Fondation de France : “C’est une situation inédite, c’est toute la population qui est vulnérable”

La Fondation de France connaît un nombre important de dons pour venir en aide à Mayotte après le cyclone Chido avec 42,7 millions d’euros récoltés. Trois mois après, si 65 projets ont pu voir le jour grâce aux premiers fonds engagés, les asssociations notamment qui font de l’aide alimentaire peinent comme les particuliers à s’approvisionner. Le point avec Karine Meaux, la responsable du département urgences de la Fondation.

Flash Infos : Où en est la campagne de dons actuellement ? Et combien de temps va-t-elle durer ?

Karine Meaux : Actuellement, on a collecté 42,7 millions d’euros. Quand on ouvre une campagne de collecte de dons après une catastrophe naturelle telle que celle-ci, on laisse la collecte ouverte pendant plusieurs années. Elle le sera au moins deux ou trois ans, le temps de de financer des projets liés à l’impact de Chido. En maintenant la collecte ouverte, on permet à des donateurs de continuer à donner. Et du côté des entreprises, elles organisent des collectes en leur sein et très souvent elles doublent les montants par rapport à ce que donnent leurs salariés. Tout ça peut prendre un peu de temps.

F.I. : Comment la somme récoltée se traduit sur le terrain ?

K.M. : Je rappelle que nous sommes un organisme privé philanthropique, on récolte de l’argent privé. Sur les 42,7 millions d’euros, seuls 600.000 euros viennent de collectivités locales. On redistribue ensuite à des organismes privés à but non lucratif, le plus souvent des associations. On ne finance pas les pouvoirs publics, les collectivités locales et les entreprises privées. On a reçu à ce jour à peu près 500 demandes, c’est beaucoup. Nous, trois salariés et une quinzaine de bénévoles, regardons si ce sont bien des demandes d’associations et liées à l’impact de Chido, parce qu’on n’est pas là pour assurer le fonctionnement de toutes les associations mahoraises, je le rappelle.

F.I. : Quels types de projets sont particulièrement ciblés ?

K.M. : 65 projets ont été validés pour 6,2 millions d’euros. On continue de valider par des comités chaque semaine les nouveaux projets. On regarde les dossiers, on pose des questions complémentaires. On a vu, par exemple, des associations demander des montants bien supérieurs à ce qu’elles avaient l’habitude de gérer. Le domaine qui a mobilisé le plus de fonds est celui de la santé et de la santé mentale avec 1,7 million d’euros. On s’y implique très vite pour éviter les épidémies et tous les risques sanitaires liés à la gestion des déchets. Le deuxième est l’alimentation et l’eau, un problème qui existait déjà à Mayotte et qui s’est nettement amplifié, trois mois après le passage du cyclone. Après, il y a les questions telles que la relance économique et l’agriculture. On ne finance pas des entrepreneurs à but lucratif. En revanche, on travaille avec des associations, comme Initiative Mayotte qui va aider les petites entreprises à redémarrer leur activité. On soutient aussi des associations de producteurs dans le domaine agricole. Les autres domaines sont l’éducation, le soutien à la jeunesse, les questions d’habitat et d’environnement, et un dernier volet sur le numérique et la culture.

F.I. : Les supermarchés font face à une pénurie de plusieurs produits en cette période de Ramadan. Est-ce que vous aussi êtes confrontés à des problèmes de logistique ?

K.M. : En tant que financeur, notre logistique est de transférer l’argent vers les associations. Mais effectivement, on a reçu énormément de demandes d’associations de de métropole qui voulaient envoyer des conteneurs. C’est très beau cet élan de solidarité envers les populations, mais ce qui est envoyé a besoin d’être très ajusté aux besoins. Pour alimenter une île comme Mayotte, il y a besoin du secteur privé lucratif dont c’est le métier et d’un cadrage des autorités.Ça ne relève pas de la philanthropie à proprement parler de nourrir toute une population etde s’assurer qu’il y a à manger dans les magasins.On fait ce qu’on peut, c’est le deuxième poste en termes de financement. Il y a 1,3 million d’euros d’engagés pour des associations qui nous demandent de l’argent pour pouvoir soit faire des paniers repas soit distribuer des repas touts faits. Et effectivement, il y a un vrai problème d’approvisionnement même localement.

F.I. : Justement, les associations vous font-elles part de ces difficultés ?

K.M. : Je suis venue deux fois depuis le cyclone et à un moment, j’ai accompagné d’une de ces assos toute une journée. On est allés ensemble chez un semi-grossiste et celui-ci nous disait : “cette semaine, j’ai du thon, du maïs et de la macédoine de légumes. Par contre, je n’ai plus de lait en poudre pour les bébés, revenez la semaine prochaine”. Nous, ce qu’on peut faire, c’est financer les associations pour qu’elles aillent acheter ces produits au détail ou en gros pour les plus vénérables.

F.I. : Vous rappeliez dans votre bilan que 6,2 millions étaient engagés sur le 42,7 millions à trois mois de la catastrophe. Est-ce un rythme habituel ?

