Ce mercredi, plusieurs barrages sont encore en cours sur l’île, malgré une volonté de levée de la part de la majorité des leaders des Forces vives. Nous sommes allés voir les manifestants encore présents sur les routes, qui auraient voulu que la sécurité soit davantage placée au cœur des demandes au gouvernement.
« Comment voulez-vous qu’on arrête les barrages quand nos enfants risquent leur vie en allant à l’école le lendemain ? » Cette question, c’est Tadjidini, un des référents du barrage de Bandrélé qui la pose, ce mercredi. « On a cassé dix fois ma voiture, alors si je dois restée sur ce barrage pendant un an, je le ferai tant que je ne suis pas en sécurité », indique une des militantes présente à ses côtés.
La sécurité : ce maître mot, au cœur des préoccupations de la population, certains barragistes ont l’impression qu’il n’a pas été assez porté aux oreilles du gouvernement. C’est en tous cas le sentiment que nous partage Fakri, référent du barrage du carrefour Ngwézi, dans la commune de Chirongui : « Nos représentants ont mis davantage en avant la fin du titre de séjour territorialisé auprès de Gérald Darmanin que l’état d’urgence sécuritaire. C’est comme si la tête avait décidé sans consulter la base ».
Pour Salima*, présente sur le même barrage depuis le début du mouvement, les représentants des Forces vives ont porté les revendications de la population dans le mauvais ordre. « Ils ont insisté sur la fin du titre de séjour territorialisé, qui a été amplifiée par le ministre avec la fin du droit du sol, mais on sait que ça va prendre beaucoup de temps et qu’il y a un risque que ça ne passe pas. Ce n’est pas qu’on ne veut pas de ces mesures, elles sont légitimes sur le long terme, mais nous on veut la sécurité de manière urgente et visible », détaille la militante, qui, si elle reconnait que l’État a mis en place des moyens pour lutter contre la délinquance, ne perçoit pas l’efficacité des mesures prises jusque-là.
Un état d’urgence non négociable
Pour tous les protestataires que nous rencontrons sur la route entre Mamoudzou et Chirongui, la déclaration de cet état d’urgence est la condition à la levée des barrages. « Ces délinquants qui nous attaquent de manière préméditée avec des pierres, des machettes et maintenant des barres de fer, pour nous, ce sont des terroristes. Toutes les conditions sont réunies pour que l’état d’urgence soit déclaré sans attendre », poursuit Salima.
Mafana, référent du barrage de Chirongui situé plus loin, à l’intérieur du village, et membre du Comité Citoyen du Sud, ne réclame pas nécessairement l’état d’urgence, mais n’importe quel moyen qui puisse assurer la sécurité sur l’île immédiatement. « Pour aller travailler à Mamoudzou, c’est le parcours du combattant à cause des violences sur les routes. Les gens vivent prisonniers chez eux, en témoignent les barreaux aux fenêtres », souligne-t-il en pointant du doigt une maison pour illustrer son propos.
Pour le militant, il n’était pas question de lever les barrages à la simple réception de la lettre ministérielle reçue la semaine dernière, couchant sur le papier les engagements de l’Etat pour Mayotte. « On y lit que l’opération Wuambushu est un succès et le bilan sécuritaire qui y est dressé n’est pas clair. On l’a pris comme une provocation, comme si on nous disait que tout allait bien », explique le membre du comité créé en octobre dernier pour lutter contre l’insécurité. « Et regardez ce qu’il s’est passé à Passamaïnty quand le barrage a été levé : le soir-même il y a eu des affrontements là-bas et à Tsoundzou », intervient Ambou, également membre du Comité Sud.
« Notre but n’est pas d’enfermer les gens »
Si ce mercredi après-midi, le barrage de Chirongui, à côté du lycée, laisse passer tous les véhicules, ce n’est qu’une ouverture provisoire qui doit durer jusqu’à la fin de la semaine. « Notre but n’est pas d’enfermer les gens, mais de dénoncer, sensibiliser et faire entendre nos revendications », appuie Mafana, qui espère que la venue prochaine de la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, permettra de mettre en place des mesures sécuritaires exemplaires.
Quand on lui demande s’il n’a pas peur que le mouvement soit en train de perdre en crédibilité, suite à ses revirements de position, sa réponse est claire : « La sécurité a toujours été la première revendication de la base, et pour l’instant, on n’a rien vu être mis en place. »
Les Forces vives s’étaient pourtant engagées à lever les barrages si le gouvernement mettait par écrit les annonces promises lors de la visite du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin. Vendredi dernier, les leaders avaient même annoncé une « mise de côté » des barrages après une réunion houleuse à Tsararano. Ce mardi, lors d’une réunion à Mroalé avec les barragistes, les leaders des Forces vives se sont majoritairement exprimés, encore une fois, pour la levée des blocages, estimant que le gouvernement avait joué le jeu. Mais la base du mouvement, elle, ne semble jamais l’avoir entendu de cette façon. Le courrier du ministre n’a clairement pas convaincu, les protestataires gardant le souvenir de promesses non tenues après les barrages de 2011 et de 2018.
« Il n’y a pas de division »
Pourtant, quand on leur demande, même si on reconnait une différence de position entre ces deux parties, il n’est pas question de division (voir par ailleurs). « Chacun exprime sa position. Quand il semble il y avoir de la colère entre nous, c’est la fatigue et l’émotion qui parlent, mais nous travaillons toujours ensemble », assure Mafana. « Il n’y a pas de division. Et d’ailleurs, il n’y a pas de Forces du peuple, nous somme les Forces vives », insiste Tadjidini, à Bandrélé, démentant, comme tous les manifestants rencontrés ce jour, la rumeur selon laquelle une nouvelle branche du mouvement se serait créée. « C’est de la désinformation créée exprès pour nous diviser », alerte le référent du barrage de Chirongui.
Pourtant, sur le barrage de Tsararano, on nous confie que ce climat de scission se fait ressentir : « Sur le barrage-même, il y en a qui ne sont plus trop pour rester alors que d’autres veulent le renforcer. » Pour l’instant, l’option du renfort semble être privilégiée dans les prochains jours, tout comme ce devrait être le cas au carrefour Ngwézi.
La sécurité à Mayotte dès demain ? On a l’impression d’une mission impossible. C’est sûrement pour cela que, sur une note plus légère, Mafana suggère au gouvernement de faire appel à Tom Cruise pour sauver l’île.
*Nom d’emprunt.