arrivera pas dans l’immédiat pour Christophe Caralp. Deux indicateurs le poussent à un certain optimisme. Le premier est la baisse drastique d’appels quotidiens au centre de régulation, après un pic historique de plus de 1.000 sollicitations du 17 au 27 mars pour des syndromes compatibles avec le Covid-19. “La seule difficulté rencontrée est que parmi les permanenciers du SAMU, c’est-à-dire ceux qui décrochent, certains ont été testés positifs. Et comme ils sont formés spécifiquement pour ça, ils sont irremplaçables. Heureusement, nous avions anticipé quelques jours plus tôt l’augmentation du flux d’appels. Et nous avons eu l’opportunité de former des étudiants en troisième année de l’institut de formation en soins infirmiers, qui en plus parlent bien souvent shimaoré et kibushi. Ils ont intégré le planning de roulement, ce qui nous a permis de soulager le personnel et de passer ce cap un peu difficile.” Et depuis cette suractivité, le directeur médical du SAMU note une baisse continue du nombre d’appels et de dossiers traités, qui coïncide avec celle vécue en parallèle aux urgences.

Le Covid-19, derrière la grippe et la dengue

Le deuxième indicateur est l’accueil de patients en réanimation : “ce chiffre ne peut pas mentir puisque les gens dans un état grave entrent forcément chez nous.” Le 101ème département réalise uniquement du dépistage symptomatique (les trois quarts sont faits dans les centres médicaux de référence par les infirmières de prélèvement à domicile), or cette manière de procéder ne reflète pas la valeur de l’épidémie selon Christophe Caralp. Et à ce jour, le service de soins critiques n’en compte que 3 – un quatrième, admis mardi, n’a pas été intubé et est ressorti hier. “Ils sont quasiment guéris du Covid. Mais ce sont les problèmes de réanimation, comme le réveil et l’extubation, qui les maintiennent dans nos locaux.” Autre statistique qui le pousse à rester confiant ? La jeunesse ne présentant aucun antécédent est épargnée, sachant que toutes les pathologies des virus respiratoires atteignent des personnes d’un certain âge et/ou avec des comorbidités (tension, diabète, obésité). Si Christophe Caralp a conscience que “la révélation du nombre de cas au grand public peut être très angoissante, il n’y a pas de données en faveur d’une explosion comme nous pouvons le voir actuellement dans les clusters de l’Italie du Nord ou le Grand Est en métropole”. Pour preuve, “l’activité réelle des urgences en lien avec le Coronavirus n’a rien à voir avec celle de l’épidémie de dengue qui recense 2.500 cas officiels, qui en réalité devraient être multipliés par 2 ou 3 d’après nos informations recueillies sur le terrain. Et à titre de comparaison, l’an dernier, nous avons eu sept hospitalisations pour cause de grippe et trois décès. Nous sommes dans la même lignée pour l’instant”.

Distribution alimentaire : « Il y a urgence, il faut des actes, on ne peut plus attendre »

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Face à la croissance inquiétante des besoins en aide alimentaire, Médecins du monde a décidé de donner de la voix pour faire bouger les lignes. Objectif, unir toutes les forces du territoire pour répondre à l’urgence et permettre aux populations défavorisées d’accéder au minimum vital que le confinement a drastiquement restreint. Le tout sous l’égide des pouvoirs publics, les seuls à même de coordonner l’action globale que l’ONG appelle de ses vœux. Explications avec Lolita Lopez, coordinatrice du programme Mayotte chez Médecin du monde.

Flash Infos : Comment Médecins du monde s’est réorganisée depuis le début de la crise sanitaire sur le territoire ?

Lolita Lopez : Nous poursuivons au mieux nos missions, en se focalisant sur la sensibilisation. Mais la crise fait que la situation est compliquée, notamment au niveau de la mobilisation des bénévoles. Au vu de nos effectifs réduits, nous avons donc opté dans un premier temps pour de la communication et de la sensibilisation à distance. Cela se traduit par des affichages dans les quartiers dits informels afin de rappeler les bons gestes pour se prémunir de l’épidémie ainsi que les différents accès aux soins qui existent. Nous les avons diffusés à travers des relais communautaires tels que les mosquées. Par ailleurs, nous développons actuellement un dispositif d’information par SMS afin, encore une fois, d’effectuer de la prévention : nous rappelons par exemple ce qu’est le coronavirus et comment l’identifier, qu’il ne faut pas prendre d’anti-inflammatoires en cas de symptômes etc. L’objectif de ce dispositif est également de tenir les populations informées sur des aspects plus pratiques comme la réouverture du dispensaire Jacaranda.

F.I : Quels sont les retours du terrain ?

L.L : Très vite, nous avons été confrontés au contexte actuel qui est très préoccupant. Les gens n’entendent pas les messages de sensibilisation car ils sont avant tout dans une logique de survie. Nous récoltons des témoignages très forts de personnes qui nous interpellent en nous expliquant qu’on peut leur parler de confinement mais que de leur côté, ils meurent de faim.

Dans ce contexte, on ne peut pas effectuer de prévention digne de ce nom car sur le terrain, les gens ont faim. Et ceci n’est pas vrai que dans les bidonvilles de Kawéni, c’est aussi vrai dans les campagnes par exemple. Il est aussi important de rappeler qu’il ne s’agit pas que d’un type de population, cette crise sociale ne fait pas de distinction de statut ou de nationalité, tous les habitants de Mayotte sont concernés. Tous les habitants peuvent être confrontés au manque de nourriture et par un accès à l’eau très limité qui s’aggrave avec la problématique de bornes fontaines qui ne sont pas toujours opérationnelles.

F.I : Comment en est-on arrivé là ? De nombreuses associations se mobilisent pour distribuer des vivres, est-ce insuffisant ?

L.L : Nous avons confiance dans les différents acteurs associatifs qui se mobilisent au quotidien mais leur marge de manœuvre est forcément limitée. C’est la raison pour laquelle nous demandons un vrai positionnement de la préfecture afin de coordonner ces actions. Il est également indispensable d’estimer les stocks et les moyens pour apporter une réponse globale. Vu l’ampleur des besoins, il est difficilement concevable de laisser les petites associations seules de leur côté pour tenter de répondre à la crise. Car cela signifie aussi les mettre en difficulté, on leur impose de fait de choisir entre les publics bénéficiaires. Comment faire lorsque l’on a 20 kits à distribuer et que 100 familles frappent à la porte ?

F.I : Vous insistez sur le rôle que doit tenir la préfecture, comment celui-ci devrait se matérialiser ?

L.L : Sur de nombreux point et même si nous travaillons en lien étroit avec l’ARS, la préfecture est le principal acteur, seul à même d’assurer la coordination et de centraliser l’information. Pour l’heure, il est par exemple impossible pour toute association, même la Croix Rouge, d’évaluer le stock alimentaire de l’île. Nous n’avons aucune idée de ce qui est disponible et cela nous met forcément en difficulté pour monter les programmes. Seule la préfecture est en mesure de faire ça, c’est à elle qu’il revient de mener cette évaluation. Soit elle la réalise effectivement, soit elle la délègue à un autre acteur mais il est indispensable que cela soit fait.

L’urgence est là mais nous manquons énormément d’information. Les associations sont prises d’assaut dès lors qu’une distribution alimentaire s’organise, c’est donc qu’il y a un vrai besoin mais pour autant, on ne voit toujours pas les pouvoirs publics s’organiser en conséquence. Il y a clairement un problème… Est-ce qu’on ne mesure pas ce qu’il se passe ? Est-ce que l’on se sent incapable de gérer cette problématique ? Je ne sais pas mais une chose est sûre : nous sommes là, disponibles aux côtés de nombreux partenaires avec nos différentes expertises mais il nous faut un cadre d’action commun.

