Barrages : « Tout ce travail risque de se retourner contre nous »

Ce jeudi, plusieurs représentants des Forces vives, dont Safina Soula, ont tenu une conférence de presse à Mamoudzou pour demander à leurs confrères de lever les barrages restants. La crainte de voir le mouvement perdre sa crédibilité auprès du gouvernement se fait sentir.

Les représentants des Forces vives semblent dépassés par le mouvement qu’ils ont lancé, il y a maintenant un mois. C’est à leur tour, ce jeudi matin, de demander la levée des barrages, lors d’une conférence de presse devant leur QG, au niveau de la préfecture de Mayotte, à Mamoudzou. « Le mouvement doit continuer, mais sous une autre forme. Il faut lever provisoirement les barrages pour laisser se déployer les réponses à nos difficultés », insiste Safina Soula, une des représentantes du mouvement et présidente du collectif citoyen de Mayotte 2018, qui reconnait une « divergence » au sein des Forces vives dans la forme voulue pour la continuité du mouvement.

Tous entendent bien, ce jeudi, la crainte et la méfiance des manifestants toujours présents sur les routes, qui réclament des mesures immédiates contre l’insécurité, notamment à travers l’état d’urgence sécuritaire. « Nous comprenons cette colère, nous vivons l’insécurité », assure Sylviane Amavi, représentante des Forces vives, à l’intention des membres souhaitant le maintien des barrages tant que l’état d’urgence sécuritaire n’est pas déclaré.

« Nous avons donné notre parole »

De son côté, Safina Soula affirme que c’est bien la situation sécuritaire qui est au cœur du mouvement depuis son commencement et qui a été portée comme priorité lors des négociations avec le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, le 11 février dernier. « L’état d’urgence sécuritaire a bien été demandé, tous les points ont été abordés devant le ministre. Seulement, en trois heures, il fallait, à un moment, avoir un point central, qui ramenait les autres sur lui-même : le titre de séjour territorialisé », explique-t-elle. Concernant cet état d’urgence, Gérald Darmanin aurait répondu de manière générale que l’étude approfondie des différents points serait faite par la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, lors de sa prochaine visite à Mayotte, que l’on sait désormais programmée pour le 27 février.

Mais Saïd Mouhoudhoiri, présent à la table des représentants, tient à alerter. « Ce n’est pas une baguette magique. Sommes-nous prêts à vivre cet état d’urgence ? Il faut que nous fassions attention à ce que nous voulons », indique-t-il, rappelant que cette mesure reviendrait à avoir des militaires dans les rues, à un couvre-feu, à ne pas pouvoir se déplacer.

Si les représentants soutiennent les revendications de ceux qui maintiennent les barrages, elles en appellent à leur raison. « Nous n’avons pas fait tous ces efforts pour rien. Tout ce travail risque de se retourner contre nous. Nous avons donné notre parole de lever les barrages en échange des engagements écrits. Le gouvernement ne va plus avoir de considération pour les Forces vives », craint Sylviane Amavi, qui estime qu’il est désormais temps que les routes soient libérées, pour que les citoyens puissent veiller et les élus travailler à ce que les mesures promises soient bien mises en place.

« On comprend la peur de la population »

Zaïdou Bamana, également présent parmi les leaders, abonde en ce sens : « Le maître mot est la responsabilité. […] On comprend la peur de la population, il suffit de voir ce qu’il s’est passé cette nuit à Combani (voir par ailleurs). Dans l’immédiat, on a besoin de négociations dans un climat apaisé. On doit donner une chance à l’Etat de pouvoir démontrer ses engagements tout en restant derrière ses travaux. »

Safina Soula voit bien les conséquences qu’ont eu les barrages sur l’économie et rappelle que les barragistes travaillant dans le secteur privé vont aussi être impactés si les barrages continuent. Elle profite également de cette conférence pour indiquer qu’une réunion aura bientôt lieu avec les élus, pour pouvoir revenir sur leur rencontre avec Marie Guévenoux à Paris en début de semaine.

Le mot « division » ne fait plus peur aux représentants, qui l’emploient à plusieurs reprises. Mais, tous assurent vouloir aller dialoguer avec « leurs frères et leurs sœurs » bloquant encore les routes.

« Un appel au secours au gouvernement »

Contacté à l’issue de la conférence de presse, dans l’après-midi, Mafana, référent du barrage de Chirongui et membre du Comité citoyen du Sud, comprend la volonté des leaders d’apaiser les choses. Toujours pas question de division de son côté, mais de « petite divergence dans la forme ». Mercredi, il nous indiquait qu’il resterait sur le barrage tant que des mesures contre l’insécurité ne seraient pas mises en place immédiatement. Ce jeudi après-midi, sa position reste la même. « Au Comité du Sud, nous soutenons les barrages fermés », déclare celui qui laisse ouvert celui de Chirongui jusqu’à la fin de la semaine. Il affirme rester favorable à la discussion voulue par les leaders et que « l’ouverture d’esprit » est nécessaire pour atteindre leur but commun.

Il comprend la crainte des représentants de voir leurs efforts réduits à néant. « Le gouvernement a voulu nous faire peur en conditionnant la poursuite des travaux par la ministre déléguée à la levée des barrages, à la fin de la lettre qu’il a envoyée », dit-il. « Mais ce n’est pas une cour de récré. Si le gouvernement ne veut plus échanger avec nous à cause de ça, c’est qu’il ne comptait pas le faire au départ. »

Mafana respecte ce qu’il interprète comme un « conseil » des représentants, mais note qu’il ne s’agit pas d’une obligation : « Il faut bien comprendre que les barrages qui restent sont un appel au secours au gouvernement, et qu’on ne le fait pas contre les leaders. »

À quelles aides ont droit les entreprises ?

Sur « potentiellement 5.000 salariés » à Mayotte, indique Christian Pichevin, directeur régional des finances publiques (DRFIP) sur l’île, 300 demandes d’activité partielle auraient été formulées à la Direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Deets) depuis le début des contestations des Forces vives.

La Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) suspend ses actions de recouvrement à l’encontre des entrepreneurs qui ne paieraient pas leurs cotisations. Aussi, un plan de règlement permettant un étalement de paiement des cotisations sociales « jusqu’à 36 mois » a été mis en place par la commission départementale des chefs de services financiers que Christian Pichevin préside. En outre, « on fait en sorte d’accélérer toutes les demandes de Crédits d’impôts pour la compétitivité et l’emploi (Cice) », renseigne l’administrateur des finances publiques. Il souligne l’importance de traiter les factures au niveau des collectivités locales « pour que nous nous puissions procéder aux paiements ».

« Des échanges réels et concrets sont en cours » avec le gouvernement pour mettre en place un dispositif d’aides, indique-t-il. Une demande réclamée par l’Intersyndicale réunissant des organisations patronales dont le Medef Mayotte et les chambres consulaires de l’île, et déjà relayée au ministère d’Outre-mer ainsi que l’administration de Bercy. Prudent, il déclare cependant que, l’absence de stabilisation de la situation à Mayotte « peut être un élément de frein », tout dispositif nécessitant une période définie d’application des aides, explique l’administrateur général des finances publiques.

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