Des centaines de candidats au pèlerinage musulman de la Mecque sont bloqués à Mayotte, pour la deuxième année consécutive. Cela fait plusieurs jours qu’ils reviennent bredouilles de l’aéroport international Marcel Henry de Pamandzi, faute d’aéronef disponible pour les conduire sur le sol saoudien.
L’affaire est en passe de prendre une tournure politique, avec une implication du département dit-on, mais également de la commune de Mamoudzou. Elle fait grand bruit depuis quelques jours parce qu’elle se répète à nouveau, pour la deuxième année consécutive. Des sources bien informées dans les milieux organisationnels du pèlerinage à la Mecque avancent le chiffre de 441 (sur un total de 600 personnes) Mahorais programmés pour aller effectuer le cinquième (et dernier) pilier de l’islam en Arabie Saoudite cette année, sous la gouverne de l’association ASPEL basée à Sada. Seulement un tiers de ces 441 candidats au pèlerinage a pu arriver sur le sol saoudien à ce jour, non sans de nombreuses épreuves inattendues à Nairobi.
Au cœur de cette affaire, une totale désorganisation de certaines associations en charge de ce qu’il convient de décrire comme « un juteux business de la foi ». À croire que l’Islam n’échappe malheureusement pas aux maux qui frappent les autres religions, où des affairistes sans vergogne profitent, sans retenue ni honte aucune, de la foi des croyants pour s’enrichir sur leur dos. Que ce soit à Lourdes, Rome, Saint-Jean de Compostelle, Jérusalem, Herba, La Mecque ou Kerbala, le système est quasiment le même, des organisations verseuses détroussent gaiement les croyants sur la route de leur quête de « la sainteté, de la purification de l’âme et de la rédemption ». Dans le cas présent, il importe de savoir que ces pèlerins potentiels privés probablement de « Hajj », ont eu chacun à débourser entre 8.500 € et 10.000 €. L’investissement de toute une vie pour bon nombre d’entre eux, voire le fruit d’une cotisation familiale élargie.
L’intermédiaire n’aurait pas reversé l’argent des billets à Kenya Airways
De sources sûres nous indiquent que depuis Mayotte, le pèlerinage à La Mecque est l’affaire de trois associations officiellement admises par les autorités saoudiennes, le ministère en charge du Hajj et du culte (wizaratil hajj). Il s’agit de l’ASPOM, du DJAMOU et de l’ASPEL, sise à Sada et dirigée par un certain M.Bamzé. Ces trois organisations se sont réunies en une fédération dont le siège est installé à Mtsapéré – Mtsangani, dans la commune de Mamoudzou.
À elles seules, elles gèrent un quota annuel de 600 pèlerins agréés par l’Arabie saoudite, « qu’elles se répartissent de manière totalement opaque », selon les dires de certains. C’est l’ASPL qui est au centre de la tourmente qui s’annonce depuis l’année dernière et qui se trouve dans l’incapacité de faire voyager 441 candidats, qui pourtant se sont acquittés de toutes les sommes qui leur étaient réclamées. Visiblement, pour 2022, elle s’y était prise avec un certain retard. Mais cette année, la difficulté serait d’une autre origine d’après certaines sources. En effet, cette association aurait choisi de sous-traiter l’achat des billets d’avion de ses clients auprès de la compagnie Kenya Airways via « une personne de confiance », directement à Nairobi. Pourquoi, alors que, cette compagnie aérienne qui dessert Mayotte depuis très longtemps dispose d’une grande agence à Mamoudzou. « Mystère et boule de gomme » dirait l’autre, arrangement de gros sous affirment d’autres habitués locaux de ce marché. Toujours est-il que « l’honorable intermédiaire » aurait omis de payer le quota de billets attendus auprès du transporteur aérien kényan. Ignorant ce fait, à peu près un tiers des effectifs, que l’ASPL se serait engagée de faire voyager cette année, serait arrivé à bon port à Nairobi pour attendre la globalité du groupe afin de cheminer ensemble vers la ville de Djeddah, à bord d’un appareil de Qatar Airways que devait affréter Kenya Airways à cet effet. Mais il n’en a rien été ! Et pour cause …
Une question de méthodes entre l’avant et après pandémie du Covid-19
Ce tiers de candidats pèlerins a fini par voguer vers les cieux saoudiens après s’être acquitté collectivement de la coquette somme de 30.000 €, valeur du vol Nairobi-Djeddah, à raison de plus de 1.300 € par passager. Une somme totalement imprévue pour eux qui vient s’additionner aux 8.500 à 10.000 € (variable d’une association à une autre sur les 3 agrées par les autorités saoudiennes) qu’ils ont payés au préalable sur place à Mayotte. On pourrait se demander pourquoi le Kenya se retrouve au milieu de cette affaire ? La réponse provient d’une réorganisation des modalités du Hajj par l’Arabie saoudite après la pandémie du Covid-19. Auparavant, les trois associations locales fédérées dépêchaient chacune sur place des représentants qui se chargeaient de régler toutes les démarches préalables à l’obtention des visas des ressortissants mahorais, en particulier la question du logement condition sine qua non à l’obtention du précieux sésame, délivré par l’ambassade saoudienne à Nairobi. En effet, Mayotte était englobée au sein d’un ensemble de pays d’Afrique de l’Est et de l’océan Indien. À partir de 2022, ayant tiré toutes les leçons de la pandémie, le ministère du Hajj a procédé à de profonds changements, notamment une forte dématérialisation des procédures, avec des démarches à remplir depuis une plateforme numérique. A l’issue de celles-ci, les visas sont disponibles en ligne sur le site du ministère saoudien du Hajj et du culte, à charge pour chaque association de les télécharger, un à un, et de les remettre à leurs clients. Et si le réseau internet n’est pas au meilleur de sa forme, il arrive que des visas sautent au passage.