À travers le communiqué que nous avons diffusé mardi, nous avons d’alerter les pouvoirs publics sur l’impérieuse nécessité d’agir, et vite. Car pour l’heure, les réponses ne viennent pas. Les associations sont submergées et nous nous retrouvons en désarroi face aux populations. Aujourd’hui, il y a urgence, il faut des actes, on ne peut plus attendre.

F.I : De votre côté, que préconisez-vous, tant sur le terrain que dans cette réponse globale ?

L.L : Sur le terrain comme dans la réponse globale, notre message est clair : il faut unir nos forces. Toutes nos forces autour d’une démarche globale de distribution alimentaire qui permette de sécuriser les besoins de toute la population qui se retrouve aujourd’hui démunie. On ne peut pas ne rien faire, nous soutenons évidement les petites actions qui œuvrent à leur échelle mais ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, seuls les pouvoirs publics, avec l’appui de nos structures, sont en mesure d’initier cette démarche.

D’un point de vue médical, nous soutenons le confinement mais nous voyons bien actuellement que ce n’est pas possible de le mettre en œuvre, ne serait-ce que pour les personnes qui n’ont pas d’accès à l’eau et qui doivent donc se déplacer pour se ravitailler alors même que les bornes fontaines connaissent des difficultés de service. Dans ce cadre, par exemple, nous proposons de mettre en place des rampes d’accès pour acheminer l’eau. Il s’agit d’actions réalisables, que nous avons évaluées. Aux pouvoirs publics, dorénavant, de s’en saisir et de le mettre en œuvre sans tarder. Car, encore une fois, il y a urgence.

 

Des clips en shimaoré pour sensibiliser au Covid-19

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Gestes barrières, distanciation sociale ou encore respect du confinement : plus que jamais, la sensibilisation est nécessaire pour limiter la propagation du Covid-19. Oui, mais voilà : à Mayotte plus qu’ailleurs, celle-ci demande de tenir compte des spécificités locales, et notamment linguistiques. C’est désormais chose faite grâce à Clap, une boîte de production qui a pris l’initiative de réaliser une série de spots pour bien faire passer le message.

“Hey, mais dis-moi, tu fais tes ablutions ?” “Non ! Je me lave les mains comme c’est recommandé pour éviter le virus !” Entre 1 min et 1min30 pour faire passer l’indispensable sensibilisation sur le Covid-19 : voilà l’initiative que s’est fixée Clap Productions au début de la crise. Mission réussie puisque les clips réalisés – six en tout – sont aujourd’hui largement diffusés par Mayotte la 1ère à l’antenne, mais aussi sur sa page Facebook.

L’idée naît du constat fait par Jacqueline Guez, gérante de Clap Productions : “Lorsque la communication a débuté autour du Coronavirus, elle se faisait essentiellement en français. Il a fallu attendre pour que le shimaoré soit utilisé, et il ne s’agissait que d’une affiche en 4x3m et d’une diffusion dans les journaux télévisés. Dans un cas comme dans l’autre, cela n’était que la traduction des consignes en français”, se rappelle-t-elle. De fait, “les messages nous paraissaient très flous, car tout était regroupé”, continue-t-elle de développer en illustrant : “Même moi, avec pourtant un bac+5, cela me demandait un effort de déchiffrage et de recherche. Et je me retrouvais tous les jours à devoir expliquer en shimaoré à ma mère ce qu’il fallait faire. Elle ne rate jamais un journal TV, mais c’était à moi de lui expliquer.”

La communication autour des gestes barrières lui paraît donc peu adaptée pour une partie de la population. “Nous, on travaille dans la communication et dans la vidéo, nous savons donc ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ici, plus de 40 % de la population ne sait ni lire ni écrire, alors il nous a paru peu probable que les gens perçoivent les messages”, souligne-t-elle. Dès lors, la gérante estime qu’il faut donner un coup de main : “Il fallait le faire de façon plus ludique. Et c’est notre spécialité chez Clap : faire passer des messages via un support pédagogique. Faire en sorte qu’ils rentrent dans la tête sans que les gens n’aient l’impression qu’on les force à apprendre quelque chose. Notre volonté a été de proposer un outil de communication tenant compte des codes de la société mahoraise, de sa culture et de sa langue.” Bénévolement, l’entreprise se lance dans le projet.

Six clips en shimaoré

Écriture du script, scénario, mobilisation de l’équipe de la boîte de production et une semaine de tournage plus tard, la série Ketsi Dagoni (Restez chez vous) est née. Six clips en shimaoré sous-titrés en français correspondant à six messages à transmettre – les numéros utiles, le confinement, les mesures de distanciations sociales, le lavage de mains, etc. – sont mis en boîte. On y suit les aventures d’un couple en confinement, joué bénévolement par le bien connu Khams et la jeune Julie Oiziri, pour qui c’est d’ailleurs là la première expérience télévisuelle. “Il nous a paru important d’utiliser le mode fictionnel pour sortir du trop institutionnel, trop rigide, un peu austère. Il fallait faire passer les messages via un support qui ne soit pas angoissant, car je ne pense pas que cela soit en faisant ainsi qu’on y arrive. Cela permet aussi d’offrir une bulle d’oxygène : c’est rigolo, court et efficace”, se réjouit Jacqueline Guez.

Le projet, s’il est mené en partenariat avec Mayotte la 1ère pour la diffusion et avec l’ARS pour la validation des messages transmis – une étape que la gérante jugeait indispensable en termes de crédits sanitaires – n’est “financé par personne” sinon Clap, pour qui la démarche est naturelle. “Nous nous sommes toujours considérés comme une entreprise citoyenne, ce qui arrive à Mayotte nous concerne”, estime la gérante. Et de conclure : “Nous ne sommes pas médecins ni infirmiers, nous ne sauvons pas des vies, mais on apporte notre savoir-faire et si grâce à lui on peut faire rentrer les messages directement dans chaque foyer, si on peut avoir un impact, alors on le fait.” De quoi contribuer à donner le clap de fin à la propagation du Covid-19 à Mayotte.

Confinement à Mayotte : Près de 250 procès-verbaux dressés chaque jour

Les jours se suivent depuis le début du confinement, et les contrôles des attestations aussi, à tel point que plusieurs milliers de verbalisations ont déjà été dressées. Et bien qu’eux aussi touchés par le Covid-19, les effectifs de police et de gendarmerie parviennent à maintenir une présence régulière sur le terrain, malgré quelques inquiétudes.

Les chiffres sont tombés hier : 4.054 verbalisations pour non-respect du confinement ont été comptabilisées par la préfecture – 1.090 en zone police et 2.964 en zone gendarmerie -, principalement pour défaut d’attestation de déplacement dérogatoire, et ce depuis le 17 mars, date à laquelle le président de la République a imposé aux Français de limiter leurs déplacements. “Ce sont des chiffres importants, donc préoccupants”, juge le général Leclerq, commandant de gendarmerie. “Cela illustre bien que la population ne respecte pas les attestations dérogatoires de déplacement, d’autant plus que les chiffres ne baissent pas.” Un constat que ne partage pas la police nationale : “Nos verbalisations sont un peu à la hausse (sur le Grand Mamoudzou), et on voit bien qu’il y a trois fois plus de voitures ou de personnes dans la rue que la semaine dernière”, note le secrétaire général d’Alternative Police, Aldric Jamey. Et malgré un faible taux de récidive, la semaine dernière, un premier homme, âgé d’une vingtaine d’années, a localement été condamné à trois mois d’emprisonnement pour avoir violé à plusieurs reprises les mesures de confinement.

