Sur un territoire où 95 % de la population est musulmane, la religion s’invite dans le quotidien des habitants et le principe de laïcité peut parfois être difficile à appliquer. Dans les écoles, si le port du voile « culturel » est toléré, l’attention est portée sur les risques de dérives.
Dans les établissements scolaires mahorais, les jeunes femmes voilées ne sont pas rares. Quelques garçons portent également le kofia et dans certains établissements, des espaces se transforment même en salle de prière. Pourtant, la loi française interdit tout port de signe religieux ostensible et toute pratique à l’école depuis le 15 mars 2004.
Mais à Mayotte, où 95 % de la population est musulmane et où la majorité des élèves fréquentent en parallèle l’école coranique, il existe une démarcation nette entre le voile cultuel problématique et le voile culturel. « Sur la réglementation c’est clair, l’établissement scolaire est un lieu de stricte neutralité, insiste Pascal Lalanne, conseiller du recteur, spécialiste des questions de laïcité. Mais il y a un accord tacite, qui vise à respecter une tradition. Ici, le voile, porté comme un bandana, est un accessoire de mode, il est culturel. Et ce n’est pas si facile lorsque l’on a des cheveux crépus et que l’on habite dans un banga, de passer chez le coiffeur. Il y a donc une tolérance. »
« Ces coiffes ne posent aucun problème »
D’autant que ce vêtement ne remettrait pas en cause le principe de laïcité pour le rectorat. «Il n’y a pas de volonté de convaincre ou de parler de religion. Ces coiffes ne posent aucun problème », assure le conseiller du recteur. Surtout dans un contexte de bonne cohabitation entre les différentes religions. Pour Pascal Lalanne, « les habitants de Mayotte ont une grande tolérance au niveau religieux mais aussi au niveau vestimentaire. Ce n’est même pas un sujet. On voit très souvent des femmes mahoraises, couvertes de tête aux pieds, en compagnie de femmes blanches plus légèrement vêtues. »
Dans l’immense majorité de la population, la pratique de l’islam est par ailleurs modérée. Pour autant, il existe quelques groupes radicaux revendiquant une tenue religieuse, y compris dans les établissements scolaires. La communauté éducative prêterait notamment une attention particulière aux voiles islamiques. « Il y a eu quelques difficultés dans certains établissements, notamment avec des jeunes filles qui revenaient de métropole et qui avaient pratiqué un islam plus rigoriste. Dans ce contexte, il peut y avoir des incidents », précise Pascal Lalanne.
S’il n’est pas toujours associé à la religion pour les jeunes qui le portent, le kofia est, par ailleurs, peu toléré. « Nous n’aimons pas trop les couvre-chef dans les établissements scolaires, les casquettes et les chapeaux ne sont pas autorisés non plus. Et le kofia reste perçu comme un signe religieux, c’est ce qui, pour nous, est problématique », précise le conseiller du recteur. Quant aux espaces qui se transforment en salle de prière, il n’y a pas de débat. « Les seules pratiques religieuses qui peuvent avoir lieu à l’école se font dans le cadre de l’aumônerie. Toutes les religions monothéistes peuvent le faire. Il s’agit d’une éducation religieuse orchestrée par un aumônier. Mais à Mayotte, nous n’avons eu aucune demande en ce sens. »
La tolérance quant au port du voile culturel dans les établissements scolaires est liée à la départementalisation récente du territoire. « La laïcité est un fondement de la République mais la culture locale est très marquée par l’Afrique et le département est très jeune, il ne s’agit donc pas de bousculer tous les codes. »
Dans le même temps, la départementalisation en 2011, couplée à la séparation des pouvoirs religieux et de l’Etat, a déjà grandement perturbé les fonctionnements locaux. « Les cadis – les chefs religieux – avaient jusque-là le pouvoir de justice de paix, à savoir la petite justice, ils détenaient également des pouvoirs notariaux, permettant de gérer le cadastre et l’état civil, qui leur offrait la possibilité de marier les habitants. En 2011, ils ont perdu ces pouvoirs et l’État a pris le relais », illustre le conseiller du recteur.
Mayotte choisie pour une réflexion sur la laïcité
Fenêtre sur ce qu’a fait l’État français dans ces colonies, Mayotte a été choisie pour une réflexion sur la laïcité et les valeurs de la République par l’institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF), en novembre 2021. A ce moment-là, 23 cadres de l’institut ont passé une semaine sur le territoire afin d’analyser le principe de laïcité dans les écoles du seul département français majoritairement musulman.
Résultat : ils se sont rendu compte que les deux ciments de la vie sociale mahoraise étaient la scolarité, avec un attachement fort à la vie scolaire, mais aussi la religion, qui permet une cohésion sociale importante. « Cela a permis de mettre en évidence que l’on pouvait accepter des exceptions, qu’elles n’atteignaient pas les fondamentaux de l’école et que la religion ne menaçait pas le principe de laïcité », assure Pascal Lalanne, chef de projet du cycle des auditeurs de l’IH2EF.
Pour autant, chaque établissement organise régulièrement des journées sur ce thème. L’idée : rappeler les valeurs de la République. « Dans un lieu où il n’existe qu’une seule religion, le concept de laïcité reste flou, il faut l’expliquer par l’histoire, préciser pourquoi nous avons choisi de séparer la religion et l’État. D’autant qu’il y a toujours de nouveaux arrivants et qu’il faut rappeler les fondamentaux… »
« Elles ne comprennent pas les pratiques religieuses au sein de l’hôpital »
Dans le domaine de la santé, le respect du principe de laïcité n’est pas simple non plus. Il exige notamment que les personnes hospitalisées puissent exercer leur liberté d’expression religieuse et de culte ainsi que leur droit de choisir le praticien de leur choix, et leur droit au consentement aux soins. Selon Saïd Ali Mondroha, l’aumônier régional du CHM, si les différentes religions cohabitent bien, les incompréhensions sont fréquentes. « De nombreuses personnes ne comprennent pas que certaines pratiques religieuses puissent avoir lieu au sein de l’hôpital et n’intègrent pas que chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Que l’on peut être malade, musulman et faire ses prières », souligne-t-il. Saïd Ali Mondroha intervient ponctuellement au CHM, lorsqu’il est contacté pour accompagner des personnes croyantes ayant des questions ou un besoin spirituel. « Certains malades, qui vont donner leur dernier souffle, ont besoin de se raccrocher à la religion », détaille l’aumônier.
Autre difficulté pour le professionnel : rassurer les patients croyants qui estiment que la religion ne leur permet pas de faire certains actes médicaux. « L’islam permet beaucoup de choses dans le cadre du soin. Même si c’est interdit en temps normal, c’est permis lorsqu’il y a un besoin imminent », assure Saïd Ali Mondroha. Au-delà de la santé, des aumôniers interviennent en milieu pénitentiaire pour accompagner les personnes condamnées, mais également dans le domaine militaire.
Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à l’harmonie interconfessionnelle dans le Mayotte Hebdo n°1030.