Depuis plus de six mois, les frères Novou dévoilent petit à petit leur stratégie dans l’optique de lancer officiellement leur compagnie aérienne locale au premier semestre 2022. La présentation de ce jeudi 17 juin, en collaboration avec Airbus Consulting, vient apporter de nouveaux éclaircissements sur la fiabilité et la nécessité du projet.
Sur le tarmac, prêt à décoller ! S’il fallait faire une métaphore pour résumer le projet de la compagnie aérienne Zena Airlines, ce serait bien celle-là. Et ce n’est pas l’étude sur les opportunités de développement de la desserte aérienne à Mayotte, présentée en complément de celle du conseil départemental de novembre dernier par Airbus Consulting ce jeudi 17 juin, qui fera penser le contraire. L’idée ? « Identifier et illustrer statistiquement les marchés repoussés à plusieurs années. »
Des chiffres, ce n’est pas ce qu’il manque lorsqu’il s’agit de démontrer par A + B le besoin essentiel pour le 101ème département de jouir d’une entreprise de transport aérien locale. Et ce, pour plusieurs raisons. Premier enseignement : le nombre de déplacements par résident mahorais est inférieur au produit intérieur brut par habitant. « La desserte est contrainte et de moins bonne qualité », joue carte sur table Clélia Giry pour le compte du mastodonte toulousain. En 2019, les autres DROM-COM avaient une propension à voyager en moyenne deux fois plus élevée (1.55) qu’à Mayotte (0.75). À titre d’exemple, Mayotte se situe au même niveau que la République de Guinée…
À elle-seule, la métropole concentre 35% du trafic au départ de Mayotte. Sauf qu’un passager sur deux effectue une correspondance pour s’y rendre. Un « indicateur fort », synonyme d’une « demande insatisfaite » et de « marchés sous-desservis », précise Gabriel Hanot. Il n’est pas question ici de sortir « l’excuse » de la longueur de la piste, qui n’est pas « pertinente », puisque les compagnies aériennes actuelles effectuent toutes une escale technique pour rejoindre l’Hexagone, ce qui s’apparente à un vol direct.
Une desserte instable
Non, la véritable explication consiste simplement à dire que l’île aux parfums est moins bien reliée que de nombreux territoires ultramarins et destinations voisines, tant en termes de sièges offerts (60.000 par an) qu’en nombre d’opérateurs directs (un seul avec Air Austral contre « cinq dans les Caraïbes »). « Le nombre de sièges s’améliore, mais il est en dent de scie car la desserte n’est pas stable », continue le consultant senior. À ce jour, les frères Novou aspirent à doubler ce nombre et ainsi faciliter l’augmentation des déplacements vers la l’Hexagone. « Les compagnies qui n’ont pas de lien avec Mayotte obéissent à leur propre stratégie de réseau. » Ces fluctuations se démontrent avec les choix de XL Airways et Corsair, revenue sur le territoire en décembre dernier pour cette dernière après deux ans d’arrêt.
Conséquence : en l’absence de concurrence stable, les tarifs explosent. Le prix au kilomètre s’élève à 0.072 euros pour les passagers du 101ème département, contre 0.051 euros pour ceux des autres DROM-COM. En proie à une situation de monopole, Nouméa vit le même cas de figure que Dzaoudzi. Mais l’exemple récent de la Polynésie française vient prouver que l’arrivée d’une nouvelle compagnie aérienne sur le marché peut rebattre les cartes ! « À partir de 2018, le prix des billets d’avion a chuté de 41%, passant de 1.097 euros à 645 euros », rappelle Clélia Giry. Depuis, le nombre de touristes a grimpé de 20% sur cette destination. « Ce même scénario est attendu ici. »
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, on peut également s’attendre « à une forte stimulation du fret aérien, qui contribue à l’équilibre financier ». Une manière de « diversifier ses sources de revenu à hauteur de 10% du chiffre d’affaires total ». À l’heure actuelle, Mayotte comptabilise 120 tonnes transportées pour 10.000 habitants, contre 310 dans les autres territoires ultramarins. Un écart considérable sachant toutes les peines encourues de ce côté-là en temps normal et plus particulièrement durant la crise sanitaire. Or, il existe « une forte demande du marché cargo dans la région Grand Sud de La Réunion qui souhaite exporter un grand nombre de fruits et légumes », confie Régis Novou. D’où la volonté d’ouvrir une ligne avec l’aéroport de Pierrefonds, qui possède un fort potentiel de croissance.
Indépendamment de toutes ces annonces, l’impact de Zena Airlines peut s’avérer tout aussi positif pour les porte-monnaies du département. « Un billet à 740 euros, acheté auprès d’une compagnie aérienne locale, aura 312 euros de retombées pour l’économie mahoraise », indique la consultante d’Airbus Consulting. Même son de cloche concernant l’emploi. L’étude table sur près de 800 embauches : 100 directes, 160 indirectes, 119 induites et 397 catalytiques dans le secteur du tourisme. « Le développement du transport aérien va participer au développement de toute l’île », conclut Julien Novou, qui espère voir l’offre hôtelière suivre. Avec un envol prévu au premier semestre 2022, ça décoiffe déjà dans toutes les têtes !
Zena Airlines, une entreprise éco-responsable
Le transport aérien au service de l’environnement. L’image peut prêter à sourire et pourtant c’est bel et bien le désir des frères Novou. « Si une entreprise de premier plan ne prend pas en main cette problématique, qui le fera ? Les institutions ne suffisent pas », insiste Régis, qui apporte une attention toute particulière à cette cause. Ainsi, la compagnie souhaite fédérer la population aux enjeux environnementaux en lien avec le tissu associatif et créer un service de système de management à l’environnement directement rattaché à la direction générale. Mais surtout, elle compte mettre en place des suivis éco-responsables des partenaires, mener des politiques d’actions en local et à l’international – « dans la forêt du Gabon ou en Amazonie par exemple » – et intégrer la norme ISO 14001 sous trois ans, qui « oblige l’entreprise à toujours s’améliorer ». Si en plus de permettre aux Mahorais de voyager plus sereinement, Zena Airlines s’engage de manière pérenne sur le chemin de l’environnement, elle risque de convraince les derniers sceptiques au projet.
Quels avions pour la compagnie aérienne ?
« Nous sommes encore au stade des demi-finales », sourit Régis Novou. Quatre avions sont encore en lice. Le A330 et le B787 présentent « les mêmes avantages et inconvénients ». Ainsi, il faudrait retirer quelques sièges pour voler en direct vers Mayotte et réaliser une escale vers la métropole. Le B737 et le A321 ont un rayon d’action beaucoup plus restreint et exigent des escales à l’aller et au retour. Toutefois, « les coûts d’utilisation sont plus faibles puisqu’ils demandent moins de carburant et de personnel naviguant ». À l’heure actuelle, aucune décision n’est arrêtée. « Un appareil d’avant crise Covid nous revient désormais au prix de trois », souligne Julien Novou. Une option reste définitivement sur la touche : Zena Airlines ne volera pas avec des avions neufs, en raison d’un carnet de commande saturé jusqu’en 2027. La compagnie aérienne procédera à du leasing.