Au moins 500 personnes se sont réunies à Mamoudzou ce jeudi matin, pour prendre part à la mobilisation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement français. Le cortège a défilé dans les rues du chef-lieu, jusqu’à la préfecture, où les représentants de l’intersyndicale ont remis en mains propres leurs revendications.
« Arrêtons cette mentalité de fatalité, tafadhali* !! ». Debout dans la benne d’un pick-up recouvert de drapeaux de divers syndicats, micro en main, Anli Rigotard, responsable organisation de la CFDT Santé-sociaux Mayotte, harangue la foule attroupée sur le parvis du comité de tourisme ce jeudi matin. Il exhorte les plus jeunes à la mobilisation : « ce pourquoi nous nous battons aujourd’hui, des gens bienveillants se sont battus pour auparavant ! Ce n’est plus aux vieux de se mobiliser pour nous ! » Devant lui, 500 à 600 personnes – selon les estimations des forces de l’ordre présentes sur place – ont répondu à l’appel à la grève de l’intersyndicale de Mayotte pour protester contre le projet de réforme Macron-Borne, et son report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans.
« Pas une année, pas un mois, pas un jour de plus travaillé pour les salariés ! », scande Laurence Pollozec, secrétaire académique de l’AI-UNSA, syndicat dont la présence – habituellement rare en manifestation – traduit la forte mobilisation du jour. Tous* ont en effet répondu à l’appel de l’intersyndicale : une unité inédite depuis plusieurs années. « Sur le reste on peut négocier, mais 64 ans, c’est non ! », proclame la gréviste au nom de son syndicat.
« Le combat que je mène, il est pour les jeunes ! »
64 ans, c’est justement l’âge de Jean Berthier, présent ce matin. Déjà retraité et enseignant contractuel, il n’est pas directement concerné par la potentielle réforme. « Le combat que je mène, à titre personnel, il est pour les jeunes ! ». Au lycée d’enseignement adapté l’Espérance de Kawéni, Jean enseigne les matières professionnelles du CAP Accompagnant éducatif petite enfance ; il forme les futures Atsem et assistantes maternelles. « Ce sont des métiers qui sont physiquement engageants, et on peut se demander dans quel état elles vont finir ! Les troubles musculo-squelettiques, les maladies, la surcharge mentale… les métiers du service à la personne sont usants. Travailler jusqu’à 64 ans dans ce cas, c’est juste trop pénible… »
Ali Madi Saindou, trésorier adjoint de la CGT Pénitentiaire Mayotte, abonde : « Cette réforme est inadaptée ! Imaginez travailler jusqu’à 64 ans en milieu carcéral, avec des prisonniers à surveiller ! Au travail, on en rigole, on se dit qu’on a plus qu’à préparer nos déambulateurs et nos défibrillateurs ! », ironise-t-il. Il soutient que les agressions au travail et le stress sont autant de facteurs qui réduisent l’espérance de vie des matons. « C’est rare qu’on dépasse les 70 ans ! », déplore-t-il. Une étude de la mortalité des agents pénitentiaires, réalisée entre 1990 et 2008 par l’Institut de veille sanitaire sur plus de 40.000 agents ne démontrait pas de sur-mortalité, mais rapportait en revanche le « taux de suicide le plus élevé de la fonction publique ».
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La question de l’espérance de vie est toutefois pertinente sur notre territoire. L’Agence régionale de santé (ARS) rapporte ainsi une espérance de vie inférieure à la moyenne nationale de près de sept ans pour les hommes (72,5 ans à Mayotte contre 79,3 ans en Métropole) et de onze ans et demi pour les femmes (73,9 ans à Mayotte, contre 85,5 ans en Métropole). Mathématiquement, la retraite des Mahorais dure donc moins longtemps !
« On passe les mêmes concours, on fait le même boulot ! »
Vers 10 heures, après quelques prises de paroles de représentants syndicaux, le cortège se met en branle. Les grévistes, drapeaux en main, traversent la zone des taxis à proximité de la barge, bloquent un moment le rond-point Passot, et remontent la rue de l’hôpital en passant devant le conseil départemental.
« Les contractuels du CHM !!! Sachez que l’Ircantec* n’existe pas pour vous ! », braille-t-on au micro en s’approchant du centre hospitalier. Les grévistes abordent alors la question de l’alignement des pensions mahoraises sur celles observées en métropole. « Imaginez les gens qui ne peuvent déjà pas vivre avec 1.200 euros… Ici, certains ne prétendent pas à plus de 200 euros par mois de retraite ! », scande un représentant de la CFDT en tête de file. Ainsi, sur l’île, « la retraite moyenne mensuelle ne s’élève qu’à 282,35 euros », indique un rapport de la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, daté de 2020. « 617 euros pour un assuré ayant une durée d’assurance complète », précise le document. « On passe les mêmes concours, on fait le même boulot ! Quand il s’agit des sanctions, on est logés à la même enseigne. Mais en ce qui concerne les récompenses, là c’est différent ! », argue Maholyde Mohamed Toybou, surveillant pénitentiaire et trésorier général de la CGT Pénitentiaire de Mayotte.
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Dernier arrêt devant la préfecture, où l’intersyndicale ira déposer en mains propres ses doléances. « Non, karivendzé ! On n’en veut pas de cette réforme à la merde, à la con ! », scande au micro Balahachi Ousseni, secrétaire général de la CFDT Mayotte, reprenant le slogan emblématique de Zéna Mdéré. Applaudissements de la foule, qui se dispersera quelques minutes plus tard.
* s’il vous plaît !
* CGT-Ma, UI-CFDT, UD-FO, CFE-CGC, FSU, CGT Educ’Action, SNUIPP, SNES-FSU, UNSA Éducation, SUD PTT, Sgen-Cfdt.
* Ircantec : Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques.