Dans un courrier envoyé aux autorités et élus de Mayotte, Djabiri Madi Leroi alerte sur l’absence du kiboushi dans le répertoire de la cité internationale de la langue française inaugurée par le président de la République, Emmanuel Macron, à Villers-Cotterêts (Aisne), le 30 octobre. Ainsi, alors que le shimaoré y figure, la langue dérivée du malgache n’est pas inscrite parmi les langues régionales du patrimoine français.
« Madame et Messieurs,
Cette liste nominative des personnes à qui je m’adresse ici pourrait bien s’allonger quand je sais le nombre et la qualité de nos représentants qui pourrait bien intervenir sur le sujet qui suit. Je parle ici de la cité internationale de la langue française inaugurée le lundi 30 octobre 2023 à Villers-Cotterêts en Picardie par le président de la République. C’est un dispositif pensé pour mettre en valeur les langues régionales de la France avec une place prépondérante pour les langues parlées en outre-mer et en faire leur promotion d’une manière constante sur le plan international. Par la mise sur pied de cette cité, Emmanuel Macron confirme et place d’une manière concrète nos langues régionales comme appartenant strictement au patrimoine de la France, ainsi que le stipule l’article 75-1 de la constitution. Quid de l’enseignement effectif de ces langues dans nos écoles ?
Mayotte a été bien prise en compte dans ce dispositif ce qui me ravit : pour une fois on a fait abstraction du mot magique « sauf Mayotte ». En effet, la langue shimaoré est bien distinguée parmi les autres langues des territoires ultramarins qui ont pignon désormais sur murs de la cité internationale de la langue française.
Cependant, je déplore la discrimination qui serait faite au kibošy (lire kiboushi), la langue parlée à Mayotte depuis au moins le VIIe siècle (les historiens me rattraperont). Cette situation évincerait par voie de conséquence une partie de la population de ce jubilé historique véhiculé par l’inauguration de la cité internationale de la langue française. Si cela est bien confirmé que le kibošy est écarté de ce répertoire des langues valorisées dans cette cité, il conviendrait de rectifier cette erreur manifeste.
Une langue qui a été diabolisée
L’ensemble de la population utilisant cet idiome pourrait penser que la France se rend complice de ceux qui considéraient ou qui considèrent encore que le kibošy est la langue des mécréants qu’il faut bannir de la place publique. En effet, à l’arrivée des Arabes à Mayotte entre le IXe et le XIIIe siècle, la langue kibošy a été diabolisée du fait de la résistance de ceux qui emploient cette langue à se plier à l’islamisation de l’île étant majoritairement animistes. Cela n’est pas sans conséquence sur la vie en société de ces habitants. Aujourd’hui encore, nombreuses sont des tentatives d’étouffement de cette langue : des voix s’élèvent par exemple lorsqu’un interlocuteur s’exprime en cette langue dans les médias.
Or, cette même langue a joué un rôle sans précèdent dans l’histoire de Mayotte et dans le processus de l’attachement de Mayotte à la France. Il n’est plus à préciser que le dernier sultan de Mayotte, Andriantsoly, parlait cette langue et c’est par lui en 1841 que les relations entre Mayotte et la France ont été formalisées. Ainsi, madame et messieurs, c’est faire offense à notre illustre sultan et toute une population de Mayotte que de vouloir, d’une manière délibérée ou non, bannir des lieux publics cette noble langue.
Il est donc impératif que l’État français trouve dans cet espace dédié, la fierté d’exposer le kibošy comme appartenant à son patrimoine. Je vous demande donc de peser de toute votre autorité pour réparer ce que je qualifie d’injustice si cela s’avère que le kibošy a été bien oublié. Car le doute s’installe quand de tous les reportages du réseau la 1ère nous n’avons entendu aucun mot concernant la prise en compte de cette langue dans la cité internationale de la langue française.
Recevez, Madame, Messieurs, l’assurance de ma considération distinguée. »