L’institution cadiale objet d’un large débat public

Des cadis, des religieux, des foundis et autres sachants de l’Islam se sont réunis au conseil départemental de Mayotte, dimanche et lundi, pour débattre de la manière de faire évoluer l’institution cadiale et de réorganiser le culte musulman. Une unanimité se dégage quant à la nécessité d’aboutir à une plus large autonomie de cette institution afin de lui permettre de s’exprimer librement et d’adopter des positions sur certains sujets de société.

Des cadis (même s’ils n’étaient pas tous présents), des religieux, des élus locaux, des érudits et éminences de l’Islam comme Mohamed Bajrafil (reconnu à l’échelle nationale), des hommes et des femmes issus de la société civile étaient présents à une large concertation publique sur l’évolution de l’institution cadiale et l’organisation du culte musulman lancé par le conseil départemental de Mayotte ce dimanche. Ce colloque de deux jours s’est déroulé dans l’hémicycle Younoussa Bamana sous la présidence de Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental. En effet, l’initiative de débattre du rôle et des missions à confier dans l’avenir aux cadis sur l’île revient à ce dernier, bien que la réflexion en elle-même n’est pas récente. Elle remonte au lendemain de la départementalisation de Mayotte lorsque certaines fonctions traditionnellement assurées par eux (tels que les actes notariaux et les médiations conjugales) ont été confiées à d’autres entités de droit commun. De concert avec l’Etat, les élus locaux avaient alors imaginé leur attribuer un rôle de médiateurs sociaux, des sortes de juges de paix, comme il y en a eu autrefois dans les sociétés européennes. Et, en attendant que la bonne formule soit trouvée, les cadis ont été placés au service du conseil départemental de Mayotte pour faire de la « médiation sociale » au sein d’un « conseil cadial ».

Les bouleversements majeurs qui s’opèrent dans la société mahoraise ces quinze dernières années, ont remis les cadis sous les projecteurs, le droit commun n’étant d’aucun secours face au désarroi sans cesse croissant des populations locales, notamment concernant l’insécurité. Mais il n’y a pas que cela, les malades, les couples traditionalistes, les laissés pour compte de la marche vers le développement, tous constituent aujourd’hui un immense vivier pouvant relever de potentiels missions à confier aux cadis dans le futur au sein d’une société mahoraise en perpétuel mouvement. Parce que les cadis constituent un des quatre piliers de ladite société, Ben Issa Ousseni a choisi, par ce colloque, de porter la question de leur devenir statutaire sur la place publique cette semaine afin qu’il ne soit pas le seul fait décisionnel des politiques ou de l’administration. « Ce colloque est organisé pour répondre à un besoin prégnant de repenser le statut et les fonctions des cadis, en particulier dans le contexte de la départementalisation de Mayotte. Depuis l’ordonnance 2010-590 du 3 juin 2010, qui a marqué la fin des fonctions juridictionnelles des cadis, des réflexions ont été menées, notamment lors des deux précédentes mandatures. Malgré la volonté de transformer les cadis en médiateurs sociaux, ce rôle n’a jamais été complètement clarifié ni accompagné des formations adéquates », remarque le président du conseil départemental au cours d’un échange avec notre rédaction.

Clarifier les missions des cadis

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que le sujet est extrêmement sensible dans une société mahoraise tiraillée entre envie de modernité et conservation de certaines traditions. Le chef du Département souhaite que la réponse à ce problème soit consensuelle. Des enquêtes conduites par les services départementaux depuis le mois de janvier ont fait apparaître une forte sollicitation des cadis par la population locale malgré la cessation officielle de leurs fonctions judiciaires. « Preuve de leur place symbolique et sociale chez les Mahorais. Il est donc devenu essentiel de clarifier leurs missions », observe le président du conseil départemental.

Pour lui, et beaucoup d’autres intervenants, ce colloque de deux jours cherche à répondre à une multitude de questions restées jusque-là en suspens. Il s’agit donc à présent de savoir comment redéfinir les rôles cadis. Comment organiser le culte musulman dans le cadre des lois de la République et dans le respect des spécificités locales ? En fond de cette démarche, apparaît le besoin de conférer à l’institution cadiale une autonomie certaine conduisant à la séparation claire de sa double responsabilité à la fois religieuse et administrative. Selon Ben Issa Ousseni, une telle autonomie devra permettre aux cadis de Mayotte « d’être consultés sur tous les sujets et de donner leur avis en toute indépendance ». Il rappelle même qu’elle constitue l’une des questions centrales du colloque, avec pour but final la possibilité d’aboutir à une structure autonome indépendante de l’administration départementale (dont elle dépend actuellement), afin qu’elle puisse jouer un rôle clé dans l’organisation du culte musulman sur le territoire.

Vers plus d’autonomie

Le Département de Mayotte est convaincu que cette autonomie du conseil cadial permettra de revenir à « un cadre plus clair, en fixant un cap unique aux pratiques religieuses, tout en respectant la diversité des courants présents sur le territoire ». Une vision que partage Daniel Zaïdani, conseiller départemental du canton de Pamandzi et ancien président du conseil départemental : « Même si nos avis peuvent différer dans les détails, je pense que nous avons besoin sur le territoire de Mayotte de cadis qui nous représentent sur le plan religieux. Quand bien même nous avons tous une culture générale, avec des acquis, je pense que seuls les cadis ont la crédibilité pour nous représenter dans certaines instances et s’exprimer au nom des musulmans de Mayotte. C’est pour cela qu’il est fondamental d’étudier les possibilités de leur octroyer les moyens d’exercer pleinement leurs missions ». Lui aussi est convaincu que les cadis peuvent accomplir davantage de missions que celles qui leurs sont actuellement confiées et c’est à ce titre que le département leur alloue ces dernières années plus de moyens, notamment humains, en leur mettant à disposition des cadres afin qu’ils puissent travailler correctement. Il plaide à son tour en faveur d’une grande autonomie des cadis de Mayotte dans leurs prises de position sur des sujets relevant de leurs compétences, en rappelant que ce colloque a vu aussi la participation de religieux, de foundis, d’hommes et de femmes soucieux de l’avenir de la religion musulmane sur l’île. « Ce débat est fondamental parce que ce n’est pas seulement une décision qui doit être prise à vingt-six élus, elle doit être collective, réfléchie, constructive et permettre au final de s’assurer demain que nos représentants religieux puissent exercer librement et pleinement leurs fonctions ». Qu’ils soient experts en islamologie, en finances islamiques ou autres, un grand nombre de participants à ce colloque s’accorde sur un fait majeur, les débats engagés doivent se déplacer hors du cadre officiel et feutré du conseil départemental pour s’inviter au sein des populations locales.

Journaliste politique & économique

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