Après plusieurs stipulations et polémiques, le Département et l’État ont finalement signé la nouvelle convention du groupement d’intérêt public « L’Europe à Mayotte » pour la période 2021-2027. Contrairement à l’ancien programme où la préfecture avait l’entière autorité des fonds européens, celui-ci sera géré à parts égales entre les deux autorités, dans l’optique de faire émerger des jeunes cadres mahorais.
« C’est un pas historique et nous nous rendrons compte très vite de l’efficacité de ce que nous proposons. » Jean-François Colombet, préfet de Mayotte, ne tarit pas d’éloges concernant la nouvelle convention du groupement d’intérêt public (GIP). Ce pas historique est dû au changement tant attendu sur la gestion des fonds européens. Si durant le premier programme, de 2014 à 2020, l’État était la seule autorité de gestion, désormais, il partagera cette responsabilité avec le Département pour la période allant de 2021 à 2027, au rythme de trois ans pour chacun. « Cette nouvelle formule du GIP nous garantit une parité 50/50 avec l’État. Les décisions les plus importantes seront prises à la majorité des deux tiers. Et nous, nous veillerons à ce que la présidence soit bien alternée afin que nous l’assurions pour la période 2024-2027 », précise Soibahadine Ramadani, le président de la collectivité.
Ce partenariat est nécessaire puisqu’il s’agit en réalité d’une transition, ou plutôt d’un essai pour le Département. « L’objectif est de mieux préparer le conseil départemental à ce qui arrivera de façon inévitable à la fin du programme, c’est-à-dire le transfert de l’autorité de gestion comme cela s’est passé dans les régions en métropole », précise le préfet de l’île aux parfums. Et si certaines langues se sont déliées, pointant du doigt la présence de la préfecture dans ce nouveau programme, Jean-François Colombet assure que cette nouvelle formule « a séduit le gouvernement ». Elle serait la clé pour entraîner le Département à gérer de façon autonome les fonds européens.
Des cadres mahorais aux commandes du GIP
Le directeur de ce nouveau groupement d’intérêt public s’appelle Ali Soula, un Mahorais, magnat de la finance, qui travaille actuellement à Bercy. Il a été recruté pour ses compétences mais également pour son attache avec Mayotte. « Nous tenons absolument à ce qu’il y ait des jeunes cadres mahorais compétents qui viennent rejoindre ce GIP », lance le préfet. Et pour cause, si le territoire a formé des jeunes cadres mahorais, notamment à La Réunion, il est grand temps pour eux de servir leur île. « Nous les avions envoyés en immersion ailleurs, alors cette nouvelle formule de GIP va nous permettre de mettre à profit les compétences acquises », souligne le président du Département. Une cinquantaine d’agents composeront l’équipe du groupement d’intérêt public, dont une trentaine mis à disposition par l’État et le conseil départemental.
Les deux autorités veulent faire taire les polémiques et insistent sur la bonne entente entre elles. « C’est avec des relations apaisées et sures que nous pouvons faire avancer ce pays », rappelle Soibahadine Ramadani. Et Jean-François Colombet d’ajouter : « Le préfet autorité de gestion, il peut faire tout un tas de choses tout seul, mais ça n’a pas d’intérêt. Nous étions déjà très proches pour de nombreux projets, mais là nous allons les institutionnaliser. » Le budget annuel de ce nouveau programme est estimé à 6 millions d’euros. Il sera en partie financé par l’Union européenne d’une part et l’État et le Département à parts égales d’autre part.
Un point sur la situation de l’eau s’est tenu aujourd’hui entre la Société mahoraise des Eaux (SMAE), le syndicat mixte d’eau et d’assainissement de Mayotte (Smeam) et différentes associations ce mardi 6 avril. Malgré le remplissage des retenues collinaires, les coupures d’eau ne se sont pas arrêtées. Les habitants étaient donc dans l’incompréhension depuis un mois. Éléments de réponse.
La fin des problèmes de ressources en eau à Mayotte ? C’est l’annonce ce mardi 6 avril de la Société mahoraise des Eaux. Pour autant, la trop faible capacité du système de distribution pour la demande galopante en eau de l’île entraîne toujours des coupures intempestives. Face à des ouvrages structurants trop peu efficients, ces arrêts momentanés doivent permettre aux techniciens de régler les problèmes sur les canaux de transfert d’eau, comme la réparation de tuyaux endommagés.
« La situation l’exige, la qualité de l’eau doit être préservée sur la quantité, en tout temps », indique pour sa part l’agence régionale de santé, présente elle aussi lors de cette rencontre. Sauf que la multiplication du nombre de lave-vaisselles et de machines à laver n’arrange rien aux affaires des autorités compétentes. Autre épine dans le pied : des fuites de plus en plus nombreuses, qui seraient à l’origine de la perte de 25% de l’eau sur Mayotte. Pour y remédier, la SMAE assure que des agents formés patrouillent aux quatre coins de l’île pour les identifier et qu’une « campagne massive de recherche de fuite serait lancée » incessamment sous peu. Seul lot de consolation : dix forages supplémentaires doivent voir le jour d’ici 2025, ainsi qu’une nouvelle usine de dessalement. De quoi consolider la production sur le territoire.
Une communication à perfectionner
Voilà pour la partie technique. Mais cela n’excuse pas tout ! Dans ces conditions, les associations pointent du doigt l’absence de communication vis-à-vis de ces coupures. Exemple le jour du Miradj durant lequel les habitants de Mamoudzou et de Petite-Terre ont été privés d’eau toute l’après-midi, sans avoir été prévenus au préalable. Conséquence : de nombreuses familles se sont retrouvés le bec dans l’eau… Alors qu’elles avaient prévu de cuisiner pour l’occasion. Le syndicat mixte d’eau et d’assainissement de Mayotte se met actuellement en relation avec les mairies des communes dans le but de prévenir en amont les populations concernées.
Des factures au cas par cas
Reste la question des factures salées… De nombreux abonnés constatent une explosion des montants prélevés : d’une vingtaine d’euros en temps normal, celles-ci s’élèvent désormais à près de 300 euros ! Pour calmer la fronde qui sévit quotidiennement sur les réseaux sociaux, la SMAE et le Smeam se tiennent prêts à recevoir les principaux concernés pour étudier leur dossier au cas par cas. Seule réponse apportée ce mardi ? Ces augmentations pourraient être liées à des fuites sur le réseau, comme citées plus haut, mais aussi à des problématiques non généralisées.
Pour y pallier, le syndicat rappelle la mise en place de chèques-eau pour permettre aux foyers les plus précaires de régler leur consommation abusive. Bémol, la majorité des bénéficiaires n’y auraient pas accès pour des raisons administratives. Revient alors la lourde tâche aux centres communaux d’action sociale de les recenser et de faire le nécessaire. Un mode opératoire qui risque de faire grincer quelques dents…
Un nouveau mouvement politique vient de faire son apparition dans le paysage mahorais. Fondé par des habitants engagés dans la vie associative et issus de la société civile, Imani compte présenter quatre candidats dans deux cantons de Mamoudzou lors des prochaines élections départementales. Présentation de ses membres et de ses cinq propositions basées sur l’empathie et l’espérance.
« Nous avons envie d’apporter un nouveau visage dans la politique mahoraise. » La voix quelque peu tremblante, Sara Cordji joue la carte de l’empathie et de l’espérance. Deux sentiments symbolisés par Imani, le nom du tout récent mouvement dont elle est la présidente. À l’heure où les candidats aux élections départementales, maintenues mardi dernier au mois de juin, sortent peu à peu du bois, la cinquantenaire et trois autres membres à l’origine du projet ne dérogent pas à la règle.
Pas de strass ni de paillettes en ce jour de présentation, ce vendredi 2 avril. Mais plutôt une volonté commune de se dévoiler aux yeux du grand public. Novices dans le milieu, ils ne le sont en aucun cas au sein du tissu associatif, d’où ils tirent leur « humilité » et leurs « expériences » dans le seul but de « retrouver notre qualité de vie » et de « donner un nouvel élan à Mayotte ». En lice dans les cantons de Mamoudzou 2 et 3, le quatuor se concentre sur des propositions « réalistes », présentées par Guillaume Jaouen, un mzungu installé sur l’île aux parfums depuis maintenant dix ans. Un détail assez rare sur le territoire pour être signalé.
Un campus universitaire au golf de Combani
Dans l’espoir de conquérir les électeurs, Imani donne sa « priorité » à la jeunesse. Avec comme point d’orgue de créer une université de plein exercice et surtout un campus universitaire de 10.000 à 20.000 étudiants en lieu et place du « golf de Combani ». Mais aussi une école régionale du spectacle vivant et un pôle espoir pour le sport de haut niveau. Si la formation sur le 101ème département lui semble indispensable, la bande veut également soutenir les parcours en apprentissage à l’extérieur du territoire, qui allient « mobilité » et « efficacité ».
Poussés par leurs valeurs, Sara Cordji, Zaïtoune Anli Daoudou, Faissoil Ali Abdallah et Guillaume Jaouen veulent replacer l’humain au cœur des débats. Pour cela, ils comptent engager une action en justice contre l’État pour « revendiquer l’égalité républicaine », comme ont pu le faire plusieurs maires de Seine-Saint-Denis en 2018. « Ils ont été discriminés comme nous en termes de politiques publiques. » Toujours sur le vivre ensemble, les quatres candidats aspirent à allouer des budgets participatifs de proximité dans les quartiers, à hauteur de 50 euros par habitant. L’idée ? « Impliquer le collectif à se saisir des sujets. »
Concernant l’emploi, le nerf de la guerre, le mouvement souhaite développer des « stratégies de filières » dans l’agriculture, la pêche, l’agroalimentaire, la santé, l’action sociale… Mais aussi former et accompagner l’insertion des jeunes dans le BTP, l’éco-tourisme, le transport. Comment ? En se rapprochant de la banque européenne d’investissement pour créer un fonds souverain régional en soutien des secteurs stratégiques à fort potentiel et aux domaines d’innovation comme la cosmétique, l’aquaculture, l’informatique et l’énergie. Sans oublier la possibilité de « rentrer dans le capital » de certaines entreprises pour insuffler une nouvelle dynamique économique qui répond aux besoins de la population.
Des navettes gratuites durant la journée
Sensibles à la protection de l’environnement, les membres d’Imani veulent profiter de la manne financière mise à disposition par « l’Europe dans la transition énergétique » pour déployer une reconquête forestière et accroître une autonomie alimentaire. Sans oublier d’éliminer durablement les déchets grâce à une politique incitative à la collecte et au tri. « En échange de tant de kilos, nous donnerons autant », imagine en exemple Guillaume Jaouen. Et ce n’est pas tout. Pour réduire l’empreinte carbone et les temps de trajet quotidien, tous planchent sur une série de « solutions terrestres et maritimes d’ici 18 mois », financées par le versement mobilité transport, une taxe payée par les entreprises de plus de dix salariés. « Les bus scolaires sont disponibles durant les heures creuses. Pourquoi ne pas mettre en place des navettes gratuites ? »
Dans la lignée des autres thématiques, la nouveauté reste de mise quant à la gouvernance du Département. Avec en tête de liste, le recours au référendum local pour associer les citoyens dans les actions et les décisions de la collectivité. Ou encore, la volonté de confier la présidence de la commission des finances à un élu d’opposition. Autant de propositions qui pourraient mettre un coup de pied dans la fourmilière, dans un territoire où la sphère politique se montre instable et peu souvent contrainte aux yeux des électeurs. Dans tous les cas, il faudra trouver un terrain d’entente avec les autres élus en cas d’élection. « Nous n’avons que des partenaires potentiels », admettent-ils, en toute simplicité. Advienne que pourra.
Tchak_en_vrac, c’est le nom que Youssrah a décidé de donner à son projet. Ce n’est pas un restaurant, non, mais un jeune média mahorais, présent sur les réseaux sociaux. C’est en mêlant deux histoires d’amour, celle avec son île et celle avec les médias qu’elle a eu l’idée de lancer ce projet.
« À la base ce qu’on voulait vraiment, c’est resensibiliser la jeunesse mahoraise à l’information. Ici, à part le journal de Mayotte 1ère, on a rien sur les réseaux », explique-t-elle. C’est en partant de ce constat qu’elle a décidé de réunir des jeunes journalistes mahorais, finissant prochainement leurs études, pour monter un média qui ressemble à la jeunesse de l’île. « On est une petite équipe, pour le moment tout le monde n’est pas ici, mais j’essaie de les inciter à rentrer », sourit-elle. L’idée du nom lui est venue comme une évidence : « Ici, quand on partage des tchaks, c’est un peu le seul moment où il n’y a pas de barrière, on peut parler de ce qu’on veut. Et c’est cet esprit que je veux donner à Tchak. » Son objectif ? Aborder tous les sujets, par le biais de la jeunesse, même ceux qui font mals ou qui sont parfois tabous, notamment à Mayotte.
Rentrée en octobre en octobre dernier après avoir obtenu un master en journalisme, Youssrah souhaitait rentrer pour se reconnecter avec sa famille. Cinq ans après son départ du 101ème département, elle ne pensait pas s’y plaire autant, à nouveau. D’autant plus que la crise sanitaire actuelle ne permet pas de dénicher un travail aussi facilement… « Dans ma promo de 30, il y en a que quatre qui sont en poste aujourd’hui, les autres sont en recherche d’emploi. » Et si Tchak_en_vrac a commencé sur un coup de tête, le projet pourrait finalement s’inscrire sur la durée.
Un projet qui pourrait s’élargir
« On ne pensait pas que l’engouement prendrait si vite, c’est vrai qu’on a rapidement eu pas mal d’abonnés sur Instagram et ça faisait plaisir », concède, ravie, Youssrah, qui avoue ne pas dormir beaucoup en raison de l’attente grandissante des followers. Le risque, maintenant, est que le projet s’essouffle, mais la jeune fille semble déterminée et prête à professionnaliser Tchak_en_vrac. « Si un jour, on avait un Tchak dans chacun des Dom-Tom, ce serait génial », imagine-t-elle. Pour le moment, Youssrah espère juste pouvoir s’investir à 100% dans son projet et réussir à en faire un passage clé pour les étudiants mahorais. Elle pense même aux étudiants encore en cours, qui pourraient écrire pour le futur site. « Tous ceux qui sont motivés sont les bienvenus, on prendra le temps de relire avec ceux qui ont un peu plus d’expérience. »
La jeune fille est en tout cas ravie de l’effervescence autour du projet, et cela la motive encore plus. « On reçoit plein de messages d’encouragements, les gens réagissent à notre contenu, on voit qu’il y a vraiment des choses à faire dans notre branche. »
Organisé par le centre universitaire de formation et de recherche, en partenariat avec l’association « Sur les pas d’Albert Londres », le rectorat de l’île, Planète Jeunes Reporters et la direction des affaires culturelles de Mayotte, le concours demandait aux participants de réaliser entièrement un reportage sur un Smartphone en seulement 48 heures. L’exercice n’a pas été facile, mais beaucoup ont relevé le défi. Vendredi 2 avril, au CUFR, on découvrait les 14 films en compétition, les 3 autres hors compétition, mais surtout les grands gagnants.
L’attente a été plus longue que prévu pour les participants du concours « Les 48h Smart-phone ». Si la cérémonie de remise de prix aurait dû se dérouler plus tôt, la crise sanitaire a quelque peu bousculé le calendrier. Elle a finalement eu lieu plus de six mois après le lancement de la compétition. Cette première édition à Mayotte – la deuxième au niveau national – a rassemblé 17 films, 14 en compétition et 3 hors compétition. Composé d’une journaliste, d’un responsable du pôle culture du centre universitaire de formation et de recherche (CUFR), ou encore des représentants de l’association « Sur les pas d’Albert Londres » basée à Vichy, le jury a décerné quatre prix : deux mentions spéciales du jury et deux grand prix du jury, pour les sections « lycées et collèges » et « tout public ».
