Le mouvement de grève annoncé au conseil départemental de Mayotte a débuté, ce lundi matin, à l’appel des principaux syndicats de l’île. Certains agents chargent les dirigeants de la principale collectivité territoriale. Ils les accusent d’être à l’origine d’une désorganisation complète des services par des décisions non conformes à la réglementation en ignorant pas les répercutions désastreuses qu’elles auront sur le fonctionnement de l’institution. Au premier jour d’une grève qui s’annonce longue, le grand déballage public a commencé.
Ce n’est sans doute pas encore la grande mobilisation annoncée par les syndicats CFDT, FO, CGT-Ma, mais l’appel à la grève a été suivi par une partie significative du personnel des services départementaux, ce lundi matin. Les allées du jardin de l’hôtel du département étaient occupées par une foule significative de grévistes, venus écouter les interventions des différents représentants syndicaux. Ceux-ci se veulent confiants quant au fait que le mouvement s’amplifiera au fur et à mesure que la semaine sera entamée. Pour l’heure, ce mouvement se déroule plutôt dans une indifférence générale des quelques élus qui se sont rendus dans leurs bureaux respectifs. « Ils feraient mieux de se remettre au travail et rattraper les heures déjà payées qu’ils doivent au conseil départemental. Que pensent-ils pouvoir espérer ? », nous confie à voix basse l’un d’entre eux. « Quelle collectivité de l’Hexagone ou d’outre-mer comprendrait que l’on fasse grève pour ne pas avoir à rattraper des heures de travail dues », rajoute-il avant de s’éclipser.
Du côté des agents en grève réunis nombreux dans le jardin principal du bâtiment, le discours était d’une toute autre nature. Les orateurs se sont succédé au micro, les syndicats sont à l’unisson, bannières aux vents, chacun se faisant le porte-voix des difficultés rencontrées au quotidien dans les différents services départementaux, notamment ceux exposés à l’insécurité sans aucune garantie ni assurance. C’est le cas des agents préposés à la surveillance et à la protection des tortues marines sur différents sites sensibles dont celui de Saziley dans le sud de l’île. « Près de 200 animaux se font massacrer chaque jour par des braconniers prêts à tout pour satisfaire leurs macabre besogne. Nous sommes démunis devant leurs agissements faute de moyens et d’équipements adéquats pendant que dans les bureaux, des cadres disposent de cafetières dernier cri, des téléphones portables luxueux et hors de prix sans que nos cas individuels ou collectifs ne les interpellent d’aucune façon », s’est plaint l’un des intervenants.
Des notes en pagaille
Pour les syndicats représentatifs du personnel du CD, la situation qui prévaut en ce moment ne peut plus durer autrement l’institution est vouée à couler. Ils disent entendre tout ce qui est mis sur le dos du personnel et avoir conscience de l’image désastreuse que le public mahorais se fait des prestations des différents services départementaux. Sauf qu’ils se refusent unanimement à endosser la responsabilité d’un naufrage. Saïd Hachim, représentant syndical CFDT, explique ce mouvement de grève comme étant le symbole d’un malaise ressenti par le personnel depuis de très nombreuses années. « Nous sommes dans un grand bateau qui navigue sans capitaine, sans direction ni destination. Chacun arrive avec ses directives, ses orientations et les agents se trouvent actuellement totalement désorientés au point que certains d’entre eux décident de partir, notamment de hauts cadres diplômés et compétents. La vérité est que si Mayotte n’a pas été en mesure de préparer les derniers Jeux des Iles de l’océan Indien, c’est faute d’avoir pu monter les projets des différentes infrastructures. De la même façon, s’il n’a pas été possible d’avoir des projets de transports interurbains susceptibles d’être raccordés à ceux de la Cadema, c’est par défaut de financement. Idem pour la direction des transports maritimes (DTM, ex-STM), si le personnel ne dispose plus de permis de navigation et que les navires ne sont pas assurés, c’est parce qu’il y a des travaux préalables à réaliser et non pas parce que les agents ne peuvent pas ou ne savent pas faire. C’est toute une organisation qui est malade depuis très longtemps et qui plombe ce département malgré les efforts de réorganisation et non des agents qui refusent de s’organiser comme on l’entend ici et là. »
Sans détour, le délégué syndical CFDT rejette la responsabilité de cette désorganisation sur ceux qui crient au loup et les désigne comme étant les désorganisateurs du système. Pour illustrer son propos, il a pris l’exemple d’une directrice des ressources humaines qui a été récemment remerciée par le Département sans motif réel. Accompagnée par des représentants du personnel lors de son audition, lesquels ont constaté l’incapacité de l’administration départementale à justifier ce renvoi. « C’est justement cette direction générale des ressources humaines qui a la charge d’assurer l’organisation générale du Département. Imaginez-vous les dégâts qui en résulteront » interpelle-t-il, avant de faire état de notes « qui tombent du ciel », indiquant qu’untel ou untel est nommé à telle fonction pour s’occuper de telle mission alors qu’ils n’apparaissent nulle part dans l’organigramme qui a été adopté par le comité social et technique (CST), l’organisation qui doit allouer les moyens et valider le fonctionnement du conseil départemental de Mayotte. En d’autres termes, le syndicaliste fait part d’une situation gravissime faite de délit de faciès et de nomination par copinage. Il va même plus loin et parle de « personnes aux compétences douteuses qui sont nommées on ne sait pas trop comment et pour quelle mission. On se demande parfois à quels services sont-ils liés ? Jusqu’à présent, le personnel de ces services se demande à qui doivent-ils obéir lorsqu’il s’agit de traiter un dossier. C’est un système organisationnel qui impacte tout le fonctionnement du conseil départemental », précise Saïd Hachim.
Ce constat est absolument partagé par les autres organisations syndicales à l’origine de ce mouvement. Ils estiment qu’aujourd’hui Mayotte est un territoire qui se construit sans schémas d’orientation et met les responsables élus au défi de démontrer l’inverse. Interrogés par nos soins, des responsables syndicaux du transport maritime ont indiqué n’avoir pas encore décidé de se mettre à leur tour en grève, estimant que leurs doléances sont de nature plus compliquées que les autres services du bateau départemental.
Les syndicats bottent en touche sur la durée horaire
A l’accusation de vouloir camoufler un refus de réaliser les nombreuses heures de travail qu’ils doivent au conseil départemental de Mayotte, les représentants des syndicats engagés dans ce mouvement de grève bottent tous en touche. Ils déclarent qu’aucun personnel n’a avancé un refus en ce sens et mettent tout cela dans la besace de la désorganisation générale qui frappe la collectivité en question. Ils estiment qu’il appartient à celle-ci de mettre en place le dispositif nécessaire qui permettra à chaque agent de rattraper le quota d’heures qu’il doit effectuer. Pour rappel, le nombre d’heures réalisées annuellement par un fonctionnaire est de 1.607 heures. Sauf qu’à Mayotte, les jours fériés liés aux fêtes musulmanes empêchent parfois les employés d’atteindre ce quota.
Journaliste politique & économique