Il n’y a pas si longtemps à Mayotte, ne pas jeûner pendant le mois de Ramadan était extrêmement mal perçu. Les quelques rebelles qui s’y risquaient étaient obligés de se cacher pour manger sous peine de s’attirer des remarques désobligeantes voire des insultes. Or depuis quelques années, avec l’évolution des mœurs, on constate un nombre croissant de non-jeûneurs sur l’île. Flash Info est parti à la rencontre de certains d’entre eux afin qu’ils nous livrent la façon dont ils vivent la situation.
« Ne pas jeûner reste très tabou dans la société mahoraise. Moi je n’ose pas aller au restaurant le midi par exemple, de peur de me faire insulter », nous confie Yasmina, 43 ans. En poste dans une école primaire de Mamoudzou, cette Mahoraise nous révèle ne plus faire le Ramadan depuis déjà une dizaine d’années. « Arrivée à un moment de ma vie, je me suis posée beaucoup de questions concernant la religion et j’en suis arrivée à la conclusion que je n’étais pas vraiment croyante donc que ça n’avait pas de sens pour moi de faire le Ramadan », explique-t-elle. Étant de santé fragile, elle utilise ce prétexte pour faire accepter sa décision à sa famille. « Je ne peux pas leur dire que je ne suis pas croyante, ça ne passerait pas ! », se désole-t-elle. Elle se dit d’ailleurs choquée de constater que dans l’école publique où elle travaille, la religion occupe une place illégitimement importante. « Les enseignants prient dans les classes et incitent les enfants à faire le Ramadan, ce qui n’est pas normal au sein d’une école laïque », déclare-t-elle. Elle se souvient d’ailleurs qu’en écoutant la matinale de Mayotte la Première au début du mois sacré, beaucoup de gens appelaient en direct la présentatrice pour dénoncer des proches ou voisins qui ne jeûnaient pas. Yasmina ne voit donc aucune évolution de mentalité au sein de la société.
Une opinion que ne partage pas Afidou, 50 ans, non-jeûneur depuis le début de l’âge adulte. « Avant j’étais effectivement obligé de me cacher, mais plus maintenant. J’assume. Quand les gens me font des remarques, je leur explique mon point de vue. Le Ramadan est le 4ème pilier de l’islam et puisque je ne respecte pas les autres, je ne vois pas l’intérêt de respecter celui-là. Je refuse d’être hypocrite ! », lance-t-il fièrement. Contrairement à Yasmina, Afidou ne se fait que rarement sermonner pour son choix. « C’est vrai qu’on attaque davantage les femmes sur ce sujet, mais les hommes on les laisse tranquilles », souligne-t-il. Ayant passé toute sa vie à Mayotte et travaillant en entreprise, il a pu s’apercevoir que de plus en plus de Mahorais assumaient leur choix de ne pas jeûner. « Autrefois, nos aînés nous frappaient quand ils nous surprenaient à manger pendant le Ramadan. Maintenant, cela n’arrive quasiment plus jamais. Ce sont surtout les personnes venues des Comores qui restent très à cheval sur le sujet », indique-t-il.
Une jeunesse qui jeûne de moins en moins
Sans aucun doute, les mentalités diffèrent en fonction des milieux socio-culturels et des sexes. Et qu’en est-il des personnes plus jeunes ? Nadia, 28 ans, ne jeûne plus depuis l’âge de 13 ans. Un choix que sa mère a eu du mal à accepter. « Elle m’a même menacé de fermer le frigo avec un cadenas », se souvient la jeune femme qui s’est fait taxer de « mécréante ». Ne souhaitant pas faire l’hypocrite, elle n’a jamais pris la peine de se cacher. « Je continue de me prendre des réflexions dans les rues de mon quartier parfois, mais je trouve quand même qu’au fil des années, c’est de moins en moins fréquent », précise-t-elle. « De toute façon, de plus en plus de gens ne le font plus à Mayotte. ». Chez les lycéens, même constat. Sur le parvis du lycée des Lumières à Kaweni, où nous nous sommes rendus pour notre enquête, certains jeunes mangeaient sans complexe leur sandwich devant ceux qui jeûnaient sans que cela ne cause de problème particulier. Saïda, 16 ans, est l’une des lycéennes non-jeûneuse que nous avons rencontrée. Si elle assume son choix, elle essaie néanmoins de rester discrète par simple respect de ceux qui jeûnent. « Par contre, je n’ai aucun problème avec ma famille par rapport à ça. Ils sont très cools et ont accepté ma décision », révèle-t-elle.
Il semblerait donc que les 11 ans de départementalisation aient assoupli les mentalités mahoraises concernant le respect du 4ème pilier de l’islam. Les échanges culturels avec la métropole et La Réunion y sont sans doute pour beaucoup dans cette plus grande tolérance concernant la liberté de croyance de chacun. Mais tout dépend des familles et des milieux sociaux ! Certaines sphères professionnelles se montrent plus rigides que d’autres concernant le respect du Ramadan. Sans surprise, les plus jeunes, davantage exposés à d’autres cultures, sont quant à eux les plus souples.