Certains se sont démarqués par la qualité de leurs reportages tant sur le fond que sur forme, à l’instar de deux lycéennes de Chirongui en collaboration avec leur professeur Cyril Castelitti. Elles ont pointé du doigt les pesticides, souvent mal utilisés, qui se trou-vent dans les aliments à Mayotte. Nasrine, l’une des membres de l’équipe, a tout donné pour ce projet. « Je m’attendais à gagner parce que j’avais décidé de participer au con-cours pour réussir », précise-t-elle. Alors que sa coéquipière Asma était moins confiante. « Quand j’ai vu les vidéos des autres concurrents, je me suis dit que nous n’avions pas nos chances. » Les filles ont finalement réussi à séduire le jury puisqu’elles ont obtenu le plus grand prix dans leur catégorie.
De futurs cinéastes et journalistes
Un autre groupe d’élèves a également attiré l’attention des jurés. Scolarisés au lycée des Lumières à Mamoudzou Nord, où ils suivent l’option cinéma-audiovisuel, Nima-Salma, Léanne et Tsontso ont reçu la mention spéciale du jury. Même s’ils ont démontré leur sa-voir-faire dans leur film sur le sport au lycée, ils ont aussi dû faire face à la réalité du terrain. « La principale difficulté a été la spontanéité car nous avions seulement 48h et nous ne pouvions pas prévenir nos intervenants à l’avance », raconte Nima-Salma. Mais le groupe n’a jamais songé à abandonner. « Nous avons voulu participer pour l’expérience, pour dire que nous avons participé à au moins un concours à Mayotte », ajoute sa camarade Léanne.
La quasi totalité de ces jeunes ont un rapport particulier avec la vidéo : certains veulent travailler dans le cinéma, d’autres dans le journalisme. Le concours « Les 48h Smart-phone » était donc un exercice pratique qui a conforté leurs choix d’avenir.
Nima-Salma, 17 ans
De la photo à la vidéo il n’y a qu’un pas
Du haut de ses 17 ans, Nima-Salma sait exactement dans quel domaine elle veut travailler plus tard. « J’aimerais être réalisatrice ou scénariste », indique-t-elle d’emblée. Le cinéma est plus qu’une passion, elle veut en faire son métier. Pourtant, la lycéenne se pré-destinait à autre chose. « Au départ, mon premier amour était la photographie, puis au fur et à mesure, je me suis passionnée pour la vidéo », relate Nima-Salma. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est inscrite en section cinéma au lycée des Lumières. L’adolescente souhaite poursuivre ses études supérieures dans ce domaine en intégrant une licence audiovisuelle parcours cinéma. Pour l’heure, elle se consacre aux vidéos qu’elle fait au lycée puisqu’il lui est difficile d’en faire en dehors, par manque de matériel. Nima-Salma déborde d’imagination et elle veut pouvoir l’exprimer. « Ce que j’aime dans la vidéo, c’est le fait d’écrire et de réaliser mon propre projet », précise-t-elle. Participer aux 48h Smartphone était donc une évidence pour elle. Le concours et la consécration qu’elle a eue marque le début d’une longue carrière pour elle.
Léanne, 18 ans
Tout pour le cinéma
Léanne fait partie des lauréats qui ont reçu le prix mention spéciale du jury. La vidéo est tout ce qui l’importe depuis des années. « Je filme depuis toute petite. Avec mes frères et sœurs, nous réalisions des films », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle filme tout ce qui attire son regard. « J’ai la chance d’avoir le matériel pour pouvoir m’entraîner en dehors du lycée, alors j’en profite », sourit-elle. Si ses parents étaient réticents au début, « ce n’est pas forcément ce qu’ils voulaient que je fasse », ils ont désormais accepté le choix de leur fille et l’encouragent même à aller plus loin. Son rêve ? Évoluer dans le cinéma en tant que cadreuse. Raison pour laquelle elle a voulu s’inscrire en section cinéma au lycée des Lumières. Après son baccalauréat, elle compte bien continuer sur cette lancée.
Nasrine, 18 ans
Future journaliste
Grande timide, Nasrine n’est à l’aise que lorsqu’elle parle de vidéo. Elle est attirée par ce média depuis qu’elle a 11 ans. « C’est ma passion, j’aime ça et ça ne s’explique pas », souligne-t-elle. La lycéenne en classe de terminale au lycée Tani Malandi à Chirongui souhaite devenir journaliste dans l’audiovisuelle. En attendant d’intégrer une école de journalisme, elle s’essaye au métier par ses propres moyens. « J’aime bien regarder la chaîne Arte et ensuite, j’essaye de reproduire la même chose. Je m’entraîne à faire des reportages avec mon portable, je filme et fais le montage toute seule », dit-elle fièrement. Et son acharnement a payé puisque Nasrine et sa camarade ont remporté le prix du jury, soit la plus grande récompense, dans la catégorie lycées et collèges. Cette consécration encourage la jeune fille à poursuivre son rêve pour ensuite être utile à son île. « Nos professeurs nous disent souvent que nous sommes l’avenir de Mayotte et que nous devons la développer. Alors après mes études, je veux revenir travailler à Mayotte parce que c’est chez moi », affirme-t-elle, les yeux remplis d’espoir.
Asma, 19 ans
La vidéo, un simple passe-temps
Participer au concours 48h Smartphone était un challenge pour Asma, car cette dernière n’a jamais réalisé de vidéo sous forme de reportage. « Il m’arrive de me filmer, ou de filmer les paysages que je vois, mais ça ne va plus loin », avoue-t-elle. Le domaine de la vidéo ne l’attire pas spécialement, elle aimerait plutôt se consacrer à l’audio. « Je veux être journaliste, mais ce que j’aime le plus ce sont les podcasts », indique-t-elle. Cela ne l’a pas empêchée de s’investir complètement dans le reportage qu’elle a réalisé avec sa camarade Nasrine et son professeur. « J’ai bien aimé ce nouvel exercice parce qu’avec la vidéo, nous pouvons exprimer ce que nous ressentons sous différents angles », reconnaît Asma. Après ce projet, la jeune femme entrouvre les portes du journalisme audiovisuel, augmentant ainsi ses opportunités.
À l’occasion des dix ans de la départementalisation, le ministre Sébastien Lecornu a annoncé une consultation express des forces vives, élus, acteurs associatifs et économiques de l’île aux parfums pour une nouvelle loi, avant la fin du quinquennat. Objectif : accélérer l’entrée de Mayotte dans le droit commun, et la convergence des droits pour les Mahorais, toujours lésés par rapport à leurs voisins de La Réunion ou de la métropole. La présidente du MEDEF, Carla Baltus, fait le point sur les propositions de l’organisation patronale.
Flash Infos : Le ministre Sébastien Lecornu veut lancer une consultation des “forces vives” et un projet de loi Mayotte pour le 14 juillet prochain. Quelles propositions le MEDEF Mayotte va-t-il faire ?
Carla Baltus : Au niveau des entreprises, ce qui nous préoccupe au MEDEF concerne surtout l’évolution des charges. L’échéance de 2036 est considérée comme trop tardive aujourd’hui. Sur le principe, nous ne nous opposerons pas à l’évolution de la convergence à Mayotte. Mais je pense qu’il faut faire attention à l’équilibre pour les entreprises. Ce que nous prônons en premier lieu, c’est une étude d’impact concernant l’application du code de sécurité sociale. Nous avons voulu l’application du code du travail en 2018, qui a été faite rapidement, sans préparation suffisante, ce qui a créé beaucoup de frustrations. Certains éléments avaient échappé aux syndicats, qui reviennent dans le débat aujourd’hui : je pense principalement au SMIG, qui évolue mais n’est toujours pas au niveau des attentes ni de ce qui était convenu. Donc une étude d’impact me semble indispensable cette fois-ci, pour voir l’évolution et la capacité des entreprises à supporter la hausse des charges si le calendrier est revu. Ensuite, qui dit augmentation de charges dit aussi augmentation des exonérations, qui ne sont pas non plus au niveau de ce qu’on peut obtenir au niveau national. Nous demanderons à ce que cela soit fait en parallèle. Enfin, l’autre point qui me paraît indispensable, c’est le maintien du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) jusqu’à cette nouvelle date, qui pourrait être approchée. En effet, les seules exonérations ne pourront suffire pour permettre aux entreprises de tenir le coup.
FI : Le ministre a notamment évoqué “l’accélération de la départementalisation afin d’améliorer la vie des Mahoraises et des Mahorais et de converger vers une égalité sociale réelle”. Est-elle vraiment envisageable avant 2036 selon vous ?
C. B. : Nous pouvons avancer le calendrier, mais encore une fois, avec de la visibilité et en accompagnant tout le monde, pour permettre à toutes les entreprises d’être dans les clous et éviter la concurrence déloyale. Car si nous demandons aux entreprises un tel effort sur les charges, peut-être que les grands groupes ou ceux qui viennent de l’extérieur pourront le supporter. Mais pas sûre que les petites entreprises puissent suivre… Le risque, c’est de créer plus de travail au noir, et des inégalités ! Mais encore une fois, cette convergence, nous la comprenons. L’autre partie que je souhaitais aborder, c’est d’ailleurs la convergence des minima sociaux. Celle-ci n’est pas liée à la contribution des entreprises, elle touche au porte-monnaie de l’État et de la collectivité. Aujourd’hui, le RSA est encore pris en charge par l’État mais un jour cela reviendra au Département. Là encore, il faut pouvoir anticiper. Et pour les minima sociaux, il y a urgence ! En effet, nombreux sont les Mahorais qui quittent Mayotte car ils n’ont pas de perspective d’emploi et un RSA inférieur de 50% à ce qui se pratique en métropole. Même chose pour l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées), pour les retraites, ce sont des dispositifs qui doivent rapidement être alignés au niveau national à mon sens. Ce calendrier peut être avancé plus facilement que celui des charges. Ce serait en plus une façon de montrer l’exemple et de créer du pouvoir d’achat !
FI : Que pensez-vous de l’argument de “l’appel d’air” et du renforcement de l’immigration clandestine avec cette convergence sociale ?
C. B. : Je vous citerais un exemple que j’ai déjà donné : la Guyane, qui est censée avoir une frontière encore plus perméable que celle de Mayotte a un RSA à 100%. Cela n’empêche pas les gens de venir. D’autant que ce n’est pas pour cette raison que nous ne pouvons pas avoir malgré tout des dispositions dérogatoires. Nous le voyons pour les allocations familiales, certains assurés qui ont des cartes de séjour doivent justifier de 15 ans de présence régulière quand c’est cinq ans ailleurs. Pour moi, il s’agit d’un faux débat. Ou bien il faudrait livrer les mêmes arguments aux Guyanais ! Non, nous ne devons pas retirer un droit sous ce prétexte-là.
FI : D’une manière générale, comment accueillez-vous cette annonce d’une nouvelle loi pour Mayotte, sachant qu’il y a déjà eu le plan de convergence, ou encore la loi pour l’égalité réelle Outre-mer en 2017 ?
CB : Si nous avons des calendriers, de nouvelles choses concrètes, c’est tant mieux ! Cela a été perçu comme un cadeau pour les Mahorais car nous fêtons les 10 ans de la départementalisation. Il s’en sont passées des choses en dix ans, nous avons vu les effets les plus drastiques, notamment du côté fiscal, et maintenant les Mahorais ont hâte aussi de voir le positif. Pas que les impératifs, mais aussi tous ces droits, et ces minima sociaux que le statut de département a à offrir. Il y a aussi un côté rassurant, qui marque cette appartenance à la République. C’est toujours important d’être rassuré, quand nous voyons que Mayotte est encore et toujours réclamée… Donc cette annonce rassure Mayotte, rassure les élus, et cela montre aussi que Mayotte n’est plus oubliée. C’est un département, et, de plus en plus, un département comme un autre.
Le Parc naturel marin de Mayotte vient de vivre une année pour le moins particulière. Si la crise sanitaire a sensiblement retardé certaines de ses actions, de nombreux projets d’envergure doivent voir le jour en 2021. De bonnes augures pour le directeur, Christophe Fontfreyde, qui a le sentiment que les mentalités à l’égard de la protection de l’environnement commencent à changer.
Flash Infos : Quel bilan faites-vous de l’année écoulée et des deux confinements qui en ont découlé sur votre quotidien ?
Christophe Fontfreyde : C’est assez contrasté ! 2020 était l’année durant laquelle nous devions renforcer notre présence sur le terrain. L’annonce du premier confinement a eu deux conséquences directes : la première est que nous n’avons pas pu sortir pendant deux mois, la seconde est que nous n’avons pas pu accueillir un certain nombre d’experts pour réaliser des suivis très spécialisés. Mais nous en avons profité pour engager tout un travail administratif et avancer sur un tas de sujets en concertation. Si nous n’avons pas recensé de différences mesurables sur l’état du corail et le nombre de poissons, il y a bel et bien eu un effet négatif sur le braconnage des tortues marines, avec des dizaines de cas répertoriés en Petite-Terre. La période a définitivement favorisé cette activité illégale.
A contrario, lors du deuxième confinement, nous avons obtenu des autorisations de sortie dès le début, ce qui nous a permis d’assurer un suivi hebdomadaire de toutes les plages de Petite-Terre, avec des équipes de huit personnes. Paradoxalement, nos bateaux sont sortis encore plus que d’habitude et ont permis d’intervenir sur quelques cas de braconnage à la pêche.
En résumé, l’action du Parc naturel marin a été impactée, nous ne rattraperons évidemment pas le temps perdu… Mais nous avons limité la casse.
FI : Quelques jours avant l’annonce du premier confinement, vous aviez réceptionné votre nouveau bateau. Qu’a-t-il changé dans votre manière de travailler sur le lagon ?
C. F. : Il a bien navigué depuis, grâce notamment à un poste supplémentaire déployé par l’office français de la biodiversité. Nous avons dorénavant toujours deux bateaux en activité (selon le rapport d’activités 2020, le Parc a engagé 160 jours de présence en mer). Ce renforcement des moyens nautiques nous a permis d’être beaucoup plus présents sur le lagon et d’accroître le nombre de procédures et de confiscations de barques. Mais attention, cela ne veut pas dire que les actes de braconnage se sont multipliés mais plutôt que les braconniers passent plus difficilement entre les mailles du filet.
L’objectif d’un Parc naturel marin consiste avant tout à expliquer à la population les règles indispensables pour préserver la biodiversité, et leur sens. Nous devons aussi mieux comprendre le rôle du corail, des mangroves, des populations de tortues, d’oiseaux, de baleines… Les habitants de Mayotte ont tendance à oublier à quel point notre lagon est exceptionnel. Après, nous avons quand même un volet répressif, qui n’est pas notre préférence, à destination de ceux que nous n’arrivons pas à convaincre.
FI : Depuis dimanche dernier, la baie de M’Zouazia est fermée à la pêche à pied. Quelles sont les raisons qui ont poussé à prendre cette mesure drastique ?
C. F. : Tout d’abord, il faut signaler que cette mesure est à l’initiative des pêcheuses de M’Zouazia. La présidente de l’association des pêcheurs à pied m’a contacté pour m’alerter sur la réduction de la taille des poulpes et sur l’affluence massive d’habitants sur le platier. Avec l’association, qui s’est rapprochée de la commune de Bouéni et de sa police municipale, de l’intercommunalité du Sud et de sa police de l’environnement, des affaires maritimes et de la gendarmerie, nous avons discuté de la durée, qui s’est arrêtée à trois mois, et de la zone, qui a été élargie pour intégrer une partie où les pêcheurs arrivaient. Le Parc assure le suivi scientifique de l’opération et l’un de nos bateaux se rendra sur place une fois par semaine pour s’assurer que l’arrêté préfectoral d’interdiction est bien respecté.
La fermeture temporaire est une méthode qui a fait ses preuves dans le passé. Il y a trois ou quatre ans, nous avions par exemple observé un doublement de la taille des poulpes. L’idée est de dire qu’il s’agit d’un modèle à suivre, puisqu’il permet de protéger, de laisser respirer le platier, de réduire le piétinement et d’augmenter les rendements des pêcheurs et la taille des poulpes pêchés sur une année. Notre travail est de porter un message et de faire changer les mentalités, sans taper sur les doigts. Nous interviendrons également dans les établissements scolaires de la zone pour sensibiliser les enfants et à travers eux leurs parents.
