« Défends-toi Mayotte » : Un milieu du sport plus propice aux violences sexuelles

Une conférence débat autour du film documentaire « Suite » d’Emma Ouidou a eu lieu, ce lundi, à l’hémicycle Younoussa-Bamana du conseil départemental de Mayotte, à Mamoudzou. Un événement organisé par Profession sport et loisirs (PSL) de Mayotte pour poursuivre la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif.

« C’était comme si j’avais perdu connaissance », raconte des années plus tard Sarah, répondant aux questions de la documentariste Emma Ouidou. Ce soir-là, celle qui était ivre et encore mineure lors d’une soirée entre athlètes, est d’abord victime d’un black-out. Puis, dans cette pièce à l’écart du groupe, elle se souvient d’elle contre une machine à laver. La culotte baissée et son violeur en elle. Mais, traumatisée, l’interviewée ne s’arrête pas là. Assise sur un canapé dans un climat de confiance, elle relate aussi la double-violence d’un harcèlement de la part des autres qui la considéraient comme une « briseuse de ménage ». « Or la question de base qui aurait dû m’être posée est « Est-ce que c’était consenti ? » » Et la gorge serrée : « On ne me l’a pas posée. »

Ce lundi matin, c’est avec cette première interview extraite du film documentaire « Suite » au sujet des violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif, que la conférence débat « Défends-toi Mayotte » a commencé dans l’hémicycle Younoussa Bamana du conseil départemental, à Mamoudzou. Organisée par Profession sports et loisirs (PSL) de Mayotte, la projection a permis aux différents acteurs du monde sportif, dont La ligue mahoraise de football, des professionnels dans la prise en charge de victimes ou d’auteurs de violences, et la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) de Mayotte, de dresser un bilan. Le tout en continuant à sensibiliser un public composé de jeunes de la section sportive du collège de M’gombani autour de notions comme le consentement et la culture du viol. Chaque vidéo a permis de décortiquer les mécanismes mis en place par les auteurs et les victimes.

L’entraîneur, une figure paternelle

« L’environnement sportif est plus propice aux violences car il produit des situations de vulnérabilités », martèle Anne-Sophie Delarue, adjointe à la Drajes Mayotte. Cela s’explique par le fait que le sport conduit à un rapport particulier et plus proche au corps, par l’admiration que peut ressentir l’entraîné.e* envers son entraîneur, même si « c’est à l’adulte de poser les limites », ou encore par le conflit de loyauté qui complexifie encore plus la libération de la parole pour dénoncer des violences, détaille-t-elle.

Dans d’autres interviews, trois jeunes femmes témoignent de gestes de plus en plus permissifs d’un même entraîneur auprès de ses joueuses lors de « massages » après l’effort sportif et qui se déroulent toujours dans un lieu isolé. Jusqu’à commettre des abus punis par la loi. Cet entraîneur est aussi un ami de la famille, avec qui les jeunes peuvent partir en vacances, et qui pose des questions sur la présence ou non d’un petit-ami. « Que des signaux typiques du prédateur », observe l’adjointe : un lieu isolé discret, les propos à connotation sexuelle, la mise en place d’un système d’amitié et de confiance en demandant à la jeune de ne pas en parler, un rapprochement familial, une mise en concurrence des joueuses pour détourner du sujet…

Il s’agit d’un phénomène d’emprise et de manipulation aggravé par la figure paternelle que représente l’entraîneur, comme on l’entend dans une interview : « C’est difficile de se méfier de son père. Mon père, c’est la personne qui me protège. » « Parfois on peut voir un entraîneur comme un parent, que la jeune voit même souvent plus que ses parents, dans un moment de construction de soi où la figure parentale est importante », analyse Anne-Sophie Delarue.

