Le « non karivendzé* » de feue Zena M’déré, la plus célèbre des chatouilleuses mahoraises, lors de la séparation entre Mayotte et les trois autres îles de l’archipel des Comores, résonne encore aujourd’hui dans l’esprit des Mahorais. Plus de 45 ans après cette décision, les mentalités ont-elles évolué ? La jeune génération mahoraise partage-t-elle les mêmes combats que ses aïeux ? Les jeunes locaux semblent s’être affranchis de ces conflits intercommunautaires, mais les rapports entre Mayotte et les Comores restent toujours aussi délicats.
Un seul pin’s et tout s’effondre. C’est ce que l’on retient de la récente polémique de Miss Mayotte 2021. En accrochant ce petit bout de métal sur son écharpe lors d’un vernissage, Anna Ousseni a ravivé les tensions qu’il y a entre les Mahorais et les Comoriens depuis des décennies. Manque de respect, provocation, insulte envers les Mahorais, la jeune femme a été accusée de tout par tous, certains appelant même à sa destitution. Mais alors pourquoi un simple pin’s a-t-il mis le feu aux poudres ? Cette polémique reflète la situation ambigüe qu’il y a entre Mayotte et les îles voisines de l’Union des Comores. Pourtant la jeune génération mahoraise essaye d’établir de bonnes relations avec celle des Comores. Les artistes de l’île sont les premiers à vouloir aller au-delà de ces conflits.
Il y a quelques mois, deux chanteurs mahorais ont participé au concours musical comorien Nyora et la gagnante, Kueena, est originaire de l’île aux parfums. « Sa participation a fait du bruit uniquement sur Facebook. En réalité elle a été soutenue et accueillie en grandes pompes à Mayotte et aux Comores. Les artistes apprennent à se connaître et travaillent ensemble, je suis agréablement surprise », relève Julie Cudza, jeune Mahoraise de 24 ans. Est-ce un signe d’une évolution des mentalités ? C’est ce que pense la jeune femme. « Cette jeunesse a mûri. La nouvelle génération prend plus le temps de comprendre, elle ne réagit pas à chaud et c’est valable des deux côtés. Je trouve que les gens ont beaucoup évolué de manière positive », continue Julie Cudza.
« On peut améliorer la relation en proposant un dialogue »
Elle donne pour exemple l’actuelle Miss Mayotte, Anna Ousseni. « Tout le monde savait qu’elle était Anjouanaise et elle a gagné l’élection. Il y a dix ans, une Comorienne n’aurait jamais pu représenter Mayotte. » Elle n’est pas la seule à partager ce sentiment. Azrah Ali Abdou a 28 ans, c’est un jeune Mahorais qui dit entretenir des relations courtoises et fraternelles avec les Comoriens qu’il côtoie. Et selon lui, c’est une nouvelle fois l’art qui réussit à jouer les entremetteurs. « Il y a eu beaucoup de collaborations ces dernières années sur le plan culturel avec les Comoriens
donc je suis convaincu que nous pouvons cohabiter en parfaite harmonie avec eux », explique-t-il. Ceci dit, la culture a ses limites, et la question politique prend le dessus.
« La limite est d’ordre politique »
Si les artistes mahorais et comoriens se placent au-dessus des problèmes qu’il y a entre leurs territoires respectifs et essayent d’apporter la paix à travers leurs arts, il est évident qu’ils ne peuvent pas mettre fin à la relation conflictuelle qu’il y a entre les deux communautés. « Nous avons montré que nous sommes capables d’entretenir de bonnes relations mais la limite est d’ordre politique. C’est avec la politique que l’on régit un territoire et ce problème ne peut pas être réglé autrement », soutient Azrah Abdou Ali. Selon lui, la situation est ambiguë à cause des instances internationales. « L’union Africaine et l’ONU donnent raison à l’union des Comores mais, dans les faits, Mayotte est administrativement gérée par la France… Alors à qui profite cette ambigüité ? D’un côté nous avons l’état comorien qui refuse d’assumer clairement son indépendance sous prétexte qu’il lui manque une île. De l’autre, nous avons une classe politique mahoraise qui use de cette situation pour en faire des grands débats en période électorale. Et au milieu, on a l’état français qui trouve des arguments pour ne pas développer Mayotte au rythme espéré par les Mahorais », analyse-t-il.
La relation entre Mayotte et les Comores peut cependant être améliorée si les politiques s’unissent pour trouver des solutions avantageuses pour les deux territoires. « On peut l’améliorer en proposant un dialogue qui aurait pour objectif de conclure sur des échanges et une étroite collaboration dans le but de nouer une vraie relation et de créer des coopérations car on parle beaucoup de coopération régionale sauf qu’en réalité elle n’existe pas entre Mayotte et les Comores », estime Houssalam Houdjati, 25 ans. Et selon lui, tout le monde peut y contribuer, qu’il s’agisse des acteurs politiques, mais aussi économiques, sportifs ou encore dans le domaine de la santé.
Mahoraise et Comorienne
Malgré la séparation de Mayotte et des Comores, la population n’a cessé de se mélanger. Aujourd’hui, une grande partie de la population mahoraise a des origines comoriennes, à l’image de Jasmounah Mohamed, âgée de 25 ans. Mère anjouanaise, père mahorais, la petite fille qu’elle était a baigné entre les deux cultures. Elle a grandi à Mayotte mais passait ses vacances à Anjouan. Elle a eu une enfance heureuse, loin des conflits qui opposent les deux peuples.
Désormais, la jeune femme pointe du doigt les clichés attribués aux Comoriens. « On a tendance à assimiler la délinquance aux Comores alors que tous les délinquants ne sont pas Comoriens. À cause de cela, la relation se détériore chaque jour un peu plus », regrette Jasmounah Mohamed. Elle prône une prise de conscience des deux côtés. « Les mentalités doivent évoluer. J’en connais certains qui pensent que Mayotte a toujours été française et donc pour eux les Comoriens sont des étrangers ici, mais moi j’estime qu’ils ne le sont pas et qu’on doit pouvoir tous cohabiter. » Un rêve qui n’est pas prêt de se réaliser, puisque plus le temps passe, plus la situation s’envenime. Ce constat inquiète Jasmounah mais n’ébranle en aucun cas son amour pour ses deux îles. « J’aime Mayotte tout autant qu’Anjouan et je considère qu’aucune île n’est mieux que l’autre. »
Retrouvez l’intégralité du dossier consacré aux jeunes de l’île dans le Mayotte Hebdo numéro 995.
*Non nous n’en voulons pas (de l’indépendance)