FI : Parmi vos projets en 2021, deux ont attiré notre attention : le lancement de l’élaboration d’un modèle de courantologie et l’expérimentation de la pose de filets de récupération des déchets. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
C. F. : Ces choix sont stratégiques sur le long terme pour le Parc. Le premier est extrêmement important en termes d’aménagement puisque nous allons fournir des données aux cabinets d’études, aux collectivités et aux scientifiques sur l’action des courants dans le lagon, sur le devenir des déversements, sur le déplacement des larves de poissons, etc… Le but est de produire des scénarios d’impact sur le lagon de futurs aménagements pour en réduire les conséquences. L’artificialisation des sols lorsqu’elle est inévitable et la construction indispensable des établissements scolaires par exemple pourront être conçus en limitant ses impacts sur le lagon.Ce modèle vient en complément d’un autre projet, la cartographie des habitats du lagon. Désormais, nous aurons à la fois la photographie de l’habitat corallien et celle des courants d’eau pour faire le lien entre les aménagements et la vie marine. Il s’agit là d’un outil pour le développement durable de Mayotte.
Le second vient d’un constat de l’observatoire des déchets du Parc. Nous ne pouvons pas améliorer la qualité de l’eau du lagon sans travailler avec les organisations à terre. Quand nous allons chercher un par un les déchets au fond de l’océan, il est déjà trop tard ! L’insalubrité sur les plages a un impact non négligeable sur la micro-faune, le corail et les tortues… Le système de récupération par filets semble alors intéressant pour quantifier ce qui se déverse. Nous discutons, en ce moment même, avec les communes littorales pour connaître celles qui sont intéressées.
Nous avons déjà présélectionné trois sites pilotes pour des raisons de faisabilité technique. Mais nous souhaitons monter jusqu’à 15 ou 20 filets sur le court terme, avec en ligne de mire de réduire l’arrivée de ses déchets dans le lagon. Nous partons sur un budget d’un million d’euros, financé par le Plan de Relance. La concertation sera fondamentale, tout comme les partenariats avec les associations environnementales, les syndicats, les collectivités et les professionnels. Au Parc, nous n’avons pas la compétence pour ramasser les déchets en grande quantité… De ce fait, que ferons-nous lorsque les filets seront pleins ? Qui s’en chargera ? Cela reste à déterminer sachant que nous avons par exemple peur qu’en début de saison des pluies, ils se remplissent à vitesse grand V.
FI : Selon vous, que manque-t-il à Mayotte pour que la préservation de l’environnement rentre définitivement dans les mœurs ?
C. F. : L’un de nos objectifs est le développement durable. Dans ces conditions, comment permettre à la population l’accès à certains besoins primaires, tels que la nourriture et l’eau, tout en préservant l’environnement. C’est ce que nous appelons la pyramide de Maslow en sociologie. Nous essayons de proposer des solutions, comme l’accroissement de la pêche hors du lagon, qui permettent le développement sans tout casser dans le lagon. Après, il faut encore et toujours adapter les politiques publiques nationales aux réalités locales !
De manière plus générale, mon sentiment est que la prise de conscience est en train de frémir. Aux quatre coins de l’île, des habitants prennent des initiatives, des associations se créent, des enseignants en parlent à leurs élèves. Nous sommes encore dans la phase de pré-montage de la mayonnaise. Notre mission est d’aider les bonnes volontés en partant du terrain, de les rencontrer pour nouer des partenariats dans le but de monter ensemble des projets adaptés. À nous de consolider cette étape pour avoir des fondations solides et construire une feuille de route globale d’ici deux ou trois ans.
Le centre hospitalier de Mayotte a pu bénéficier d’une bouffée d’oxygène ce jeudi matin. Les élèves en classe de première Accueil au lycée des Lumières ont apporté le petit-déjeuner aux personnels soignants en guise de remerciement pour leur dévouement durant la crise sani-taire.
Vêtues d’un salouva identique, les 22 élèves en classe de première Accueil au lycée des Lumières font leur entrée au CHM au rythme des chants traditionnels. Dans leurs bras, des cartons de nour-riture : jus, compotes, gâteaux etc. Tous les ingrédients nécessaires pour composer un bon petit-déjeuner. Une action qui sonne comme une évidence pour cette classe de première, à l’origine du projet. “Si nous sommes là aujourd’hui, c’est pour vous montrer à quel point nous sommes recon-naissants pour tout ce que vous avez fait durant la crise sanitaire. Vous avez soigné des vies au prix des vôtres et nous ne pouvons que vous remercier pour ça”, explique Bezouky Innarah, l’une des élèves, aux principaux concernés.
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Après quelques mots du recteur, Gilles Halbout, venu les féliciter de vive voix, et du directeur des affaires médicales du CHM, Guy Allouard, la distribution des 162 collations aux personnels soi-gnants peut débuter. “Nous pensions que nous n’aurions pas droit d’aller partout, mais c’est une bonne chose si elles peuvent remettre elles-mêmes les caisses”, se réjouit Véronique Thiebaut, l’enseignante référante qui coordonne l’évènement. Pas moins de dix services, de la maternité au laboratoire en passant par la pédiatrie, reçoivent cette visite inattendue. Le corps enseignant, qui accompagne les lycéennes, se met volontairement en retrait afin de les laisser mener la danse. Et le constat est sans équivoque : elles se débrouillent comme des professionnelles.
“Le lycée n’apprend pas qu’à lire et à écrire”
Pensé et suggéré par les élèves, ce projet a pour unique but d’apporter une attention à ceux qui se sont retrouvés en première ligne durant de longs mois. “Cette action entre complètement dans leur cursus. Les valeurs que nous faisons passer au lycée sont le respect et la solidarité au sein des classes mais aussi à l’extérieur”, détaille Véronique Thiebaut. Et la leçon semble être assimilée. “Le lycée n’apprend pas qu’à lire et à écrire, notre lycée nous a inculqué des valeurs comme la solidarité et la fraternité et c’est ce qu’e nous partageons aujourd’hui avec vous”, précise, non sans un brin d’émotion, Bezouky Innarah.
Et c’est avec joie que l’hôpital accepte ce partage. En raison d’une deuxième vague particulière-ment rude, les soignants se sentent exténués et commencent à peine à retrouver un rythme plus ou moins normal. “Accueillir ces élèves permet de baisser la pression. Le quotidien de l’hôpital est assez lourd, stressant, et cela permet de voir autre chose. Leur présence prouve que la crise est en train de passer, maintenant nous allons pouvoir souffler. Ils sont le rayon de soleil dont nous avions besoin”, sourit Guy Allouard, le directeur des affaires médicales au CHM.
Impliquées dans l’organisation de cet évènement du début à la fin, les jeunes filles se montrent “très responsables et autonomes”, souligne leur professeure. En plus des petits-déjeuners, des mots de remerciements complètent chacune des caisses. Rien n’a été laissé au hasard. “Nous nous sommes données à fond. Pour nous, c’est un honneur de les servir. Je suis sûre que notre geste les a touchés”, assure Fayka, une autre étudiante. Si les sourires affichés sur les visages des soignants est un indice, alors on peut assurer sans prendre de risque qu’ils ont été marqués par cet élan de générosité.
À l’occasion du dixième anniversaire de la départementalisation, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a annoncé aux élus et représentants de Mayotte sa volonté de mener une concertation rapide, dans le but d’aboutir à un projet de loi le 14 juillet prochain.
Comme un cadeau d’anniversaire. Le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, réuni en visioconférence mercredi soir avec les élus de Mayotte à l’occasion des dix ans de la départementalisation, a annoncé une consultation de “l’ensemble des forces vives” afin de proposer une loi de programmation spécifique à Mayotte, selon un calendrier préétabli. “Nous allons ouvrir un temps de concertation important mais rapide dans lequel nous allons donner la parole à l’ensemble des Mahoraises et des Mahorais, aux élus locaux, aux responsables économiques et sociaux”, a précisé le locataire de la rue Oudinot, dans une vidéo postée ce jeudi sur son compte Twitter.
Un calendrier serré
Rendu des copies ? Le 14 juillet, pour un autre anniversaire républicain, la fête nationale. Le projet a pour objectifs d’accélérer la départementalisation, le développement de l’île et surtout la convergence avec les autres DOM et la métropole, pour enfin “converger vers une égalité sociale réelle”, répondant par là à une demande forte de la population. Du 1er avril au 1er juin, les maires, les élus, les candidats, les associations et les forces vives sont invités à participer à cette consultation. À mi-parcours, au mois de mai, une visioconférence sera organisée avec les élus et les acteurs du monde économique et social tandis qu’un questionnaire sera mis en ligne sur le site Internet du ministère des Outre-mer. Une fois l’architecture du projet de loi ficelée, le ministre entend bien le présenter en conseil des ministres avant la fin du quinquennat.
Quatre pistes sont d’ores-et-déjà posées sur la table : le renforcement du rôle régalien de l’État, “en travaillant aux causes mêmes des flux migratoires” ; la convergence sociale “pour qu’il y ait à Mayotte les mêmes droits que pour un autre département français” ; le développement pour faire face à la démographie galopante de l’île, mais aussi aux enjeux environnementaux ; et l’évolution du fonctionnement de la collectivité, qui “n’a pas les moyens financiers de son statut ni même son organisation électorale”. “La départementalisation, cela ne veut pas dire l’uniformisation de la manière d’y travailler”, a insisté Sébastien Lecornu.
Des demandes déjà formulées par les élus
Une démarche plutôt bien accueillie par les élus, dont plusieurs s’étaient d’ailleurs déjà fait l’écho de ces chantiers indispensables pour Mayotte, notamment dans nos colonnes à la veille du 31 mars. “Le but que nous recherchons est qu’enfin, ce département-région ait les outils pour jouer pleinement et entièrement son rôle de chef de file de son propre développement”, avait par exemple exprimé le sénateur Thani Mohamed Soilihi en référence à ce toilettage institutionnel. Côté convergence des droits, les voix en faveur d’un alignement ne manquent pas non plus. “En 2012, nous avons instauré le RSA à l’époque où j’étais président. Entre 2012 et 2015, il est passé de 25 à 50% (du montant national, ndlr), mais depuis il n’a pas progressé en dehors de la revalorisation annuelle”, soulignait ainsi l’élu et ex-président du conseil départemental Daniel Zaïdani, qui appelait justement de ses voeux une “loi programme”.
Donner la voix aux Mahorais
“Je veux saluer cette annonce, je m’en réjouis, car pendant les quarante années qui nous précèdent, c’était l’État qui nous a toujours dit ce qui était bon pour nous. Et aujourd’hui, les Mahorais sont face au mur, donc les orientations n’étaient peut-être pas les bonnes”, commente le député Mansour Kamardine, qui indique avoir déjà envoyé ses propositions. Il faut dire que les élus ont eu l’occasion à maintes reprises de noircir quelques pages à l’attention du gouvernement. La dernière en date remonte au mois de décembre 2020, quand ils ont adressé par courrier au ministre des Outre-mer leur position commune pour le projet de loi portant décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification. Sans parler du plan de convergence de 2018, ou encore de la loi pour l’égalité réelle Outre-mer de 2017… “Cette loi est en inadéquation avec le territoire car Mayotte est loin des standards des autres DOM ! (…) Quant au plan de convergence, il n’a de convergence que le nom ! Il ne mentionne aucune mesure concrète pour construire le département de demain”, s’exclame le parlementaire, en rappelant les nombreux chantiers prioritaires que sont les routes, la piste longue, le port, l’université de plein exercice, l’assainissement…
Dans ses propositions, Mansour Kamardine évoque lui aussi “l’urgence” de l’égalité sociale. “Je pense que d’ici 2025, nous pouvons aligner les cotisations patronales, sans que cela pèse sur l’économie, c’est un argument fallacieux, de même que l’appel d’air : ce que nous demandons c’est le même niveau d’allocations ici qu’à La Réunion ou en métropole, cela ne modifie pas le régime d’accession à ces prestations !”, déroule-t-il. Sur l’évolution de la collectivité, l’élu est plus mitigé : “oui à une modification du mode de scrutin pour intégrer un mode de scrutin régional”, mais gare aux champs de compétences. “Sur le principe d’une extension des compétences, je dirais oui, mais il faut d’abord que l’État accepte de mettre à niveau ces domaines-là”, à savoir les routes nationales, les lycées et collèges et l’université. Il ne faudrait pas que le conseil départemental se retrouve du jour au lendemain à tout gérer sans les lignes budgétaires correspondantes… Enfin, Mansour Kamardine espère obtenir “la reconnaissance de la francité de Mayotte à l’international”. Pour qu’à un prochain sommet de l’ONU, une délégation de Mahorais vienne expliquer à la communauté mondiale que “nous avons fait un choix libre”. Une bonne fois pour toutes !
Son arrivée à Mayotte n’est pas passée inaperçue. Laurent Simonin succède à Jean-Marie Cavier à la tête de la direction territoriale de la police nationale, après avoir passé une grande partie de sa carrière en région parisienne, à des postes à haute responsabilité. Mayotte était comme une évidence pour celui qui a une carrière remplie de moments marquants.
Il attendait cette nomination depuis longtemps, il l’a enfin obtenue ! Laurent Simonin a quitté la ville de Dreux pour ce petit bout de France, perdu dans l’océan Indien. “C’est la troisième fois que j’essaye de venir ici”, annonce le nouveau directeur territorial de la police nationale à Mayotte. Et si le 101ème département lui tenait tant à cœur, c’est parce qu’il représente un “challenge professionnel” pour celui qui a passé pratiquement toute sa carrière à Paris et en région parisienne. Des années en plein cœur de la capitale durant lesquelles il a tout vu, ou presque, et surtout occupé des postes stratégiques comme celui de responsable de l’ordre public dans la ville Lumière et dans le département de Seine-Saint-Denis.
Au cours de sa vie professionnelle déjà bien remplie, il s’est notamment occupé des manifestations revendicatives et des voyages des chefs d’État français et étrangers. Mais parmi tous ces souvenirs, un évènement l’a particulièrement marqué… “Lors des attentats du 13 novembre au Stade de France, j’étais en charge des lieux”, se rappelle-t-il. Sur l’île aux parfums, Laurent Simonin compte bien se servir de son expérience dans des villes connues pour le trafic important de stupéfiants pour lutter contre ce fléau. “Les techniques d’enquête que nous pouvons mettre en place peuvent être adaptées ici, parce que c’est une criminalité organisée au même titre que les réseaux de passeurs qui existent pour faire entrer à Mayotte les personnes en situation irrégulière”, explique-t-il.
Améliorer la communication des unités et conquérir les territoires difficiles
Dès sa prise de fonction lundi dernier, Laurent Simonin a tenu à connaître immédiatement ses équipes et leurs méthodes de travail. Parti en mission avec elles, de nuit comme de jour, il se dit agréablement surpris. “Les fonctionnaires sont extrêmement motivés. J’ai été bluffé par le niveau d’implication des adjoints de sécurité. Ceux que j’ai pu voir en métropole n’étaient pas aussi impliqués et n’avaient pas tout le savoir-faire que j’ai pu voir ici”, souligne-t-il. Le nouveau directeur territorial de la police nationale souhaite tout naturellement maintenir ce niveau d’exigence et améliorer les échanges d’informations entre les unités. “L’idée c’est que tout le monde soit au courant des faits de délinquance, que l’on arrive à avoir une bonne communication des personnes qui sont recherchées”, précise-t-il.
S’il sait d’emblée qu’il ne fera pas de grandes révolutions au sein de la DTPN, Laurent Simonin, aspire particulièrement à « regagner » les territoires devenus compliqués. “Nous allons essayer d’avoir une occupation assez méthodique. En général, quand nous avons des difficultés dans un secteur, nous y retournons le lendemain, le surlendemain…” Sans trop en dévoiler pour garder un coup d’avance sur les malfrats.
Les attentes des syndicats face à la limitation de ses compétences
Autre priorité depuis son débarquement dans le 101ème département ? Rencontrer les syndicats, qui espèrent le voir à la hauteur de son prédécesseur, Jean-Marie Cavier. “Nous voulons qu’il soit capable de s’inscrire dans la dynamique mahoraise avec les Mahorais”, indique Bacar Attoumani, secrétaire départemental du syndicat Alliance Police Nationale 976. Cela passe notamment par le recrutement de policiers mahorais pour “une meilleure représentativité de la population dans la police, dans toutes les catégories”, ajoute le syndicaliste. Requête à laquelle le directeur territorial de la police nationale n’a pas de réponse satisfaisante à donner pour l’instant. “Je suis quelqu’un de très pragmatique et j’utiliserai tous les leviers pour essayer d’avoir une stabilisation des effectifs, voire une augmentation. Mais la décision ne me revient pas”, confie-t-il.
