Pour peu qu’ils s’envolent de l’île, les Mahoraises et Mahorais semblent n’avoir aucune limite. L’un des plus beaux exemples de cette réussite est Ikibal Boinali, auditeur senior chez KPMG, l’un des quatre grands groupes mondiaux d’audit et de conseil. Depuis quelques mois, le jeune homme fréquente même la branche new-yorkaise de la multinationale. Rencontre avec un talent de la finance qui exporte Mayotte à Manhattan. Un portrait à retrouver dans le numéro 1.000 de Mayotte Hebdo.
« On est jeunes et ambitieux, parfois vicieux », rappait le groupe 113 sur Les Princes de la ville. Point de vice néanmoins chez Ikibal Boinali, qui a choisi de conquérir rien de moins que le plus fameux quartier d’affaires du monde, Wall Street, à New York. Les pieds sur terre, le jeune homme débute le récit de sa vie, qui s’écrit pourtant bien vite hors de Mayotte. Alors qu’il n’a que trois ans, en effet, sa famille s’envole pour l’hexagone, et plus précisément pour Lyon, la ville des Canuts. Ikibal a cependant d’autres ambitions que de devenir ouvrier. Après avoir obtenu un bac scientifique, il a « tout de suite envie de faire ses études dans le domaine de la finance », et doit donc viser une école de commerce. « J’ai toujours été fasciné par ce domaine, puisque je considère que la finance de haute voltige est un secteur clé de l’économie », continue-t-il. « L’aspect gestion des chiffres m’a toujours attiré, ayant un profil scientifique. J’ai aussi une appétence pour le prévisionnel. »
Déterminé, Ikibal Boinali n’a justement que faire du déterminisme social, et ses parents, employé dans une entreprise de transports en commun et mère au foyer, le voient décrocher une bourse d’études qui lui permet d’intégrer l’IDRAC Lyon, une grande école de commerce habituellement coûteuse. « Ce ne sont pas des études accessibles à tout le monde, je peux dire que j’ai bénéficié des opportunités qu’offre l’égalité des chances », reconnaît-t-il, lucide. Sans jamais se reposer sur ses lauriers, le jeune homme obtient son master au sein du prestigieux programme grandes écoles, et se spécialise en finance et en audit. « J’ai toujours fait ma carrière en essayant de viser l’excellence, de poursuivre mes rêves et d’aller le plus loin possible », affirme Ikibal, avec, toujours en tête, l’idée de montrer aux Mahorais qu’avec la valeur travail, « il n’y a aucune auto-discrimination à subir, il ne faut pas s’imposer de barrières ».
« Les Mahorais sont aussi amenés à aller à l’étranger et réussir »
Cet état d’esprit l’amène à intégrer dès l’obtention de son master, en 2018, KPMG, l’un des « Big Four » de l’audit et du conseil avec Deloitte, Ernst & Young et PwC. « Cette réussite fait ma fierté personnelle mais aussi celle de ma famille, leur fait voir d’autres perspectives », déclare-t-il. « Tout est possible. Les Mahorais sont aussi amenés à aller à l’étranger et réussir. » Au sein d’une multinationale de la finance telle que celle-ci, les opportunités sont légion, et Ikibal Boinali s’exporte rapidement à l’étranger, chez KPMG Luxembourg. « C’est une très grande place financière européenne, qui réunit des banques et des fonds d’investissement », explique-t-il. Le jeune homme, dans le petit pays, en profite pour se spécialiser dans l’audit, le commissariat aux comptes et le conseil auprès de fonds de private equity.
Encore une fois, le Luxembourg n’est qu’une étape. Il y a quelques mois, le Mahorais est envoyé de manière permanente dans la filiale new-yorkaise de son entreprise, à Wall Street. « C’était clairement l’un de mes rêves », se félicite-t-il. « En tant qu’étudiant en finances, New York est la plus grande place du monde, je ne m’y imaginais pas, et Wall Street nous a tous inspirés, à travers les films que nous regardions. J’ai sauté le pas pour me lancer dans l’aventure new-yorkaise. » Et cette dernière l’impressionne, entre la hauteur des nombreux gratte-ciels et la vie culturelle de Big Apple, « enrichissement au quotidien ». Son quotidien à Manhattan ne lui laisse cependant que peu de temps pour les visites.
Mayotte – N.Y, promesse d’un aller-retour
Auditeur senior, Ikibal est « in charge » de mener à bien les travaux, de leur suivi et des relations clientèle. Ses tâches réunissent revues comptables, inspections, et vérifications de la conformité et de la justesse des résultats financiers des entreprises clientes du groupe. Toujours spécialisé dans les fonds d’investissement, il enchaîne les réunions avec les clients et des équipes d’une dizaine de collaborateurs. Grossièrement, « c’est énormément d’Excel ». À New York, le jeune homme s’y plaît bien : « J’ai eu la chance d’être très bien intégré ici, les Américains ont une culture bien plus chaleureuse que les Français. L’intégration d’un expatrié se fait bien plus rapidement puisque les rapports hiérarchiques sont plus directs, on n’a pas cette notion de vouvoiement, et il y a une très grande proximité avec la hiérarchie la plus haute, ce qui est excellent pour travailler dans des conditions saines. » Il essaie même de parler fièrement de Mayotte à ses collègues, qui ne connaissent pas le territoire.
C’est un fait, l’île au lagon n’est jamais loin dans l’esprit d’Ikibal Boinali, qui pourrait pourtant viser les plus hautes places de la finance mondiale. « J’ai accompli mon rêve d’enfant, j’ai la sensation d’avoir atteint mes objectifs », explique-t-il. « Dans une ville comme New York, tout va très vite. Je peux faire une carrière dans l’audit et devenir associé du cabinet, j’ai accès aux plus grandes banques mondiales telles que JP Morgan ou Goldman Sachs, ou encore aux organisations internationales telles que le FMI. Il n’y a jamais de limite. » Néanmoins, « l’avenir s’inscrit définitivement à Mayotte » pour le néo-new-yorkais. Il veut en effet revenir à tout prix, même si ce ne sera pas dans le secteur de la finance. « J’aurai d’autres opportunités sur le territoire », annonce-t-il, pensant à des postes de direction, à l’entrepreneuriat… Ou à la politique.
« C’est vrai qu’en tant que Mahorais, je me sens investi d’une responsabilité vis-à-vis du futur de notre île, sur tous les aspects économiques, commerciaux et politiques », déclare Ikibal. « Je suis sensible à la cause politique, et conscient que mon profil peut m’amener à contribuer du mieux que je peux à l’industrie, au commerce, à l’agriculture… Je n’exclus pas de m’impliquer dans ce domaine également. » L’essentiel n’est pas là, mais dans le fait que les jeunes talents mahorais reviennent développer leur territoire, qui en a bien besoin. Ce dernier, dans quelques années, pourra déjà compter sur Ikibal Boinali, prêt à quitter les plus grandes places financières du monde pour lui. « J’ai toujours eu cette idée, faire les études les plus prestigieuses possibles pour revenir développer Mayotte », conclut-il, avant de retrouver ses bureaux, perchés au milieu du ciel de Manhattan, d’où un certain lagon semble bien visible…