Le conseil départemental pris d’assaut par les travailleurs

Ce jeudi 29 septembre, l’appel national des syndicats à la grève a été entendu par près de 200 personnes, sur la place de la République, à Mamoudzou, et devant le rectorat de Mayotte. Outre les questions du pouvoir d’achat et de l’alignement des droits sociaux sur ceux de la métropole, la sécurité s’invitait évidemment aux revendications des manifestants, qui n’ont pas hésité à entrer dans les locaux du Département pour être entendus par leurs élus.

8h30 Une soixantaine de personnes est déjà présente place de la République, à l’ombre du comité du tourisme. Le pick-up est installé, comme les enceintes qui crachent du Zily aux oreilles des grévistes, habillés des chasubles orange de la Colas ou du rouge de la CGT Mayotte. M’Colo Saïd, secrétaire adjoint du syndicat, met l’ambiance en attendant son secrétaire général, Salim Nahouda, qui vient d’atterrir à Pamandzi. Aux évocations de la réforme des retraites répondent des « Non, Karivendzé » car, si la place était à la fête, les esprits l’étaient, eux, beaucoup moins.

L’alignement du SMIC mahorais sur celui de métropole, l’application des conventions collectives et du code de la sécurité sociale faisaient par exemple partie des revendications des grévistes. « On connaît les répercussions négatives que ça a pour l’ensemble de la population », affirme Faïza Ali, déléguée syndicale à la CSSM, venue avec plusieurs de ses collègues. « En termes de base de calcul, un employé de la CSSM touche moins qu’un smicard ! »

9h À mesure qu’arrivent les travailleurs, parfois après plusieurs heures d’embouteillages, fleurissent les drapeaux CFDT, Sud Solidaires, ou CGT Educ’Action. Bruno Dezile, secrétaire général de cette dernière, regrette que les syndicats enseignants se soient séparés pour cette journée (voir encadré ci-après). « On devrait être plus nombreux », déplore-t-il, « même si beaucoup de collègues font grève mais ne sont pas venus ici. Il est nécessaire que nous nous mobilisions pour réclamer de meilleures conditions d’enseignement, l’augmentation du point d’indice, refuser la réforme des retraites… Nous observons des pressions, voire du harcèlement, dans plusieurs établissements du 1er et 2nd degré. Ça ne peut plus durer. »

9h30 Alors que des petits groupes se forment et échangent sur les problèmes rencontrés au travail, Salim Nahouda descend de la barge. « Il faut se soulever, les circonstances l’exigent », affirme l’ancien directeur de la CSSM, qui charge les élus locaux : « Ils ne maîtrisent pas le sujet. En dix ans à la CSSM, j’ai vu le décalage qui existait entre la politique et la réalité. Peut-être que nous avons une nouvelle génération, mais aux méthodes anciennes. Je ne suis pas convaincu. »

« Sortez d’ici et écoutez-nous ! »

10h Les manifestants se rassemblent autour du pick-up, où trône Boina Hebja Haoussi, secrétaire général adjoint de la CGT Mayotte. « En métropole, on parle d’un SMIC à 2.000 euros. Mais à Mayotte, le salaire minimum est bien inférieur à celui de métropole, alors que nous avions réussi à le rattraper en 2015 ! » Pour le secteur éducatif, Bruno Dezile prend la parole, rappelant que « Macron oublie des catégories pour les hausses de salaires, il ne faut pas que seuls certains agents obtiennent une revalorisation, nous sommes là pour tout le monde ». Devant les affiches électorales du « président des jeunes » décorant encore les piliers du marché Zakia Madi, le représentant syndical défend la retraite française, « l’un des régimes les plus justes au monde », que son auditoire ne compte pas lâcher.

10h10 « On nous a prévenus qu’on n’aura pas d’escorte policière », prévient Boina Hebja Haoussi, qui mène la foule hors de la place de la République. Pas de quoi stopper le cortège rouge, qui s’engage sur le rond-point Zéna M’Déré sans vergogne, bloquant quelque peu la circulation lors de leurs trois tours, avant de monter la rampe menant à l’Hôtel de ville. Mais ce n’est pas la mairie que visent les 200 manifestants. « On va faire chier les élus ! », lance une femme du groupe, qui bifurque vers le bâtiment du conseil départemental.

10h30 « C’est bon, on vous ouvre ! » Seul face à la foule, le vigile du CD est bien obligé d’élever la barrière, franchie en premier par un M’Colo Saïd « content, même si ce n’est jamais assez ». Le portail du jardin s’ouvre également, l’occasion pour la foule de « sorodas » de chanter leurs revendications sous les fenêtres des agents départementaux, passant une tête hilare à la fenêtre.