Du côté d’Alternative Police, le délégué départemental demande plus de moyens. “Nous avons eu des arrivées d’effectifs, de véhicules, du renouvellement de matériel. Nous espérons que Monsieur Simonin continuera dans la lancée de Monsieur Cavier,”, indique Aldric Jamey. Et là encore, Laurent Simonin prend des pincettes car“ce sont des arbitrages nationaux, je ne suis pas la personne qui décide in fine”, avertit-il. Une chose est sûre, tous s’accordent à dire que la protection des policiers est primordiale. Ils doivent maintenant mettre en place une stratégie commune pour l’assurer.
50 postes de service civique à pourvoir dans la police nationale
Le ministère de l’Intérieur a annoncé la semaine dernière son nouveau “Plan 10.000 jeunes”, s’engageant à les accompagner dans leurs études et leur insertion dans la vie professionnelle. Ce programme est destiné à la population en difficulté à la suite des confinements. “Il propose des stages et des offres d’emplois aidés pour les jeunes, essentiellement étudiants ou en difficultés économiques et sociales”, précise Thierry Lizola, brigadier en charge du bureau partenariat et prévention à Mayotte. Sur le territoire, cela se concrétisera par 50 postes de service civique en police nationale, 30 stagiaires en classe de troisième et 60 pour le lycée. Il s’agira de stages de découverte qui permettront aux jeunes de se familiariser avec les différents métiers de la police nationale. Les jeunes intéressés peuvent envoyer leur candidature à l’adresse e-mail suivante : plan10000@mayotte.pref.gouv.fr
Mais il ne faut pas traîner, les places sont très convoitées : huit contrats ont déjà été attribués à l’arrivée du nouveau directeur territorial de la police nationale. Et si les jeunes sont aussi motivés pour intégrer ce service civique c’est parce qu’il leur ouvre les portes du monde du travail. “Certains sont dans une démarche de demande d’emploi, d’autres ont intégré les entreprises de sécurité et puis quelques-uns sont dans la police nationale. Nous avons deux gardiens de la paix et cinq adjoints de sécurité et deux attendent leur incorporation dans une école de police. 25% des jeunes ont trouvé un emploi à temps plein”, énumère Thierry Lizola. La grande majorité des autres ont repris leurs études. Au-delà de l’insertion professionnelle, le service civique leur apprend à être des citoyens en leur rappelant leurs droits et devoirs. Leur mission est d’une grande aide pour la police nationale puisque ces jeunes sont souvent aux abords des établissements scolaires dans le but d’assurer l’ordre public. “Leur présence a beaucoup apaisé les choses, pas forcément sur les actes les plus graves, mais elle tempère les ardeurs du socle bas de la délinquance”, insiste Laurent Simonin.
Un homme a écopé de trois ans de prison dont deux avec sursis dans une affaire de prostitution impliquant quatre mineures. Le prévenu, qui travaille auprès des jeunes dans un foyer, a prétendu méconnaître l’âge des plaignantes.
“Votre employeur sait que vous êtes visé par cette procédure ?” Hochement de tête négatif, suivi d’un grommellement à peine audible. « Ça ne devrait plus tarder…”, cingle du tac au tac un curieux, assis sur un banc reculé de la salle d’audience, en relevant un œil sarcastique vers le prévenu. Dans le mille : une bonne heure plus tard ce mercredi, le tribunal correctionnel de Mamoudzou condamne à trois ans de prison dont deux avec sursis un homme pour recours à la prostitution de quatre mineures, âgées de 14 à 16 ans. Le prévenu, qui, ironie du sort, travaille aussi comme éducateur dans un foyer pour jeunes de l’association Mlézi Maoré, a interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs pendant dix ans.
L’affaire éclate en août 2019. Un assistant social du collège de M’Tsangamouji apprend d’une jeune fille qu’elle et trois de ses amies, toutes les quatre en situation de fugue ou d’errance, ont logé pendant un temps dans une maison à Tsararano, où elles ont eu des relations consenties avec le propriétaire contre de l’argent. Face à leur refus de réitérer ces rapports, les mineures auraient été mises à la porte. C’est dans un banga à Sada, que l’agent de M’Tsangamouji retrouve le groupe des quatre, visiblement “livrées à elles-mêmes”. À l’issue de leur audition, elles seront finalement placées en famille d’accueil.
Un premier rapport contre 50 euros
Quelques semaines en arrière, la première de la bande, âgée de 16 ans, croise la route de cet éducateur alors qu’elle lève le pouce entre Combani et Passamaïnty. Abandonnée par son père à l’âge de huit ans, frappée par son beau-père à 14, violée, la jeune fille qui alterne entre la rue et le domicile de son copain depuis 2018 n’en est pas à sa première infortune. Alors, quand le conducteur, derrière le volant de sa voiture, lui propose un rapport sexuel, une fois, puis deux, moyennant “tout ce qu’elle veut”, l’adolescente finit par accepter. Bilan des courses : 50 euros, rapporte la présidente à l’audience en lisant son audition. À noter que ni les plaignantes ni l’administrateur ad hoc de l’aide sociale à l’enfance (ASE) n’étaient présents ce mercredi, ce qui aurait pu motiver le renvoi, comme l’avait d’ailleurs souligné le ministère public en début d’audience.
Deuxième rencontre, quelques temps après, toujours en stop. Alors qu’elle n’a nulle part où dormir, l’homme la ramène dans cette maison de Tsararano et lui laisse 100 euros, car il part en voyage. À son retour, quelle n’est pas sa surprise quand il la retrouve flanquée de ses trois camarades, elles aussi en errance. D’après le prévenu, les quatre refusent de partir. Les auditions des plaignantes livrent toutefois une autre version. “Il nous a réunies et il nous a demandé à toutes les quatre de coucher avec lui”, déclare l’une des plus âgées. Si elles refusent les parties à plusieurs, toutes confirment avoir eu au moins une relation consentie à tour de rôle avec le quadragénaire. “J’ai accepté car je voulais de l’argent, les autres filles attendaient dehors sur la terrasse”, relate un deuxième témoignage, qui confirme les sommes d’argent reçues en retour, comme pour ses amies.
“De l’aide pour acheter des couches”
“J’ai couché avec la première, mais les autres il n’y a pas eu d’échange”, se défend gauchement le prévenu en référence aux relations tarifées dont on l’accuse. Et encore, pour la première, “elle m’a demandé de l’aide pour acheter des couches à sa fille”. “Avoir un rapport sexuel, c’est de l’aide pour vous ?”, tance la magistrate. “Donner de l’argent, oui c’est de l’aide”, baragouine l’homme d’un air naïf, qui assure par ailleurs n’avoir pas connaissance de l’âge véritable des jeunes filles. Certaines disaient avoir des enfants, plaide-t-il. Ce qui n’est pas, malheureusement pour lui, gage de majorité, surtout à Mayotte…
Ce qu’il regrette aujourd’hui ? N’avoir pas cherché à vérifier leurs dates de naissance, explique-t-il aux juges. Un détail, qui peut coûter cher en effet ! Si le fait d’accepter des relations sexuelles d’un prostitué en contrepartie d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de 1.500 euros d’amende, la loi prévoit entre trois et sept ans d’emprisonnement et jusqu’à 100.000 euros d’amende dès lors que le prostitué est mineur. Et le tribunal ne marche pas avec l’apparente ignorance du prévenu, censé travailler quotidiennement auprès de jeunes mineurs, dans un foyer de Mlézi…
“En vous écoutant, j’ai senti des certitudes avant même l’audience que Monsieur était déjà coupable. (…) Comment peut-on juger une personne s’il n’y a pas de contradiction, alors que de la confrontation jaillit l’étincelle de la vérité ?”, lâche Maître Kamardine, avant de rappeler un précédent encore sensible, celui de l’affaire d’Outreau, fiasco judiciaire des années 2000 qui avait conduit à la détention provisoire, puis à l’acquittement de treize accusés. Mais ses tentatives de prouver la sincérité de son client ne suffiront pas à convaincre le tribunal qui ira dans le sens des réquisitions du parquet.
Pas de grand rassemblement ou de scène de liesse pour ce dixième anniversaire de la départementalisation. Mais à son échelle, la mairie de Mamoudzou a voulu marquer d’une pierre blanche cette date ô combien symbolique en mettant le conseil municipal des jeunes sur le devant de la scène, ainsi qu’une classe de CM2 de Kaweni Stade.
Place de la République. 15h. Les techniciens de la mairie de Mamoudzou procèdent aux derniers réglages avant le lancement du live Facebook pour célébrer les dix ans de la départementalisation. À l’abri des regards indiscrets, Rosemina Ali parcourt une dernière fois les grandes lignes de son speech. « J’ai appris à midi que j’allais prononcer le discours. Mes collègues ont eu trop peur », confie le sourire aux lèvres la demoiselle de 17 ans, élue au conseil municipal des jeunes depuis maintenant deux ans.
Si l’événement est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de Mayotte, la crise sanitaire empêche la population de se réunir en masse comme elle en a l’habitude lorsqu’il s’agit de rappeler son appartenance à la France. « Nous avons appris par l’arrêté du 26 mars que nous étions [malgré tout] autorisés à organiser des manifestations dans l’espace public », rembobine Fatou Chauveau, directrice de la jeunesse, de la culture et de la politique de la ville au sein de la ville chef-lieu. « Il a fallu s’organiser en deux jours… »
L’ancienne directrice de la MJC de Kawéni prend alors contact avec l’établissement scolaire de Kawéni Stade qui a bénéficié en 2019 du projet chant chorale à l’école, porté par l’inspection de l’Éducation nationale de Mamoudzou Nord. Un projet mis en suspens par le Covid-19… Une parenthèse qui n’enlève en rien le talent des élèves de la classe de CM2 D de Monsieur Moudjibou, « la première génération de la départementalisation », invités à entonner la Marseillaise en direct, après les quelques mots d’introduction du premier adjoint au maire de Mamoudzou, Dhinouraine M’Colo Mainty.
La jeunesse, la ressource première du territoire
Avant l’entrée en scène de Rosemina Ali. Plus question de se débiner ! « Je suis née sous Mayotte, collectivité territoriale française, et aujourd’hui me voilà citoyenne du 101ème département français. […] En revendiquant la départementalisation, nos aînés ont vu le moyen d’ancrer, le plus solidement possible, Mayotte au sein de la République française », déroule-t-elle, d’une voix claire, les yeux tournés vers l’objectif. Un exercice oral pour le moins stressant, tant désiré par le maire Ambdilwahedou Soumaïla, qui voulait mettre sur le devant de la scène son conseil municipal des jeunes, « les adultes responsables de demain », en cette date symbolique. « Il faut composer avec la jeunesse qui est souvent vue comme un problème alors qu’elle est la ressource première du territoire », insiste Zaidou Tavanday, le directeur de cabinet du premier magistrat.
Derrière son pupitre toujours, Rosemina Ali continue sa plaidoirie d’une main de maître. « À l’horizon des dix prochaines années, soit en 2031, notre territoire devra garantir un meilleur épanouissement de la jeunesse de Mamoudzou, une meilleure offre d’éducation des enfants, avec des possibilités d’insertion et d’entrepreneuriat pour tous », insiste en guise de conclusion celle qui aspire à jouer sa partition dans la politique locale. Pas peu fière d’avoir réussi ce pari en seulement quelques heures de préparation, la jeune femme se montre même perfectionniste. « Je trouve que j’ai un bugué sur la fin, mais le message est passé, non ?! »
Mayotte 2021 n’est certainement pas la même que Mayotte 2011. La population a nettement augmenté, une partie s’est enrichie tandis qu’une autre s’est appauvrie. Les infrastructures se sont développées, mais malgré tous ces changements, le 101ème département de France cumule un large retard qui lui vaut la triste réputation de département le plus pauvre de France.
Le nombre d’habitants à Mayotte a toujours été au cœur du débat public, avant même la départementalisation. En 2017, l’Institut national de la statistique et des études économiques a recensé 256.000 habitants sur l’île. Un comptage sous-évalué selon une majeure partie de la population, qui n’a jamais cessé de rabâcher le nombre de 400.000… « Nous ne pouvons pas combattre la croyance populaire. Cette polémique va rester en l’état. Mais il n’y a jamais eu d’éléments techniques pour contester le chiffre officiel”, relate Jamel Mekkaoui, ancien chef de l’Insee à Mayotte.
Depuis cette même année, le nombre d’habitants a augmenté, mais n’a jamais atteint le chiffre fantaisiste prôné par certains. Quatre ans plus tard, le territoire compte 289.000 administrés. “C’est une estimation fiable. Les autres chiffres sont des fakes news ! Actuellement, nous sommes en train de faire le recensement et les agents sont des Mahorais qui vont partout et même dans les bangas. S’il y a des gens qui se cachent dans les bois parce qu’ils ont peur, nous pouvons en rater une poignée mais pas 150.000”, martèle Bertrand Aumand, l’actuel responsable du service régional. Pour rappel, en 2012, la population était estimée à 212.600 âmes, ce qui représente une hausse de 3,8% par an.
Les inégalités se sont accentuées
En 2011, selon l’Insee, le PIB par habitant était de 7.222 euros, contre 9.251 euros en 2018. Le pouvoir d’achat individuel a augmenté en moyenne de plus de 3,5% durant cette période. Pour une simple et bonne raison : la création d’une multitude d’entreprises, synonyme de production de richesses. Si l’Institut n’a pas encore actualisé ces chiffres, la crise de 2018 et le Covid-19 ont de fortes chances d’impacter le monde économique. “Les nouveaux résultats risquent d’infléchir, mais c’est pareil en métropole et même en Europe », prévient Bertrand Aumand. Et pourraient ainsi rebattre les cartes du seuil de pauvreté, passé de 84% à 77% entre 2012 et 2017. “J’aurais tendance à dire que le taux de pauvreté monétaire ne devrait pas chuter, il pourrait peut-être même légèrement augmenter”, nuance le chef du service régional de l’Insee à Mayotte.
Au-delà des chiffres, son prédécesseur a observé un changement de mode de vie selon la classe sociale durant ses sept années à Mayotte. “Une partie de la population s’est enrichie, nous l’avons vu dans les budgets des familles. Cela s’est concrétisé par l’achat de voitures neuves. Quand je suis arrivé à Mayotte il y en avait très peu. Aujourd’hui, il y a un parc automobile de qualité”, rapporte Jamel Mekkaoui. Tandis que certains se sont enrichis, d’autres se sont appauvris. Pour preuve, les logements en tôles ont augmenté de 1% de 2012 à 2017, tandis que, sur la même période, le nombre de foyers n’ayant pas accès à l’eau courante n’a que très légèrement régressé (30% contre 29% cinq ans plus tard).
Bon en avant pour les infrastructures
“Mayotte est loin du compte. Elle est très loin des normes métropolitaines et même des autres territoires ultramarins, qui sont également en retard par rapport à la métropole”, souligne Jamel Mekkaoui. Malgré cela, difficile de nier le développement rapide du territoire. L’aéroport de Mayotte en est le parfait exemple : son standing actuel est à des années lumières des dernières décennies. Quant aux routes, elles étaient tout bonnement impraticables sans l’aide de gros 4×4. “Lorsque je suis arrivé en 2013, nous devions passer à côté des bosses et des trous pour rouler”, se remémore, un brin nostalgique, Jamel Mekkaoui. Même son de cloche pour Internet, avec un haut débit inexistant avant la date fatidique de la départementalisation.
Partie tout en bas de l’échelle, l’île aux parfums poursuit son bonhomme de chemin et peut envisager à son rythme un avenir prometteur. “Mayotte est un département depuis seulement 10 ans, il faut être patient. Quand nous regardons en arrière dans l’histoire, les autres départements se sont développés lentement”, tempère Bertrand Aumand. Rendez-vous dans 10 ans pour voir si les projets en cours auront tenu leurs promesses.
