Créée le 24 mai 2020, l’association Hyperbole porte un projet qui vise à accompagner les jeunes en errance à Mayotte via une équipe mobile de précarité infanto juvénile, sans marcher sur les plates-bande des structures existantes. Lors de sa venue il y a quelques jours sur l’île aux parfums, le président fondateur Patrick Tite a échangé avec Mlézi Maoré, la protection judiciaire de la jeunesse, le rectorat, le Département et un certain nombre d’associations. Entretien.
Flash Infos : Quelle est la genèse de votre association Hyperbole ?
Patrick Tite : Tout a commencé pendant le premier confinement ! Dans ce contexte de crise, j’ai regardé de très près la situation de Mayotte et j’ai vu les chiffres augmenter de manière vertigineuse. Cela a été l’élément déclencheur dans la mise en œuvre d’une idée concrète. J’ai monté autour de moi une équipe solide et sérieuse autour du sujet de l’accompagnement des jeunes en errance. J’ai ensuite informé les autorités de la création de l’association Hyperbole le 24 mai 2020 avant de venir la présenter sur place au mois de septembre, à l’époque où il y avait des affrontements inter-villages. La question sur toutes les lèvres était alors la lutte contre la délinquance…
Il a fallu mûrir un projet, d’où la mise en place d’un équipe mobile de précarité infanto juvénile, qui s’appuie sur le modèle des équipes de précarité déjà existantes, qui ont un versant plutôt psy, et sur les maraudes sociales. Mais pour répondre aux besoins de Mayotte, il faut réunir à la fois des éducateurs et des acteurs sociaux, mais aussi et surtout des infirmiers, un psychologue, un médecin et un médecin psychiatre pour que toutes les corps de métier soient représentés. Nous le voyons bien : visuellement parlant, les enfants en errance, qui ne sont pas encore insérés dans des circuits d’aide ou de droits communs, ne sont pas en bonne santé physique ou psychique ! Le premier niveau d’intervention de l’association pourrait être celui-là. À mon sens, il n’existe pas de dispositif équivalent en métropole, avec une palette aussi large d’acteurs. À ce jour, nous sommes encore porteur de projet.
FI : D’où votre déplacement sur Mayotte il y a de cela quelques jours pour rencontrer les potentiels partenaires financiers et opérationnels et ainsi éviter de vous mettre des bâtons dans les roues.
P. T. : C’était effectivement tout l’enjeu de ces rencontres ! À savoir monter des partenariats financiers pour faire valider le projet et le présenter aux acteurs opérationnels dans le but de voir comment nous pouvions nous articuler afin de ne pas marcher sur les plates-bandes des uns et des autres. Avec Dahalani M’Houmadi, le directeur général de Mlézi Maoré, nous avons immédiatement convenu qu’il y avait de la place pour plusieurs acteurs sur le territoire. D’ailleurs, nous pensons qu’il serait intéressant de travailler avec la maison des adolescents, la maison de santé mentale, le service des mineurs non accompagnés, même si ce n’est pas l’unique cible, mais aussi les points accueil écoute jeunes pour celles et ceux que nous allons rencontrer et accompagner dans l’espace public.
Une chose est sure : mieux vaut être trop que pas assez ! L’idée est d’identifier le champ d’actions de chacun sans superposer des couches au mille-feuille d’acteurs. À nous, l’association Hyperbole, de trouver un espace qui n’est pas encore occupé. Comme je le disais, il n’y a aucune équipe pluridisciplinaire travaillant dans cet axe de polycompétence, qui va au-devant de ces jeunes pour diagnostiquer et répondre aux problématiques. Ce projet est au carrefour du sanitaire, du médico-social et du social. En clair, il est au carrefour des politiques publiques concernant ces différents domaines ! Et c’est là toute la complexité puisqu’il faut obtenir l’adhésion tous les acteurs – agence régionale de santé, Département et État – et les faire dialoguer.
FI : Au-delà de votre échange avec Mlézi Maoré, vous avez également rencontré le recteur, Gilles Halbout, le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, Hugues Makengo, et des représentants du monde associatif. Qu’est-il ressorti de vos différents entretiens ?
P. T. : Ils ont tous bien vu un intérêt à notre projet qui peut croiser leur périmètre d’intervention ! Avec Gilles Halbout, nous avons évoqué le décrochage scolaire mais aussi le nécessaire accrochage à l’institution (scolarisation) pour les très nombreux jeunes en situation d’errance. Sans oublier l’accompagnement (par des formes d’engagement) vers les dispositifs d’insertion sociale et professionnelle pour les plus grands. Il a été particulièrement sensibile à la tranche d’âge des 14-15 ans, en situation de décrochage ou de rupture Dans la nouvelle organisation de l’État, le recteur est le patron des politiques en lien avec la jeunesse.
