Juste en-dessous de 300.000 selon l’Insee, « entre 350.000 et 400.000 » dans un rapport de la Chambre régionale des comptes, combien de personnes vivent réellement sur l’île ? Le conseil départemental de Mayotte souhaite qu’un recensement le plus exhaustif possible soit fait en 2023, tandis que l’institut défend sa méthodologie.
« Comment on peut faire des politiques publiques si on ne sait pas combien il y a d’habitants à Mayotte ? ». Ce cri du cœur était poussé par le président du conseil départemental de Mayotte, Ben Issa Ousseni, ce mardi 22 novembre. Voulant se rapprocher de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), il espère un nouveau recensement « dès 2023 ». Selon lui, les données de l’Insee, qui estime la population à 299.350 habitants peuvent être mises en doute. Surtout que la Chambre régionale des comptes a publié un rapport en juin tablant plutôt sur un chiffre « entre 350.000 et 400.000 habitants ». Un gouffre et une complexité pour les collectivités qui doivent savoir se doter d’infrastructures en conséquences (écoles, hôpitaux,…).
Muriel Granjon et Loup Wolff, respectivement responsable du recensement à Mayotte et directeur régional de l’Insee, savent bien que leurs études n’échappent pas aux critiques. « On s’attaque au thermomètre plutôt qu’à la maladie », se défend le deuxième. Il rappelle qu’avec une croissance démographique entre 3% et 6% par an, Mayotte « est déjà hors-normes ». Seuls des pays comme « le Niger ou l’Angola » connaissent des situations similaires. Datant de 2017, le dernier recensement exhaustif (où toute la population a été recensée à un instant T) a dénombré 256.500 personnes. Existe-t-il une marge d’erreur ? « Oui, il y en a une », admet le directeur, sans pouvoir la quantifier. « En métropole, on peut s’appuyer sur des données fiscales. Pas ici. » La responsable du recensement complète cependant en rappelant que les agents recenseurs (recrutés par les communes) font bien toutes les habitations, qu’elles soient illégales ou au fin fond de la forêt. Le taux de réponse est d’ailleurs très élevé à Mayotte, contrairement à ce qu’on pourrait croire. « Les personnes en situation irrégulière répondent parce qu’ils comprennent que les données ne sont pas utilisées contre elles. Au contraire. » En cas de non-réponse, les agents font des estimations en fonction de la taille de l’habitation, mais cela reste rare.
Une hypothèse sur les entrées
Et quid de l’immigration dans tout ça ? Elle est prise en compte, mais de manière hypothétique. L’Insee avance le chiffre de « 32.500 entrées » sur le territoire qui s’effectueraient annuellement sur la période 2012-2017. Un chiffre à mettre en parallèle des « 20.000 départs » annuels. « Beaucoup de gens quittent Mayotte, y compris des personnes avec des titres de séjour. Ils vont beaucoup plus en métropole, contrairement à ce que les Réunionnais pensent », constate le directeur à la fois de l’institut sur Mayotte et La Réunion.
L’augmentation de la population est davantage à mettre sur le compte d’une très forte natalité, avec il est vrai « trois bébés sur quatre ayant des parents étrangers ». Si on ajoute à cela, une mortalité plus faible que dans les pays africains, la progression est forcément constante.
Un recensement co-réalisé avec le Département ?
L’Insee n’est pas pour. Elle a entamé l’an dernier un recensement basé sur une nouvelle méthode. Celle-ci cumule le recensement exhaustif dans les communes de moins de 10.000 habitants (il en y a sept) et un autre basé sur des sondages dans les dix grandes communes de Mayotte. « Chaque année, on recense 8% des logements en dur et 20% de ceux en tôles. Au bout de cinq ans, on arrive à 100% des logements en tôles et 40% de ceux en dur », récapitule Muriel Granjon. Avec cette méthode déjà utilisée en métropole, l’Insee pense que le résultat en 2026 (avec les sept « petites » communes et les sondages dans les plus grandes) sera le plus proche de la réalité.
Et le Département pourrait-il être associé à ce travail ? Muriel Granjon rappelle qu’il se fait déjà avec les 17 communes. « Elles utilisent le même outil que nous et expertisent les données qu’on leur envoie », rappelle-t-elle.
La consommation de riz, une donnée fiable ?
Un journal concurrent a choisi d’observer la consommation de riz et son importation pour tenter d’estimer la population sur Mayotte. Le chiffre dépassant les 600.000 habitants était avancé. « Il nous a devancé. On travaille là-dessus aussi », admet Loup Wolff. Toutefois, il indique « que leurs études sont plus poussées » et remet en doute l’utilisation de la consommation annuelle de 31 kilogrammes de riz qui se base sur la moyenne africaine. A Mayotte, celle-ci serait « plus proche des Comores et Madagascar », à savoir « 70kg par an ». Avec 20 266 tonnes de riz importées en 2021, Mayotte serait alors à proximité des 300.000 habitants, comme indiqué par l’Insee.