Devenus de simples médiateurs sociaux avec la départementalisation, les ex-juges musulmans de Mayotte œuvrent auprès de la jeunesse et lors des conflits, dans le but d’apaiser les tensions. Mais alors que Mayotte fait face à une insécurité chronique, le conseil cadial peine à retrouver son influence, surtout auprès des jeunes, plus proches de la justice de droit commun.
Cadi Ahamada Ouirdane Chamassi passe un doigt précautionneux sur le vieux document jauni qu’il vient d’extirper de l’une de ses étagères. “Là, vous voyez, c’est un acte de naissance, en date de 1967. Vous avez encore écrit “Territoire des Comores”, dessus”, lit le représentant musulman la tête perdue plusieurs années en arrière, au milieu de ces vestiges de l’Histoire. Dans ce petit local loué par le conseil départemental, à deux pas de la mairie de Bandrélé, quelques piles d’archives témoignent encore du rôle central des cadis avant le passage progressif de Mayotte au statut de département. Tout à coup, un homme fait irruption dans la pièce, des boitiers dans les mains. C’est le mécanicien qui doit s’occuper du téléphone. “Avant, les bâtiments étaient délabrés, mais compte tenu de l’importance de notre travail, nous commençons à être mieux équipés”, souligne le cadi de Bandrélé, de retour en 2021.
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Anciens juges musulmans aux fonctions administratives, civiles et religieuses, à la fois maires et notaires, en charge de l’héritage, de l’état civil, du mariage comme de la résolution des conflits, les cadis ont vu leur rôle s’effriter avec l’alignement progressif de Mayotte sur le droit commun. À leur grand dam, la départementalisation a achevé de les priver de leurs prérogatives officielles, au profit de la justice de la République, qui s’attire encore aujourd’hui la méfiance d’une partie de la population. Et dans ce tout nouveau département, où plus de la moitié des habitants ont moins de 18 ans, les cadis ont aussi perdu de leur influence auprès d’une jeunesse “en manque de repères”, estime Younoussa Abaine, le directeur de la médiation et de la cohésion sociale au conseil départemental.
“Consolider leur rôle dans la prévention éducative”
En effet, rares sont les jeunes qui voient encore le cadi comme une autorité de référence. Et si, parmi ceux que nous avons interrogés, certains regrettent ce juge de proximité qui avait le mérite de rappeler rapidement à l’ordre les délinquants dans les villages, beaucoup se contentent d’un haussement d’épaules dubitatif. “Le cadi ? On n’entend presque plus parler de lui, on voit les panneaux dans la rue. Mais c’est une autorité religieuse, cela ne peut pas fonctionner avec la laïcité ”, confie ainsi Farouk, un lycéen de Koungou. Hochements de têtes approbateurs de ses camarades .
Démodés, les cadis ? Pas de l’avis de Younoussa Abaine. “J’ai été choisi en 2016 par le président pour la mission de médiation sociale, il s’agissait d’installer un service composé des cadis et des maîtres coraniques et de consolider leur rôle dans la prévention éducative”, raconte-t-il. Car dans ce département en proie à une insécurité chronique et à une forte délinquance juvénile, redonner une place à cette autorité traditionnelle relève selon lui d’enjeux à la fois sécuritaires et institutionnels.
D’où la mise en place progressive de ce conseil cadial, consulté régulièrement par les différentes autorités de l’île, que ce soit l’agence régionale de santé, quand il s’agit de véhiculer les gestes barrières contre le coronavirus, ou encore la préfecture et le Département, quand des affrontements éclatent au sein des villages. “Si l’institution cadiale ne peut effectivement plus se prévaloir d’être une autorité juridique pour ses missions traditionnelles de médiation sociale et familiale, elle conserve une influence, un magistère moral important”, confirme le président du conseil départemental Soibahadine Ibrahim Ramadani. “L’aspiration collective des habitants à la sécurité appelle des réponses diversifiées et collectives, impliquant aussi bien les associations, les clubs que le rôle des cadis.”
Des fonctionnaires du conseil départemental
Pour qu’ils exercent au mieux leurs nouvelles fonctions, les 19 cadis de Mayotte (18 cadis et le Grand Cadi) passent désormais obligatoirement par une formation sur la laïcité, le diplôme universitaire “Valeurs de la République et religions”, délivré par le CUFR. Rémunérés entre 1.500 et 2.500 euros par le conseil départemental, ils occupent officiellement un poste de fonctionnaire, de catégorie C ou A (pour le Grand Cadi notamment), avec pour mission la médiation sociale. Par ailleurs, des conventions ont été signées entre certaines communes de l’île, comme Bandrélé, ou récemment Mamoudzou à la suite des Assises de la sécurité en novembre 2020, pour consolider leur rôle dans la prévention éducative.
“Ils nous ont pris toutes nos compétences”
“Nous travaillons de 7h à 15h30 environ, mais en réalité, notre travail n’est pas de rester dans les bureaux et nous portons un point d’honneur à être présent quand on nous appelle”, décrit le cadi Ahamada Ouirdane Chamassi. Avec son homologue de Sada, Mohamed Abdallah, ils mènent d’ailleurs des actions de sensibilisation auprès des élèves à chaque rentrée des classes un peu tendue. “Nous allons à 5h du matin aux arrêts de bus pour leur dire qu’ils doivent étudier pour leur avenir et non pas amener la bagarre à l’école”, se gargarise Mohamed Abdallah.
Même fierté du côté du cadi d’Acoua, Yahaya Lihadji, présent en octobre dernier pour calmer les tensions entre les habitants des villages de Miréréni et Combani. “Avec la départementalisation, ils nous ont pris toutes nos compétences. On nous a dit de nous contenter d’aller au travail, de dormir là, un point c’est tout. Aujourd’hui, ils voient le bénéfice du cadi”, se réjouit-il. Pour autant, l’avenir de l’institution cadiale est encore semé d’embûches. La première ? Préparer la relève. “J’ai peur que là où un cadi part à la retraite, il n’y ait pas d’embauche pour le remplacer. Certains s’occupent déjà de deux bureaux… C’est une façon de casser les cadis”, souffle Yahaya Lihadj le regard dans le vague. Comme blessé pour la seconde fois.
L’événement aurait pu sembler heureux. Pourtant, à l’heure de dresser le bilan des dix premières années du département, plusieurs figures politiques déplorent le manque de moyens de la région, un statut acquis dans le même temps, mais que Mayotte peine encore à exercer.
Alors que le département célèbre sa première décennie, l’heure n’est pas qu’à la fête et aux cotillons pour certains acteurs politiques du territoire. Car dans l’ombre du statut acquis depuis dix ans, plane celui de la région, dont Mayotte, collectivité unique, est censée, depuis lors, exercer les compétences. Une double casquette visiblement trop lourde pour le dernier né des départements français, à en croire ceux qui le représentent. Car aujourd’hui encore, les financements reçus pour servir les missions de la région sont dérisoires face aux défis sociaux auxquels sont confrontés l’île. D’où l’idée d’un toilettage institutionnel portée par le sénateur Thani Mohamed Soilihi.
“Avec le président du conseil départemental notamment, nous avons été nombreux à porter très fort ce projet”, insiste le parlementaire. “Le but que nous recherchons est qu’enfin, ce département-région ait les outils pour jouer pleinement et entièrement son rôle de chef de file de son propre développement. Le département doit donner l’impulsion sur le plan social, la région sur le plan économique. Le volet régional ne fait que de l’accompagnement, on constate que beaucoup d’efforts restent à faire. » Preuve en est, les projets d’infrastructures et de constructions piétinent, notamment sous l’effet d’une réforme foncière antérieure à l’acquisition du nouveau statut, mais qui demeure non aboutie.
“Nous avons le statut mais pas les moyens”, résume à son tour, Abdallah Hassani, autre sénateur mahorais. “Les inégalités sociales observées à Mayotte viennent en partie du fait que nous ne pouvons pas exercer les compétences régionales, sans lesquelles Mayotte ne pourra pas se développer.” Interrogé à lui aussi à ce sujet, le député Mansour Kamardine acquiesce : “Il y a un décalage considérable entre les volontés politiques qui ont fait de Mayotte un département et les moyens mobilisés pour rattraper le retard de développement de l’île.”
Définir une loi de programmation, une priorité
Une poignée de jours après l’entrée en vigueur de la départementalisation de Mayotte, Daniel Zaïdani est élu conseil général du territoire. Il assiste aux premières loges à sa transformation, qu’il a suivi depuis ses prémices. “Nous nous attendions à voir s’établir à Mayotte, de façon progressive et adaptée aux réalités du territoire, le développement connu en métropole et à La Réunion. En 2001, une loi avait été adoptée pour établir un calendrier de travail sur dix ans”, se souvient-il. “La réalité, c’est que sur les dix dernières années, cette adaptation ne s’est pas faite comme envisagée.” La progressivité, quant à elle, “n’a guère avancé ces dernières années”. Et les exemples ne manquent pas : “En 2012, nous avons instauré le RSA à l’époque où j’étais président. Entre 2012 et 2015, il est passé de 25 à 50% (du montant national, ndlr), mais depuis il n’a pas progressé en dehors de la revalorisation annuelle. Si nous regardons les dernières années, il n’y a plus rien eu de progressif dans aucun domaine : en 2018, on nous avait donné un grand rendez-vous sur le code du travail, année où il devait s’appliquer à Mayotte. Mais ça a finalement été repoussé.”
Alors, Daniel Zaïdani préconise une “loi programme”, à l’instar du député Kamardine. “Cela nous permettrait d’avoir des échéances, des rendez-vous, des dotations dans le but de respecter les engagements des uns et des autres entre Paris et Mayotte, parce qu’aujourd’hui, nous sommes trop soumis aux engagements du gouvernement, qui aujourd’hui, ne réagit pas plus qu’il n’agit.” Un point que ne manque pas de détailler le parlementaire : “Toutes les promesses qui ont été faites ont été aussitôt oubliées, la première d’entre elles étant la construction de la piste longue qui devrait être en fonction aujourd’hui, mais qui a été immédiatement oubliée après la départementalisation, puisqu’en 2013, elle a été repoussée à 2050 sans aucune explication”, rappelle Mansour Kamardine. “Je pense aussi à la promesse qui a été faite concernant l’égalité salariale, ou encore les aides sociales qui ne sont pas toutes étendues à Mayotte. Et quand elles le sont, ce n’est qu’à hauteur de 50%. Voilà le bilan que nous pouvons dresser, celui d’un territoire totalement à l’abandon.”
Alors, à la veille de cet anniversaire malgré tout historique, 54 députés, issus de sept groupes sur les neufs que compte l’assemblée nationale, ont rédigé une tribune en guise de cadeau, intitulée “Engageons-nous à parachever le processus de départementalisation entamé en 2011”. Immigration, manque d’infrastructures, insécurité grandissante, désert médical et retard dans la mise en place du droit commun, le document balaie un large champ de problématiques. Celles-là même, qui, finalement, sont pointées du doigt depuis dix ans, déjà. Mais pour l’occasion, tous les élus du territoire, ou du moins, ceux qui répondront présents, s’entretiendront avec le ministre des Outre-mer, ce mercredi, afin de dresser un bilan de la dernière décennie à l’échelle de Mayotte.
Quel bilan faites-vous de la départementalisation ?
Youssrah Mahadali, habitante de Pamandzi de 23 ans
« Malheureusement, je n’en fais pas un constat positif… Pour ma part, on nous a vendu énormément de rêves au moment où on votait, mais entre les attentes et les choses effectuées, il y a quand même un gros fossé. Autant il y a eu des avantages, la départementalisation nous a amené un petit peu le nouvel aéroport, nous a permis d’avoir des infrastructures, ou dans des communes comme Labattoir, des espaces de loisirs, qui se mettent de plus en plus en place. Et finalement, c’est toutes ces aides de l’État et de l’Europe qui sont arrivées avec la départementalisation qui ont permis ça. Je pense aussi aux logements sociaux comme on peut le voir à Mgombani ou à Pamandzi au niveau du stade. Mais encore une fois, tout ceci reste minime face à tout ce qu’il faut faire à Mayotte. On a encore cette sensation “de ne pas être légitime” en France. Nous par exemple, en tant que jeune, quand on arrive en métropole pour les études, il faut qu’on fasse une dizaine de changements au niveau des papiers parce que la sécu n’est pas reconnue à Mayotte, parce qu’ils n’ont pas accès aux impôts de nos parents, etc. C’est plein de choses qui avaient été promises avec la départementalisation comme allant vers l’amélioration, mais en fait, on y est pas du tout. »
Ali Abdou Hakim, président du comité régional de basket de Mayotte
« Au niveau juridique, Mayotte est maintenant reconnue dans les ministères et à travers toutes les fédérations. Ce qui nous permet, nous dirigeants des ligues, d’être en relation directe avec les présidents de fédération, sans avoir besoin de passer par des intermédiaires. Ce statut nous permet de faire des demandes selon nos besoins en matière de formation, d’équipements ou d’accompagnement. Il faut noter que des comités existent encore sur le territoire et dépendent des ligues de La Réunion comme le tennis ou l’athlétisme. Mais la situation tend à se développer. La départementalisation a permis à l’État d’investir dans les infrastructures sportives tels que les gymnases, les plateaux couverts ou même la piscine ainsi que d’avoir notre place aux Jeux des Îles et peut-être même de les organiser en 2027. Si Mayotte obtient l’organisation, cela permettra à l’île de s’ouvrir sur sa région mais aussi à travers le monde sportif. Le ministère des sports, à travers les fédérations, facilite l’accès à la pratique du sport. En offrant des choix tels que les compétitions, les loisirs, le sport-santé, les détections des jeunes ou même les intégrations de jeunes dans les centres de formation en métropole. La communication a aussi évolué dans le milieu sportif… mais beaucoup reste à faire. Nous pouvons encore nous améliorer dans le département avec une meilleure organisation et davantage d’accompagnements au niveau des équipements et de la pratique. Nous devons offrir à notre jeunesse les choix pratiques et un peu plus de liberté dans l’expression de jeu afin qu’ils puissent réaliser leurs rêves. Pour finir, je dirais que nous avons le statut de département, mais pas encore tous les outils qui vont avec. En tout cas pour le moment. »
Baban Chelsea Papalahi
« Le processus de la départementalisation s’étend jusqu’en 2036. Il faut encore attendre 15 ans pour avoir tout ce qui compose un département français. »
Charabou Nabaouia
« Je pense que les choses se mettent en place petit à petit, mais les mentalités restent les mêmes. »
Salima Chaambany
« Mayotte avance à petits pas malgré les difficultés rencontrées sur son chemin… Elle est abandonnée par des élus qui oublient que la population lui a donné une mission : œuvrer pour le bien-être de chacun et se battre pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Et ça, nous sommes loin du compte avec la politique africaine du ventre ! »
Mad James
« On a endormi la population en insistant sur les avantages et non sur les inconvénients… Jacques Chirac avait vu juste en dotant l’île du statut de collectivité départementale, sans vouloir brûler les étapes. Mais bon, peut-être que cela prendra forme avec le temps. »
Fanny Omr
« 10 ans de cauchemar ! »
Matthieu Poisson
« Ce qui est triste, c’est que la très grande majorité de la population n’a pas lu le pacte de départementalisation et a voté oui, pour ensuite se plaindre de ce qui était écrit noir sur blanc (et en plusieurs langues). La départementalisation est, à mon avis, arrivée trop tôt, Mayotte n’était pas prête. Quand c’était collectivité, il y avait moins de problème. Mayotte est française pour toujours, département ou pas. »
Isabelle Gmyrek
« Je n’ai pas l’impression d’être dans un département français, tant la différence est grande. Les Mahorais n’ont pas les mêmes privilèges économiques et sociaux que les métropolitains. Comment voulez-vous que les Mahorais s’en sortent avec des loyers et des prix à la consommation presque deux fois supérieurs à ceux de métropole et des revenus deux fois inférieurs ? Pouvons-nous envisager aujourd’hui que l’ensemble des Mahorais se soumettent à la digitalisation de leurs démarches administratives et commerciales avec des capacités d’équipements aussi insuffisantes ? Près de 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté… Notre volonté de progresser est malheureusement très peu présente, ou bien stoppée par des autorités trop minimalistes ou égocentriques – faites le choix – alors que nous pouvons compter sur une jeunesse porteuse de savoir et de créativité. Bref, j’en passe… Il y a une multitude de freins qui empêchent Mayotte de briller ! »
Riava Cheik Afsar
« Jamais ce territoire, département ou pas, ne brillera tant que le peuple mahorais continuera de prendre l’État comorien pour son ennemi. L’idéologie issue des combats Serrer-la-main / Soroda est en train de s’essouffler, pendant que les ressortissants des Comores se trouvent au cœur des instances décisionnelles de votre collectivité. Rien de consistant ne se construira dans la haine née de la bipolarisation Mayotte-Comores. Aux nouvelles générations d’apaiser les tensions et de se réconcilier pour espérer un développement harmonieux de vos îles. »
Ambdi Gau
« En métropole, beaucoup de régions et de départements ont mis des années avant de devenir ce qu’ils sont maintenant. Regardez La Réunion, elle a mis presque 40 ans pour en arriver là. Après seulement 10 années de départementalisation, nous ne pouvons pas faire le même rattrapage que les autres. Soyons optimistes, voyons les côtés positifs. »
Said Said Alias
« Mayotte n’a de « département » que le nom, elle est toujours une collectivité unique, il ne faut pas se leurrer. Avant 2011, nous n’avions pas les mêmes problèmes, car nous n’avions ni les mêmes demandes ni les mêmes attentes. Aujourd’hui, l’État et le gouvernement doivent vraiment s’engager dans leurs missions à Mayotte, tout comme les élus locaux. »
Patou Martinez Sastre
« Mayotte n’était pas prête ! Pour y avoir vécu 6 ans avant la départementalisation et pour avoir des amis mahorais et comoriens, je trouve la situation actuelle bien triste… Le pouvoir est fautif, mais le peuple aussi ! »
Ce jeudi, tout Mayotte s’apprêtait à fêter la départementalisation à Mamoudzou. Mais à 9h15, l’élection du président du conseil général a tourné court, avec un scénario digne des plus grands films à suspens d’Hollywood. Faute de quorum, le CG n’a pas élu son nouveau président et la séance est remise à dimanche. la ministre a alors repoussé sa venue. le département est créé conformément à la loi du 3 août 2009, mais sans président.