Mais à l’heure où les nouveaux cas de Covid-19 montent chaque jour en flèche, les effectifs de police et de gendarmerie parviendront-ils à maintenir le nombre de contrôles ? À cela, “nos capacités organisationnelles ne sont absolument pas affectées”, répond le général Leclerq, alors qu’entre ses rangs, une quinzaine d’hommes sont actuellement touchés par la dengue, et que le Covid-19 ne semble pas encore circuler à grande échelle, bien que le commandant ait refusé de communiquer le nombre de gendarmes atteints. Prochainement, une petite dizaine de fonctionnaires, bloqués en métropole et à La Réunion depuis les vacances scolaires et la rupture du trafic aérien, devraient bientôt être rapatriés par le préfet, avant d’observer une quatorzaine stricte à domicile et de reprendre le service, si leur état le permet. “J’ai donc la quasi-totalité de mes effectifs. La situation est vraiment satisfaisante, même si on n’est jamais à l’abri”, se réjouit encore le général Leclerq.

Fin des mesures de protection

Côté police nationale, le constat est similaire : “Entre ceux qui sont sortis de quatorzaine et ceux qui sont revenus de métropole, on a plus de fonctionnaires présents que la semaine dernière”, se réjouit à son tour Aldric Jamey. Dans le détail, ils sont aujourd’hui 21 policiers contaminés par le Covid-19, 49 actuellement en confinement à domicile et une centaine au total en arrêt maladie pour différentes pathologies. Pas de quoi, à ce stade, perturber le fonctionnement des différents services. Pour autant, les syndicats policiers déplorent l’organisation des contrôles d’attestation de déplacement dérogatoire : “Lorsqu’on est placés à la sortie de la barge et que l’on contrôle quelqu’un, plusieurs personnes ont le temps de passer entre les mailles pendant ce temps-là”, regrette le secrétaire général d’Alternative Police. “C’est pourquoi il serait plus pertinent de s’installer à Doujani, par exemple.” Et ce n’est pas le seul dysfonctionnement à être pointé du doigt.

Une dizaine de jours plus tôt, l’intersyndicale rencontrait le préfet pour une réunion d’information. Au centre des échanges, le matériel notamment. Il a ainsi été demandé aux policiers de ne plus utiliser les masques de protection qu’ils utilisaient jusqu’alors, afin de les libérer pour les personnels médicaux. “On a des gants en plastique et des petits masques qui protègent les autres si nous sommes infectés, mais pas l’inverse”, s’inquiète Aldric Jamey. Autre sujet de discussion, les bandes

de jeunes qui, à la nuit tombée, sortent par dizaines, à Kawéni notamment, pour se balader ou faire du sport. “On a proposé au préfet d’envoyer des cadis et des éducateurs de quartiers pour qu’ils aillent faire de la prévention auprès de ces mêmes jeunes, mais on nous a répondu que cela irait à l’encontre du confinement.” Et de conclure : “Pour moi, nous n’avons pas obtenu de réponses, ou seulement des réponses de politiques.

 

Le don de savon réunionnais nous glissera-t-il entre les mains ?

Précarité aidante, nombre de familles à Mayotte ne peuvent subvenir aux besoins élémentaires en produits sanitaires, en des temps où ils relèvent pourtant de l’indispensable. Touché par la situation, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux de La Réunion tente de se mobiliser pour fournir plusieurs centaines de kilos de savon. Et attend l’appui des institutions mahoraises.

Pour Anne-Laure Albisetti, c’était une évidence. Présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux de La Réunion (Sniil 974), également formatrice auprès de ces personnels, la responsable était en visite dans ce cadre à Mayotte le mois dernier, peu avant que les premiers cas de Covid-19 n’apparaissent sur l’île. Du territoire et de ces soignants, elle a donc une connaissance, qu’a par ailleurs renforcée l’arrivée du virus. Elle le raconte : “Des infirmières de Mayotte m’ont alors appelé pour me dire qu’un des gros problèmes était l’absence de savon dans beaucoup de familles à Mayotte. Or, quand on parle de gestes barrières, encore faut-il que les gens puissent se laver les mains.” De fait, “il était difficile de rester insensible à une problématique que rencontrent des confrères du 101ème département”.

S’impose donc l’idée de lancer une collecte de savon. Elle sera distribuée à Mayotte pour partie par l’Union départementale des associations familiales (UDAF) via les associations en place, et pour autre partie par le biais des syndicats infirmiers de l’île aux parfums afin que les soignants puissent les distribuer à domicile quand il y en aura besoin. Pour réunir les dons, Anne-Laure Albisetti met à contribution la communauté musulmane de La Réunion, à quelques semaines du ramadan. Ses représentants se montrent enthousiastes, sous réserve toutefois de pouvoir organiser la récolte, car, confinement oblige, les déplacements sont plus que limités aussi chez nos voisins réunionnais. Mais se pose surtout la question du transport jusqu’à Mayotte, toutes les liaisons aériennes étant interrompues.

Utiliser le Mistral

Quelques jours plus tard – il y a un peu plus d’une semaine –, c’est à l’occasion d’une réunion avec l’agence régionale de santé (ARS), le préfet de La Réunion, le CHU de l’île, et plusieurs autres syndicats de soignants qu’Anne-Laure Albisetti fait part de son initiative aux autorités de l’île Bourbon. “Le préfet de La Réunion étant préfet de zone”, rappelle-t-elle, “j’estime que c’est aussi notre devoir de faire quelque chose pour la population de Mayotte.” L’idée est bien accueillie et le haut fonctionnaire valide même la possibilité d’acheminer la collecte grâce au Mistral, qui a justement vocation à ravitailler l’une et l’autre des deux îles en fonction des besoins. Emballé c’est pesé ? Pas tout à fait.

Car pour que cette collecte ait une utilité, encore faut-il pouvoir réunir “entre 300 et 500 kg de savon”. Une grosse quantité qui fait dire à un autre président de syndicat qu’il serait bienvenu que les institutions de Mayotte se mobilisent elles aussi en ce sens. C’est ainsi qu’Anne-Laure Albisetti rentre en contact avec la Délégation de Mayotte à La Réunion, “qui m’a mise en contact avec le conseil départemental”. Elle poursuit : “En tant que soignants, nous avons besoin que les institutions nous soutiennent. J’ai donc demandé s’ils pouvaient faire passer cette demande en commission. Après avoir demandé des devis, il s’avère que les coûts pour autant de savon sont trop élevés. Dans ces conditions, si je suis seule, je refuse de lancer une collecte, car je ne parviendrai pas à obtenir de quoi envoyer au moins 300 kg de savon, et en dessous la manœuvre est inutile.” Dossier clôt ? Disons plutôt en suspens.

L’infirmière était en effet hier encore dans l’attente d’un retour institutionnel mahorais “pour avoir une réponse concrète sur ce que le conseil départemental peut donner, mais aussi sur un appel qui devait être lancé aux municipalités de Mayotte, car ce sont aussi de leur ressort d’après la délégation. Ils comprennent que je ne puisse pas en faire plus et m’ont dit tout mettre en œuvre pour arriver à ce montant minimum de 300 kg”.

