Outre-mer : Face à la vie chère et aux inégalités, des politiques publiques encore inadaptées, note le CESE

La Délégation à l’Outre-mer a dressé un nouveau tableau au vitriol de la situation sociale des Outre-mer. Pour les rapporteurs, le fruit de ces inégalités trouve son origine dans une crise du pouvoir d’achat. Mais des solutions existent.

Comme un disque rayé. Une nouvelle étude du Conseil économique, social et environnemental brosse un portrait exhaustif bien que par trop connu des inégalités sociales dans les Outre-mer, sources de fractures toujours plus profondes de la société et “d’atteintes au Pacte Républicain”. Et la crise Covid ne risque pas d’adoucir le trait : “le choc économique et social suite à la crise sanitaire s’annonce extrêmement brutal et ses conséquences seront de grande ampleur”, prédisent les rapporteurs. À Mayotte, cette pandémie “a fait ressurgir aux yeux de tous, les conditions de vie misérables d’une grande partie de la population”, de même que dans certaines des communes de La Réunion ou dans les îles isolées de Polynésie française.

Pour autant, les racines de ces inégalités sociales et économiques sont plus profondes. La Délégation à l’Outre-mer du CESE s’est d’ailleurs saisie du sujet dès le mois de janvier 2020. Objectif, alors : étudier les liens entre pouvoir d’achat et cohésion sociale dans les Outre-mer, dans le contexte particulier de la “vie chère”, l’une des principales causes de mécontentement des populations ultramarines. “C’est le sens des revendications de pouvoir d’achat et de justice sociale exprimées lors de mouvements sociaux répétés depuis de nombreuses années, signes d’un mal-être qui perdure”, écrit le bureau du CESE dans sa note de saisine du 28 janvier dernier. Le premier du genre ? La grève contre la “vie chère” en 2011 à Mayotte, qui avait duré 46 jours et causé un décès, retracent les rapporteurs en introduction de leur rapport.

Un avis consultatif

Certes, le CESE, une assemblée constitutionnelle composée des représentants sociaux, émet des avis purement consultatifs. Reste que ce nouveau tableau sur la situation des Outre-mer a le mérite de faire une piqûre de rappel. Et pourrait, qui sait, orienter les futures politiques publiques. Car “il est indispensable d’aller au-delà des réactions d’urgence et d’apporter des réponses de long terme. Les Outre-mer présentent des sociétés fracturées par une pauvreté qui ne cesse d’augmenter. Il y a urgence à s’attaquer à cette grave difficulté qui mine le pacte social et la cohésion républicaine”.

Un constat qui résonne tout particulièrement à Mayotte, où les récents déferlements de violence peuvent aussi s’analyser au prisme de ces inégalités qui se creusent. À ce sujet, l’avis insiste sur le taux de pauvreté du département le plus mal noté, avec 84% de la population sous le seuil national. Certes, ce taux est passé à 77% en 2018 d’après les dernières statistiques de l’INSEE, mais cette évolution apparente cache des inégalités qui se sont accentuées en parallèle. En 2018, les 10 % les plus aisés avaient ainsi un niveau de vie plancher 6,8 fois supérieur au niveau de vie médian de la population. Soit quatre fois de plus qu’en 2011 !

2,50 euros une baguette à Mayotte

Premier facteur d’inégalités, une crise du pouvoir d’achat, fruit d’une faiblesse des revenus et d’un niveau des prix élevé. “Le pouvoir d’achat et la cohésion sociale sont fortement liés en Outre-mer” et “le fait de payer les mêmes produits bien plus chers que dans l’hexagone, révolte profondément les consommateurs qui se sentent pris au piège”, poursuit le rapport. Et là encore, le 101ème département n’est pas en reste : récemment, le prix d’une baguette de pain à 2,50 euros avait provoqué un tollé sur les réseaux sociaux.

L’échec des politiques publiques sur les prix

Situation de monopole, éloignement dû à l’insularité, octroi de mer… Les facteurs de cette “vie chère” sont multiples mais les rapporteurs soulignent que “la régulation des prix par les autorités publiques (État, Autorité de la concurrence, délégué interministériel à la concurrence en Outre-mer…) peine à faire baisser les prix significativement et durablement”. Le fameux “Bouclier qualité-prix” (BQP) instauré grâce à la loi Lurel du 20 novembre 2012 montre ainsi des signes d’essoufflement. Non seulement, les consommateurs ne connaissent pas suffisamment les produits inclus dans le panier, mais les distributeurs ont pu, de leur côté, adapter leurs marges… Sans parler des inégalités de revenus, les paniers des classes les plus aisées tirant les prix des produits de grande consommation vers le haut.

Pas de couverture sociale pour 70.000 personnes

De leur côté, “les plus fragiles sont particulièrement vulnérables à l’augmentation des prix des denrées alimentaires”. Les revenus des ménages sont alors fortement dépendants des aides sociales. Or, à Mayotte, l’alignement des prestations sur celles de l’hexagone n’est toujours pas achevé : 70.000 personnes ne seraient pas couvertes par la protection sociale, d’après des données de la Caisse de sécurité sociale croisées avec le recensement de l’INSEE de 2017. Qui dénombre 256.518 habitants, un chiffre que beaucoup accusent d’être en deçà des réalités. Dans le viseur du CESE, justement : les biais des analyses statistiques qui “conduisent systématiquement à minorer les difficultés rencontrées par la population. Il en résulte des politiques publiques qui ne tiennent pas compte de la pauvreté extrême à laquelle est confrontée plus de la moitié de la population, et jusqu’à 84,5% à Mayotte”.

Les leviers de l’économie régionale et locale

Dans les solutions pour vaincre ce cycle infernal qui lie vie chère et inégalités sociales, le CESE évoque pêle-mêle l’alignement des prestations sociales sur le droit commun mais aussi une adaptation des normes commerciales européennes aux réalités des territoires, ce qui permettrait une meilleure coopération régionale. En effet, à Mayotte comme dans la plupart des territoires ultramarins, la dépendance à la métropole et le manque de relations commerciales avec les pays voisins constitue un frein à la compétitivité des prix. Enfin, le soutien d’une économie locale durable et diversifiée est un levier indispensable pour créer de l’emploi et améliorer le pouvoir d’achat. L’exemple de la coopérative de commerçants indépendants “Macodis” à Mayotte en est la preuve. Ces treize commerçants indépendants, regroupant seize magasins ont “donné l’opportunité aux fournisseurs locaux d’accéder aux canaux de distributions.” À la clé, une réduction des coûts d’achat de 15 à 30% ! Comme quoi, Mayotte aussi peut avoir le bon rôle…

 

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