“Pendant cette crise on a essayé de banaliser tout ce qui révolte les Mahorais

Connu pour ses coups de gueules, et son indignation dès lors que son île ne reçoit pas le traitement qu’elle mérite, Yazidou Maandhui, polémiste et observateur de la société mahoraise, fait un bilan de la gestion de la crise sanitaire qu’il juge catastro-phique. 

Flash Infos : Vous avez souvent pointé du doigt la gestion de la crise sanitaire par les différentes autorités. Qu’est-ce qui vous a le plus indigné ? 

Yazidou Maandhui : D’abord une gestion dont la logique n’a pas toujours été aisée à sai-sir. Avec ce sentiment que tout a été mis en place pour favoriser la propagation du virus : ouverture des écoles et du marché de Dubaï, tolérance des « mrenge » alors qu’il y avait un couvre-feu et arrêté préfectoral contre les réunions de plus de 10 personnes. Ensuite, cette image tiers-mondiste qu’on a collé à l’île et fait circuler dans tous les médias natio-naux sans réel analyse et en faisant croire que les Mahorais n’ont pas respecté les con-signes du confinement, ce qui est une lecture hâtive et simpliste. 

FI : Quelles conséquences cette gestion peut-elle avoir sur la population selon vous ? 

Y. M. : Cela a nourri une colère qui a favorisé l’émergence d’un discours nauséabond anti-France, anti-républicain, voire anti-blanc qui est à l’opposé du combat de nos Chatouil-leuses. Il y a eu amalgame entre « gouvernement en place » et « La France ». Au lieu de s’attaquer à ceux qui tiennent les rênes, les porteurs de ce discours s’attaquent à notre pays et crée une dichotomie entre Mayotte et la France. Cela me répugne et m’attriste car ils se font l’écho de la théorie comorienne qui veut que notre île soit occupée par une puis-sance étrangère. Cela me fait mal car je me dis qu’au fond notre pays n’a pas assez mis l’accent pour inculquer un patriotisme, un amour immodéré de la Patrie. 

FI : Est-ce que vous sous entendez que l’État a failli à sa mission pendant la crise ? 

Y. M. : Je ne pointerais pas du doigt uniquement l’État. Nos élus ont également leur part de responsabilité. S’il y a eu une mauvaise gestion de la crise par l’État, on aurait dû les voir sur le front pour tirer la sonnette d’alarme, pointer les failles. Au lieu de cela, c’est la société civile qui a dû user des réseaux sociaux pour s’indigner à chaque fois que c’était nécessaire. Dès le 16 mars, par exemple, quand il y a eu l’annonce du confinement, j’avais attiré l’attention sur la non-compatibilité de cette décision de confinement avec la réalité du territoire, notamment à cause du casse-tête des squatteurs des bidonvilles qui vivent dans des conditions de vie sordides. Les autorités n’allaient jamais être en mesure d’appliquer correctement la loi. Ceci étant, la crise du Covid-19 a révélé une autre crise plus profonde. On s’est en effet vite rendu compte qu’il y a deux sociétés à Mayotte : les Mahorais, les citoyens qui ont respecté les mesures et la population marginale, illégale et anonyme qui semble vivre avec d’autres références, d’autres règles dictées par la clan-destinité. Une situation en très grande partie créée, tolérée, et couvée par nos autorités locales et l’État. 

FI : Que voulez-vous dire par cela ? 

Y. M. : Prenez l’exemple du terme « informel » qui a eu le vent en poupe pendant la crise. Les autorités en ont eu recours à des discours ambigus allant jusqu’à regretter le com-merce informel qui pour eux permettait de nourrir toute une famille. Affligeant et illogique quand on parle de la lutte contre la vente à la sauvette, contre le travail au noir. De la même façon, elles n’osent pas parler de bidonvilles mais d’« habitats indignes ». On sent bien par ce politiquement correct, par ce langage maîtrisé que les autorités ne veulent pas aborder cette question de la clandestinité dans sa vérité même la plus laide. 

FI : Vous pointez souvent du doigt la politique de l’État concernant les personnes en situations irrégulières. Qu’est-ce qui vous dérange réellement ? 