Les associations mises à contribution

Contactée par nos soins, la Délégation de Mayotte à La Réunion explique être “en train d’étudier toutes les solutions pour accompagner au mieux cette initiative”. Dans les faits, la solution privilégiée a été la mise à contribution de la Fédération des associations mahoraises de La Réunion (Famar) pour réunir, via son réseau associatif, la quantité de savon nécessaire. Ce que confirme la délégation elle-même : “Nous centralisons les dons et lorsque toutes les associations nous les auront remis, nous les transmettrons au Sniil 974”, commente-t-elle, justifiant ce choix par le fait que “l’aide exceptionnelle attribuée par le conseil départemental dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 se concentre essentiellement sur l’aide alimentaire. C’est la raison pour laquelle nous avons fait appel aux associations, qui sont toujours assez bien mobilisées. C’est la solidarité mahoraise qui se manifeste”. Ou plutôt qui doit se manifester, car pour l’heure, la Famar – que nous avons également contacté – est, elle aussi, dans l’attente de précisions. “Certaines associations ont commencé la collecte, d’autres veulent en savoir plus sur l’organisation pour la lancer, car les associations sont réparties dans toute l’île, et avec le confinement, il n’est pas évident de récupérer les dons”, détaille la fédération, expliquant être dans “l’attente d’un retour.”

Vraisemblablement pas encore mise au courant de la mobilisation des associations, Anne-Laure Albisetti semblait un peu découragée : “À la base, je suis une simple bonne volonté, j’ai juste voulu mettre en place une aide solidaire, car en tant que présidente de syndicat j’ai un réseau qui me permet de mettre tout le monde en action.” Compréhensible, d’autant que “nous avons une chance inouïe, car le préfet de La Réunion veut bien s’occuper de la livraison, et gratuitement.” Souhaitons que l’initiative du secteur privé réunionnais se concrétise rapidement avec l’appui des institutions mahoraises, car la prochaine venue du Mistral à Mayotte est prévue pour le 17 avril.

 

“J’ai vraiment cru ne pas avoir de vol”, un médecin raconte son périple ubuesque pour venir renforcer les équipes du centre hospitalier de Mayotte

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Jérémie Gallon, comme des dizaines de membres du corps médical a pris la décision de venir prêter main-forte au CHM. Mais comme des dizaines de ses confrères ou collègues, il a d’abord dû, avant de partir “au front” contre la crise sanitaire, affronter “ce que l’administration peut faire de pire”. Récit d’un voyage en absurdie.

“Si je n’avais pas fait des pieds et des mains pour arriver à Mayotte, je pense que la situation aurait pu durer encore longtemps.” Débarqué sur le territoire mercredi dernier, Jérémie Gallon, chirurgien urologue, est encore abasourdi par la bataille qu’il a dû mener pour mettre un pied dans le plus grand désir médical de France. Et raconte volontiers son périple, aussi ubuesque qu’alarmant en temps de crise sanitaire.

Alors que le confinement est déclaré par les autorités, le médecin de 30 ans officie dans un laboratoire qui ferme ses portes à l’annonce de la mesure. “Le CHM m’a contacté, car ils cherchaient quelqu’un pour remplacer le seul chirurgien urologue de l’hôpital en arrêt maladie”, explique-t-il. Jérémie se renseigne sur Mayotte et le CHM pour lever “les petites appréhensions que l’on a toujours sachant que la situation ici est très particulière”. Et décide de foncer. “J’ai pris un vol direct qui devait arriver samedi 28 mars au soir.” Et c’est la première déconvenue. “J’ai appris quelques heures avant que le vol était annulé, car les autorités avaient décidé de fermer l’espace aérien de Mayotte”, se souvient le médecin. Mais bien déterminé à prêter main-forte à un hôpital en tension, Jérémie contacte les agences régionales de santé de Paris et de La Réunion. Toutes deux lui conseillent de prendre un vol vers l’île Bourbon, d’où il pourrait sans doute plus facilement rejoindre celle aux parfums.

“On est dans ce que l’administration peut faire de pire”

Mais arrivé à La Réunion, rien ne se passe comme prévu. “J’ai essayé de me renseigner pour savoir comment me rendre à Mayotte, mais je me suis rapidement rendu compte que ça allait être compliqué. Toutes les personnes que j’avais au téléphone, qu’il s’agisse de l’ARS Mayotte ou de l’ARS Réunion me donnaient des informations totalement discordantes en se renvoyant la balle”, se souvient-il. Pas question de baisser les bras cependant. Pendant plusieurs jours, le chirurgien use de tous ses contacts, même le vice-président d’Air Austral mais rien n’y fait, il est bel et bien bloqué. “J’ai un ami médecin qui m’a accueilli là-bas et qui a lui-même un ami réanimateur qui se trouvait dans la même situation.” Si Jérémie concède que sa spécialité n’est pas la plus indispensable dans la crise sanitaire qui se joue — il est cependant le seul spécialiste dans sa branche —, il n’en est évidemment pas de même pour son confrère. Comme pour la majorité des 40 personnels médicaux dans la même situation qu’eux. “Vraiment, nous nous retrouvions dans ce que l’administration peut faire de pire, avec aucune info qui circule, aucune réponse à nos demandes. Jamais un retour, il fallait sans cesse que je harcèle les différentes autorités pour espérer avoir une réponse. Le CHM était au courant, mais ne pouvait rien faire, le problème était bel et bien au niveau des autorités et de la gestion administrative”, tempête encore le médecin. “À partir de 15h à l’ARS Mayotte, il n’y a plus personne au bout du fil. Ça m’a un peu étonné. En situation de crise, j’avoue que ça me semble un peu tôt”, lâche-t-il dans un rire un peu jaune avant de tempérer : “je ne dis pas qu’il y a personne derrière, mais c’est l’impression que ça donne et en tout cas, ils n’ont jamais su me répondre quand j’appelais dans la fenêtre de tir disponible, c’est-à-dire le matin”.

“Ici on manque de tout et on n’a aucune visibilité”

C’est finalement le soir, ce mardi 31 que Jérémie reçoit le coup de fil tant espéré. C’est l’agence régionale de santé de La Réunion. On lui explique qu’il partira le lendemain avec un vol militaire. À son bord, une dizaine de membres du corps médical. “J’ai vraiment cru ne jamais avoir de vol alors même que l’on est dans une période compliquée, avec un hôpital qui a beaucoup besoin de renforts”, explique le chirurgien, passé le sentiment de soulagement. D’autres se sont organisés autrement. À l’image de son ami médecin par ricochet. “Comme il est réanimateur, il a pu entrer en contact avec le service des Evasan. Du coup, il s’est débrouillé pour sauter dans un vol retour d’évacuation sanitaire.” C’est la débrouille, la bataille, un temps administratif qui s’oppose à l’urgence sanitaire. “Ça peut être très compliqué, il peut y avoir des opérations de prévues, etc. Mais pourtant, ici tout le monde semble trouver ça normal, les gens tiennent cette désorganisation pour acquise et donc normale, ça n’a pas l’air de les inquiéter plus que ça”, analyse le métropolitain venu prêter main-forte à un territoire où les besoins sanitaires sont immenses.

