Les jeunes prennent le pouvoir au détriment des anciens

Ils ont été le ciment de la société mahoraise pendant plusieurs générations. Les aînés, autrefois placés au sommet de l’échelle sociétale, sont aujourd’hui relégués au second plan. Ils perdent petit à petit leur pouvoir, et leur regard sur les générations plus jeunes est de plus en plus critique.

« De nos jours le respect des ainés n’existe plus. » C’est avec amertume que Hamida, âgée de 82 ans, évoque le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Au fil des années, elle a observé, impuissante, les personnes âgées comme elle mises de côté par la jeune génération. Même si elle comprend l’envie des jeunes de se faire une place dans la société, elle regrette le comportement de certains. « Les enfants veulent commander à la place des parents. À mon époque, nos parents décidaient pour nous et on acceptait sans rien dire », raconte-t-elle. C’est ainsi qu’elle se maria avec un homme qu’elle ne connaissait pas à seulement 16 ans alors qu’elle en aimait un autre. « Il allait demander ma main à ma famille mais celle-ci n’a pas voulu de lui parce qu’il était pauvre. Mon grand-frère a trouvé un autre prétendant de notre rang social et je n’ai pas eu mon mot à dire. J’ai dû accepter et je n’avais pas le droit d’être en colère parce que c’était mon aîné qui avait pris la décision », se souvient-elle. Si l’histoire de cette grand-mère peut paraitre anecdotique aujourd’hui, elle était monnaie courante à l’époque de sa jeunesse. Les mariages arrangés définissaient en partie les anciennes générations, et cela semblait normal.

Aujourd’hui, même s’ils existent encore dans la société mahoraise, ce n’est plus la norme. « Les jeunes de maintenant ont raison de choisir eux-mêmes leur partenaire. Je n’ai jamais imposé qui que ce soit à mes enfants », affirme Hamida. Le couple typique mahorais a également été sujet au changement. Si les adultes de la famille, et parfois même du village, avaient un droit de regard sur la relation conjugale, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Du moins, pas officiellement. « Quand j’avais un problème avec mon mari, les aînés de la famille nous réconciliaient automatiquement et je devais écouter ce qu’ils me disaient », indique Hamida. Une situation inimaginable aujourd’hui pour certains couples. « Quand je me suis marié j’ai immédiatement prévenu mes proches. Je leur ai dit que ce qui se passait dans mon couple ne concernerait que ma femme et moi », indique Fardi, du haut de ses 27 ans.

« Les anciens ne prennent pas assez leur place »

Cette évolution des coutumes mahoraises est en général perçue de manière positive par les anciens de l’île, mais d’autres aspects de l’occidentalisation ne sont pas vus d’un bon ?il, à l’exemple des tenues vestimentaires des femmes qui ont sans aucun doute évolué au fil des années. « Avant on couvrait le corps avec un salouva et un châle en toutes circonstances. Seul l’époux avait le droit de nous voir. Aujourd’hui les filles sortent à moitié nues et tout le monde trouve cela normal. C’est désolant… », fait remarquer Soraya, âgée de 77 ans. L’installation progressive des habitudes occidentales sont à l’origine de l’évolution des pratiques de la jeunesse mahoraise. Cependant, toutes les personnes âgées ne tiennent pas la France pour coupable de ces changements. « L’arrivée de la France a été une bonne chose pour nous. Elle a su nous prendre en main et son influence n’est pas forcément négative », soutient Hamida. Et à Soraya d’ajouter, « Les Mzungus ne sont pas responsables du comportement de nos enfants. Nos jeunes n’étaient pas obligés de les imiter mais ce sont les parents qui ont laissé faire », soupire Soraya.

Des parents qui n’ont visiblement plus d’autorité sur leurs progénitures. « Les anciens ne prennent pas assez leur place. Aujourd’hui ce sont les jeunes qui prennent le dessus. Ils s’expriment et donnent le tempo. On tend vers une société qui se base sur le jeunisme », constate Combo Abdallah Combo, sociologue mahorais. Et ce phénomène prendra de l’ampleur dans les prochaines années, comme l’affirme la psychologue clinicienne et écrivaine mahoraise, Rozette Yssouf. « Dans le futur, les aînés vont petit à petit perdre leur pouvoir et leur aura, ils ne seront plus écoutés. La place sera pour les jeunes qui en veulent, et ont une vision différente de Mayotte de demain. » Nos anciens sont-ils condamnés à être oubliés par les prochaines jeunes générations ? C’est du moins ce qui est présagé par les observateurs de la société et les principaux concernés, mais le combat pour trouver le juste équilibre n’est pas perdu.

Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à l’identité de la jeunesse mahoraise dans le Mayotte Hebdo n°987, accessible gratuitement en ligne.

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