La première journée de la semaine aura été marquée par un retour en force des barrages et barricades sur l’île. Pour les collectifs, rejoints par la députée Estelle Youssouffa, la riposte de l’État est déroutante. Profitant de la situation, des bandes montent également des barrages comme à Koungou.
Ni une, ni deux. Sur les routes de Mayotte, des barrages ont de nouveau été érigés ce lundi par des collectifs disparates, mais désormais soudés par un dénominateur commun : le déploiement de forces de l’ordre le week-end dernier est perçu comme un camouflet à un mouvement « pacifique », selon Safina Soula, présidente du collectif des citoyens de Mayotte. Si ce dernier ne s’est pas rallié directement à ce qu’il qualifie comme « un mouvement populaire », il soutient et appuie les actions des barragistes. « J’aurais aimé que les ministres reconnaissent qu’il y a un territoire français où des mouvements de barrage ont commencé », soupire la militante. « Communiquer pour dire que ces barrages vont être dégagés, c’est quand même fort. Il fallait déclencher des négociations et rencontrer les forces vives, ça n’a pas été fait. Il n’y a pas eu de contact et d’échange. C’est un mépris. Les Mahorais ont été méprisés. »
De son côté, en marge du comité de suivi de la ressource en eau, le préfet de Mayotte a de nouveau justifié sa décision de lever les barrages. « Après avoir été bienveillant et tolérant avec les barrages mis en place par les collectifs au sujet du camp de Cavani, aussi bienveillant qu’on l’est en métropole avec les barrages d’agriculteurs, que j’ai décidé en fin de semaine qu’il fallait qu’on redonne du dynamisme à la vie économique et à la vie sociale. On ne pouvait pas rester bloqués et retomber dans une deuxième crise après celle de l’eau », assure Thierry Suquet, qui se dit « très soutenu par les majorités silencieuses, les acteurs économiques et l’ensemble de la population ». Il rappelle que le démantèlement est en cours, que des migrants sont soit renvoyés dans leurs pays soit vont en métropole quand ils ont obtenu le statut de réfugiés (quarante ont décollé ce lundi soir de l’aéroport international Marcel-Henry). Il en appelle « au bon sens des Mahorais pour que la vie économique reprenne ».
Scènes de chaos
En outre, la délinquance commence à faire de l’ombre aux velléités premières des collectifs mobilisés. Sur le terrain, l’ambiance était à la confrontation, particulièrement dans la commune de Koungou, ce lundi 29 janvier. La gendarmerie, en difficulté face à la stratégie employée par des délinquants qui « surfent » sur l’initiative des collectifs, a dû maintenir un dispositif conséquent pour assurer la circulation – par intermittences – sur la route nationale 1. Les automobilistes n’ont pas tous eu la chance de circuler, voire de s’extirper de ce qui s’apparentait parfois à des guet-apens.
Pour triste exemple, un homme, métropolitain, a été roué de coups au niveau de la pointe Koungou alors qu’il s’approchait d’une barricade tenue par des délinquants. Sa prise en charge a été considérablement retardée car les pompiers appelés en urgence ont été bloqués à l’entrée de Majicavo. C’est finalement la police nationale qui a pu emmener le blessé aux urgences du centre hospitalier de Mayotte (CHM). L’homme souffrirait d’une « plaie à la tête de 12 cm de large et 1,5 cm de profondeur jusqu’à l’os », d’après un témoignage de sa voisine.
« On va forcément avoir un traitement particulier de ces jeunes sur Majicavo », nous déclarait dans la soirée de lundi le général Lucien Barth, commandant de la gendarmerie de Mayotte. Car d’autres dérapages dignes de films d’action mal scénarisés ont eu lieu dans le secteur. Estelle Youssouffa, députée de Mayotte, décrivait ainsi un étonnant convoi aperçu lundi dans les rues de Koungou. Un camion appartenant à une entreprise de la place a été détourné de son usage par une quarantaine de jeunes qui se sont entassés sur la remorque, quand d’autres paradaient tout simplement sur le toit de la cabine, ou accrochés à bout de bras sur ses essieux… « Je demande le départ du pompier-pyromane qui se gargarise de « liberté de circuler » et envoie les blindés sur la population pacifique demandant la sécurité mais n’a pas ce « courage » face aux criminels et délinquants », peste la parlementaire sur X (Twitter).
« On est harcelé par des jeunes »
Bandraboua, Tsararano, Miréréni, Chirongui et Sada n’ont également pas été épargnées par des barrages, où le jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre était en vigueur. « On intervient pour faire cesser les troubles à l’ordre public, mais on est harcelé par des jeunes », constatait à la mi-journée un officier de la gendarmerie. « C’est un mouvement qui est devenu populaire, la population s’organise pour tenir tête à l’État », maintient, de son côté, Safina Soula.
Et d’ajouter, non sans ironie : « Pourquoi est-ce que les gendarmes mobiles n’interviennent pas pour sécuriser lorsqu’on veut se rendre dans nos champs et dans nos plages, mais sont mobilisés en moins de 24h sur les barrages ? ».
« La peur doit changer de camp »
« Les solutions attendues par la population ne concernent pas uniquement l’évacuation du camp illégal de Cavani ! », dénonce un groupe de citoyens des quatre communes du sud réunis dans le Comité citoyens sud prévention et sensibilisation. Dans un communiqué envoyé ce lundi, il critique « les raccourcis » sur les problématiques de Mayotte et « l’inaction » de Thierry Suquet, préfet de Mayotte. Selon ce collectif, la persistance des arrivées « massives » de migrants sur l’île, la multiplication des attaques contre les élus, véhicules du centre hospitalier de Mayotte, bus scolaires, le constat « mitigé » de l’opération Wuambushu et « manque de solutions durables » démontrent son « incapacité » à lutter contre l’immigration clandestine.
Avec l’intimation de lever les barrages, « sans une réelle prise en compte des besoins des Mahorais », le préfet aurait « mis de l’huile sur le feu », au détriment du « dialogue attendu par chacune des parties ». Le Comité réclame notamment un renforcement des effectifs en mer et sur terre pour lutter
« La mobilité des soignants est gravement entravée »
« Il est crucial de permettre au personnel hospitalier d’atteindre son lieu de travail et d’assurer ses missions », exhorte Jean-Mathieu Dufour, directeur général du centre hospitalier de Mayotte (CHM) dans un communiqué ce lundi. Les barrages érigés «entravent» l’intervention du Samu-Smur et des pompiers et donc, l’accès aux patients « nécessitants des soins urgents », appuie-t-il, avec un chiffre : le CHM fonctionne actuellement avec moins de 50 % de son personnel hospitalier. Car s’il y a les véhicules empêchés, il y a aussi les soignants qui ne peuvent se rendre dans leur lieu de travail. Le directeur informe d’ailleurs qu’une partie du personnel n’hésite pas à rester plusieurs jours sur site, sans rejoindre leur domicile.