Prostitution : « Elles disent que si elles refusent, elles se font agresser »

Discuter la nuit avec les prostituées pour espérer les aider le jour, c’est ce que fait l’association Man océan Indien dans ses maraudes nocturnes pour la préfecture. Mais ce jeudi 29 février, leur peur de se faire interpeler par la police complexifie la mission.

Des tables, des chaises, du café, du thé à disposition, et des personnes volontaires, mais quasiment pas de prostituées à l’horizon pour venir discuter. « Elles connaissent les heures de la police aux frontières », relève vers 22 heures, Christine Raharijaona, présidente du Mouvement pour une alternative non violente de l’océan Indien (Man océan Indien), comme l’auront aussi répété les autres membres de l’association toute la soirée du jeudi 29 février. Dimanche dernier, « des filles » auraient été « raflées » par la police aux frontières (Paf). Conséquence, le public visé, encore présent ce soir à Mamoudzou, est plus dur à appréhender, comme l’avaient pressenti ces ambassadeurs de l’opération Luciole. Une mission pourtant mandatée par la préfecture de Mayotte via un appel à projets afin d’aller au contact et l’accompagner.

Qu’importe, une cinquantaine de maraudes de jour (pour détecter les plus jeunes, voire mineures qui rentreraient ensuite à la maison) et de nuits à son actif depuis l’année passée, l’équipe s’installe aux alentours de 18 h 30, ses deux camions garés le long de la rocade (route nationale), près du Rocade café. Après un point sur l’organisation de la soirée et distribution de questionnaires, comme inscrit dans le projet de mission et demandé par le service de l’État qui subventionne, la dizaine de volontaires se répartit en trois groupes. Avec « au moins une femme », rappelle Ashmita Fournier, gestionnaire chargée du projet et animatrice sur le terrain 50 % du temps. Une façon de mettre en confiance les bénéficiaires qui peuvent être plus méfiantes envers les hommes.

Une partie reste sur le point fixe, prête à accueillir les femmes qui, à force, ont « identifié le lieu ». Une boîte en cartons remplie de préservatifs féminins – enlevés de leur contenant par les prostituées – et masculins est posée sur la table. Deux autres groupes partent sur le front de mer, la BFC, la place du Marché et l’avenue Madame Foucault, où il est possible d’y croiser au moins une trentaine de visages familiers. Les Malgaches sur le secteur de la rocade et des Comoriennes plus loin, nous apprennent ces actifs.

« Un suivi de jour plus difficile avec la police »

Une jeune femme aux cheveux bouclés, vêtue d’une robe rose, semble attendre, discrète, sur le muret, le long de la route nationale. Ashmita ne la connaît pas, mais elle a visé juste. Un client un petit peu trop insistant est écarté d’un ton ferme, contrairement à l’habitude de laisser les femmes travailler lorsqu’elles sont avec un client, quitte à venir leur parler plus tard. « Est-ce que tu connais les risques d’un rapport ? », demande l’animatrice, assise près d’elle. La Malgache sans papiers liste quelques infections sexuellement transmissibles (IST). La salariée lui indique qu’elle peut se rendre au Cegidd (centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic), c’est-à-dire le dispensaire de Jacaranda ; aux camions de la Croix rouge ou encore au local de l’association Nariké M’sada. Mais elle lui explique aussi qu’il est possible de venir à leur local, à Kawéni, pour discuter. Même si, « le suivi de jour est plus difficile avec encore la présence de la police. On va parfois les chercher directement. », note Idrisse, coordinateur.

« Est-ce qu’il t’arrive d’être triste après un rapport ? », poursuit Ashmita. « Oui, quand quelqu’un est agressif et que je me force », répond celle qui dit avoir cessé de se prostituer pendant un an, mais avoir repris après son divorce. « Parfois, des personnes sont méchantes, violentes. Ils voient qu’on est des putes et en profitent. J’espère que je vais arrêter », confie l’interrogée, qui explique que sa situation administrative est en train d’être réglée.