Heureusement, “depuis mon arrivée, les choses se passent plutôt bien”, se satisfait Jérémie. “L’hôpital, lui, est plutôt bien organisé. Il n’est pour l’heure pas submergé. Comme les spécialités manquent, on fait un peu de tout, on est polyvalents, c’est intéressant”, ajoute le médecin, sans que ses inquiétudes soient levées quant au rapport que le personnel soignant entretient avec les autorités de tutelle. “De leur côté, tout se fait de manière unilatérale, sans en informer les uns et les autres ni consulter le terrain. Alors, quand on voit la cacophonie qui règne pour faire venir des médecins, on peut se questionner sur l’acheminent du matériel”, lance le chirurgien. Avant d’asséner le coup final. “Mes confrères biologistes m’ont expliqué qu’ils n’avaient plus que de quoi faire 1.000 tests à défaut de réactif. Ils ne savent pas quelle politique mener, car ils ne savent pas quand et s’ils seront réapprovisionnés. Ici on manque de tout et on n’a aucune visibilité”. De quoi contracter une phobie administrative aiguë

 

Inflation, économie locale, ramadan : “Une situation tellement inédite qu’il est impossible de faire des prédictions”

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Avec les difficultés d’approvisionnement et la paralysie de l’économie, l’inflation va-t-elle devenir le nouveau fléau post-confinement ? Lors de la séance de questions au gouvernement du Sénat le 25 mars dernier, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances Agnès Pannier-Runacher, avait assuré que le gouvernement suivait de près l’évolution du prix des denrées alimentaires “dans un contexte où les coûts de production et de transport pour amener ces produits au plus près des Français augmentent”. À Mayotte, où éloignement et vie chère participent déjà à la hausse des prix en temps normal, le sujet pourrait effectivement devenir problématique. Mais “avant l’inflation, il y a la question des revenus de la population”, et de l’approche du ramadan, s’inquiète Jamel Mekkaoui, le chef de service de l’INSEE à Mayotte. Entretien.

Flash Infos : Avec le confinement, on constate des ruptures de certains produits dans les enseignes de grande distribution. Le 17 mars, le secrétaire général de Force ouvrière avertissait déjà sur la flambée des prix dans certains commerces, en prenant l’exemple des packs de bouteille d’eau à Mayotte passés de 6 à 9 euros. Ce genre de constat sur certains produits de grande consommation relève-t-il davantage d’un ressenti des consommateurs ou d’une réalité économique ?

Jamel Mekkaoui : Malheureusement, compte tenu du confinement, nous avons dû arrêter de faire des relevés des prix, et ce pour protéger nos agents mais aussi éviter qu’ils ne deviennent eux-mêmes des vecteurs de propagation. À partir de mi-mars, nous avons donc stoppé la collecte de données sur le terrain. Au niveau national, ils ont pu substituer une partie de la collecte terrain par de la collecte internet, car certains distributeurs ont des drive en ligne. Mais ce n’est pas le cas à Mayotte… Nous n’avons donc pas de système d’objectivation.

FI : Mais avec la forte demande sur certains produits de grande consommation et les difficultés d’approvisionnement, l’hypothèse d’une inflation à Mayotte vous semble-t-elle plausible ?

J.M. : C’est un sujet qu’il faut surveiller, mais pour l’instant nous n’avons pas d’alerte. Très honnêtement, nous manquons toutefois cruellement de visibilité. Et nous vivons des situations tellement inédites qu’il est impossible de faire des prédictions. Nous restons sur une analyse au jour le jour, et savoir ce qu’il se passera dans un mois est très difficile. Mais s’il y a bien un sujet qui nous préoccupe, très présent dans le débat public, c’est celui du manque de nourriture pour une partie de la population. Or, deux variables influent sur cette thématique : celle de la hausse des prix, bien sûr ; mais avant cela, celle des revenus mêmes des ménages. Et là, le problème est déjà bien visible, avec l’interruption de l’économie informelle.

FI : En effet, à Mayotte, 2/3 des entreprises sont informelles. Avec le confinement, une part de la population qui dépend de cette “vente en bord de route”, risque de manquer de ressources, financières et alimentaires. Pour autant, cette économie informelle peut-elle jouer un rôle dans le rebond de l’économie en sortie de crise ?

J.M. : Il s’agit en réalité d’une économie de subsistance, et donc davantage d’un phénomène social que d’un phénomène économique. Les “vendeuses des bords de route” n’étaient pas là pour le loisir mais dans une optique de subsistance, et les contours de leur fonctionnement, notamment leurs sources d’approvisionnement sont encore flous. Donc il est difficile d’analyser leur participation à l’économie locale. En fait, la situation est très particulière ici, à Mayotte, car nous sommes dans une

société intermédiaire avec des caractéristiques de pays développés et de pays en voie de développement, ce qui soulève naturellement des enjeux différents. Une des questions clés, par exemple, c’est celle du ramadan qui approche. Et avec lui, avant même la question des prix, se pose celle de la disponibilité des produits, à laquelle participe cette économie informelle. C’est déjà difficile dans une période comme celle-là de faire face à la demande ; là, la situation va soit s’amplifier, soit radicalement changer. En temps normal, on note une consommation accrue de bananes, de manioc, de fruits à pain… Pour ces produits, il y a un peu d’importation certes, mais le manioc, le fruit à pain, nous viennent surtout de la production locale qui nécessite beaucoup de déplacements. Or, si dans deux semaines nous sommes encore en confinement, ce qui semble d’ailleurs se dessiner, la question sera de savoir si la population pourra trouver de quoi subvenir, ou si nous allons assister à des changements de comportements de consommation. Et c’est justement cette économie-là, que je qualifierais de vivrière, qui sera l’objet de nos attentions. Car les grandes surfaces, elles, continueront a priori d’être approvisionnées, en boîtes de conserves et produits de toutes sortes qui leur arrivent par le port de Longoni.

FI : Cette situation exceptionnelle peut-elle avoir un impact sur le bouclier qualité/prix, cette liste de produits de consommation courante vendus à un prix modéré ?

J. M. : Non, je ne pense pas, il s’agit d’un accord, et il n’y a pas de raison que les grandes surfaces ne respectent pas les règles du jeu. Non, là où la question se pose bien davantage, c’est justement pour ces produits qui sortent du champ étatique, comme le manioc, le fruit à pains. Là, il y a de quoi surveiller ce qu’il se passe, surtout à l’approche du ramadan. Signe de l’importance de cet enjeu que représente le ramadan, très spécifique à notre territoire, le préfet a d’ailleurs réuni des experts autour de lui. Car la période à venir risque d’être très compliquée à gérer : il s’agit d’ordinaire d’un mois festif, axé sur le vivre ensemble, les prières collectives… Autant de composantes qui ne sont pas vraiment compatibles avec le confinement.

 

Bac : Le contrôle continu salué par tous à Mayotte

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Vendredi dernier, le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse annonçait l’annulation des épreuves du baccalauréat et autres examens de cette année. Le contrôle continu est la seule option retenue pour tout le monde. Une décision qui satisfait les parents d’élèves, les professeurs et les principaux concernés.

Jalloud est en terminale littéraire. Il a appris comme tout le monde la semaine dernière que sa promotion ne passera pas les épreuves du bac. La validation du diplôme est soumise au contrôle continu et à l’assiduité des élèves. Jalloud est plutôt mitigé par cette mesure. “On aurait aimé passer le bac comme les autres, le vivre comme les autres. Mais c’est vrai que le contrôle continu est plus avantageux pour quelques-uns d’entre nous.” À l’image de nombreux futurs bacheliers, Jalloud avait tout misé sur les épreuves du bac censées se dérouler en juin. L’annonce du contrôle continu a en quelque sorte chamboulé ses plans. “Me concernant je ne suis pas sûr que cela soit à mon avantage. Je n’avais pas travaillé au maximum. Mais maintenant, je vais tout miser sur ce troisième trimestre s’il y en a un”, promet-il. Si cette décision laisse le lycéen perplexe, elle était la seule possible pour les différentes associations de parents d’élèves. “Au niveau national, nous avions déjà lancé quelques pistes et nous avions suggéré de se pencher sur le contrôle continu pour respecter l’équité”, précise Haïdar Attoumani Said co-président de le FCPE Mayotte. Même son de cloche du côté de la Confédération syndicale des familles. “Nous sommes favorables à la formule annoncée parce qu’il n’y avait pas d’autres choix”, indique Rafza Youssouf Ali, présidente de la UD CSF. Cependant, cette dernière a écrit au recteur de l’île pour demander un accompagnement supplémentaire après la reprise des cours. Selon elle, “même s’il y a le suivi en ligne, les élèves ont tout de même raté des choses. Il faut mettre en place des cours de soutien.” L’UD CSF fait également appel à la bienveillance des professeurs et demande un allégement des notations.

