Une révolution technologique qui ne règle rien pour les barges

Présentée au public (à grand renfort médiatique) comme le moyen efficace de résoudre les problèmes de fraude aux tickets d’embarquement dans les barges entre Petite et Grande-Terre, la carte électronique à recharge multiple n’apporterait aucune solution. Pire, elle serait source de gêne inattendue. 

Ne soyez surtout pas pressé si vous souhaitez prendre la barge du côté de la gare maritime de Mamoudzou. La grogne comme à monter de nouveau chez les usagers du service des transports maritimes (STM) du 101e département français. Les interminables queues sont à nouveau de retour. Il y a quelques semaines en arrière, le conseil départemental de Mayotte (CDM) annonçait la mise en service d’une technologie révolutionnaire sensée permettre de lutter les fraudes massives à l’embarcation de véhicules dans les barges circulant entre les deux îles principales de notre archipel. En effet, la revente de tickets sous le manteau avait suscité une colère légitime auprès de certains usagers et l’exécutif du département avait fini par admettre l’important manque à gagner pour ses recettes. Il faut dire que ce problème est loin d’être nouveau sur l’île et aucune des majorités qui se sont succédé au conseil départemental de Mayotte n’ont été en mesure de le solutionner durablement. Chacun y est allé de sa recette personnelle, mais très peu ont réussi à les mettre en pratique. Le projet de passer à un contrôle électronique des passagers et des véhicules afin d’endiguer la fraude (à défaut de réussir à y mettre un terme définitif), n’est pas nouveau. Il était déjà dans les fonds baptismaux avant la transformation de l’île en département d’outre-mer (DOM).

« Des ordres venus d’en haut »

De lenteurs administratives en grèves et diverses obstructions organisées, le postulat est resté avant que la révolution technologique tant attendue n’ait eu lieu que depuis peu, il y a à peine quelques semaines. Mais dans les faits et de l’aveu même des usagers, rien de nouveau sous le soleil du STM (service de transport maritime). « C’est le même bordel qui perdure, on perd encore plus de temps qu’avant et ça n’avance pas », lance Nour C., une chef d’entreprise dans la zone industrielle de Kawéni. Elle doit se rendre à Pamandzi pour prendre l’avion, ce jour-là. Elle s’impatiente et fini par exploser. « Mais madame, je vous demande juste de me vendre un ticket véhicule de quinze euros, pas me faire une carte d’abonnement. Je vais encore rater mon vol pour la métropole avec vos bêtises »… Sa colère laisse indifférents des dizaines de personnes qui font la queue de part et d’autre des trois guichets du STM à la gare maritime de Mamoudzou. D’une voix nasillarde, la guichetière lui explique qu’elle a l’obligation de lui vendre la nouvelle carte électronique rechargeable sans quoi elle ne saurait embarquer à bord d’une barge. Aussi modernes qu’elles se veuillent, ces opérations alourdissent davantage une prestation déjà très compliquée pour des personnes maniant au quotidien des sommes importantes appartenant au contribuable mahorais. « C’est toujours la même chose chaque jour. Comment voulez-vous que je sois à l’heure à mon rendez-vous à l’intercommunalité de Petite-Terre à ce rythme-là ? Ces gens ne se rendent pas compte du tort qu’ils nous causent, balance un autre usager pressé de prendre la barge pour Dzaoudzi. Imperturbable et bien polie, la guichetière explique qu’elle fait de son mieux, qu’elle est désolée et surtout qu’elle ne fait qu’exécuter « des ordres venus d’en haut ! »

La fraude demeure

Sous couvert d’anonymat, des usagers de la barge, mais aussi des fonctionnaires du Département, confient que ce nouveau système en service actuellement favorise encore plus la fraude (qu’il est supposé juguler) que dans le passé. « La seule chose qui change, c’est que les tickets qu’on pouvait négocier en douce sur place ou en ville, à prix réduit ou coûtant, n’existe plus. Mais la fraude perdure plus que jamais, si ce n’est d’avantage. Et nos chefs le savent très bien, c’est un secret de polichinelle », constate l’un de ces derniers. Pour notre compréhension, il explique la nouvelle astuce en vogue. Si vous connaissez un agent à l’embarquement, vous faites mine de présenter votre carte d’abonnement en prenant soin de mettre un billet de banque plié sous celle-ci. N’étant soumis à aucun contrôle hiérarchique, le concerné fait disparaitre le billet dans sa main en faisant mine de réaliser la transaction électronique. Et le tour est joué. Pis, il confie que cette pratique est connue de plusieurs niveaux de leur hiérarchie et « bénéficierait de la compréhension de certains patrons ».

Au-delà de telles affirmations, il convient surtout d’admettre qu’il y a urgence pour le conseil départemental de Mayotte de revoir la copie des divers et variés plans ou scénari présentés en vue d’une refonte du service des transports maritimes (STM) s’il veut éviter une banqueroute de cette entité déjà engluée dans d’innombrables problèmes structurels.

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