Trois mois après le cyclone Chido, le nombre de morts reste incertain

Selon les chiffres officiels, le bilan humain est de 40 morts et de 41 disparus. Mais des doutes persistent tant le cyclone Chido a balayé, le 14 décembre 2024, les bidonvilles où vivent une majorité de personnes en situation irrégulière. Or, ce public est inconnu et invisible de l’État, ce qui rend le travail de recensement des morts encore plus difficile.

La rentrée des classes était attendue pour tenter d’estimer le nombre de morts de Chido tandis qu’au lendemain de la catastrophe, des nombres très différents ont circulé. “Je pense qu’il y aura certainement plusieurs centaines de morts […] voire quelques milliers”, évoquait François-Xavier Bieuville, le préfet de Mayotte, le 15 décembre. L’hypothèse de 60.000 décès s’était aussi propagée. Aujourd’hui, le bilan officiel est de 40 décès et de 41 disparus. Depuis le mois de janvier, il n’a pas évolué. Dans les salles de classe, un mois et demi après le retour des élèves, les professeurs ne constatent pas d’hémorragie dans les effectifs. Un membre de la direction du lycée de Dembéni indique que des jeunes sont absents, “une partie pour lesquels nous sommes sans nouvelles, mais sans pouvoir faire un lien direct avec Chido”.

En revanche, Rayka Madani n’est pas revenue à l’école Kawéni 2 La Poste, le jour de la rentrée, le 27 janvier. La fillette de 10 ans est morte, le samedi 14 décembre, ensevelie sous la boue. Elle vivait dans une case en tôles sur les hauteurs de Mamoudzou dans la rue des 100-villas. Quand les rafales ont commencé à souffler, en danger, sa famille a décidé de partir se réfugier “dans une des cases SIM en bas de la route”, raconte sa grande sœur Faina*, 16 ans. Sur le chemin glissant pour s’y rendre, une coulée de boue s’abat sur la petite fille et sa mère qui se retrouvent coincées. Pendant une heure, la mère a essayé de la sauver en vain. “J’étais toute seule, je ne pouvais pas l’aider, j’ai essayé mais je n’ai pas réussi”, soupire-t-elle. Une fois le cyclone passé, les voisins sont venus les aider à s’extirper, mais Rayka Madani est déjà morte. Transportée au centre hospitalier de Mayotte, elle a été comptabilisée dans le bilan officiel.

Les bidonvilles, où habitait la jeune fille, ont été les plus meurtris par Chido. Faizi Ali, 28 ans, a perdu la vie dans celui de Bandrajou, un quartier de Kawéni. Avec sa famille, il était installé sur les hauteurs de la colline. Quand le temps s’est dégradé, le 14 décembre, il est parti mettre ses enfants à l’abri et devait revenir chercher sa femme, Saidati Mohamed, et son autre fils mais il n’en a pas eu le temps. “Il voulait venir nous récupérer, mais c’est à ce moment-là qu’une tôle lui a arraché le ventre”, retrace la mère de famille. “Quand le vent s’est calmé, je suis sortie. Là, quelqu’un est venu me voir et m’a appris la mort de mon mari.” Désormais, elle est seule pour s’occuper de ses deux enfants d’un et deux ans. Alors que sa case en tôle est “tombée sur elle” pendant l’événement climatique, elle n’a pour l’instant trouvé personne pour la reconstruire et doit habiter chez sa mère.

Des doutes sur les chiffres officiels

 

Arrivé à Mayotte d’Anjouan en 2013, Faiza Ali était en situation irrégulière et gagnait sa vie en réparant des voitures, en faisant de la maçonnerie, etc. Transporté à l’hôpital, il est également décompté dans les chiffres officiels. Les personnes sans-papiers – les plus nombreuses dans les bidonvilles – sont certainement les principales victimes du cyclone. Leurs décès ont-ils aussi été déclarés ? Martin*, un médecin à l’hôpital de Petite-Terre, qui travaillait le jour de Chido, en doute. Selon lui, celles-ci “n’ont pas besoin de demander un certificat de décès puisqu’elles n’existent pas pour la France, elles n’ont aucun intérêt à en demander un”. Par ailleurs, obtenir un nombre précis est difficile car dans les jours qui ont suivi le cyclone, à cause des débris et des arbres couchés sur la chaussée, beaucoup de routes étaient inaccessibles. “A Petite-Terre, les gens ne pouvaient pas venir à l’hôpital”, partage Caroline Fivet, une médecin qui a travaillé ce week-end-là sur le site de Pamandzi. Beaucoup étaient blessés et n’ont pas pu se faire soigner. Pour cette raison, la soignante est persuadée que certaines “sont mortes dans les heures après la catastrophe”.

Pour sa part, elle juge “ridicule” le nombre de morts officiels. Elle-même en rentrant du travail, le 14 décembre, vers 15 heures, en passant devant un cimetière de la rue des Badamiers, elle dit avoir observé “deux familles en train d’enterrer les corps”. Son collègue Martin considère également le bilan officiel sous-estimé. “Le samedi du cyclone, une quinzaine de familles sont venues aux urgences pour nous demander de venir dans leur quartier faire un constat de décès. Mais nous avions pour consigne de rester sur notre lieu de travail. Elles n’ont donc pas attendu avant d’enterrer les corps”, suppose-t-il.

A l’exception du chiffre de quarante morts, l’État ne donne pas d’information sur l’identité des victimes, leur lieu de vie et les circonstances du décès. Contactée, la préfecture de Mayotte n’a pas donné suite à nos sollicitations. Fin décembre, elle a lancé une mission de recherches des personnes disparues pour vérifier les rumeurs sur les disparitions. Depuis son lancement, le nombre de morts est resté identique. Enrichie par un amendement de la députée Dominique Voynet (ex-directrice de l’Agence régionale de santé de Mayotte), la loi d’urgence pour Mayotte promulguée le 25 février prévoit un mois après sa promulgation “un bilan exhaustif de la catastrophe, incluant le nombre de personnes décédées, disparues, blessées et amputées lors du passage du cyclone Chido”. Celui-ci devra être remis par le gouvernement au parlement.

*Les prénoms ont été modifiés

Journaliste à Mayotte Hebdo et à Flash Infos Mayotte depuis juin 2024. Société, éducation et politique sont mes sujets de prédilection. Le reste du temps, j’explore la magnifique nature de Mayotte.

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