Du côté des syndicats des professeurs, la mesure est également bien accueillie, même s’il y a quelques réserves. “Ce n’est pas qu’on aime le contrôle continu parce qu’il est lui-même déjà générateur d’inégalités. Mais dans la situation actuelle, c’est la moins mauvaise des solutions”, déclare Henri Nouiri, secrétaire générale SNES-FSU Mayotte. La SGEN-CFDT soutient également le gouvernement dans cette décision, car “aucune autre issue n’était possible. Les professeurs connaissent bien leurs élèves, on peut s’appuyer amplement sur cette solution pour la validation du bac”, indique Gherici Djellouli, le secrétaire général SGEN-CFDT chargé du second degré à Mayotte.

La question de l’assiduité est également très importante pour les parents d’élèves. D’autant plus que le pays a été touché par les grèves répétitives liées à la réforme des retraites. Les professeurs étaient très mobilisés. “Cette situation avait déjà fait cumuler du retard aux élèves. Le confinement n’arrange pas les choses. C’est donc normal qu’il y ait un rattrapage et qu’ils soient obligés d’aller en cours jusqu’au 4 juillet” , selon Haïdar Attoumani Said.

L’épreuve de la discorde

Une mesure divise cependant les avis. Jean-Michel Blanquer a indiqué le maintien des épreuves anticipées de français pour les élèves de première. “On ne comprend pas pourquoi. Il aurait été plus équitable d’appliquer le contrôle continu pour tout et tous”, ajoute le co-président de la FCPE Mayotte. Une position que partage le SNES-FSU. “Cette épreuve pose problème parce qu’on ne sait pas du tout si les conditions sanitaires seront respectées. On sait très bien qu’à Mayotte la concentration des élèves est très importante et les risques de diffusion massive du virus seraient décuplés”, s’inquiète Henri Nouiri.

Alors que d’autres ne voient pas d’inconvénient à l’organisation de cette épreuve. “Durant le confinement, les élèves sont censés avoir travaillé. L’oral de français permettra d’évaluer l’efficacité de la formule adoptée par l’Éducation nationale pendant cette période”, explique la présidente de la UD CSF. Et Gherici Djellouli d’ajouter : “Si vraiment ce n’est pas possible pour le mois de juin, on pourra toujours la faire passer l’année prochaine.”

Malgré ce grand chamboulement, Jalloud, le lycéen en terminal L reste serein. “J’ai confiance en moi. Je ne stresse pas et j’espère que c’est le cas pour mes camarades”, relativise-t-il.

 

À Bandrélé, “il y a énormément d’habitants inconscients”

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Lundi, la directrice générale de l’agence régionale de santé, Dominique Voynet, a dévoilé que Bandrélé faisait partie des trois zones géographiques dans lesquelles on recensait le plus grand nombre de cas. Une réunion s’est tenue hier matin, à la demande du maire de la commune, avec les autorités compétentes pour faire un point sur cette évolution. Si rien de nouveau n’en est ressorti, une habitante propose des mesures drastiques pour enrayer la propagation.

“J’ai peur qu’il y ait une envolée du nombre de cas. Une psychose s’installe.” À l’autre bout du fil, Haminata* ne se montre guère rassurante sur la crise sanitaire qui sévit actuellement à Bandrélé. Confinée chez elle avec sa famille, elle regrette que les habitants ne prennent pas conscience du virus qui se propage dans les rues. “J’ai l’impression que le message n’est pas assez ancré dans la tête des gens alors que le risque de contamination est réel et que certains d’entre eux peuvent être asymptomatiques.” Si le maire de la commune, Ali Moussa Moussa Ben, considère que toutes les mesures gouvernementales sont relativement respectées par ses administrés, Haminata ne partage pas ce sentiment… Preuve en est avec le mari d’une de ses connaissances testées positives qui traînait encore dans les rues, pensant qu’il se trouvait hors de danger, faute de retour des médecins. En ligne de mire également : la cohue lors du ravitaillement des bouteilles de gaz. “Les gestes barrières ne sont pas respectés, c’est affligeant ! Certes, il y a moins de monde qu’en temps normal, mais il y a énormément d’inconscients”, dénonce-t-elle.

Pas d’annonces lors de la réunion de crise

La maman propose donc de prendre le taureau par les cornes, notamment par rapport aux contaminations intrafamiliales : “Dès lors qu’une personne est infectée dans un foyer, il faut faire en sorte que tous les autres membres de sa famille soient dépistés et isolés s’ils ne disposent pas suffisamment de pièces dans leur habitation.” Une idée soumise par le premier magistrat aux agents de la préfecture et de l’agence régionale de la santé qu’il a interpellés samedi dernier et qu’il a rencontrés mardi matin. “J’ai demandé s’il était possible de mettre en place un dispositif pour circonscrire ce foyer de manière définitive en passant par un dépistage généralisé. Apparemment, selon eux, ça ne donne pas de résultats efficaces”, relate-t-il, avant de préciser que la seule solution reste finalement de rester chez soi. Pour cela, Ali Moussa Moussa Ben multiplie les actions. Tous les jours, à partir de 18h, des messages de prévention sont relayés par les mosquées, tandis que la police municipale s’en charge durant la journée. En attendant que ceux-ci fassent leur effet, le maire se réjouit d’une mesure en place depuis le week-end dernier, qui s’applique exclusivement sur Hamouro, pour le moment. “L’ARS fournit elle-même de manière intelligente les cartes pour les bornes-fontaines pour éviter les rassemblements et initier aux bons gestes.”

De quoi rassurer Haminita ? Plus ou moins ! “Je reste confiante, car les élus semblent avoir pris la situation en main… Tout du moins, je l’espère”, s’efforce de croire celle qui ne sort de chez elle que pour se ravitailler. “Les conditions à la maison sont compliquées, mais à un moment donné, il va falloir faire usage de la force sinon on sera toujours au même cas…”

 

J’accuse ! L’État, le CHM et l’ARS pointés du doigt

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La gestion de la crise Covid-19 à Mayotte est fortement pointée du doigt par les partenaires sociaux mais également les particuliers. À l’exemple de l’avocat Nadjim Ahamada qui met en cause l’État, le CHM et l’ARS de Mayotte. De son côté, le collectif intersyndical de Mayotte entame également une procédure de plainte contre les mêmes autorités.

