Des EHPAD contre le vieillissement de Mayotte ?

C’est un fait, Mayotte est le plus jeune département de France, engendrant des milliers de naissances par an. Mais, et alors que la masse de jeunes générations deviendra vieille dans quelques décennies, on observe une baisse continuelle d’enfants par femme sur l’île. Le système de solidarité intergénérationnelle familiale, amené à péricliter, est donc à repenser. Et ceci dès maintenant, au risque de laisser les futures personnes âgées de Mayotte vivoter dans des conditions indignes.

Voilà maintenant un peu plus d’un an que Tava Colo, doyenne de France durant plusieurs années, nous a quittés à l’âge impressionnant de 118 ans. La « supercentenaire » constitue sans conteste un cas exceptionnel, dans un département qui possède l’espérance de vie la plus basse du pays : 76,3 ans à Mayotte contre 82,4 ans dans l’ensemble de la France. Mais les tendances ont déjà commencé à s’inverser. Si d’aucuns ressassent que le dernier département français est aussi le plus jeune, et que seul 1,7% de la population a plus de 65 ans, l’espérance de vie croît depuis plusieurs années, tout comme la mortalité infantile sur les quelque 10 000 naissances par an que connaît l’île. La population considérable que représentent les 0-20 ans à Mayotte va ainsi inexorablement vieillir, et constituer une classe d’âge incroyablement nombreuse dans quelques décennies.

Le tout est donc de le prévoir, dans la mesure où le nombre d’enfants par femme à Mayotte tend à baisser depuis plusieurs années, même s’il reste encore particulièrement élevé. En effet, les derniers chiffres disponibles notent qu’une femme mahoraise a en moyenne 4,3 enfants, contre seulement 1,8 dans l’ensemble du pays. En 2007, il n’y a que quinze ans, il était de plus de 5 enfants par femme à Mayotte. De plus, « on a de plus en plus d’enfants qui partent à l’extérieur, et des femmes qui sont sur le marché du travail », complète El-Mahamoudou Chaib, président de Msanga Mayotte. Cette association, la première du genre sur l’île au lagon, propose une aide aux seniors à travers l’aide à la toilette, l’accompagnement psycho-social, familial, et dans les démarches administratives et médicales. Ainsi, le modèle mahorais de solidarité intergénérationnelle et intrafamiliale s’en trouve menacé. « Je trouve que les conditions de vie des personnes âgées restent encore difficiles, même si le contexte mahorais tend à atténuer les choses, de par la prévalence de la solidarité et les traditions intergénérationnelles qui perdurent. C’est grâce à la culture solidaire mahoraise qu’on a des personnes qui ne sombrent pas. »

Mettre ses parents en EHPAD, « une honte »

Néanmoins, des changements deviennent visibles, alors que nous ne sommes qu’au début d’une phase de vieillissement de la population. « On commence déjà à voir certaines difficultés qui étaient cachées jusqu’alors : le mal-logement, puisque c’est ce qui frappe en premier lieu, continue El-Mahamoudou Chaib. Beaucoup de personnes âgées vivent dans des endroits inadaptés à leur situation. Mais aussi l’isolement, même quand ils ont de la famille, qui s’absente lors de la journée de travail. » Alors, pour éviter d’avoir dans quelques décennies des milliers de cocos et bacocos livrés à eux-mêmes, une réflexion est nécessaire et d’ores et déjà urgente. L’un des axes de celle-ci concerne la création d’établissements spécialisés pour les seniors. Récemment, le groupe SOS Seniors, qui possède 112 établissements dans l’hexagone et accompagne Mlezi Maoré ici, a récemment répondu à un appel à projets concernant la constitution de cinq petites unités de vie, pouvant accueillir entre trois et cinq personnes. « Cela correspond à une petite maison en colocation au sein de laquelle nous greffons des services d’aides et de soins à domicile », déclare Maryse Duval, directrice générale du groupe (voir l’entretien ci-après).