Regarder l’autre et signaler

Une violence sexuelle, de l’ordre de l’agression ou du viol, « c’est subir un déni de son humanité, devenir l’objet dans les mains de l’autre. Psychiquement c’est extrêmement difficile à accepter », décrit Nathan Pinard, psychologue auprès de l’Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes (Acfav), présent autour de la table. Il ajoute que le cerveau humain va toujours chercher à donner du sens et donc « compenser pour avancer ». D’où les mécanismes de sidération qui empêchent le corps de réagir au moment d’une agression, le déni, l’amnésie traumatique…

Aux autres (entourage sportif, scolaire, familial…) d’être vigilants et de ne pas minimiser les violences. Ce qu’Anne-Sophie Delarue résume en trois points pour agir : repérer (les changements de comportements tel que le repli sur soi ou excessifs, qui peuvent être un symptôme post-traumatique et amener à un comportement d’autodestruction voire le suicide, souligne le psychologue), accueillir la parole (écouter et croire) et signaler les faits auprès de la cellule du ministère des sports : signal-sports@sports.gouv.fr

Un manque de vestiaires

Mais il faut aussi « regarder comment est reçue » une remarque ou un geste potentiellement déplacé, si ça paraît « désagréable », indique l’adjointe. Et aux dirigeants de clubs sportifs d’être attentifs aux entraîneurs qui souhaitent par exemple toujours raccompagner les jeunes filles chez elles, ou rentrer dans les vestiaires du sexe opposé. Même si, comme signalé dans le public, par un éducateur sportif : « Il nous manque des vestiaires ! » Un frein dans la lutte contre les violences déploré par PSL et la Drajes. L’adjointe conseille alors de faire en sorte que les jeunes filles se mettent en tenue en amont ou bien de s’arranger en trouvant un coin isolé pour se changer.

Pour le président de PSL, Habid Ben Chadouli, ce genre d’événement est d’ailleurs un moyen de « mettre tout le monde autour de la table pour créer un espace de dialogue afin de ne pas seulement agir dans le théorique mais aussi dans l’opérationnel », comptant beaucoup sur les collectivités tels que le conseil départemental et l’état pour soutenir les actions. Des acteurs qui doivent permettre d’investir en matière d’infrastructures, afin, notamment, de garantir une égalité d’équipements entre les sexes.

L’occasion aussi, comme ce lundi matin, de rappeler l’obligation, systématique concernant les mineurs, de signaler tout crime ou agression sexuelle qui peut nous être rapporté, de la part de victimes ou d’auteurs. Une non-dénonciation est passible de 3 ans de prison et de 45.000 euros d’amende selon le Code pénal. Même si la victime ne souhaite pas porter plainte. Une consigne à retenir et réitérée par le gendarme Daniel Papa, présent dans le public et chargé d’intervenir dans les écoles pour sensibiliser aux violences : « Il ne faut pas banaliser. Ce n’est pas à vous de juger si c’est vrai ou faux. Il faut faire un signalement et après ce sera le rôle de l’enquête. […] La meilleure défense, c’est d’en parler. »

*L’auteur comme la victime, peut être un garçon, une fille, un homme, une femme.

Contacts utiles :

Page Facebook : Défends-toi Mayotte – Nouvelle page

Page Instagram : Défendstoimayotte

Acfav : tél. 55 55

Signal-sports@sports.gouv.fr

SOS enfants en danger : tél. 119

Brigade de prévention et de la délinquance juvénile : tél. 02 69 60 91 52

Sensibilisation et formations par un service dédié

Depuis 2021, année d’une première concertation ministérielle sur le thème des violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif, dans la mouvance de l’hashtag MeToo et un contexte démographique très jeune à Mayotte, le groupement Profession sport et loisirs de Mayotte a développé un nouveau dispositif : un service de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il est financé par la Drajes, par la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité et par l’Agence régionale de santé. Les deux chargées de mission du service, Mélanie Evain et Alizé Potié, interviennent auprès des joueurs pour les sensibiliser aux questions d’intimité, de consentement et donner les réflexes (1.293 joueurs sensibilisés et 1.034 joueuses sensibilisées).

Elles forment aussi les adultes (coachs, dirigeants de clubs etc.) sur ces thématiques et la posture professionnelle à adopter (414 bénéficiaires ont été formés) et tiennent des stands de prévention. Pour rappel, la loi du 2 mars 2022 a rendu obligatoire, dans le cadre de la formation des éducateurs sportifs, l’insertion d’un module de sensibilisation aux violences sexuelles. Une mesure censée renforcer la responsabilité des fédérations sportives en la matière. La loi du 8 mars 2022 visant à renforcer le contrôle de l’honorabilité des éducateurs sportifs systématise aussi la consultation par les autorités administratives du fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

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