10h41 Après avoir sillonné les allées du conseil départemental, les syndicats font un sit-in sous le préau « pour qu’ils arrêtent de dormir, qu’ils sachent qu’on est là », lâche un jeune salarié de la Colas. Prévues pour une signature de convention, les tables et chaises sont investies par les manifestants. « Il est où le président Ben Issa ? En vacances ? », raillent certains d’entre eux. Quand on leur répond que les conseillers sont en séance plénière dans le cinéma Alpajoe, le cortège s’y rend.

11h Après une faible résistance des gardiens du parking du cinéma, les grévistes y entrent, et commencent à marteler les portes du bâtiment. « C’est nous qui vous avons élus, sortez d’ici et écoutez-nous ! », hurle une manifestante. « C’était un peu la panique, on a mis un moment à réaliser ce qu’il se passait », confie une agente du Département. Une séance plénière étant par essence fermée au public, les conseillers demandent 15 minutes d’attente pour terminer et le recevoir. « On est juste venus dire bonjour, qu’on nous écoute ! », espère Saïd, salarié de Total Énergies. « On a envie de parler avec eux, et on sait qu’ils sont regroupés là, donc on vient chercher les infos à la source », ajoute Légendaire, de la Colas bâtiment.

« Nous avons besoin de protection, s’il vous plaît »

11h20 La soif de considération des manifestants est épanchée : les portes du bâtiment s’ouvrent, et la foule peut s’installer dans les sièges, face aux longues tables garnies de conseillers départementaux, plus ou moins surpris et circonspects. Face à eux, Salim Nahouda, qui leur parle de l’écart de plus en plus important entre les SMIC mahorais et métropolitain, ou de la nécessité de l’application des conventions collectives. Quand certains élus prennent des notes, d’autres pianotent, à l’image d’Omar Ali. « Arrêtez d’utiliser vos téléphones ! Écoutez-nous ! », lance le public.

Après les revendications liées au pouvoir d’achat, le secrétaire général de la CGT-Ma aborde le sujet de la sécurité, central sur l’île. « Il faut qu’on soit ferme, on ne peut pas laisser Mayotte mourir à petit feu », déclare-t-il avec émotion. « Ce n’est pas une journée morte qui changera quelque chose. Vous avez un devoir envers Mayotte. Nous avons besoin de cette protection, s’il vous plaît. Nous avons peur. Les bandits sont à la sortie de l’école. Il fait qu’on ait des réponses. » Cette fois, des « On en a marre » et autres « Bassi ivo » émanent de l’audience, dont la résignation est palpable, à l’image des habitants de Majicavo-Koropa, qui ont marché contre les violences la veille.

11h35 « Ils ont pas les épaules ! », raille encore un manifestant lorsque Bruno Dezile dresse un constat catastrophique de l’enseignement à Mayotte : « Certains établissements, quand on les montre à quelqu’un qui ne connaît pas Mayotte, il se demande si c’est une école ou une prison ! On compte sur vous pour que vous soyez vigilants. Sinon, vous n’aurez bientôt plus de professionnels, que des contractuels, vacataires, ou formateurs. »

« Ce préfet n’a aucun pouvoir »

11h50 Coiffée d’un bob CGT, une salariée d’ETPC (groupe Colas) prend la parole, debout face à la quinzaine de conseillers départementaux. « Parler des conventions collectives nous permettra de sortir de cette merde », tempête-t-elle. « Vous êtes trop mous ! » Émue, la gréviste pointe du doigt un homme d’une soixantaine d’années assis dans la salle. « Le vieux monsieur qui est là, ça fait 15 ans qu’il est en CDIC [CDI de chantier, NDLR], on le vire tous les six mois, il n’a pas d’avantage, pas d’ancienneté ! Ça me fait mal de savoir qu’il partira à la retraite avec 300 euros par mois. »

« On en peut plus ! », scande la foule, alors que la femme reprend, à bout de souffle – et de nerfs. « On s’adresse à vous car ce préfet n’a aucun pouvoir, c’est nous qui lui donnons. Il est là pour sa carrière, il va dire j’ai tout bien fait en Afrique. Et nous on reste là où on est. Comme la Dieccte. Parlez au nom des Mahorais ! » Applaudissements et « Tafadali » retentissent alors que la syndicaliste quitte la tribune.