« C’est grâce à la culture solidaire mahoraise qu’on a des personnes qui ne sombrent pas »

Si ce genre d’initiative est évidemment louable, ça ne plaît pas à tout le monde. Halima, 72 ans, ne se voit absolument pas dans un établissement spécialisé de type EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). « Je ne trouve pas ça normal de mettre un parent en maison de retraite, affirme-t-elle. Pour moi, c’est une honte de faire ça, car c’est à nous de nous occuper de nos parents et non des inconnus. Même si j’étais amenée à mettre un membre de ma famille en maison de retraite, je n’aurai aucune confiance car certains membres du personnel traitent mal les patients. Mais je conçois tout à fait que certaines personnes n’ont pas le choix. » Le scandale Orpea aura donc passé les frontières du seul hexagone, même si Halima n’a pas à s’en faire : « Je vis avec ma belle-fille et mon fils, et mes voisins sont là donc je ne me sentais pas seule. Mais il n’y a plus de complicité et de partage. Maintenant c’est chacun pour soi. Aujourd’hui, la mentalité métropolitaine est beaucoup trop mise en avant et c’est ce qui limite les relations sociales. Chacun reste chez soi et les personnes prennent de moins en moins de nouvelles de leurs proches. »

Imaginer un système respectueux des traditions

Même son de cloche du côté de Nouria, 68 ans : « Pour moi, ce sont les membres de la famille qui doivent s’occuper des plus vieux. J’ai accueilli mes parents chez moi, c’était dans mes responsabilités de m’occuper d’eux. Ils ont vécu chez moi jusqu’à la fin de leurs jours ». Pour la future septuagénaire, « on oublie la culture mahoraise », et les jeunes de l’île « pensent d’abord à eux avant de penser à leurs ainés ». Certains de ces jeunes sont néanmoins encore très attachés à la tradition, à l’image de Narma, 16 ans : « Ils se sont occupés de nous quand on était bébés, c’est normal que l’on s’occupe d’eux plus tard ». Tout l’enjeu est donc de trouver une gestion de la future situation qui permette de faire perdurer la solidarité traditionnelle de l’île aux parfums. « Il ne faut pas prendre la même trajectoire qui a été prise sur le plan national, c’est-à-dire de créer des structures pour y mettre des personnes âgées parce qu’il n’y a pas d’alternatives, confirme El-Mahamoudou Chaib. Il faut réfléchir à un modèle respectueux des valeurs mahoraises. »

Le président de l’association Msanga a déjà quelques pistes concernant les structures et dispositifs d’aide à destination des personnes âgées. « Il ne faut pas institutionnaliser ces structures, mais respecter l’autonomie et l’indépendance de la personne, sermonne-t-il. Par exemple, des accueils de jour, le temps que ses enfants reviennent au domicile, ne serait-ce que pour le lien social. » Msanda Mayotte a également mis en place des « conseils de vie sociale ». La structure invite en fait la personne trois fois par an, afin qu’elle puisse les informer des difficultés vécues, « ce qui fait que l’on a tout de suite la capacité de trouver des réponses concrètes », continue M. Chaib, avant de répéter que « la catégorie des personnes âgées va se développer de manière conséquente au cours des prochaines décennies ». Un défi parmi d’autres que les pouvoirs locaux et nationaux, qui axent leurs moyens sur la jeunesse, ont à relever dès à présent.

Retrouvez l’intégralité du dossier consacré au 3ème âge dans le numéro 999 de Mayotte Hebdo.

 

Une application pour la santé des seniors

ehpad-contre-vieillissement-mayotteL’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment lancé l’application mobile ICOPE Monitor, afin d’alléger les démarches médicales des personnes âgées. Le programme ICOPE (Integrated care for older people, soit « Programme de soins intégrés pour les seniors » en français) a pour but de prendre en charge la santé des personnes âgées sur six points : la mobilité, la mémoire, la nutrition, l’état psychologique, la vision et l’audition. Disponible sur l’App Store et Google Play, la plateforme permet de gérer les tests de contrôle du patient, et ses rendez-vous médicaux si son état le nécessite. Dans l’idéal, l’application peut ainsi déceler les troubles de santé avant qu’il ne soit trop tard.

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