En septembre dernier, le Comité départemental d’athlétisme de Mayotte élisait un nouveau comité directeur pour l’olympiade 2020-2024. L’occasion pour Sébastien Synave, élu président, et son équipe, de faire leurs preuves.
Flash Infos : Sébastien Synave, il y a quelques années des athlètes révélés et formés à Mayotte ont tutoyé les sommets de l’athlétisme français avec des podiums aux championnats de France et des sélections en équipe de France jeunes. Selon vous, quelle est l’urgence absolue pour relever l’athlétisme mahorais ?
Sébastien Synave : La création d’infrastructures. Si on fait l’état des lieux aujourd’hui, on a une seule piste d’athlétisme praticable et elle se trouve à Labattoir. Difficile dans ces conditions d’avoir des créneaux pour les huit clubs d’athlétisme de Mayotte. Si on pouvait ne serait-ce qu’avoir une piste en Grande Terre… A partir du moment où il y a une nouvelle piste, même si on doit imaginer une cohabitation avec des gens qui n’ont rien à y faire, les jeunes en scooter, en skateboard, des enfants avec leur voiture radiocommandée, etc. ce n’est pas grave : au moins on a une piste. On peut travailler.
« Il faut rapprocher l’UNSS des clubs et du Comité »
FI : Sans la création de ces infrastructures, le Comité départemental d’athlétisme peut-il faire une croix sur son développement ?
SS : Non. On peut avancer sans piste d’athlétisme. En métropole, il existe clairement un revirement de situation en ce qui concerne la prise de licences sur ce qu’on appelle le « hors stade ». Le hors stade, c’est simple : il te suffit d’une paire de baskets et tu vas courir, tant sur la route que dans la brousse. Quand on voit que les Amis Raid Rando sont capables sur un trail de 30 km d’avoir environs 300 coureurs. Parmi eux, hormis les coureurs de tête, combien sont licenciés ? Très peu. Donc il y a certainement des gens à aller chercher là-dedans. Et puis il y a le volet sport santé avec la marche nordique et tout ce qui en découle : c’est de l’athlétisme soft, à vocation santé pour un public bien ciblé. La pratique de l’athlétisme s’étend. Oui, obtenir une infrastructure sportive d’athlétisme en Grande Terre est une urgence, mais le Comité peut développer d’autres projets.
FI : En attendant, comment votre équipe compte relancer la discipline ?
SS : Il y a plusieurs pistes à étudier, mais la plus concrète et celle de la détection dans les établissements scolaires. Le Comité doit avoir des échanges concrets et objectifs, des relations régulières avec les professeurs de sport dans les collèges. Tous n’ont pas un profil athlé, mais en tout cas on souhaite s’appuyer sur ceux qui ont ce profil et qui ont l’oeil pour détecter chez un enfant les premières qualités. De toute évidence, il faut rapprocher l’UNSS des clubs et du Comité. On parle de l’UNSS pour les écoles du second degré mais quand on voit le nombre d’écoles primaires… La Fédération française d’athlétisme a la possibilité d’équiper chaque école primaire d’un kit d’initiation d’athlétisme, avec lequel les instituteurs peuvent animer des séances. Et quand les enfants passeront au collège et retrouveront l’athlétisme à l’UNSS avec un véritable professeur d’EPS, ils seront plus facilement détectables car ils auront déjà développé des aptitudes au primaire.
« S’ils voient que près de chez eux, ça court, ça lance, ça fait du relais, ils viendront essayer »
FI : La relance de l’athlétisme passera donc par la détection dans les écoles, mais quels autres types de détections ou d’actions peuvent être envisagées pour attirer les jeunes mahorais, hors cadres scolaires ?
SS : Il y a plein de choses à faire. Je pense notamment à ce qu’on pourrait appeler la caravane athlé. On est sur une île donc pourquoi pas faire un tour des plages les plus fréquentées et proposer des animations de beach athlé. Le beach athlé c’est pratique : on peut y faire du sprint, de la longueur, du triple saut… On mettrait en place des petits challenges pour les jeunes – ou les moins jeunes – qui seront sur place, comme défier notre meilleur sprinteur sur 30 mètres par exemple. Ceux qui sortent du lot, nous les verrons et nous irons vers eux. C’est un autre moyen de détecter et accessoirement, ça anime les plages.
FI : Vous avez parlé d’infrastructures, de détection… quelle sera la place de la formation durant votre mandat ?
SS : Ce doit être la base de notre mandat. La formation de cadres, de dirigeants, d’officiels… Il doit y avoir une volonté commune des membres du Comité de partir sur de la formation, pour qu’à termes, même le club le plus excentré de l’île, sur un plateau sportif ou sur une borne de pelouse, soit capable de faire de l’athlétisme. Sinon les gamins seront aspirés par ce qui marche ou du moins ce qui existe dans leurs communes, dans leurs villages. Les enfants d’une manière générale aiment essayer différents sports. Si demain, ils voient que près de chez eux, ça court, ça lance, ça fait du relais, même sur une installation limitée, ils viendront essayer. Des Tanzila, des Myriam, des Hafidhou, je suis convaincu qu’il y en a plein les rues vu le pourcentage de population qui a moins de 25 ans. Mais après, il faut être capable d’aller les chercher et de pouvoir les encadrer. Il faut être capable de leur proposer quelque chose qui les attire. Il y a du potentiel, je dirais comme partout ailleurs. La différence avec ce partout ailleurs c’est que là tout de suite, à Mayotte, on ne peut pas l’exploiter. Ou alors on l’exploite mais même pas à moitié.
« Qu’est-ce qu’on nous donne pour performer ? »
FI : Les idées que vous développez et les actions que vous envisagez se résument au développement de l’athlétisme de masse. Qu’en est-il de la performance ?
SS : La formation nous permettra de développer le volet performance. Notamment la formation d’officiels… Le Comité vient d’acquérir un chrono électrique dernier cri. Avec la contribution de Philippe Quest, référent chrono électrique de la Réunion, des formations théoriques et pratiques seront menées. Des formations diplômantes qui nous permettront rapidement d’avoir des chronométreurs officiels et d’être enfin autonomes dans nos compétitions. Nous aurons alors de vraies performances, et non plus des performances manuelles, qui peuvent être un indicateur, mais qui ne sont en aucun cas des résultats officiels. Avec le chrono électrique, l’athlète entre directement dans les bilans et on a un élément de comparaison avec ce qui se fait ailleurs. Avec le chrono électrique, nos compétitions deviennent qualificatives. Si tout va bien, à partir de fin février, on est autonome : on sait utiliser le matériel, on sait faire nos compétitions et celles-ci seront toutes dans la base de la fédération.
FI : L’athlétisme est une discipline obligatoire des Jeux des îles de l’océan Indien et jusqu’à présent, Mayotte parvient tant bien que mal à présenter une délégation d’athlètes. Comment envisagez-vous la participation de l’athlétisme mahorais aux JIOI 2023, dans deux ans à Madagascar ?
SS : Il y aura des athlètes, mais encore une fois ils seront peu nombreux et viendront de l’extérieur pour la majeure partie. Nous ne sommes pas encore à l’ère où l’athlétisme mahorais va pouvoir présenter des compétiteurs à toutes les épreuves, tout simplement parce qu’une génération d’athlètes ne se créée pas d’un claquement de doigts. La vraie question est : qu’est-ce qu’on nous donne pour performer ? Nos dirigeants doivent avoir conscience de ça.