Reprise en main de l’îlot M’Tsamboro, c’est “Non !”

Porte d’entrée des kwassas kwassas à Mayotte, l’îlot M’Tsamboro se retrouve à nouveau sous le feu des projecteurs. Mercredi 18 mai, le maire de la commune du Nord, Laïthidine Ben Said, organisait une réunion publique en présence du préfet de Mayotte, délégué du gouvernement, Thierry Suquet, pour présenter et discuter avec les habitants le projet de reprise en main de l’îlot. Un moment de partage qui a tourné court, contraignant le préfet à quitter les lieux avant le terme de la réunion. 

“Ils veulent nous chasser de notre îlot !” Entre les murs de l’ancien foyer des jeunes de M’Tsamboro, une centaine de personnes s’étaient réunies pour assister à la présentation du projet “Shisiwa Mtsamboro”. Introduction au contexte historique, pistes de développement économique mais aussi écologique, les représentants des institutions publiques déroulent leur présentation dans le calme et la bienveillance. « Notre point commun est d’aimer ce site. Nous avons l’obligation de le protéger, le droit d’en profiter », affirme solennellement le maire de M’Tsamboro, Laïthidine Ben Said. Alors comment cette réunion en apparence si paisible, s’est transformée en véritable joute verbale entre des habitants désabusés et des institutionnels visiblement dépassés par les événements contraints de quitter les lieux ?

Quel avenir pour l’îlot ?

La destruction de bangas présents sur l’îlot, voilà le sujet qui a mis le feu aux poudres. Tantôt en français tantôt en shimaoré, les habitants s’adressent au maire ainsi qu’au préfet pour clamer leur mécontentement. “Les aménagements que l’on nous propose ne sont pas conformes à notre culture”, avance le président de l’association Shime Rastami Spelo, enfant du village et fervent défenseur des traditions mahoraises. Des sentiers de randonnée, des aires de bivouacs… Les habitants se demandent à qui s’adresse vraiment le projet de reprise en main et craignent de voir débarquer des dizaines de touristes sur leurs terres. “S’ils veulent construire quelque chose, qu’ils le fassent en Grande-Terre”, invective Saïd*, “Je suis en train de reprendre les champs de mes grands-parents. Nos ancêtres cultivent l’îlot depuis la nuit des temps, pourquoi le détourner de sa fonction première ?” Comme lui, beaucoup d’agriculteurs présents dans la salle ont bondi lorsque le démantèlement de leurs bangas a été évoqué.

“Ce projet est une coconstruction entre l’État, la commune et l’ADINM au service des habitants de M’Tsamboro et des usagers de l’îlot”, affirme le préfet de Mayotte, délégué du gouvernement Thierry Suquet. Ces dernières années, les difficultés d’accès des services de l’État et de la commune se sont traduites par l’implantation de nombreuses constructions illégales (133 recensées en 2022). A partir du 6 juin 2022, les cases en tôle seront supprimées au profit de “bâtiments conformes à l’architecture traditionnelle ayant une vocation agricole”, affirme le DGS de la mairie, Guillaume Benhaiem. Piloté par la commune et le Conservatoire du littoral, cette restructuration sera financée par le Fonds de développement social à hauteur de 384.000 euros. Mais là encore, la méfiance règne. “Qui aura droit à un banga ? Quelle place sera réservée aux agriculteurs ?”, se questionne Asma*, descendante de producteurs des célèbres oranges de M’Tsamboro.

Se voulant conciliant, “Shisiwa Mtsamboro” prévoit pour renouer avec la vocation agro-forestière de l’îlot, d’accompagner techniquement et financièrement les agriculteurs dans une démarche de replantation de plants d’agrumes et de régularisation de leur activité. Un bon moyen de lutter contre une déforestation croissante au profit de la monoculture de manioc et de bananes, remplaçant les historiques arbres fruitiers. Une proposition qui ne semble pas avoir fait mouche auprès des agriculteurs présents dans la salle…

Le ponton, inextricable problématique

Autre point important du projet de reprise en main, le ponton prévu sur le site. L’ouvrage qui cristallise depuis des mois de nombreuses divergences ne fait toujours pas l’unanimité. « Les contraintes topographiques très fortes de l’îlot » ont poussé les autorités compétentes à réaliser diverses études d’impact environnemental, explique Nathalie Gimonet, sous-préfète cheffe d’État major chargée de la lutte contre l’immigration clandestine auprès du préfet de Mayotte. Au Sud, à l’Est, au Nord ou encore à l’Ouest, l’ouvrage destiné à faciliter l’accès à l’Îlot aux services chargés d’y faire respecter la loi verra pourtant bien le jour d’ici la fin de l’année 2022. “Nous voulons faire de cet îlot un lieu de développement harmonieux et non une porte d’entrée pour les kwassas kwassas”, affirme Thierry Suquet. Un sujet qui semble rallier toutes les parties soucieuses de préserver leur îlot de la pression migratoire mais fait émerger une fois encore de la défiance. “Les propositions faites ne sont pas mauvaises mais les intentions et les réalisations nous n’y croyons pas”, conclut Rastami Spelo. De quoi donner encore beaucoup de grain à moudre pour les différentes parties qui entre modernité et tradition devront tenter de trouver un compromis dans l’intérêt de tous.

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