“J’accuse l’ARS de Mayotte et le préfet d’avoir une gestion pas très rigoureuse de la crise actuelle relative au coronavirus”, prévient d’emblée maître Nadjim Ahamada. En effet, par le biais d’un courrier datant du 2 avril, l’avocat a annoncé vouloir poursuivre en justice l’ARS et l’État pour divers motifs qui auraient conduit l’île à la situation dans laquelle elle se trouve actuellement. Nadjim Ahamada déplore en premier lieu la fermeture tardive de l’aéroport de Pamandzi. “On savait que les premiers cas allaient arriver par l’aéroport. La mesure était donc nécessaire. Le préfet avait la possibilité de le faire, il aurait dû préconiser de fermer l’aéroport plus tôt”, explique l’avocat. L’État est également accusé d’avoir maintenu le premier tour des élections municipales alors que la menace de contamination planait au-dessus. L’Agence régionale de santé de Mayotte n’est pas laissée en reste, bien au contraire. Selon Nadjim Ahamada, elle “n’a pas anticipé l’introduction inéluctable du virus à Mayotte en ne mettant pas en quarantaine ou à tout le moins quatorzaine stricte, les passagers venant de métropole qui ont été les premiers cas constatés à Mayotte.” Il nous a annoncé que le recours est également dirigé contre le CHM.

Le collectif intersyndical de Mayotte interpelle, dans une lettre ouverte du 6 avril, l’ARS, le CHM et le préfet. Il demande la “totale transparence promise au sommet de l’Etat pour partager les données complètes et détaillées sur l’état de notre système sanitaire, des ses effectifs, des stocks disponibles en matériel et des renforts prévus avec un calendrier clair.”

“Si on laisse les choses telles qu’elles sont, on va tous mourir”

Même si les deux recours sont distincts sur la forme, sur le fond ils demandent la même chose, à quelques détails près. Nadjim Ahamada souhaite que le tribunal donne injection à l’ARS et au CHM de commander 400 000 tests du covid-19 (chiffre qui correspondrait à la population estimée de l’île). Le collectif intersyndical de Mayotte se demande quand est-ce que les personnels les plus exposés pourront être testés même s’ils sont asymptômatiques. Une demande que l’on retrouve également dans le recours de Nadjim Ahamada.

Ce dernier évoque aussi la question des masques. Il est désormais évident que le monde entier est en pénurie de masques mais selon lui, le CHM doit prendre l’initiative d’en commander. “Ce doit être des masques FFP2 et FFP3, c’est à dire des masques avec des normes de sécurité qui permettent de protéger. Les masques en tissu ne protègent rien du tout”, explique-t-il.

Enfin, le collectif intersyndical de Mayotte, tout comme M.Ahamada exigent une transparence totale sur les moyens humains, médicaux, et le matériel mis à disposition de notre territoire. “Il y a un flou qui entoure les moyens dont on dispose, alors qu’on a besoin de cette transparence pour savoir où on va”, souligne Estelle Youssouffa.

Nadjim Ahamada annonce que pour le moment son recours n’est pas encore déposé mais ce sera fait dans les plus brefs délais. Il aurait souhaité que des syndicats se joignent à son initiative. Quant au collectif intersyndical de Mayotte, les autorités mises en accusation ont jusqu’au 8 avril pour apporter une réponse, avant que le collectif dépose sa plainte. « Je ne fais pas de la politique politicienne, c’est de la politique citoyenne. L’objectif n’est

pas d’entrer en confrontation avec l’Etat et l’ARS. Le but est de les faire bouger car si on laisse les choses telles qu’elles sont, on va tous mourir”, conclut Nadjim Ahamada.

 

“La situation à Bandrelé est sur le fil” : l’ARS identifie les principales zones de contamination

Pour son point bi-hebdomadaire, l’ARS a pour la première fois communiqué sur les zones géographiques dans lesquelles s’est propagé le Coronavirus. Si dans certaines, comme Mamoudzou et Petite-Terre, des clusters professionnels étaient déjà pressentis, la situation de Bandrelé fait l’objet d’une vigilance accrue.

Pas de répit pour l’ARS. C’est peu ou prou le message qu’a voulu faire passer Dominique Voynet lors de son point presse bi-hebdomadaire : “Tous les jours apportent des nouveaux cas, et c’est un boulot monstre pour identifier les cas contacts. Donc, non, je ne dirais pas que la situation est sous contrôle”, a insisté la directrice de l’autorité sanitaire, alors que Mayotte entame sa troisième semaine de confinement. Lundi 6 avril, 164 personnes avaient été testées positives au Covid-19, dont trois en réanimation, 17 hospitalisées et 14 étaient sorties de l’hôpital après un séjour d’observation. L’ARS reste donc sur ses gardes, d’autant plus qu’un nouveau cluster, identifié dans la zone de Bandrelé, pourrait justifier un passage au stade 3 de l’épidémie, si davantage d’habitants venaient à tomber malades.

Depuis l’introduction du virus sur le territoire, l’ARS ne communiquait pas sur les zones géographiques dans lesquelles on recensait les premiers cas. “S’il n’y en avait que deux dans un lieu identifié, nous ne voulions pas qu’ils soient traqués par les habitants, nous attendions qu’il y en ait plus”, a justifié Dominique Voynet, avec un certain pragmatisme. C’est désormais le cas et pour la première fois depuis l’introduction du virus sur l’île hippocampe, trois zones géographiques principales ont été identifiées : le chef-lieu, Mamoudzou, assez logiquement puisqu’il concentre la population la plus dense et sans que “la situation n’y soit particulièrement préoccupante” ; Petite-Terre, pressentie en raison de la propagation du virus dans un cluster professionnel, des agents de retour de métropole ayant contaminé leurs collègues ; et enfin Bandrelé où une “vingtaine de cas, peut-être 24” ont été recensés dans “trois ou quatre villages différents”.

Un premier centre d’isolement a ouvert ses portes

Est-ce le signe d’une diffusion locale du virus sur le territoire ? Pour l’instant, il n’y a pas lieu de s’alarmer outre mesure, a tempéré l’ancienne ministre. “Je me suis posée la question aujourd’hui du passage au stade 3, mais franchement, ça ne se diffuse pas, c’est bien circonscrit”, a-t-elle poursuivi, tout en reconnaissant que “la situation de Bandrelé est sur le fil, et nous avons deux à trois jours maximum pour éviter que cela ne se diffuse”. L’ARS mène donc un travail d’orfèvre pour tenter d’identifier l’origine commune entre les différents malades. L’enquête oscille entre la campagne électorale, un cabinet médical, et des obsèques… ce qui rappelle d’ailleurs l’enjeu sanitaire qui pèse sur les rites funéraires. Point positif : beaucoup des cas identifiés appartiennent à des mêmes familles. “Si nous avions six malades, dans six familles différentes par exemple, l’analyse ne serait pas la même”, a expliqué Dominique Voynet. En attendant, la commune fait “l’objet de tous nos soins, car nous savons que les bangas et la proximité y sont importantes”. En coordination avec la mairie, l’ARS a donc renforcé les moyens pour éviter la circulation du virus sur la commune, tant sur l’accès à l’alimentation et à l’eau que sur la diffusion des bons gestes.

Car le risque d’une propagation dans les bangas est réel. Et il s’agit là du scénario le plus sombre : quatre foyers sur dix vivent dans des logements en tôle, souvent sans accès à l’eau courante et où l’application des gestes barrières relève du mirage. L’ARS et les communes réfléchissent donc depuis le début de l’épidémie à des mesures pour héberger des personnes pour qui le confinement ne serait pas possible. Et c’est désormais chose faite, a annoncé Dominique Voynet ce lundi : un centre a

ouvert, au sein de l’internat de Tsararano, et pourra accueillir au maximum 50 personnes, même si “nous espérons ne pas avoir à le remplir”. Le centre visera uniquement à héberger des personnes “covid +” qui ne peuvent pas s’isoler, ou risquent de contaminer des personnes fragiles dans leur entourage et il n’y sera pas prodigué de soins hospitaliers. Il reviendra aux médecins du CHM de proposer à des patients identifiés cette solution d’hébergement.