Avec Hugues Makengo, nous avons discuté de ces jeunes (dont certains pourraient poser des actes délictueux) pour avoir une meilleur approche de la prévention de la délinquance. Aborder la prise en charge des enfants et adolescents en errance et envisager les axes de réponses correspondant aux besoins non couverts, c’est poser, dans le même temps, les jalons d’une collaboration autant souhaitable que pertinente.
J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer des représentants de l’association Espoir et réussite de Doujani, qui œuvre au sein du quartier du même nom avec qui nous avons abordé la lutte contre l’exclusion et l’illettrisme, l’aide à la parentalité, l’éducation à l’environnement et à la santé. École des parents, chantiers d’insertion, école de civisme à destination des jeunes en vue de la transmission des valeurs, du sens des devoirs et de la connaissance des risques, et préparation du certificat de formation générale sont au menu de leurs multiples activités. Nous nous sommes projetés sur les articulations possibles entre l’équipe mobile de précarité infanto juvénile et leur offre de service. Avec le centre de ressource de la politique de la ville basé à M’Gombani, en charge de la cohésion sociale et de la réduction contre les inégalités, les échanges ont également été de qualité.
Le problème à Mayotte n’est pas simplement le manque d’acteurs, mais la qualité des portages de projet. Le secteur gagne à se professionnaliser. Nous n’en sommes, dans le fond qu’au début de l’action sociale, au regard des chantiers à mener !
FI : Justement en parlant d’action sociale, vous avez participé aux travaux d’élaboration du futur schéma départemental de protection de l’enfance de Mayotte pour la période 2022-2027. Comment la collectivité a-t-elle accueilli votre projet ?
P. T. : Il m’a semblé que le Département a cerné la vraie plus-value de notre projet et de ses possibilités de contribution au diagnostic territorial, avec l’apport de données quantitatives et qualitatives. Le conseil départemental évaolue dans le bon sens et est en train d’endosser son rôle de chef de file par rapport à l’aide sociale à l’enfance. Rappelez-vous dans les années 2014-2015, il ne voulait pas construire de structures pour ne pas créer d’appel d’air…
Ma présence aux travaux d’élaboration du schéma départemental de protection de l’enfance m’a permis de mesure l’ampleur de ce qui est à faire. J’ai été heureux de présenter le projet d’équipe mobile de précarité infanto juvénile au directeur de la protection de l’enfance. Nous tablons sur une équipe de cinq professionnels avec une montée progressive des effectifs. Nous nous mettons ordre de marche de façon à déclencher la phase opérationnelle une fois le projet validé. J’espère avoir des réponses du Département d’ici la fin de l’année, même pour une expérimentation.
À mes yeux, Mayotte est un territoire où la République n’a pas encore tenu tous ses engagements. Hyperbole veut apporter une contribution significative au développement de l’île, en oeuvrant notamment aux questions de la prévention ! Nous ne voulons pas jouer les « pompiers de service » mais œuvre durablement à la résolution des problèmes. Si nous ne prenons pas en charge les jeunes en errance dans l’espace public, ils vont faire d’autres rencontres et s’inscrire durablement dans une logique d’exclusion
« Hyperbole ne fera de l’ombre à personne »
Pas de doute, la venue prochaine de l’association Hyperbole sur le territoire est accueillie avec enthousiasme. « Aucun souci », affirme Dahalani, M’houmadi, le directeur général de Mlézi Maoré, qui assure qu’il y a de « la place pour que d’autres acteurs développent des activités ». Et selon lui, la démarche d’aller se présenter aux autorités institionnelles est la « bonne » avant de démarrer. « Nous allons voir comment cela va se passer dans les semaines et les mois à venir. »
Avec sa caquette de délégué régional de la convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), il invite même Patrick Tite à venir s’installer durablement sur le 101ème département « pour être au plus près des sujets qui le préoccupent pour les mener de front ». À ce sujet, l’association pourra travailler de concert avec les médiateurs citoyens de Mlézi Maoré qui vont à la rencontre de la population pour la sensibiliser, recueillir sa parole et l’orienter. « Il a beaucoup d’énergie à mettre au profit des Mahorais. »
L’entente entre les deux structures pourrait s’avérer fructueuse dans un avenir proche selon Dahalani M’Houmadi. « Les besoins sont tellements importants… Hyperbole ne fera de l’ombre à personne ! Au contraire, elle viendra renforcer des actions déjà en place et apporter un regard différent. » De bon augure pour l’avenir des jeunes en errance.