Le viol est un mal invisible, et à Mayotte on profite de cette invisibilité pour ne pas en parler. Dans une société où le sexe est tabou, les victimes d’agressions sexuelles sont trop souvent réduites au silence. Cependant, les langues commencent à se délier, et les victimes veulent désormais se faire entendre malgré les nombreuses barrières qu’elles doivent franchir.
“J’ai été victime de viol par mon géniteur.” Il aura fallu un sacré courage à Saïrati, pour prononcer ces mots sans avoir honte, sans se sentir coupable. Les faits se sont déroulés alors qu’elle n’était qu’une petite fille. Elle dit ne pas se souvenir de l’âge qu’elle avait quand cela a commencé, mais les agressions sexuelles ont cessé lorsque ses parents se sont séparés quand elle avait 6 ans. Aujourd’hui, la jeune femme âgée de 26 ans, a décidé de sortir du silence et de raconter son histoire. Le chemin n’a pas été facile pour elle, car elle a dû faire face au déni de son entourage, à l’image de beaucoup de victimes. “J’ai en ai parlé à des personnes proches de moi, mais elles n’ont pas su porter ma voix. Je n’ai pas été soutenue comme je l’espérais. Ma parole a été entendue, mais il n’y a pas eu d’actions derrière. Je suis convaincue que c’est parce qu’ils avaient peur des conséquences familiales et sociétales”, selon Saïrati. La petite fille qu’elle était a évoqué le sujet pour la première fois à l’âge de 8 ans, puis vers ses 17 ans, mais elle n’a pas été soutenue. Ce n’est qu’en allant en métropole, à l’âge de 19 ans qu’elle en parle à une tante et trouve le soutien qu’elle a toujours recherché. Saïrati trouve réconfort auprès de cette tante, elle aussi victime de viol par le même homme. S’en suivent alors de longues années de thérapie avec différents professionnels. Elle est passée par tous les états : colère, peine, incompréhension. “J’en ai voulu à mon géniteur parce que je me sentais incapable d’en parler, et je lui en ai voulu parce qu’il ne disait rien alors que j’ai beaucoup pleuré.” Le long travail thérapeutique et la maladie de son agresseur ne lui ont pas permis de porter plainte mais Saïrati ne le regrette pas. “Je ne pense pas que la justice m’aurait aidée à guérir. Aujourd’hui, je vais beaucoup mieux car j’ai choisi de ne plus lui en vouloir. Je ne dis pas que je lui pardonne ou que ça fait moins mal, mais je ne veux plus vivre avec cette colère qui n’étouffait que moi.”
Si Saïrati a eu le courage d’en parler à sa famille, ce n’est pas le cas de Myriam* qui garde encore son secret enfoui dans ses souvenirs. “Lorsque j’étais petite, je devais avoir 5 ans, mon beau-frère a abusé de ma sœur et de moi”, révèle Myriam. Cela a duré plusieurs années et les sœurs ont gardé le secret jusqu’au jour où la dernière révèle tout à sa mère. “Au début, ma mère et mon beau-père ne l’ont pas crue parce que ses propos étaient confus, elle était plus jeune que moi. Lorsque j’ai vu que sa parole était mise en doute, je n’ai pas osé en parler parce que je ne voulais pas que l’on me traite de menteuse”, explique Myriam. Aujourd’hui, ce sujet est complètement tabou au sein de sa famille, particulièrement parce que le beau-frère en question est décédé. “Il est mort quand j’avais 10 ou 11 ans. C’est horrible de dire cela, mais j’étais soulagée quand ça s’est passé”, confie-t-elle. Myriam n’a jamais souhaité suivre de thérapie, ou en parler à sa famille car elle estime que c’est trop tard. Elle est cependant consciente de vivre avec une certaine rancune. “J’en veux à ma mère de ne pas avoir su nous protéger de ce prédateur alors que tout se passait sous ses yeux. Je ne comprends pas comment elle a fait pour ne rien voir. Peut-être qu’elle ne voulait pas le voir finalement…”
Libérer la parole des victimes
Saïrati a fait le choix de ne plus se taire et de sensibiliser sur les agressions sexuelles commis sur les enfants. Elle a commencé par écrire une lettre à son agresseur qu’elle a publié sur les réseaux sociaux. Elle a ensuite créé une page Facebook (Souboutou Ouhédzé jilaho – Ose libérer ta parole) avec sa tante et depuis elle ne cesse de recevoir des témoignages de personnes qui ont été agressées sexuellement. “Je leur dis toujours ce que j’aurais voulu entendre. Je leur dis que je les crois et qu’ils n’ont pas à s’en vouloir. Puis je les oriente vers différentes associations à Mayotte ou en métropole, et vers des professionnels qui peuvent les aider”, indique-t-elle. Malheureusement, beaucoup ne souhaitent pas porter plainte pour diverses raisons. Une réaction typique des victimes de violences sexuelles, particulièrement à Mayotte où le viol est un problème de société qui est caché, étouffé, réduit au silence. “Le mot viol n’existe même pas dans le langage mahorais. C’est une notion juridique du droit français. On dit plutôt que l’enfant a été “attrapé”. Et avant, on ne sanctionnait pas juridiquement la personne qui violait. Si cela venait à se savoir, elle était parfois battue par les membres de la société mais on ne portait jamais plainte”, raconte le sociologue Combo Abdallah Combo. Très souvent, on obligeait la fille à épouser son agresseur pour préserver l’honneur de la famille. Le déshonneur familial est tellement fort qu’on passe outre l’aspect individuel de la victime. “Dans notre société mahoraise, nous vivons en groupe. L’image du groupe prime sur le bien-être de chaque individu. Lorsqu’une telle chose arrive, on essaye alors d’arranger cela en famille. Mais tous ces mécanismes font qu’à chaque fois on excuse l’inexcusable”, selon le sociologue.
Les victimes d’agressions sexuelles sont encore plus réduites au silence si l’agresseur est un membre de la famille. Le viol incestueux est tellement grave que les membres de la famille préfèrent ne pas en parler. “C’est la raison pour laquelle une mère a du mal à croire quand sa fille dit qu’elle a été violée par son père, son oncle ou son frère. Au lieu de protéger la victime, on va protéger le statut de l’agresseur parce qu’il y a encore cette barrière psychologique”, explique Combo Abdallah Combo.
Éduquer enfants et parents
Dans la société mahoraise, on ne parle pas de sexe. On le sous-entend quelque fois, mais l’éducation sexuelle est inexistante. Cela favorise le silence des personnes victimes de viol. “On diabolise un peu trop la sexualité avant le mariage. C’est un tabou qui entraîne tous les autres tabous parce que si on ne parle pas de sexualité, un enfant n’osera jamais raconter à ses parents qu’il a vu ou subi quelque chose de bizarre”, souligne Saïrati. Et Myriam d’ajouter, “Si on m’avait appris quand j’étais petite que personne n’a le droit de toucher mon corps, les choses se seraient peut-être déroulées autrement.” Ce tabou ne devrait plus exister selon Combo Abdallah Combo qui tire la sonnette d’alarme sur la nécessité d’éduquer les filles et les garçons. “On doit leur apprendre clairement le bien et le mal. Il faut leur apprendre que personne n’a de droit sur leurs corps et lorsque quelqu’un les touche c’est mal et il faut en parler.” À Mayotte, un travail est également nécessaire chez les parents selon le sociologue. Ils doivent apprendre à écouter leurs enfants, et repérer le comportement d’un enfant victime. Mais encore faudrait-il s’éloigner de tous les aprioris et moins s’inquiéter de ce que les autres peuvent penser.
* le prénom a été changé
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