Des masques en nombre suffisant, et pas de gaspillage

Deux navires devaient débarquer ce week-end à Mayotte. Mais le porte-hélicoptère Mistral, arrivé samedi dans les eaux du lagon, a surtout apporté des renforts pour le Détachement de la Légion étrangère à Mayotte (DLEM). “Le Champlain, en revanche, a plein de choses pour nous”, a noté Dominique Voynet, qui est toutefois restée vague sur le contenu de ses cales : a priori de l’oxygène et des masques. Ce que l’on sait toutefois : 90 tonnes de matériel doit être envoyé de Paris à La Réunion, et ¼ de ce fret doit transiter jusqu’à Mayotte, surtout grâce au pont aérien, et à raison de deux avions par semaine. On ne saura pas en revanche, combien de masques arriveront finalement sur l’île, mais “il en y a assez pour les soignants”, a balayé la directrice. Quant aux autres réserves nécessaires, en protections, gants, gel hydroalcoolique et médicaments : “on a du matériel, mais on ne le gaspille pas. Car nous pourrions manquer de certains médicaments si l’épidémie prenait de l’ampleur”.

 

“Il faut que nous soyons tous en pleine action à Mayotte, mais pour cela nous devons avoir confiance en la machine”

Réunis en audioconférence durant le week-end, les différents syndicats de l’île ont décidé de “tirer la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire et socio-économique de l’île occasionnée par la survenue sur notre territoire de l’épidémie de Coronavirus” auprès des autorités en charge de la gestion de crise. Djoumoi Djoumoy Bourahima, président de l’union départementale CFE-CGC et porte-parole du collectif syndical revient ici sur le manque de transparence dénoncé et qui a prévalu à la démarche.

Flash Infos : Qu’est-ce qui a poussé vos différents syndicats, habituellement en désaccords sur de nombreux sujets, à vous réunir autour d’une lettre ouverte à l’attention des autorités ?

Djoumoi Djoumoy Bourahima : Nous avons souhaité organiser un moment d’échange et de partage entre nous sur les différents regards que nous pouvons porter quant à cette crise. L’idée commune était de signifier que dans ce moment extrêmement compliqué que nous traversons, nous souhaitions unir nos efforts pour apporter une plus value à la gestion de crise si possible, mais surtout pour s’assurer que nous soyons tous bien au courant de ce qu’il se passe afin de pouvoir en rendre compte le mieux possible à ceux que nous représentons et qui nous interpellent.

FI : Vous semblez pointer du doigt une certaine opacité dans la manière dont est gérée la crise. Sur quoi cette suspicion se base-t-elle ?

D. D. B. : Nous sommes des acteurs proches de la population et des salariés que nous représentons. Dans ce cadre, nous sommes en prise avec le territoire et les remontées du terrain nous font parfois froids dans le dos. Entre ces remontées et le discours des autorités, nous ne pouvons que constater qu’il y a des trous dans la raquette et nous considérons qu’il est de notre devoir de lever le voile afin d’instaurer la confiance nécessaire à la bonne gestion de la crise.

Par exemple, les informations que nous délivre le personnel du centre hospitalier et de tout le personnel soignant en général ne collent pas avec les informations délivrées par l’ARS quant au matériel disponible. Puisque nous sommes en guerre, il faut être pleinement conscient des armes dont nous disposons, c’est essentiel. Et s’il en manque, il faut pouvoir en réclamer. Mais pour cela, encore une fois, il faut que l’information soit transparente.

Autre exemple : la gestion des morts qui est une question essentielle dans cette crise. Quand on se penche concrètement sur l’organisation qui a été mise en place autour des deux décès survenus, on se rend compte que les familles ont été livrées à elles-mêmes sans accompagnement, sans organisation, alors que c’est un sujet très sensible. Qui fait quoi dans ce cadre ? Le manque d’organisation est palpable et inquiétant. Sur ce point, par exemple, je propose la mise en place d’une brigade mortuaire qui permettrait que tout se passe dans les meilleures conditions avec les réalités du terrain.

De manière générale, il faut aller au-delà du verbe et prouver par une information transparente que l’on peut faire confiance à une organisation. Parler de confinement ne suffit pas. L’apparition du virus est venue siffler le temps de la récréation, le temps est trop court pour fonctionner sur les schémas habituels. Il faut que nous soyons tous en pleine action, mais pour cela nous devons avoir confiance en la machine. Et si celle-ci doit être renforcée, il faut le dire. Ce qui signifie, sur le terrain, mobiliser les bonnes volontés et à l’échelle du gouvernement tirer la sonnette d’alarme. Mais pour l’heure, le manque de transparence et les exemples évoqués ne font que renforcer les doutes sur l’organisation.

FI : Au-delà d’une information plus claire, que faudrait-il faire pour que la gestion de crise colle au mieux aux réalités du terrain et qui pourrait y prendre part ?

D. D. B. : Je pense qu’il faut absolument qu’il y ait des interlocuteurs identifiés dans chaque quartier. L’administration est trop éloignée des gens. Il faut des personnes pour expliquer ce qu’il se passe concrètement, des personnes vers qui se tourner en cas de questions. Sinon, c’est la foire à la rumeur, car la confiance envers les autorités n’est pas toujours acquise. Trop peu de personnes sont correctement informées, mais il faut aller à leur rencontre. Pour tant de jeunes qui sont éloignés des structures, cela pourrait passer par les réseaux sociaux par exemple.

Si nous sommes en guerre, il faut sonner la mobilisation générale et que tous les acteurs prennent leur part de responsabilité. Il faut que l’information soit tant verticale qu’horizontale, afin que chacun dans ses responsabilités ait les moyens d’agir. Dans ce cadre, je pense qu’il faut que les autorités fassent confiance aux élus locaux comme les maires afin qu’ils puissent en lien étroit prendre des initiatives qui répondent aux besoins du terrain. Par exemple, les maires pourraient décider d’un lieu d’accueil et de désinfection des personnels soignants avant qu’ils ne rentrent chez eux et prennent le risque d’y contaminer leur famille. Ce sont des choses simples, mais qui pourraient être d’une grande utilité, surtout quand on voit la proportion de ces travailleurs dans les personnes contaminées.

Il faut que toute cette grande machine se mette en marche dans la confiance, mais aujourd’hui, nous sommes encore loin du compte.

FI : Les différents responsables à l’origine de la lettre ouverte seraient-ils prêts à prendre part à cette gestion de la crise ? Le collectif des citoyens de Mayotte qui dit être associé à la démarche menace d’actions en justice, n’est-ce pas contradictoire avec la mobilisation générale que vous appelez de vos vœux ?

D. D. B. : Si aujourd’hui, les autorités jugent notre participation utile, nous répondrons évidemment présents. Mais ce qui nous importe dans un premier temps, c’est de nous assurer que notre population est protégée afin de pouvoir à notre tour la rassurer. Pour cela, je le répète, il est indispensable que la confiance règne et que l’information soit transparente. Nous avons conscience des enjeux, mais considérons que tout l’arsenal qui existe doit être mis en place. Dans ce cadre, l’intersyndicale est bien sûr ouverte à prêter main-forte pour y veiller.

Concernant une éventuelle action en justice, nous n’en sommes pas à ce stade. Nous sommes plutôt dans une logique de jouer “le tout pour le tout” afin de sauver les meubles. Nous sommes avant tout dans la construction, dans l’intelligence collective afin de protéger au mieux notre population plutôt que d’envoyer des pics à tel ou tel responsable. Mais nous devons être entendus.

 

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes