Véritable cordon ombilical reliant au quotidien les deux principales îles de Mayotte, la barge du Service de Transport Maritime (STM) pourrait ne plus naviguer d’ici peu. Alors que leur armateur, la collectivité départementale de Mayotte, continue à faire la sourde oreille aux injonctions des contrôleurs, le feu continue de couver en interne. Cette fois, ce sont les syndicats, intra-muros, qui donnent de la voix. Un arrêt brutal des mouvements de barges n’est pas à exclure, et ce très prochainement.
Habitués depuis de nombreuses années à entendre parler des difficultés de gestion financière et matérielle du STM, les milliers de passagers qui empruntent chaque jour ces navires, de 5h30 à 00h30 (en semaine), ne cachent plus leur exaspération teintée d’une forte inquiétude sur ce qu’ils entendent ici et là sur l’état des barges. C’est qu’il se dit des « vertes et des vraiment pas mûres » au sujet de ces navires et du service qui les gère. Vérité ou intox, qu’en est-il vraiment ? La mauvaise gestion du système est un secret de polichinelle depuis une vingtaine d’années, avant, mais plus encore après l’application de la décentralisation à Mayotte. Le problème, c’est que la situation n’a jamais cessé d’aller de mal en pis, sans que les autorités compétentes ne daignent y apporter des solutions sérieuses et pérennes.
La menace d’une grève
« C’est un service public, il est parfaitement compréhensible qu’il soit durablement déficitaire », se plaisent à avancer les défenseurs du conseil départemental. Ou encore « ça n’a jamais été différent du temps où la collectivité territoriale de Mayotte était sous tutelle directe des services de l’État ». Les détracteurs, eux, se limitent à constater l’aspect « magnégné » de la gestion de ces barges dans l’incapacité de respecter même les horaires d’arrivée et de départ aux embarcadères de Dzaoudzi comme de Mamoudzou. En effet, force est de constater que si dans la règle, une barge est supposée partir d’un point à un autre tous les quarts d’heure, ce n’est plus le cas depuis belle lurette. L’incertitude et la prévoyance sont désormais les maîtres mots pour tous les passagers ayant un rendez-vous important sur l’une ou l’autre des deux îles. Les barges peuvent accuser jusqu’à une heure de retard, et le STM trouve cela normal.
Depuis qu’un directeur d’exploitation démissionnaire a jeté un pavé dans la mare le mois dernier, les langues se sont énormément déliées en aparté, mais pas du côté officiel. Que ce soit du côté de l’armateur ou des contrôleurs que sont les Affaires maritimes, circulez, il n’y a rien à dire. Sans que cela ne soit écrit, bien sûr, les services de l’État indiquent qu’ils ne communiqueront pas sur ce dossier. À charge pour la presse de s’adresser à un obscur service compétent pour tout l’océan Indien, basé à La Réunion, qui demeure tout aussi muet. Via les syndicats, le personnel du STM a décidé cette semaine de briser l’omerta. Au siège de la CGT Mayotte, on apprend que la menace d’une grève dure plane sérieusement sur le service et pourrait sonner le glas des rotations de barges.
Le STM n’a pas le droit de transporter des passagers
Il est fait mention d’un rapport des services des Affaires Maritimes, lequel met en lumière un non-respect des normes de la navigation internationale par le STM et cela dans une période qui excède dix ans. Parmi ces manquements soulevés, il y a les brevets des commandants des barges qui ne seraient plus à jour. Selon notre interlocuteur, ce rapport accablant contre la collectivité départementale de Mayotte fait apparaître une nécessité absolue de formation continue permettant de revalider les brevets de pilotage en question tous les cinq ans. Ainsi, à ce jour, au regard de leur déontologie, les commandants du STM n’auraient même pas le droit de dénouer une barge amarrée à un ponton flottant, et encore moins de la déplacer pour transporter des passagers.
À qui la faute ? Pour les syndicats, la réponse est sans détour, le conseil départemental de Mayotte porte la responsabilité de cette situation, tout comme les services de l’État. À leurs yeux, le premier est l’armateur des navires, quand le second est le garant de la paix sociale et de la sécurité collective. « La discordance entre les deux est inacceptable, surtout qu’au milieu de leurs joutes il y a le personnel de la STM. Nous dénonçons avec force cette façon de procéder et nous n’excluons pas de demander d’ici peu aux agents concernés de se retirer de ces navires afin de leur éviter à devoir supporter des responsabilités incombant aux pouvoirs publics », lance la CGT Mayotte.
Un manque de considération du personnel
L’on apprend également que les barges ne fonctionneraient plus couramment qu’avec trois moteurs au lieu de quatre et depuis peu avec deux moteurs seulement, d’où le droit de retrait que le personnel navigant avait fait valoir il y a trois semaines. Dans la foulée de cet événement, le conseil départemental et les syndicats s’étaient réunis autour d’une table à Mamoudzou, il y a deux semaines. Ces derniers ont demandé à l’exécutif du territoire de signer une décharge au travers de laquelle il dédouanerait tout le personnel affecté au fonctionnement des barges de poursuites judiciaires éventuelles, consécutives aux manquements reprochés à l’armateur. Une demande rejetée par la CD, laquelle se serait bornée à signaler que « tout accident intervenant sur un navire relève de la responsabilité de son armateur ».
Au sujet des formations faisant défaut au personnel des barges, les syndicats nous apprennent une autre énormité. Le service des Affaires maritimes en aurait dispensé une en 2022, mais les certificats n’auraient finalement pas été délivrés. Motif ? Les bénéficiaires de la formation n’auraient pas subi de visite médicale alors que cela est exigé. Un autre fait dénoncé à la CGT Mayotte comme étant une manière de mettre des bâtons dans les roues de la STM. « La nature ayant horreur du vide, l’État prend de l’espace inoccupé par le conseil départemental de Mayotte alors même qu’il appartient à ce dernier de définir la politique publique sur ce territoire. Ce n’est pas un cas isolé, on le voit encore mieux au niveau du GIP Europe, où la préfecture limoge un directeur nommé par la CDM pour diriger une structure créée à son initiative, fusse-t-il en partenariat avec l’État », conclut notre interlocuteur.
Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à la barge dans le numéro 1032 de Mayotte Hebdo, à retrouver gratuitement ici : www.mayottehebdo.com/mayotte_hebdo/