Y. M. : On tente toujours par des tactiques peu chevaleresques de nous faire oublier que notre territoire est envahi par des clandestins, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas vo-cation à demeurer sur le territoire. La vérité est que nous sommes dans une situation de colonisation orchestrée entre autres par le gouvernement des Comores. Les bidonvilles sont des colonies, par exemple. Ce gouvernement comorien mène cette politique colonia-liste de façon très agressive : inscription de Mayotte dans sa constitution, dans ses sym-boles nationaux comme leur drapeau et leur hymne national. Il faut songer à la politique d’Ali Soilihi basée sur la propagande tentant de piller la culture de Mayotte, d’imposer une langue à travers ses écoles « alif-be », ou Ahamed Abdallah qui a ouvertement appelé à l’installation massive des Comoriens sur notre île en s’octroyant des parcelles comme celle de Mirereni pour implanter une colonie anjouanaise dans le but de faire basculer les votes de 74. Ce qui me dérange c’est donc de laisser cette colonisation se mettre en place sur l’île sans réagir avec courage et force. Les gouvernements successifs ne comprennent même pas la composition de notre société. Ils se sont basés sur la grille de lecture des Comoriens qui veulent qu’on forme une même nation, qu’on ait la même langue, et la même culture. 

FI : Vous êtes justement un fervent défenseur de la culture mahoraise, vous ne sou-haitez pas qu’on l’associe à la culture comorienne. Pour quelles raisons alors que les deux cultures sont très similaires ? 

Y. M. : Il est impossible de faire société sans accepter la différence, la singularité de l’autre. Ce préalable est défendu par exemple par l’ONU à travers son programme de « Patrimoine Mondial de l’UNESCO ». Le patrimoine culturel mahorais est riche et unique, la production du peuple de Mayotte est unique, singulière. Les dirigeants comoriens ne s’y intéressent que pour valider un credo né de leur discours aux relents colonialistes qui veut nous imposer un impérialisme de la mêmeté en nous imposant une « même langue, même culture ». En procédant de la sorte, ils nous enlèvent notre humanité, notre droit à la différence et, pour reprendre Levinas, ils nous « tuent ». Ce crime sert surtout à étouffer le choix des Mahorais de demeurer au sein de la République française. Donc, je ne suis pas d’accord quand vous parlez de cette similarité, et mon combat est de défendre la sin-gularité de la production du peuple de Mayotte et donc son humanité. 

FI : Comment expliquez-vous le contexte social pesant qu’il y a à Mayotte en ce mo-ment, notamment à cause de la montée de l’insécurité ? 

Y. M. : D’abord, l’insécurité institutionnelle avec cette menace de la feuille de route deve-nue « accord-cadre » qu’il ne faut pas occulter car moins visible, plus insidieuse. Ensuite, il y a ces violences qui semblent très orchestrées, du moins on peut dégager un schéma qui saute aux yeux. Elles sont liées pour la plupart à des évènements politiques, à une pé-riode d’échéance politique et s’adressent toujours à la politique. Cette relation, si elle est démontrée, doit nous interpeler car à chaque mouvement de violence une réponse quasi simultanée basé sur un financement, une réponse sur hâtive et coûteuse. Mais le fait est qu’on n’a jamais mention de bilan détaillé sur l’utilisation de l’argent du contribuable, donc pas de transparence. Or, c’est une obligation. Cette violence récente ne surprend per-sonne puisque nous sommes en période électorale. C’est soit une délinquance très enga-gée politiquement, soit une politique très délinquante. 

FI : Vous avez récemment lancé un appel sur les réseaux sociaux et demandé aux Mahorais d’occuper illégalement les parcelles de l’État et du Département. N’est-ce pas risqué ? 

Y. M. : C’est un raisonnement par l’absurde qui au fond, est un cri de désespoir pour sau-ver l’ordre républicain et la terre de Mayotte. Aujourd’hui, l’occupation illégale, qui est en fait une colonisation de notre terre, semble être la norme puisqu’on a l’impression qu’on peut s’installer sur les parcelles de l’État, du Département et de la commune sans que les autorités ne réagissent. Pire encore, dans nos communes, beaucoup d’élus favorisent l’installation des bidonvilles-colonies par calculs politiques, soutenant ainsi la déforesta-tion, la pollution et la création de foyer. Après avoir lancé plusieurs cris d’alarme pour sau-ver notre patrimoine écologique, on s’est dit avec des militants tel que Gaillard Junior qu’il fallait que les Mahorais s’installent eux-aussi massivement sur les parcelles de l’État, de la commune et du Département. On verra à ce moment-là si l’illégalité est la norme où bien les sanctions ne sont réservées qu’aux citoyens. Le seul risque est qu’il n’y ait pas de ré-action assez rapide. Mais nous avons espoir que notre alarme républicaine sera entendu à temps.

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