« C’est une insulte à la population, c’est indigne de la République ! » Daniel Zaïdani et Ibrahim Aboubacar ne mâchent pas leurs mots quand, vers 9h15, Ahamed Attoumani Douchina proclame qu’en raison d’un trop faible nombre d’élus au sein de l’hémicycle Bamana, le président du CG ne peut être élu. Pourtant à 8h40, les choses s’annonçaient plutôt bien lorsque 10 élus sur 19 ont fait leur entrée dans l’hémicycle. Détendus, souriants, ils se sont installés côté gauche de l’hémicycle. Le seul qui a une feuille devant lui est Daniel Zaïdani. Il semble préparer son discours de président. Mais au fur et à mesure des minutes qui passent, toute l’assistance de l’hémicycle se demande où sont passés les élus de l’UMP.
« Il faut jouer le match et qu’ils soient déclarés forfaits », ironise Raos. À 8h55, Ahamed Attoumani Douchina fait son apparition. À 9h00, heure du début de la session, ils sont donc 11 élus dans l’hémicycle. C’est assez pour que la session se tienne et que le département soit officiellement en place, conformément à la loi, mais insuffisant pour élire le président puisqu’il faut un quorum de 2/3 des élus, soit 13 élus. L’appel effectué par Daniel Zaïdani, benjamin de l’assemblée, confirme l’absence des élus UMP, de Mirhane Ousseni, de Jacques Martial Henry et d’Issihaka Abdillah. Quelques minutes plus tard donc, après la constatation du quorum non-atteint, Ahamed Attoumani Douchina et Jean-Claude Louchet (DGS) quittent l’hémicycle. « Population de Mayotte, restez, nous allons élire symboliquement notre président et notre bureau », intiment les élus progressistes à l’assistance dans le brouhaha le plus total.
« L’UMP, c’est l’Union des mauvais perdants. Si la ministre pense venir pour saboter cette majorité, c’est raté », indique pour sa part Saïd Salimé, conseiller général de Chiconi. « Ca augure mal de l’installation du département », affirme pour sa part Elie Hoarau, député européen pour la France de l’océan Indien. Les progressistes ont trouvé suspect qu’aucun représentant de l’État ne soit présent, mais la préfecture souligne que sa présence au CG le matin n’était pas prévue.
À 9h30, Daniel Zaïdani en tant que benjamin des élus restés dans l’hémicycle et Sarah Mouhoussoune en tant que doyenne continuent l’élection, même si juridiquement elle n’est pas valide, en demandant une minute de silence pour Ahmed Madi, ancien conseiller de Bouéni décédé dans la nuit de mercredi à jeudi. Un quart d’heure plus tard, c’est sous les ovations qu’il est constitué, et la Marseillaise résonne. À la sortie de l’hémicycle, pour beaucoup de Mahorais, y compris partisans de l’UMP, c’est l’incompréhension.
« Pour cette journée historique, c’est vraiment honteux et inadmissible que les choses se soient passées ainsi », ont-ils déclaré. Il est clair qu’avec tous les yeux de la Nation rivés sur nous et un tel spectacle, les élus mahorais n’ont pas donné une belle image de Mayotte. Ce sera à eux d’expliquer leur choix à la population et de l’assumer. Dimanche, les 19 conseillers généraux sont attendus pour élire le président. Et quoi qu’il en soit, ce sera la bonne puisque l’article L 3122-1 du Code général des collectivités locales précise que même si le quorum n’est pas atteint, l’élection peut avoir lieu. Zaïdou Tavanday, l’un des élus absents, joint par téléphone a pour sa part déclaré n’avoir aucun commentaire à faire pour le moment.
Cet article a été repris tel quel dans le Mayotte Hebdo n°515 du vendredi 1er avril 2011
La réaction des politiques
Daniel Zaïdani, conseiller général MDM de Pamandzi
Je suis réellement indigné par rapport à ce qui vient de se passer. Je constate que la politique de la chaise vide est toujours d’actualité. Je constate que le jour où nous devions installer la départementalisation de Mayotte, un certain nombre d’élus ont refusé de venir siéger dans l’hémicycle afin d’installer la départementalisation souhaitée et voulue par nos parents depuis plus de 53 ans. (…) Nous n’admettrons pas qu’une minorité d’élus nous empêche de départementaliser l’île de Mayotte. Nous reviendrons dimanche, et nous installerons la départementalisation qu’ils le veuillent ou non. Je le répète, il est essentiel que l’ensemble de la population prenne conscience qu’il y a ici des gens qui sont minoritaires qui refusent de départementaliser Mayotte en présence d’Adrien Giraud, de Marcel Henry et de Zaïna Méresse. Ceci est un véritable scandale fait à la population mahoraise qui s’est battue. Pour ma part, et ce quelle que soit la majorité qui vient ici, lorsque nous sommes des élus, lorsque nous décidons de nous présenter à des élections, il est indispensable que chacun d’entre nous accepte le choix des urnes. Nous voulons départementaliser l’île, remettre en œuvre le conseil général et il y a des gens qui ne veulent pas faire cela à Mayotte. (…) C’est un scandale républicain !
Saïd Omar Oili, conseiller général de Dzaoudzi-Labattoir
Je n’ai jamais assisté à un coup d’État. Mais là, c’est la première fois que je le vis en chair et en os, et c’est inacceptable. Les urnes ont parlé. L’UMP a été battue et je ne comprends pas que des gens qui se disent républicains ne viennent pas dans la salle pour voter démocratiquement. Je trouve ça franchement scandaleux !
Mouhoutar Salim, porte-parole de l’alliance des Forces progressistes
Nous comprenons aujourd’hui que les élus de l’UMP sont de mauvais perdants, et nous comprenons aussi pourquoi il y a systématiquement des élections recommencées à Sada. (…) Nous avons notre majorité. Ils attendront 2014. Nous allons voter notre bureau, et nous n’irons pas accueillir la ministre, puisqu’elle n’a pas voulu de notre président.
Abdoulatifou Aly, député Modem de Mayotte
C’est une tentative de refus d’application de la loi républicaine. En démocratie, même si chacun est libre de faire ce qu’il envie de faire, on n’est pas libre du tout de refuser l’application de la loi. En démocratie, la liberté, c’est de justement de faire respecter la loi. Et ceux qui ont choisi de s’absenter aujourd’hui, ceux-là ne souhaitaient pas que la loi s’applique, au contraire de ceux qui sont présents. Encore une fois, chacun est libre de faire ce qu’il souhaite. La ministre est libre d’avoir les idées et les opinions que l’État a, mais ce que nous disons, c’est que l’État ne peut pas faire abstraction de la loi. La loi est au-dessus de tout le monde et personne n’est au-dessus de la loi.
Saïd Ahamadi, dit Raos, conseiller général PSM de Koungou
Je suis scandalisé. Je m’attendais à tout sauf à ça. L’UMP est pire que l’Union des Comores ! Ce sont des indépendantistes.
Michel Taillefer, président du Medef
Je suis atterré par le comportement des élus qui ne se sont pas présentés dans l’hémicycle du conseil général. C’est une insulte contre les Mahorais et la France. J’ai honte pour eux.
Mama Bolé est l’une des Chatouilleuses encore en vie de nos jours. Au commencement du combat pour Mayotte Française, la grand-mère était alors âgée d’environ une quarantaine d’années. Aujourd’hui, l’octogénaire est une ”coco” heureuse : de ses yeux, elle va bientôt assister au dénouement du combat de sa vie. Une bataille qui, malgré les années, est restée gravée à jamais dans sa mémoire.
Dans la lignée des grandes Chatouilleuses reconnues sur cette île, le nom de Sidi Echat alias Mama Bolé apparaît nulle part. L’île loue Zéna M’déré, Zakia Madi, Zaïna Méresse, Coco Djoumoi, Bouéni M’titi, Mouchoula, etc. Mais Mama Bolé, jamais. Rares sont les personnes qui la connaissent. Le docteur Martial Henry, l’un des figures historiques du combat pour Mayotte Française, compagnon de route de Younoussa Bamana et de son oncle Marcel Henry, désigne pourtant cette dame comme l’une des têtes emblématiques à l’origine du combat des Mahorais.
Une grande Chatouilleuse qui serait passée aux oubliettes ? « Mais non mes enfants, je ne suis pas une Chatouilleuse jetée aux oubliettes ! Disons que je n’ai pas beaucoup voulu faire parler de moi, car voyez-vous, je suis un instrument de Dieu, je ne raconte que des choses que mes yeux ont vues. Et sur cette histoire de « chatouille« , de mes yeux, moi Sidi Echat, je n’en ai jamais vue. Et comme souvent, vous les journalistes, vous vous intéressez principalement à ces histoires de « chatouilles« , j’ai préféré me taire, n’ayant rien à dire là-dessus », explique avec beaucoup d’humilité la vieille dame.
Elle poursuit, « du combat pour Mayotte Française, ce dont mes yeux ont souvenir, ce sont surtout les jets de cailloux, les affrontements avec des bouts de bois, les injures en tous genres… Mais les chatouilles ? Je n’en ai pas vues. Alors plutôt que de vous raconter des mensonges, je préfère vous parler des choses auxquelles j’ai assisté ». Sidi Echat est aujourd’hui âgée d’environ 85 ans. Une solide petite grand-mère qui se souvient encore parfaitement des événements qui ont bouleversé Mayotte au moment de la séparation avec les Comores.
« Face à nous se dressaient des Comoriens bien décidés à s’accaparer Mayotte »
« Ce combat, mes enfants, si nous l’avions mené principalement avec des chatouilles, croyez-moi nous aurions été battus. Face à nous se dressaient des Comoriens bien décidés à s’accaparer Mayotte et sachez que c’étaient eux qui détenaient le pouvoir, par conséquent les fusils et les grenades. Je pense que ceux ou celles qui ont étendu ce mode de combat de « chatouille » ont voulu transmettre une métaphore. Voyez-vous, comme nous n’étions pas armées par rapport à nos adversaires, souvent on y allait au culot. Il n’y avait que des femmes, les hommes eux avaient trop peur : s’ils bougeaient ils perdaient leur travail ou se retrouvaient emprisonnés. Vous voyez comment ça marche quand les femmes entrent en scène pour aller se battre ? Il y a des bousculades, des crêpages de chignons, des frottements, des cris, des youyouyous, etc. Des femmes au combat ! C’est peut-être ça qui a fait de nous des Chatouilleuses ? »
Aux balbutiements de l’indépendance des Comores, Mama Bolé, comme la plupart des femmes qui ont été à l’origine du soulèvement de Mayotte, vivait à l’extérieur de l’île. « Avec mon mari, un Grand Comorien, nous étions à Majunga. Zéna M’déré aussi vivait à Madagascar. Coco Djoumoi elle, était mariée à un Grand Comorien et habitait la Grande Comore. »
Un dicton mahorais dit : « Lorsqu’un scolopendre veut te mordre, toi qui est la cible, tu ne vois pas son arrivée. Ce sont ceux qui sont éloignés de toi qui l’aperçoivent en premier », parle en sage coco Mama Bolé. Par cette expression, la vieille dame entend que ce sont particulièrement les femmes qui évoluaient à l’extérieur de l’île qui ont, en premier lieu, senti le danger sur l’évolution des Comores et la mainmise sur Mayotte.
« Vous savez, quand les M’zungus sont à table, ils parlent beaucoup… »
« Mon mari travaillait comme boy chez un M’zungu. C’est de là que je suivais toute l’évolution politique des Comores. Vous savez, quand les M’zungus sont à table, ils parlent beaucoup… À les écouter, c’est une mine d’or d’informations. Mon mari Grand Comorien, donc fier de l’être, ne cessait de me narguer au retour du travail. Il me disait : « ça en est fini de Mayotte. Vous êtes des petits joueurs. Les grands vont prendre les responsabilités. Les administrations vont être transférées à Moroni. Bientôt Mayotte ne sera rien d’autre qu’un champ où nous irons cultiver les maniocs. Vous quitterez un à un votre petite île pour venir nous voir, nous les grands.« »
À ces mots, le cœur de Mama saignait : « C’était comme si on me transperçait la poitrine avec un couteau. À force d’entendre ces railleries, j’ai fini par déclarer : je rentre chez moi. » Mama Bolé quitta Majunga à bord du bateau « Scandinavie« . Elle fit escale trois jours à la Grande Comore. « J’ai été stupéfaite de voir tous les hommes de Labattoir à Moroni. Ça annonçait déjà la gravité des choses à Mayotte. »
Et lorsque la femme frôla enfin le sol de Dzaoudzi, un spectacle de désolation s’offrait à elle : « À Dzaoudzi, village jadis rayonnant, fierté de la présence française à Mayotte, il n’y avait plus rien. Seuls les bœufs et les moutons broutaient l’herbe, un petit garçon les nourrissait. La place du bâtiment des finances était recouverte par les mauvaises herbes. Non loin de là, des bâches couvraient des malles en bois, qui sans doute suivaient tout le reste vers la Grande Comore. Des feuilles blanches volaient partout, telles des papillons, seules empreintes des activités qu’il y eut ici jadis. »
Mama Bolé se précipita chez elle, elle y déposa ses bagages, et revint de nouveau à Dzaoudzi nostalgique. « J’y suis revenue chaque jour que Dieu fit mes chers enfants, pour constater encore et encore l’étendue des dégâts. Je râlais ! À longueur de journée. Les policiers Chaduli et Yahaya, toujours postés là, me prenaient sans doute pour une folle : cette Ma Kouraïchia n’a rien d’autre à faire de ses journées à part venir tous les jours râler ici. », s’intriguaient les agents.
