Avec près de 115.000 réclamations en 2021, le Défenseur des droits est plus que jamais présent au contact des usagers, en particulier des plus vulnérables, qui font face à la déshumanisation et à l’éloignement des services publics. Dans le 101ème département, encore plus qu’ailleurs, les délégués se retrouvent surbookés face à des dysfonctionnements récurrents sur le territoire. Entretien avec Didier Lefèvre, le chef de pôle régional pour La Réunion et Mayotte.
Flash Infos : En 2021, vous avez reçu près de 800 réclamations. Comment évaluez-vous ce chiffre par rapport aux années précédentes ?
Didier Lefèvre : Il s’agit d’un chiffre plutôt stable d’une année sur l’autre. Nous tournons autour de 700-800 réclamations par an. Pour les traiter, nous nous reposons sur trois délégués qui tiennent des permanences au sein du réseau France Services et du CDAD (conseil départemental de l’accès au droit) sur Mamoudzou, sur Dembéni et sur Petite-Terre. Si cela nous permet de nous rapprocher du public, cela n’est pas suffisant ! Nos collaborateurs sont débordés… Raison pour laquelle nous sommes sur un processus de recrutement pour en embaucher un quatrième d’ici la fin de l’année afin de couvrir le plus largement possible le territoire, notamment dans l’Ouest et le Nord.
FI : La majeure partie des saisines concernent des dysfonctionnements des services publics et des questions liées aux droits de l’enfant. Quelles seraient les solutions selon vous pour améliorer la prise en charge et éviter les stigmatisations ?
D. L. : Nous ne sommes pas là pour trouver des solutions à proprement parler ou faire à la place de ! En effet, nous n’avons pas de pouvoir de contrainte. Notre rôle consiste simplement à intervenir lorsque des personnes, qu’elles soient étrangères ou françaises, s’estiment lésées dans leurs droits, par rapport à une décision d’une administration ou d’un service public. Mais attention, nous ne sommes en aucun cas leur ennemi. L’idée est de mettre de l’huile dans les rouages et d’agir en tant que facilitateur. Par exemple, en rappelant le cadre légal. Toutefois, nous pouvons également mobiliser nos pouvoirs d’instruction quand il y a un licenciement discriminatoire. Par ailleurs, nous menons des actions de sensibilisation et d’éducation aux droits, principalement dans les établissements scolaires.
FI : Comment avez-vous vécu le blocage de La Cimade pendant plusieurs mois ?
D. L. : Nous avons été interpellés par l’association et nous avons été saisis sur plusieurs champs (N.D.L.R. un groupe a empêché l’accès aux locaux de Cavani aux bénévoles et salariées de l’association de décembre 2021 à mai 2022), à l’instar de la déontologie des forces de sécurité ! Selon nos informations, certaines personnes auraient subi des propos incitant à la discrimination. Si le personnel de La Cimade a pu réintégrer ses locaux, l’instruction est toujours en cours auprès du Défenseur des droits.
FI : D’un point de vue plus général, comment analysez-vous la situation à Mayotte ?
D. L. : Au fil de nos années de présence sur le territoire, plusieurs rapports et recommandations ont été rédigés pour faire en sorte que les lignes bougent. Nous constatons un dysfonctionnement assez chronique et lourd… Est-ce que nous pouvons dire que les choses évoluent dans le bon sens ? Même si nous pouvons noter un certain nombre d’avancées, il est difficile pour nous de dire que cela va mieux. À travers nos rencontres fréquentes avec les différents interlocuteurs, nous voyons que certains points peuvent aussi bien avancer que reculer ! Ainsi, nous avons parfois le sentiment d’un éternel recommencement… Malgré tout, nous restons optimistes. Pour Claire Hédon (la Défenseure des droits depuis le 22 juillet 2020), qui souhaite dès qu’elle le peut venir à Mayotte, la présence des délégués et du dispositif Jade (jeune ambassadeur des droits auprès des enfants) reste une priorité.
Les thématiques dont les délégués sont les plus saisis
La majeure partie des saisines des délégués concernent en grande partie des situations liées aux dysfonctionnements des services publics, notamment dues aux difficultés d’accès au service des étrangers de la préfecture de Mayotte pour obtenir un rendez-vous en vue de la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour et des questions liées aux droits de l’enfant.
Pour ces dernières, sont particulièrement visés les refus de scolarisation en raison de l’origine (exigences abusives de documents supplémentaires par certaines mairies), des situations de maltraitance ou des rattachements fictifs de mineurs à des adultes sans lien de famille dans le cadre de reconduites à la frontière. Les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance (plusieurs mois à plusieurs années avant de prendre en compte une situation d’enfants en danger, manque de suivi des mineurs accueillis par des familles d’accueil…) sont aussi pointés. Ces difficultés sont renforcées en raison du fort turn-over des interlocuteurs au sein des différentes administrations.
Romain Guille est un journaliste avec plus de 10 ans d'expérience dans le domaine, ayant travaillé pour plusieurs publications en France métropolitaine et à Mayotte comme L'Observateur, Mayotte Hebdo et Flash Infos, où il a acquis une expertise dans la production de contenu engageant et informatif pour une variété de publics.