La difficulté nous explique une employée d’agence de voyage locale, « c’est qu’il faut être capable de suivre régulièrement ces changements introduits par les saoudiens qui ne font que s’adapter aux évolutions actuelles du monde. Certaines des associations mahoraises continuent à vouloir opérer comme avant la pandémie du Covid-19 et cela génère tous les problèmes qui apparaissent au grand jour ces derniers temps. Elles doivent admettre qu’il y a désormais un avant et un après Covid-19 dans l’organisation et la gestion du pèlerinage à la Mecque ». S’agissant de l’ASPL, elle manque d’autant plus de chance qu’après ses déboires de 2022, elle aurait décidé de transférer l’intégralité du montant des frais consentis par ses clients à cet intermédiaire kényan au lieu de les leur restituer. Une grande incompréhension quand on sait que la totalité des guides mahorais au pèlerinage de la Mecque n’ignore en rien tous les problèmes en vogue dans le Hajj business. Dans le secret de l’anonymat, l’un d’entre eux dénonce ouvertement les arnaques dont sont victimes les pèlerins locaux. « Ces guides sont des voleurs qui se couvrent du drap de la religion pour arnaquer leurs semblables dans une action de piété et alors que ceux-ci cherchent la miséricorde d’Allah et la rédemption pour leurs pêchers. Absolument rien ne justifie les sommes énormes qu’ils prennent à nos pèlerins !».
Le Hajj entre coût réel et marges exorbitantes
Ce dernier explique que le coût réel du pèlerinage serait inférieur à 7.000 € pour un ressortissant français de Mayotte, contre 6.400 € pour tanzanien ou un kényan et 6.000 € pour un comorien. Il est à se poser des questions de ce montant, quand le déplacement d’un pèlerin de Mayotte jusqu’au Kenya coûte seulement 600 à 800€ aller-retour. Autre élément fourni, les associations et les guides se feraient un bénéfice de 120 % sur le dos des pèlerins car des frais supplémentaires pouvant aller jusqu’à 1.000 € se rajoutent au fur et à mesure, alors même que l’ensemble des besoins des pèlerins serait entièrement couvert par l’enveloppe, initialement déjà abondée de 1.500 à 3.000 €. « Ces guides sont de véritables escrocs qui financent leurs billets d’avion à partir des frais payés par les pèlerins. A cela s’ajoute non seulement les marges de 1.500 à 3.000€ que je viens d’évoquer, et les frais annexes, mais également des subventions que leur accorde le conseil départemental de Mayotte, justement pour éviter des déboires à nos compatriotes. Si vous additionnez l’ensemble de ces sommes rapporté au nombre de 600 pèlerins, vous vous apercevrez que ça dépasse 80.000 € chaque année qu’ils se mettent dans la poche en plus des subventions publiques. Ils vous diront que ces sommes servent à faire fonctionner les associations mais, bien sûr, tout ça et faux ». Ces dénonciations ne sont pas nouvelles, cela fait plusieurs décennies qu’elles sont reportées aux autorités publiques locales, sans que le système ne soit réformé. Au final, avec une organisation bien rodée, il serait beaucoup plus rentable pour nos pèlerins de faire le déplacement à La Mecque via Paris, sachant que le trajet France-Arabie saoudite coûte à peine 800€.
En passant par la filière comorienne
Des agences de voyages locales réussissent chaque année à assurer aux pèlerins de l’île un déplacement sans encombres pour le Hajj. Cependant avec toutefois un inconvénient majeur, les pèlerins émargent sur le quota accordé aux Comores par l’Arabie saoudite. Cela implique qu’ils optent pour une double nationalité franco-comorienne et le recours à des vols commerciaux réguliers entre Mayotte et la Grande Comore ou des navettes maritimes au départ de Dzaoudzi. Une solution qui n’a pas que des adeptes, certaines sources locales estiment que cela équivaut à priver de Hajj à des ressortissants comoriens qui se trouvent recalés, au motif que les Mahorais paie un peu plus cher qu’eux. Ce surplus serait, dit-on, reversé aux opérateurs comoriens. Quoi qu’il en soit, ces pèlerins-là reviennent bien à Mayotte sans encombres.