Bientôt, les verbiages de Mama Bolé eurent un premier écho : « Je me suis mise certains habitants de Labattoir à dos. Ils me traitaient de vantarde car je disais : si ce genre de chose était arrivée à Madagascar, jamais les Malgaches ne se seraient laissés faire comme ça. Ils seraient partis demander des comptes à leur gouvernement. Les gens qui étaient contre moi, disaient : voilà, madame a voyagé un peu et ça y est, elle se prend pour madame je sais tout. » Puis enfin le jour de la reconnaissance arriva : « Une délégation venant de Pamandzi est venue me chercher : « viens avec nous, tu es appelée chez Coco Madi.« »
« Pour calmer vos ardeurs, il faudrait vous mettre du gingembre et du piment dans les foufounes… »
« J’avoue que là, je faisais moins la fière. Quand je suis arrivée chez cette dame, le jardin entier était rempli de femmes. Mon cœur battait très fort, je me disais : Echat dans quel pétrin tu t’es encore fourrée ? Mais toute cette délégation de femmes présentes dans cette cour espérait au final la même chose que moi : lancer un cri de revendication contre le gouvernement comorien. Nous nous sommes saluées et ensemble nous prenions l’engagement de nous soulever et amener nos revendications jusque dans les oreilles qu’il fallait. »
Ahmed Sabili, alors député représentant Mayotte à l’assemblée comorienne, était justement à Mayotte. Les femmes marchèrent à sa rencontre. « On lui a demandé d’agir, mais comme nous n’étions que des femmes, il s’est moqué complètement de nos revendications. Il nous riait au nez, en nous disant : « je ne peux pas vous épouser toutes. Je n’aurais pas assez de pain pour vous, prenez du manioc amer. Et bientôt, pour calmer vos ardeurs, il faudra vous mettre du gingembre et du piment dans les foufounes…« »
Inutile de décrire la colère qui s’empara alors des femmes. Le mouvement s’est amplifié soudainement. Les bouénis de Labattoir ont rejoint définitivement celles de Pamandzi, la révolte a ainsi pris forme. « On ne le laissa plus jamais tranquille. À chacun de ses pas, nous étions derrière lui. Mais vous savez, avec du recul je crois que ce jeu l’arrangeait bien. Comme par hasard, nous étions toujours prévenues des moindres de ses faits et gestes. Je me demande s’il ne s’est pas servi de nous, pour alimenter la tension entre Mayotte et les Comores ? », analyse avec du recul la Chatouilleuse.
L’affaire finit tout de même par arriver aux oreilles du gouvernement comorien. Said Mohammed Cheikh, le président du conseil de gouvernement, décide lui-même de se précipiter à Mayotte pour régler le problème. « C’est à ce moment-là que Zéna M’déré, la mère de ce combat, est sortie réellement de l’ombre. Vous savez, depuis toujours les foundis disaient que le combat de Mayotte serait conduit par une femme, mais jusqu’à ce fameux jour Dieu avait gardé cette femme en secret. Said Mohamed Cheikh arriva à Mayotte un lundi. Dimanche, nous nous sommes réunies et chacune se demandait qui allait oser l’affronter. Aujourd’hui encore, je me questionne sur moi. Aurai-je osé ou non affronter Cheikh ? C’était un grand homme, un président, tu n’avances pas vers lui si tu n’as pas d’arguments solides. » Coco Moirangué, l’une des femmes, recommanda alors Zéna M’déré. C’est donc ce fameux dimanche qui marqua l’entrée en scène dans la politique de la matriarche du combat pour Mayotte Française. « Zéna M’déré souffrait depuis un moment de maux de tête accentués par des douleurs terribles aux yeux. Elle avait prévu de se rendre à Anjouan. Là-bas, il y avait des guérisseurs réputés qui auraient pu l’aider », se souvient Mama Bolé.
Mais l’histoire en a décidé autrement : « Malgré sa souffrance, elle a accepté de nous suivre pour aller parler avec Cheikh. Le lundi, lorsque ce dernier est arrivé, Zéna M’déré l’a affronté droit dans les yeux. Que Dieu est grand, sa maladie s’était envolée. » La foule constituée uniquement de femmes s’était rassemblée sur l’actuel quartier Zardéni, l’emplacement où se trouvent les locaux de Mayotte Première.
« Avant, c’était là où se rendaient les députés, les ministres. Cheikh était protégé par des policiers, entouré par ses ministres et députés. Malgré notre nombre, nous ne sommes pas parvenues à en découdre avec lui ce jour-là. Il nous a dit : « revenez demain à 9h. » Une petite délégation s’est tout de même déplacée l’après-midi pour essayer encore, et là on a compris que même le lendemain il n’avait pas l’intention de nous recevoir. »
« Ma Fatima Soumkodzée versa les premières gouttes de sang au nom du combat pour Mayotte française »
« Cheikh avait semble-t-il un début de mal de tête, causé par nos chamailleries du matin », expliquait son entourage. Ce début de malaise ne refoula nullement les actions des Petites-Terriennes. « Le mardi matin, nous nous rassemblions en masse et réclamions coûte que coûte de le voir. Il a fini par accepter, mais ne voulait discuter qu’avec Zéna M’déré. » Hors de question, défendaient les femmes, qui craignaient des dessous de table. « Nous savions que si elle rentrait seule, ils allaient sans aucun doute lui proposer de l’argent, pour acheter son silence, c’était leur façon de faire. Soit on rentrait toutes, soit rien ! »
Un début de mouvement commença alors, « on s’accrochait comme on pouvait à Zéna M’déré. Ça tirait de tous les cotés. Les policiers tentaient de la faire rentrer et nous, nous essayions de la faire sortir. Et c’est là que quelqu’un, une voix sortie de nulle part a lancé : Ahhh Chaduli ! Tu frappes Coco Djoumoi ! À cet instant précis mes enfants ! Même les pèlerins à Minat ne pouvaient avoir la force qui s’était emparée de nous. Nous avons bondi sur les cailloux qui traînaient dans les parages… ».
L’affrontement débuta. Dans l’agitation, Ma Fatima Soumkodzée versa les premières gouttes de sang pour le combat de Mayotte Française. « J’ignore comment c’est arrivé, on l’a juste vue saigner de la tête. Nous avions cassé des vitres, piétiné des gens. Said Mohamed Cheikh a été insulté comme jamais il ne le fut de toute sa vie. Il tentait de nous calmer en répétant : « mes sœurs, nous pouvons trouver un arrangement ». Mais il était trop tard… Nous répondions : « tu pilles Mayotte, tu n’as aucune considération pour nous, tu ne seras jamais notre frère, tu n’es rien d’autre qu’un voleur.« »
Cet événement, gravé à jamais dans la mémoire de Mama Bolé, marqua l’entrée en scène des Chatouilleuses… Ce jour-là, les policiers réussirent à évacuer Saïd Mohamed Cheikh qui quitta Mayotte, selon la tradition orale, recouvert d’un drap, tellement l’homme se serait senti humilié par le comportement des Mahoraises. Jusqu’à sa mort le 16 mars 1970 à Antananarivo, le président du conseil du gouvernement ne remit plus jamais les pieds à Mayotte. Le mouvement des femmes de la Petite-Terre prenait quant à lui un nouvel élan, bientôt des actions de ce type se répétèrent sur toute l’île.
Cet article a été repris tel quel dans le Mayotte Hebdo n°515 du vendredi 1er avril 2011
La départementalisation de Mayotte n’aurait sans doute jamais vu le jour sans la hargne des Mahoraises : Zéna M’déré, Zaïna Méresse, Coco Djoumoi, Mouchoula, Echa Sidi et des centaines d’autres. Beaucoup de ces femmes sont aujourd’hui mortes, certaines, pour la plupart octogénaires, voient enfin leur rêve s’accomplir. Elles sont allées à contre-courant de l’histoire, et pourtant elles continuent à revivre à travers elle. En 1987, les cinq ”Chatouilleuses” cités plus haut ont accordé une interview au magazine Jana na léo, dirigé par Hélène Mac Luckie. Retour sur les traces d’un combat, au féminin.
Les prémices de ce combat ont incontestablement débuté en 1958. L’ensemble comorien : Mayotte, Mohéli, Anjouan et la Grande Comore se voit doté par la France d’un embryon d’exécutif sous forme d’un conseil de gouvernement. L’archipel bénéficie alors d’une autonomie de gestion qui correspond dans les faits à un début d’autonomie interne. Élection d’un président : Saïd Mohammed Cheikh, l’homme qui est à l’origine du mouvement d’émancipation des îles. Il est de Grande Comore. Il n’est donc pas sentimentalement attaché à Mayotte et il se persuade très vite que le maintien de l’administration centrale sur l’îlot de Dzaoudzi est une impossibilité dans l’optique d’un territoire moderne. La France approuve.
Les ennuis commencent pour Mayotte… En 1962, le siège de l’administration comorienne et des services français sont donc transférés à Moroni. Désespoir et fureur des Mahorais, « parce qu’il était président, M. Auriol n’a pas fait transférer la capitale de la France en Haute-Garonne, et M. Coty n’est pas allé s’installer au Havre », déclarent des Mahorais, propos repris par le Figaro du 27 juin 1975. Quoi qu’il en soit, en 1966, c’est terminé. Les derniers grands services ont quitté Mayotte. L’île s’endort… Sans crédits pour investir. Sans lumière après minuit. Sans vraie route. Avec une adduction d’eau rudimentaire… Les Mahorais qui pensaient disposer d’un droit d’antériorité concédé par l’histoire, étant Français depuis 1841, bien avant les autres îles, se retrouvent à la fois lâchés, ulcérés et surtout appauvris.
Coco Djoumoi
« On a commencé à s’occuper de politique parce que les hommes qui réclamaient n’obtenaient jamais rien. C’était la misère, tout le monde souffrait, les femmes, les enfants, les hommes. Mayotte régressait. Ça ne fait pas plaisir de voir son pays en pleine décadence ! »
Zéna M’déré
« Le départ de la capitale à Moroni était catastrophique pour Mayotte. À l’hôpital pas de nivaquine, pas d’infirmier véritable. Pas de riz, pas de sucre, pas de savon dans le commerce. Il n’y avait plus rien ! Nous nous disions : « si cela continue nous allons tous mourir !« »
Dans les souvenirs des cinq Chatouilleuses, les premières femmes à avoir milité étaient Soua Saïdi, Zoubadi Abdou, Coco Madi, entre autres. Ces jeunes femmes d’antan se réunissaient quotidiennement pour parler de leur avenir.
« Des ministres, des membres du gouvernement, toutes sortes de notables censés s’occuper de nos affaires venaient régulièrement à Mayotte, jusqu’à 3 ou 4 fois par semaine. Cependant, comme il ne se passait rien ici, que nos revendications ne trouvaient pas écho, nous nous demandions : que viennent-ils faire ici ? Ces gens ne voulaient pas nous aider, ils coupaient les bourses d’études à nos enfants qui ne pouvaient pas partir en Métropole. Ils nous « assénaient des coups de marteaux » pour nous achever ! Nous, nous voulions les empêcher de venir nous narguer. Nous n’osions pas frapper des personnalités… Nous étions à la recherche d’une solution qui nous éviterait des sanctions de la justice. C’est ainsi que peu à peu, entre sérieux et plaisanterie, l’idée a germé et s’est affirmée : « on va les chatouiller ». Ils ne vont plus venir ! Aucune peine de prison n’était prévue contre la chatouille. »
Echa Sidi
« Les Comores nous avaient pris tous les bureaux, beaucoup d’hommes étaient partis, alors il fallait agir ! Les villageoises se voyaient en situation difficile et elles se sont mises en action pour défendre les intérêts de Mayotte. »
La grossièreté du député Ahmed Sabili, qui avait répondu ainsi aux femmes : « Bientôt, pour calmer vos ardeurs, il faudra vous mettre du gingembre et du piment dans la chouchoune ! », provoqua une vague de protestations.
Ces déclarations ont choqué à un tel point les femmes de Labattoir et M’tsapéré que le mécontentement se propagea sur toute l’île. Ces femmes ont alors formé, avec des centaines d’autres dans chaque village, le commando des « Chatouilleuses ».
Zaïna Méresse
« Le premier homme qu’on a chatouillé ? C’était un homme originaire de Mtsamiouli… Ah ! Son nom est Mohamed Dahalane. Il est mort à présent. On ne savait pas de quoi il était ministre, la seule chose qui comptait, c’était son appartenance au gouvernement. Nous étions à Pamandzi. Chacune à nos activités quotidiennes. Nous avions convenu d’un cri de ralliement… Un youyou modulé qui ne ressemble pas à celui des fêtes villageoises. Une espèce de cri d’oiseau. Les femmes, en entendant le cri, devaient le reproduire à leur tour et sortir des maisons. En un rien de temps, toutes celles de Pamandzi se dirigeaient vers la rue du Commerce. Mohamed Dahalani marchait seul. Il se baladait. Les premières arrivées l’entourent à 3 ou 4, sans animosité. Elles commencent à se plaindre en douceur. Pourquoi ne vous occupez-vous pas de Mayotte ? Pas de goudron… Pas d’école… Pas de travail… Pas d’électricité… Rien de rien ! Pourquoi Mayotte ne compte-telle pas ? etc… Dix, quinze, vingt femmes arrivaient. On commençait à le toucher, à le complimenter : « Belle cravate ! Beau cheveux !… » Soudain, l’une d’entre nous commence la chatouille sur son côté droit. Très vite il se tord. On le déshabille : sa veste lui est ôtée et on le chatouille de plus belle. Bientôt il n’arrivait plus à respirer… Pendant ce temps, des gens qui ne partageaient pas nos idées, des « Serrer-la main« , étaient partis à bicyclette prévenir la gendarmerie. Il me semble que le commandant du peloton se nommait Béton. Monsieur Béton. Quand il est arrivé, le ministre était seul, écroulé dans la poussière. Un peu remis, assis dans la Jeep, il a dit qu’il ne savait pas qui étaient ces femmes qui l’avaient agressé. Les gendarmes l’ont ramené à la résidence. Le lendemain, il a pris l’avion pour Moroni et là-bas a tout raconté à ses amis, ses collaborateurs. Eh bien ceux-ci se sont moqués de lui. Des femmes ? Des chatouilleuses ? Ridicule ! Nous, nous ne nous serions pas fait avoir ! Le malheureux avait beau affirmer qu’elles étaient au moins trente, chacun a décidé de tenter l’aventure. C’est ainsi que le second est arrivé. Il avait pris la précaution de se balader avec 3 ou 4 amis, des Grands Comoriens. Déjà dans tous les quartiers le hululement caractéristique avait ameuté les femmes. Rapidement nous étions une dizaine près d’eux, psalmodiant le leitmotiv : « Pourquoi venez-vous ici alors que vous ne nous aidez pas ? » « Repartez chez vous ! » L’un d’entre eux nous a répondu : « Qu’est-ce que vous pouvez contre nous ? » Hop ! En un clin d’œil ces messieurs n’avaient plus de vestes ni de chemises et gigotaient entre nos mains. Dès qu’ils se sont mis à suffoquer, les femmes ont dit : Attention, ils vont mourir ! Nous nous sommes dispersées, et les avons laissés dans la poussière. »
Selon les « Chatouilleuses », beaucoup d’hommes du gouvernement sont venus à Mayotte goûter à leurs chatouilles. Ces élus ne voulaient pas croire à l’efficacité de ces assauts tant qu’ils ne leur étaient rien arrivés. L’un des derniers dirigeants à avoir été chatouillé est l’ancien ministre et député Ahmed Sabili. Lorsqu’une petite délégation de femmes est allée lui faire part des difficultés que rencontrait Mayotte, l’homme les aurait insultées.
« Il a affirmé que nous n’étions motivée que par notre excitation sexuelle, que Mayotte ne nous intéressait pas vraiment, que nous n’avions qu’à nous arranger ensemble, devenir des gouines. Notre fureur était sans égal ! Le jour de son départ pour Moroni, toutes les femmes étaient rassemblées à l’aéroport. Pas 20 ou 30, mais plus d’une centaine. L’aéroport était barricadé. Il y avait un gendarme m’zungu plutôt balèze. « Madame Méresse« , me dit-il, « faites partir les femmes !« . « Cent femmes ! Je ne peux pas, je ne peux pas… » Hop, on l’a chatouillé et nous sommes toutes rentrées en courant. Des gendarmes en Jeep gardaient l’avion. Prises de frénésie vengeresse, les femmes ont sauté par-dessus les voitures et enfin attrapé Ahmed Sabili qui était déjà sur la passerelle. Elles ont pu arracher un seul côté de ses vêtements : une manche, une jambe de pantalon, une chaussure, son chapeau. Les femmes criaient : « Mais tu es Mahorais ! Reste à Mayotte ! Lutte avec nous ! C’est pour ça qu’on a déchiré ses habits en deux : un morceau à Moroni, un morceau à Mayotte, comme la mentalité de cet homme !… » Après cela, Ahmed Sabili est resté 6 années sans revenir à Mayotte. »
À cet époque, déclare Madame Méresse, les femmes avaient du caractère. Elles disaient « allons » et c’était parti. Jusqu’en 1975, ces femmes affirment avoir chatouillé même des Mahorais comme elles. Mais aussi des Anjouanais qui vivaient à Labattoir depuis 20 ans et qui avaient commencé à parler contre Mayotte.