K.M. : C’est un plus rapide que d’habitude. En 2017, après le passage des trois cyclones dans les Antilles (N.D.L.R. Irma, José et Maria), on avait collecté 15,5 millions d’euros. Pour Chido, il y a une très forte solidarité des Français pour leurs concitoyens. Aux Antilles, on était allés plus vite sur les entreprises, mais on n’avait pas eu ce problème alimentaire qu’on a à Mayotte. On avait fait un peu d’aide sociale, mais là, on se retrouve face à une situation inédite. Finalement, c’est toute la population mahoraise qui est vulnérable, on ne peut pas dire qu’un quartier est plus vulnérable qu’un autre. Trois mois après, on a l’habitude que les magasins fonctionnent, qu’ils soient achalandés. Là, on finance des associations qui peinent à se fournir. C’est incroyable, on n’a jamais vu ça, y compris à l’étranger.

F.I. : Vous parliez du nombre d’associations. Est-ce que vous souhaitez en aider davantage ?

K.M. : On en a encore 350 ! Ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’à Mayotte, on est en contact permanent avec les pouvoirs publics, tous les services de la préfecture de Mayotte. On l’est aussi avec le conseil départemental de Mayotte. Ils nous aident vachement pour nous indiquer quelles sont les associations qui ont le plus d’impact sur le territoire, qu’on doit regarder en premier lieu ou qui ont des capacités de gestion. Elles nous évitent aussi les demandes opportunistes qui existent toujours après des catastrophes.

F.I. : De quelle manière le contrôle se fait sur le terrain ?

K.M. : Il y a plusieurs leviers. D’abord, quand on finance une association, on ne lui donne jamais 100% l’argent d’un coup, seulement une partie de l’argent. Ensuite, elle va devoir nous envoyer des rapports, à la fois pour nous raconter ce qu’elle fait, rapports financiers à l’appui. Si on est satisfait de ces rapports, on envoie la tranche de financement suivante, et ainsi de suite. Ensuite, on va très régulièrement à Mayotte, rencontrer les associations et passer du temps avec elles pour s’assurer de ce qu’elles font vraiment. On a aussi une personne identifiée à Mayotte pour faire ça. Et puis, on fait auditer tous les projets. Alors d’habitude, on le fait au bout d’un an. Là, je pense qu’on va refaire une formule qu’on avait faite dans d’autres pays avec un auditeur permanent. Ça amène plus de pédagogie et permet de repérer si les associations ont besoin d’un coup de main, en matière de formation par exemple. On a très souvent des contrôles de la Cour des comptes, avec toujours des bons retours parce on veille à la fois à répondre aux besoins des populations et à la volonté des donateurs.

F.I. : Après trois mois, il y a une exaspération de la population qui trouve que la reconstruction comme l’aide ne vont pas assez vite ou ne profite qu’à une partie de la population. Est-ce que vous entendez ces critiques ?

K.M. : Malheureusement, ce sont des critiques qu’on entend assez systématiquement après les catastrophes. Je vais prendre l’exemple du séisme de 2023 au Maroc (N.D.L.R. le 8 septembre 2023, le bilan était de presque 3.000 morts). Les populations disaient qu’elles n’avaient pas vu les autorités avant une semaine, on a eu les mêmes remarques à Mayotte.  Mais la reconstruction, c’est rarement avant un an, parce qu’il y a des enjeux de foncier, de droit de propriété. Il y a tout un tas d’enjeux quand on parle de reconstruction et d’habitat. Par contre, ce qu’on peut déjà faire et qu’on commence à Mayotte, c’est du conseil aux habitants qui commencent à réparer leur logement par eux-mêmes. Il faut qu’ils fassent attention à respecter certaines règles de sécurité pour se protéger et surtout reconstruire mieux. Il y a toujours avec les cyclones des problématiques de tôles qui ont été mal fixées sur les charpentes, de charpentes mal fixées sur les maçonneries. Il faut rappeler aux artisans et aux habitants les règles de base de l’antisismique et de l’anticyclonique. Pour la réparation plus professionnelle, voire la reconstruction, on attend vraiment la mise en place de l’établissement public pour la refondation de Mayotte pour fixer des règles sur là où on reconstruit et là où on ne reconstruit pas. A Saint-Martin, après l’ouragan Irma, par exemple, il y avait beaucoup de débats par rapport au trait de côte et au risque de submersion marine. A Mayotte, on peut avoir des problèmes sur les questions de glissement de terrain, etc, et bien entendu de bidonvilles. Il a celle des personnes en situation irrégulière. Peut-on avoir le droit de manger, boire ou d’avoir un toit sur la tête ou faut-il être simplement un être humain ? C’est avec derrière, sans naïveté, toute la complexité, parce que ce sont des millions et des millions d’euros, et tout le monde est un peu en besoin à Mayotte. Donc, c’est très compliqué d’établir des règles et des priorités. Donc, je pense que ça va prendre du temps.

Rédacteur en chef de Flash Infos depuis 2022. Passionné de politique, sport et par l'actualité mahoraise, ainsi que champion de saleg en 2024. Passé un long moment par l'ouest de la France, avant d'atterrir dans l'océan Indien au début de l'année 2022. Vous me trouverez davantage à la plage quand je ne suis pas à la rédaction.

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