C’est officiel. Les barrages des Forces vives sont levés afin d’accorder « le bénéfice du doute » au gouvernement, après l’annonce de nouvelles mesures attendues au cours de la visite de la ministre Marie Guévenoux, ce mardi. Une réunion de sortie de crise s’est tenue, jeudi, en présence des élus de Mayotte et des leaders du mouvement social.
Au surlendemain de la seconde visite ministérielle de Marie Guévenoux, ministre déléguée aux Outre-mer, les Forces vives de Mayotte ont échangé trois heures durant avec les élus du conseil départemental de Mayotte et les maires dans l’hémicycle Younoussa-Bamana. Une réunion de sortie de crise pour formaliser l’annonce de la levée des barrages, officiellement. En interne, « il fallait aussi enlever cette ambiguïté et cette cacophonie », reconnaît Abdou Badirou, membre des Forces vives. Le mouvement se disloquait, laissant entrevoir des conflits naissants entre les manifestants « pour » et ceux « contre » le maintien du blocage des routes. Il affiche désormais son union.
Si la ministre déléguée aux Outre-mer a balayé d’un revers de la main l’instauration d’un état d’urgence sécuritaire à Mayotte, revendication première des « barragistes » encore en place sur les routes, les Forces vives souhaitent accorder « le bénéfice du doute » au gouvernement, qui a annoncé plusieurs mesures sécuritaires, dont un Wuambushu 2, début avril. « Nous avons lâché du lest et nous allons laisser le préfet nous montrer sa détermination », résume Yasmina Aouny, porte-parole du mouvement social. Et de prévenir : « nous ne sommes jamais très loin des barrages, s’il faut aller rompre le jeûne sur les barrages, on y ira ».
Six représentants du mouvement social prendront part dans les prochaines semaines à des « comités de suivi », en présence du préfet et du président du conseil départemental. « Les fonctions des uns et des autres ne sont pas déterminées », souligne l’écrivaine du nord de Mayotte. « L’objectif est de préparer la visite ministérielle du mois prochains. »
Flash-back sur le mouvement social
Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, voulait de son côté profiter de ce nouvel échange dans un quasi-huis-clos pour faire une « analyse du mouvement », laissant entendre que ce dernier était sur le point de devenir plus tempéré. En présence du Grand cadi de Mayotte, Mahamoudou Hamada Saanda, il a ainsi salué la levée des barrages et les « sacrifices faits par les uns et les autres », avant d’estimer que le mouvement « allait dans le bon sens ». Le président du conseil départemental a aussi dressé un rapide compte-rendu de son premier rendez-vous avec le nouveau préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville. Le représentant de l’État, empêché d’être présent à la réunion en raison de son agenda, lui aurait annoncé la création de deux brigades de gendarmerie supplémentaires à Combani et Dzoumogné « dans le courant de l’année 2024 ». L’an dernier, l’annonce avait été faite par Emmanuel Macron que les deux allaient être créées dans les communes de Tsingoni et Bandraboua, mais il n’y avait eu pas de précisions pour les villages.
Thomas Msaidié, maître de conférences en droit public, a été invité à prendre la parole afin de faire part d’une étude plus poussée du mouvement et de ses aboutissements. Il a proposé son analyse sur les annonces faites au cours des deux dernières visites ministérielles. La lettre du gouvernement qui concrétisait la première, le 14 février, était selon lui rédigée de manière très « maladroite et amphigourique », voire « extrêmement alambiquée ». Selon l’universitaire, toutes les annonces faites par les ministres y ont été couchées noir sur blanc, mais il faut prendre du recul sur celle de la suppression du droit du sol. « La mise en œuvre de cette révision de la constitution ne dépend pas de notre bon vouloir, car il y a deux obstacles constitutionnels. Il faut l’adoption d’un texte en termes identiques par les deux chambres, le Sénat et le parlement. La validation du projet de révision peut ensuite être faite via référendum ou par la soumission du projet au Congrès, où le gouvernement ne dispose que d’une majorité relative » rappelle-t-il. Un parcours du combattant.
Finalement, cette mesure coup de poing laisse un goût âpre de manœuvre gouvernementale : « Nous savons tous que cette question a été individualisée sur le plan national. Toute la presse ne parlait que de ça, comme si nous n’avions pas d’autres préoccupations ». Dans le même thématique, la mise en place d’un rideau de fer pour lutter contre l’immigration clandestine, une autre annonce « choc », met en exergue les failles passées de l’État dans la lutte contre les arrivées de migrants en kwassa, selon Thomas Msaidié. « Comment l’État envisage-t-il d’engager des actions qui vise à protéger la frontière la plus poreuse de la République ? » pose-t-il.
Un voile sur « le rideau de fer » maritime
« L’État s’est auto-congratulé de manière assez ostensible sur l’opération Shikandra en mettant en avant ses actions en 2009. Mais il n’a pas mentionné combien de migrants sont rentrés entre temps. La mise en place d’un rideau de fer est une innovation qui a suscité des sourires. On n’a pas eu de détails là-dessus. J’ai cru comprendre que c’est un dispositif militaire qui pouvait produire une efficacité. » Le spécialiste du droit public se veut encore plus vindicatif au moment d’aborder le sujet de l’état d’urgence sécuritaire. Il rappelle que le déclenchement de ce régime d’exception est subordonné au cas de « péril imminent résultant d’atteintes très graves à l’ordre public ». « Nous y sommes », clame-t-il. Selon lui, la réponse de la ministre déléguée à cette revendication était peu convaincante. « Je regrette énormément cette manière d’accueillir des demandes légitimes qui découlent d’une volonté quasi unanime, notamment des parlementaires ».
Quant au projet de loi Mayotte, dont la présentation en conseil des ministres est programmée le 22 mai, il conseille directement aux élus d’être « vigilants », rappelant notamment le rejet des propositions formulées par les élus départementaux lorsque Philippe Vigier était installé rue Oudinot. Sa réaction aura été marquée du sceau « d’une puérilité assez regrettable », estime-t-il. Après ce réquisitoire très critique sur les postures et les mesures proposées par l’État pour permettre à Mayotte de se relever, Thomas Msaidié s’est fendu d’un conseil, d’actualité : « Nous sommes traditionnellement de confession musulmane, on sait que la parole donnée a une valeur. Si une parole institutionnelle a été donnée et qu’elle est respectée, il nous appartient de respecter notre parole également et de ne pas fragiliser le mouvement. » L’universitaire est applaudi, et les barrages sont levés, pour l’instant.