Ashmita écrit ses coordonnées (voir encadré). « On leur dit qu’elles peuvent refuser [l’acte sexuel] mais elles disent direct que sinon, elles se font agresser », raconte Idrisse, évoquant le cas où une femme a justement refusé, mais s’est fait suivre jusqu’au stade de Cavani avant de revenir vers la rocade, près des membres de l’association, et eux, de tenter de « résonner le mec ». Ces femmes seraient aussi confrontées, selon lui et ce qu’elles leur rapportent, à des clients alcoolisés ou qui prennent des médicaments pour « tenir plus longtemps », voire ne pas réussir à éjaculer, pour ainsi demander, après la passe, un remboursement. « C’est le problème aussi, avec la police, elles se cachent… », mais s’exposent aussi à plus de risques, sous-entend Idrisse, qui remarque une augmentation des passages de policiers, là où, auparavant, les agents municipaux demandaient seulement de s’écarter de la place du Marché.

« Elles n’étaient pas tranquilles les filles »

Elle et une autre femme déjà connue de l’association seront les seules rencontrées par ce groupe. En tout, seulement une dizaine sont appréhendées ce soir, dont quelques-unes, malgaches, qui ne se sentent pas à l’aise de parler français et espèreraient pouvoir parler à une « traductrice ». Ce dont l’association ne dispose pas encore. « D’habitude, il y en a vraiment beaucoup et on a du mal à gérer », commente Samir, un bénévole. La présidente restée près des camions a néanmoins pu discuter avec quelques-unes, qui confirment la peur d’être vues par la Paf.

« Elles disent être logées dans des cases en tôle et doivent de l’argent à une passeuse. C’est à cette dame qui les loge qu’elles donnent l’argent », relate celle qui décrit une prostitution subie. « Elles sentent la violence, économique, et verbale, physique », réagit une bénévole. Le questionnaire, demandé par la préfecture mais écrit par l’association, est trop « difficile » et « elles n’ont pas le temps », poursuit la présidente. « La Paf est passée trois fois sur la rocade en une heure. Elles n’étaient pas tranquilles les filles. »

L’équipe tente, vers 20 heures, un autre endroit, près du bar Mamou. « Là, c’est de l’impro. Normalement les filles sont là mais c’est une soirée particulière », insiste l’animatrice. Les membres font chou blanc. Ils remballent tout vers 22 heures. « Il faut changer », tranche la présidente qui plaide pour des horaires plus tardifs, comme cela a déjà été fait, pour les quatre prochaines et dernières sorties nocturnes prévues, afin de s’adapter aux horaires de leurs bénéficiaires.

« J’ai envie de dire tant mieux qu’avec les interventions de la police, il y ait moins de prostituées sur le terrain, mais il y en a encore », développe celle qui essaie de programmer une intervention à Madagascar, à Nosy Bé, pour faire de la prévention directement sur place auprès des femmes qui pourraient vouloir rejoindre Mayotte et des consommateurs qui partiraient là-bas pour ce genre de « tourisme ». « Mais il y aura d’autres modes de prostitution. Ça peut être du racolage sur les réseaux sociaux, faire du stop… Et ce sera certainement plus compliqué de les accompagner. Ça ne fera pas cesser la prostitution, ce sera plus caché. »

Après les maraudes, la suite au local

L’opération Luciole est un projet sur 18 mois lancé en juin dernier après un appel à projets de la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE). La première phase consistait en trente maraudes de jour, aux abords des collèges et lycées, pour sensibiliser les jeunes filles. Dont plusieurs qui utiliseraient la technique de faire du stop pour se prostituer. La deuxième phase du projet est ces maraudes nocturnes, sur six mois, à raison d’une à deux sorties par mois. Des sorties qui ont continué malgré les barrages, précise l’association. Les membres allant au plus près de chez eux, comme à Tsoundzou, vers Kwalé, où il y aurait un genre de « maison close ».

Les membres sur le terrain récupèrent le contact de ces femmes afin de les recontacter lorsque l’association entrera dans sa troisième phase : réaliser un suivi « bienveillant » au local de l’antenne de Mayotte, à Kawéni, 17, rue Wastoi. Pour y parler, via des ateliers, santé (« beaucoup connaissent le sida mais ne savent pas que c’est le stade avancé du virus (VIH) qui peut être traité », souligne une bénévole), travailler le français, aider ces femmes dans leurs démarches comme pour faire une demande de titre de séjour et leur proposer un accompagnement psychologique en visio à l’aide d’une psychologue basée en métropole. Et, parallèlement, détecter les racolages sur les réseaux sociaux qui viseraient, selon l’association, à avoir des rapports sexuels avec des hommes influents, dans des chambres d’hôtel.

Le mouvement réfléchit à des partenariats, comme avec la Croix rouge, afin de pouvoir distribuer des kits d’hygiène dont des protections hygiéniques.

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