12h05 C’est un souci d’apaisement qui anime Ben Issa Ousseni quand il allume son micro. « On vous a entendus », débute le président du conseil départemental. « Sachez que la convergence des droits est le cheval de bataille de l’ensemble des élus présents ici. C’est uniquement pour cela que nous avons émis un avis défavorable au projet de loi Mayotte, parce qu’elle n’allait pas suffisamment loin. L’objectif est désormais de renégocier avec les ministères la réouverture de ce dossier. »

Au sujet de l’insécurité, le président du CD a laissé espérer. « Dans un courrier, que j’ai demandé de signer au préfet, j’indique que nous voulons être reçus soit par le couple ministre de l’Intérieur – Premier ministre, soit directement par le président de la République. S’il faut aller revendiquer là-bas, nous avons déjà désigné la délégation qui s’en chargera. Vous nous apportez des éléments supplémentaires aujourd’hui. »

Sur le port, si Ben Issa Ousseni reconnaît que « la DSP actuelle doit être travaillée », il pondère en affirmant qu’un grand port maritime signifie que l’État gèrerait, et que Mayotte devrait « faire l’impasse sur 10 millions d’euros de dotation annuelle ». « L’État ne compenserait pas », continue-t-il. « Confier la DSP au privé était une erreur de jeunesse, mais la casser a un coût pour les Mahorais », avant de promettre un « espace de discussion » avec les forces syndicales, « dès que le rendez-vous avec les ministres aura été fixé ».

12h20 « On ne vous supplie pas, on vous parle d’égal à égal », affirme Faïza Ali, qui concluait le dialogue. « Vous êtes nos représentants. Mais avant d’être élus, vous êtes Mahorais, comme nous. Avec une inflation à 6%, on ne sait plus comment remplir le frigo, comment aller au travail en sécurité. Vous représentez l’ensemble de la population mahoraise, qui se sent totalement délaissée. Et un élu a tendance à oublier les gens qui l’ont porté. On veut participer à l’effort de ce Département. » Après des applaudissements et une sensation de dialogue réussi, toutes les personnes quittent la salle. « Non, je ne suis pas satisfait, j’attends les faits », déclare l’insatiable Salim Nahouda, qui a déjà prévu une rencontre intersyndicale fin octobre.

De son côté, Alain Sarment, conseiller départemental de Bandraboua – et de l’opposition – prend de la hauteur, et montre une certaine compréhension vis-à-vis des manifestants. « Nous sommes leurs délégués, c’est normal qu’ils viennent nous voir », affirme-t-il. « Bien sûr que la grève ne se fait pas avec courtoisie, mais sans avoir coupé les têtes des rois, sans mai 68, on n’en serait pas là aujourd’hui. Malheureusement, la France est un pays dans lequel on doit se battre pour le moindre droit qu’on devrait avoir facilement. » Reste désormais à espérer, pour ces centaines de grévistes, que ces droits affluent avec les promesses de leurs représentants, et que le droit, singulier celui-là, soit aligné sur les 100 autres départements de France.

 

Les revendications de la CGT Mayotte

  • L’alignement du SMIC brut mensuel au SMIC national ;
  • L’application des conventions collectives nationales conformément à la loi d’août 2016 ;
  • L’alignement des retraites (base et complémentaire) aux retraites nationales avec un minimum à 1000€, conformément à la déclaration du président de la République ;
  • La reconnaissance de l’ensemble des anciennetés de service pour les fonctionnaires de l’ex-CDM et un reclassement (engagement gouvernemental de 2016) ;
  • L’application de majoration au même niveau que celle appliquée à La Réunion (53%) pour la fonction publique ;
  • L’application du code de la sécurité sociale ;
  • La généralisation des mutuelles santé pour tous les travailleurs ;
  • L’application de la complémentaire santé solidaire (CSS) ;
  • L’évolution du statut de l’électricité de Mayotte à EDF SEI ;
  • La révision et l’évolution de la gouvernance et du statut du port de Longoni en « Grand Port Maritime » ;
  • Garantir la sécurité des biens et travailleurs du département à tout lieu ;
  • Des moyens massifs pour un vrai développement de nos services publics de la santé et de l’éducation.

 

Des enseignants également présents à la préfecture

Partis du rectorat de Mayotte, une cinquantaine d’enseignants-grévistes ont rejoint à pied la préfecture, vers 9h15, ce jeudi matin. L’intersyndicale (composée de la Fédération syndicale unitaire, l’Union nationale des syndicats autonomes et Solidaires) entendait manifester pour demander une hausse du point d’indice au-delà du 3,5%  décidé par le Gouvernement, l’indexation des salaires sur ceux de La Réunion, des indemnités de sujétion géographique versées aux deux membres d’un même couple et plus à l’un des deux, l’extension du dispositif REP+ sur tout Mayotte, « de la maternelle à l’université », l’application de l’Ircantec (une retraite complémentaire réservée aux agents de l’État) pour tous, 300€ de plus pour tous les personnels du 1er degré, ainsi que la revalorisation des bourses étudiants, de l’allocation rentrée scolaire et l’alignement des minimas sociaux sur le national. Une délégation de quelques personnes a pu être reçue à la préfecture, vers 9h30.

Plusieurs professeurs d’éducation physique et sportive (EPS) se sont greffés au mouvement. En effet, depuis juin, ils n’ont plus d’inspecteur, ce qui entraîne des difficultés de formation, d’encadrement et de remplacement de professeurs absents.

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