Ce mercredi, lors du colloque « Mayotte entre passé, présent et avenir » à l’université de Mayotte, le chercheur Matthieu Le Duff a présenté une conférence sur la mémoire du risque cyclonique à Mayotte en prenant l’exemple du cyclone Kamisy en 1984.
Au lendemain de Chido, très peu d’articles journalistiques concernant la catastrophe ont fait référence au cyclone dévastateur Kamisy de 1984. C’est ce qu’a observé le maître de conférence en géographie, Matthieu Le Duff. Ce mercredi, il a présenté ses recherches sur « la mémoire du risque cyclonique à Mayotte, de la mémoire des habitants à la mémoire du paysage, le cas du cyclone Kamisy » lors du colloque « Mayotte entre passé, présent et avenir » à l’université de Mayotte, à Dembéni. Il note une « une forme d’invisibilisation » des cyclones Kamisy et Feliksa, ce dernier a eu lieu en 1985. « On est venu chercher plus ancien, celui de 1934 alors que nous disposons de très peu d’archives. Comme si on mettait à distance les événements plus récents pour montrer l’exceptionnalité de ce qu’on venait de vivre », commente-t-il.
Le peu de références aux derniers cyclones dévastateurs à Mayotte s’explique selon lui par l’absence de mémoire collective. Il fait la distinction entre plusieurs types de mémoires. Celle historique mise en valeur dans les musées, les ouvrages scientifiques et scolaires et la mémoire partagée qui se « joue à l’échelon de l’individu ou de la cellule familiale, plus réduite qui correspond à une expérience vécue, qui est transmise au sein de la famille ou d’un groupe. ». La conjonction des deux forment la mémoire collective.
« Nous n’avons pas de documentations sur Kamisy »
Matthieu le Duff remarque que « si on met en application ce cadre-là aux événements Kamisy et Feliksa, on se rend compte que l’historiographie ne s’est pas investie sur ces catastrophes, nous n’avons pas de documentations, pas d’ouvrages produits sur cette question », hormis un atlas publié en 2014 et quelques mémoires d’étudiants. La conséquence ? « La mémoire collective n’apparaît pas, elle reste cloisonnée à l’échelle de l’individu, de la famille ». Le problème avec la mémoire partagée, c’est qu’elle a « des biais de représentations », selon l’universitaire. A Mayotte, notamment, «un système explicatif autour de la raison divine. C’est Dieu qui a généré ce phénomène, cela ne relève pas à nous d’agir, les humains, face à cet événement ». L’absence de transmission autour de ces cyclones peut aussi trouver un facteur explicatif dans la jeunesse de la population puisque « la moitié de la population a moins de 20 ans » et par l’importance des non natifs de Mayotte qui n’ont pas connu les événements de 1984 et 1985.
Le géographe développe aussi une théorie autour de la mémoire paysagère. Il s’agit de l’ensemble des traces visibles ou implicites qu’un événement passé laisse dans le paysage. Celle-ci est « dynamique mais pas statique ». C’est le cas avec le paysage de la reconstruction. Il cite le témoignage d’un habitant de Bandrélé qui raconte que lorsque sa maison est tombée par terre, son père est parti chercher des feuilles de cocotiers pour fabriquer une maison provisoire. «Ce caractère provisoire a marqué à un moment donné les mémoires des habitants et le paysage qui aujourd’hui disparu.»
La mémoire comme outil de prévention
Selon lui, la mémoire peut être un outil de prévention qui a une valeur opératoire. Le chercheur prend l’exemple d’un article de Mayotte Hebdo publié le 13 décembre : “Cyclone Chido : à Sada “les habitants veulent être prêts au cas où” où il est précisé qu’un homme se démarque par son chariot rempli de paquets de pâtes. “En 1984, on ne s’attendait pas aux conséquences du cyclone Kamisy. Cette fois, je préfère prendre mes précautions”, dit-il. Pour le chercheur, cela illustre la valeur opératoire dans le comportement de prévention qui peut être mobilisé à travers l’expérience et la connaissance d’un événement antérieur. “L’idée est de valoriser cette mémoire-là et les pratiques qui peuvent s’ancrer à partir des témoignages”.
Journaliste à Mayotte Hebdo et à Flash Infos Mayotte depuis juin 2024. Société, éducation et politique sont mes sujets de prédilection. Le reste du temps, j’explore la magnifique nature de Mayotte.