« Ah, il fallait voir Mouchoula et Coco Djoumoi dans ces moments là ! Mouchala était alors mariée à un Anjouanais. Cet homme n’a cessé d’aller en prison à cause de nos activités et Mouchoula avec. Les gendarmes venaient questionner dans les familles, ils nous demandaient sévèrement : « Vous avez chatouillé ? » « Non, non, ce n’était pas moi, je n’étais pas là. » Personne ne nous a jamais pris en flagrant délit. Et pourtant les gendarmes étaient du côté des Comoriens. Je rappelle que c’étaient les Comores qui gouvernaient au temps de l’autonomie interne. Le pouvoir était chez eux là-bas, reconnu par la France… Nous voulons le département pour être libre, je ne cesserai de le répéter. La France est l’un des pays les plus libres du monde, nous ne serons jamais Comoriens. Ici on peut discuter, ici on peut parler. Vous voyez leurs élections à nos voisins : tout le monde veut le pouvoir. Nous, nous voulons être libres. »
Cet article a été repris tel quel dans le Mayotte Hebdo n°515 du vendredi 1er avril 2011
On nous avait promis une fête pour ce 31 mars 2011 et bien il n’en a rien été. Ceux qui n’ont pas pu se rendre à Mamoudzou, ceux qui étaient au travail n’ont rien raté, les autres sont frustrés. La fête est reportée à ce dimanche.
Ça devait être la journée des Mahorais et Mahoraises. Tôt ce matin, à travers toute l’île, les femmes se sont vêtues de leurs plus beaux salouvas choisis pour l’occasion. Les unes avaient un châle bleu, le haut blanc et le salouva rouge, d’autres sont toutes de rouge vêtues, de blanc ou de bleu. En chemin, on croisait certaines avec les mêmes salouvas. Dans les taxis, on ne parlait que de ça : la départementalisation de l’île, l’arrivée de la ministre Marie-Luce Penchard, l’élection du président du conseil général de ce tout nouveau département… L’heure était à la fête. « Ca fait si longtemps qu’on l’attend ce département », déclare une femme… et patatras.
La fête, attendue depuis des dizaines d’années, est gâchée. L’élection du président n’a pas lieu et il faut tout reporter à dimanche. On en oublie presque que cela ne change rien et qu’on est officiellement le 101ème département de France, le 5ème Département d’Outre-mer. Sauf que sans un président au conseil général, la ministre Marie-Luce Penchard a préféré reporter à dimanche sa venue à Mayotte. Les visages sont fermés à l’annonce de cette nouvelle : « C’est vrai ça ? Je me disais que j’allais faire la fête après, mais elle ne vient vraiment plus… » Non, elle ne vient pas la ministre…
Sur le parvis du front de mer, là où siège le comité du tourisme, cette même place qui devait être inaugurée ce jour et changer de nom pour s’appeler « La place du 101ème département », les podiums sont prêts, les drapeaux tricolores et européens virevoltent au vent. On attendait jusqu’à 30.000 personnes, hommes, enfants et surtout des femmes. Mais la nouvelle est partie comme une trainée de poudre. Environ un millier de personnes tout au plus sont là, la police vérifie les dernières mesures de sécurité, mais l’ambiance n’y est plus. Il va falloir se préparer à nouveau pour dimanche. Et d’ici là que les passions retombent et que l’esprit de la fête revienne.
Certains chantent mais le cœur n’y est pas. Sur l’ancienne place du marché, les chapiteaux sont dressés, mais le maoulida shengué prévu est reporté aussi, et plus tôt que prévu le parvis du comité du tourisme se vide… Les gens rentrent chez eux avec une frustration et une amertume certaine. Il
va falloir se remobiliser pour faire la fête dimanche, et célébrer comme il se doit ce nouveau département.
Cet article a été repris tel quel dans le Mayotte Hebdo n°515 du vendredi 1er avril 2011
La réaction de la population
Madame Mdzadzé
C’est spectaculaire ! On observe, on regarde, mais franchement on ne comprend pas, rien de rien, mais bon, peut-être que ce sont des stratégies. En tout cas, on est encore sous le choc, voilà !
Hassani Abdallah
Ce n’est pas normal ! Ce n’est pas républicain. On a jamais vu ça depuis les années 80, jamais ! Qu’on ne soit pas une majorité, c’est normal parce qu’il y a un choix à faire. Ça ne doit pas se faire comme ça !
Hanima Ibrahima, maire de Chirongui
Il est fort dommage de voir les élus convoquer la population pour venir élire le président du conseil général et s’absenter, humilier la population ainsi. Ce sont des conseillers généraux qui vont devoir gérer le territoire pendant trois ans ? Comment la population peut accepter cela ? Comment on peut humilier à ce point, rabaisser à ce point la population mahoraise ?
Youssouf Bouchourani, UMP
On s’attendait à connaitre le nom du président – je n’ai pas tout bien saisi -, mais à ce qu’il paraît certains élus ne se seraient pas présentés à l’assemblée, par conséquent il n’y avait pas suffisamment de monde pour voter. Il y avait 11 conseillers, ils devaient être 13, le vote est reporté.
Maoulicharia Ridjali, enseignant Labattoir 4
J’ai laissé ma maison vide pour venir connaître le nom du nouveau président et voilà, une fois ici j’apprends de la bouche du président sortant que les votes sont reportés. Tous les Mahorais sont extrêmement déçus, voire dégoutés. Certains sont venus de très loin, des quatre coins de l’île. Il y a beaucoup de tension ici, les gens sont en colère, sans compter sans doute tous ceux qui sont devant leur télé.
Une mama de Passamainty
Je me suis déplacée exprès pour le maoulida shengué, mais j’attends de savoir ce qui se passe. Je n’aimerais pas être venue jusqu’ici et pas voir de fête, ça serait vraiment dommage et ça donnerait une très mauvaise image de Mayotte. Laissez-nous quand même faire la fête !
Hamide Attoumane, Kani-Kéli
Moi, ce que je veux, c’est la départementalisation de Mayotte. Dites-nous quand nous devons revenir pour la fête et je reviens, c’est tout ce qui compte pour moi.
Une mama de Bandrélé
Ce qui se passe aujourd’hui c’est simple. Celui qui a déjà bien mangé ne veut pas donner l’opportunité aux autres de manger aussi… Quand le combat de Mayotte a commencé, je n’étais même pas encore mariée. Je voyais ma mère souffrir, ma famille toute entière. Nous nous sommes battus pour nos enfants et aujourd’hui que c’est à eux d’en profiter, certains le leur interdisent. Les élus seuls sont responsables de cet état. En particulier un élu qui achète les votes au lieu de laisser s’exprimer la démocratie.
Lima Wild
Ces élus ont des raisons d’agir ainsi. Mais on les a élus, on a considéré qu’ils étaient responsables, alors il faudrait qu’ils prennent leurs responsabilités. Pour la première journée de la départementalisation, ils ont brillé par leurs gestes. Cette journée symbolique restera dans les annales. Vu ce qui s’est passé aujourd’hui, ça promet pour l’avenir !
Haladi Toihibou, Acoua
Personne ne s’attendait à ça, c’est plus une tristesse qu’une fête. Les leaders politiques ont gâché la fête. Ils essayent de faire de la politique, mais ce n’est pas encore ça, il devrait revoir leur méthode.
Méla Mahamda, Tsingoni
Les choses auraient du bien se passer aujourd’hui, au final vous voyez… Aujourd’hui, les élus se disputent entre eux, et c’est encore une fois nous, le petit peuple, qui payons les pots cassés. Il fut un temps où ils se sont embrouillés entre eux en France métropolitaine, aujourd’hui ça se passe ici. Nous ne pouvons qu’être inquiets. Sachez les élus que la voix que vous représentez est la voix du peuple. C’est nous, les citoyens, qui vous ont mis à vos places. C’est notre voix que vous devez faire entendre et non la vôtre. C’est nous qui décidons de votre sort. Nous attendons dans trois ans et nous ne réélirons aucun d’entre vous.
Wahab Manroufou, Kani-Kéli
Je suis abattu car ce département était attendu depuis si longtemps, presque 50 ans. Certains de nos élus ne sont pas allés jusqu’au bout du souhait des Mahorais, c’est triste. Une deuxième chose m’attriste, c’est ce qui s’est passé après. Ceux qui se sont présentés ont procédé à un vote symbolique. Ils ont pris le benjamin de l’assemblée pour le nommer président du conseil général. Je sais que Zaïdani est un jeune bien diplômé, mais je crains qu’il ne soit rien d’autre qu’une marionnette de Giraud. Ce n’est pas sérieux tout ça.
Anrfati, Koungou
Les choses se sont très mal passées. Nous ne pouvons qu’être déçus. Les élus qui ne sont pas venus auraient dû respecter la population et venir quand même, pour une bonne ou une mauvaise chose, c’est ainsi, ils auraient dû venir, c’est tout. C’est un département gâché ! Mais malgré tout, pour la prochaine fête je serai au rendez-vous.
Ousseni Moina
Peu importe ce qui s’est passé aujourd’hui, je ne peux qu’être heureuse. Auparavant, nos parents nous confiaient les enfants à garder pendant qu’eux allaient lutter pour ce combat de Mayotte française, tout ça pour un avenir meilleur. Même si je suis un peu inquiète parce que je ne comprends pas tout sur ce qui s’est passé aujourd’hui, je ne peux qu’être heureuse d’avoir vu la départementalisation. Pour le reste, nous continuons à prier Dieu pour que la paix et le calme reviennent et que toute l’île puisse savourer comme il se doit la départementalisation.
En devenant français en 1841, les Mahorais ont trouvé la garantie durable de leurs libertés. En 1958, la constitution française, en distinguant les départements d’Outre-mer des territoires d’Outre-mer, a promis les premiers à l’intégration dans l’ensemble français et les seconds à l’indépendance ou à une large autonomie. Aussitôt, la population mahoraise assemblée en congrès à Tzoundzou I, a créé l’union pour la défense des intérêts de Mayotte (U.D.I.M) devenue le Mouvement Populaire Mahorais (M.P.M). Dès lors, malgré toutes les pressions, tous les efforts, et toutes les exactions, les Mahorais ont demandé de façon constante, claire et quasi-unanime la départementalisation de leur île. La légitimité de cette revendication a toujours été reconnue par les autorités françaises, puisque la loi du 24 décembre 1976, qui créait le statut de collectivité territoriale de Mayotte, annonçait déjà cette possibilité. Depuis 1976 et après plusieurs reports (1979, 1984, 1986) de la consultation de la population, le gouvernement a finalement accepté aux vœux des Mahorais. Ainsi 95 % des Mahorais ont confirmé le choix du département, lors de la consultation du 29 mars 2009. Le 31 mars 2011, Mayotte devenait le 101ème département français et le 5ème département d’Outre-mer de la France. Ce territoire est certes le plus jeune des départements français, mais il est celui qui se réclame de la plus longue histoire et de la plus grande tradition militante en faveur de ce statut.
Traduite en termes individuels, cette revendication collective des Mahorais s’analyse, comme une volonté des Mahorais de demeurer français et d’échapper aux destins des Comores indépendantes. Ils veulent être Français simplement et complètement. C’est aussi leur droit à la liberté – « nous voulons être Français pour être libre », scandaient les Mahorais en 1974 – que les Mahorais ont voulu protéger en devenant français. Cependant, il reste que la devise républicaine n’est pas divisible et que, Mayotte étant française, il faudra bien la lui appliquer intégralement l’égalité sociale. Et enfin, ils veulent garantir le développement de leur île grâce à la solidarité de l’État, de l’Europe par l’intervention des fonds européens ainsi que le respect de l’identité mahoraise et la personnalité de Mayotte. Ces objectifs sont tellement proches de la devise républicaine de liberté, égalité et fraternité, dont il serait la concrétisation à Mayotte, que la France s’honorerait en respectant ses propres principes.
Il est évident que l’expectative statutaire qu’a connu Mayotte avant la départementalisation, a permis de faire durer les inégalités les moins fondées. Les attentes de la population étaient essentiellement contenues dans cette réponse extrêmement laconique qu’on peut résume de la façon suivante : « vous n’êtes pas encore un département … ». Et dès que Mayotte a accédé au statut de département, il n’était plus possible d’opposer aux revendications des Mahorais. Depuis cette date, il y a une libération de la parole à Mayotte. Cependant, dix ans plus tard, il est évident que les attentes de la population sont loin d’être satisfaites. Et la vie de l’île est marquée par un climat social lourd, renforcé par un contexte démographique dynamique et singulier – population très jeune, forte pression migratoire de population étrangère. Des niveaux de développement économique et de ressources qui sont très en retrait par rapport à la métropole – chômage très élevé, forte précarité.
Tandis que les autorités nationales et départementales n’ont pu redonner de l’espoir aux Mahorais, qui désespèrent de voir arriver les changements positifs promis que devrait induire l’évolution statutaire de leur île. Nombreuses ont été pendant ces dix derniers années, les crises sociales et les grèves dans les secteurs publics et privés qui se durcissaient sur un fond démographique qui constitue au-delà des discours officiels, un décor désormais permanent. Les Mahorais n’ont pas cessé d’une part, de protester contre la cherté de la vie en 2011, la crise de l’eau en 2017, l’insécurité et l’immigration clandestine en 2018 et d’autre part, de revendiquer la refonte du mode de gouvernance locale avec davantage d’autonomie et la mise en place des certaines conventions collectives dans les entreprises.
Et Mayotte offre encore aujourd’hui des conditions insuffisantes de salubrité pour ses habitants : 29% des ménages n’ont pas accès à l’eau, le prix de l’eau est toujours aussi cher, l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets ne sont pas suffisamment organisés. Le désenclavement de l’île disait-on. La piste longue est reportée sine die, le billet d’avion est toujours aussi cher. Intervention directe d’EDF avait-on promis, est abandonné. Le désenclavement terrestre avec les routes et surtout avec le projet du contournement du grand Mamoudzou. Et enfin, ces dix années de statut départemental, n’ont pas permis d’apporter aux familles mahoraises l’alignement de leurs droits sociaux sur ceux des autres familles françaises, de généraliser les crèches et les cantines qui les libèreraient et leur permettraient de travailler, de donner à Mayotte les aides au logement.
Cependant deux évènements ont marqué sur un plan administratif les dix ans de la départementalisation. La transformation du vice-rectorat de Mayotte, en un rectorat de plein exercice. Il s’agit d’un service déconcentré du ministère de l’Éducation ationale, et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui cumule les missions d’un rectorat et d’une inspection académique dans un département qui connaît un développement démographique rapide. Cette création a été votée à l’Assemblée nationale le 15 février 2019, lors de l’examen du projet de loi « pour une école de la confiance« .
La création d’une ARS de plein exercice, le 1er janvier 2020 au terme d’un long processus de préfiguration. Jusqu’à cette date, Mayotte dépendait de l’ARS de l’océan Ibdien, basée à La Réunion. Mais à l’issue du mouvement social qui avait paralysé l’île pendant plus de deux mois en 2018, le premier ministre Édouard Philippe, avait accédé en avril 2018, à l’une des demandes de la population d’avoir une ARS de plein exercice.
Il s’agit pour l’île aux parfums d’une évolution institutionnelle importante permettant de recueillir sur le terrain, les premiers fruits d’une lutte acharnée pour une départementalisation toujours en devenir. Pour nous il faut réfléchir sur un véritable projet de développement économique, social et culturel, remettant Mayotte sur les voies de la prospérité mais aussi de l’égalité sociale et de la responsabilité locale. D’autant plus qu’avec la départementalisation et l’intégration progressive des Mahorais dans le droit commun, il était attendu une grande visibilité des élus dans la prise des décisions locales. Dans encore bien des domaines ayant trait à des problèmes de proximité, c’est toujours le préfet qui est visible.