Le dernier rapport sénatorial sur la parentalité en outre-mer a été communiqué, ce mardi 11 juillet. Si tous les départements ultramarins sont soumis à des bouleversements, notamment en raison de structures familiales qui évoluent, le cas de Mayotte semble à part. Le territoire combine à la fois une population très jeune (la moitié a moins de 18 ans) et une précarité économique dans de nombreuses familles.
En écoutant la centaine d’intervenants, les parlementaires sont arrivés à la conclusion que « les modèles familiaux traditionnels – fondés sur la « matrifocalité » et une forte solidarité intergénérationnelle – et les normes éducationnelles sont en pleine mutation dans les outre-mer sous l’effet de la diffusion du mode de vie occidental contemporain, de la transition démographique et des migrations internes comme externes ». C’est en tout cas de cette façon qu’ils ont présenté, ce mardi 11 juillet, leur dernier rapport (voir encadré) sur la parentalité en outre-mer. Alors que les chiffres manquent parfois pour Mayotte, plusieurs chapitres lui sont consacrés, tant le département connaît des problématiques différentes. En effet, si la Guadeloupe ou la Martinique connaissent un vieillissement de sa population (ça reste stable à La Réunion), la Guyane et l’île aux parfums sont les départements avec la croissance démographique la plus importante due à la fécondité (six enfants par femme née à l’étranger en 2017 et 3,5 pour celles nées à Mayotte) et la pression migratoire. « Au total, Mayotte est le plus jeune des départements français : la moitié de la population a moins de 18 ans, les deux tiers moins de 26 ans », rappelle d’ailleurs le rapport.
La précarité est vue aussi comme un vecteur de difficultés pour les parents. « Selon le panorama de l’Insee sur la situation des femmes à Mayotte, publié en 20221, à Mayotte, un quart des femmes de 20 à 54 ans sont des mères isolées, dont 90 % vivent dans une grande pauvreté », reprend le texte, qui rappelle aussi que dans 10% des naissances à Mayotte, les femmes n’ont pas encore 20 ans.
Quinze millions d’euros de prestations légales
Et le manque de dispositifs n’est pas oublier, notamment à Mayotte où l’égalité des droits aux prestations familiales est encore loin d’être atteinte. Un tableau montre ainsi qu’il y a 87.834 personnes couvertes en juin 2022 bénéficiant d’au moins une prestation légale, sur une population estimée à 310.000 habitants au premier janvier 2023. Le montant total des prestations n’atteint pas les quinze millions d’euros. A La Réunion, où la population est de 863.100 habitants (665.519 personnes couvertes), il est de 228 millions d’euros.
Prime à la naissance et à l’adoption, prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), complément de libre choix du mode de garde (CMG) pour l’emploi direct (projet d’ouverture fin 2023/début 2024), allocation de soutien familial ou aide personnalisée au logement (hors APL logement foyer) n’ont jamais été étendus au territoire mahorais.
De plus, « le taux de non-recours aux prestations est élevé, en particulier en Guyane et à Mayotte, où conserver des documents papier ne correspond pas toujours à la culture locale ni à des conditions climatiques favorables (en raison du taux d’humidité élevé en Guyane par exemple). Le recours à des démarches administratives dématérialisées est souvent encore plus complexe, lorsque les familles n’ont pas accès à Internet ou n’ont pas les compétences informatiques nécessaires », notent les sénateurs.
Vingt recommandations
Plus qu’un constat, les parlementaires émettent également une vingtaine de recommandations dans leur rapport. « Elles s’articulent autour de quatre axes : mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité ; aider et accompagner les familles précaires et vulnérables ; renforcer les services de proximité pour tous ; soutenir les acteurs associatifs et mieux coordonner les actions », précisent-ils. Parmi celles-ci par exemple, ils militent pour la création d’un observatoire de la parentalité pour « collecter les données et développer les études utiles pour le déploiement de politiques publiques relatives à la parentalité ». Ou encore consolider la présence des caisses d’allocations familiales (Caf), notamment au travers du réseau des Maisons France Services et dans les maternités pour faciliter l’ouverture des droits et développer des guichets uniques.
La prévention est aussi un moyen pour améliorer la parentalité. La recommandation numéro 7 incite à « dispenser dans tous les collèges et lycées des outre-mer les séances obligatoires d’éducation à la vie affective et sexuelle et développer la prévention des grossesses précoces », ou la numéro 15 qui propose de « densifier les réseaux locaux de lieux d’accueil enfants-parents et les écoles des parents, en particulier en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin où des plans urgents de rattrapage sont nécessaires ».
Si les sénateurs encouragent les associations locales à « accroître la part des financements pluriannuels et structurels encadrés par des conventions d’objectifs et de moyens » ou à répondre à des appels à projet pouvant les aider, ils n’oublient pas le rôle des politiques publiques. « Dans le champ de la parentalité et de l’enfance, s’assurer que chaque acteur assume ses compétences obligatoires avant de s’investir dans des compétences facultatives », recommandent-ils par exemple, citant le cas des PMI de Mayotte que le Département à tant de mal à financer tout seul. « À Mayotte, plusieurs rapports ont pointé les retards pris par le département. La PMI, qui est une compétence obligatoire des départements, doit être priorisée », préconisent les parlementaires.
Pas sûr que la majorité départementale, qui pousse pour que ce soit l’État qui mette la main à la poche, soit du même avis.
Comment le rapport a été rédigé ?
Il est le fruit du travail de la délégation sénatoriale aux Outre-mer et celle aux droits des femmes. Ainsi, Stéphane Artano (sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon), Victoire Jasmin (sénatrice de la Guadeloupe), Annick Billon (sénatrice de la Vendée) et Elsa Shalck (sénatrice du Bas-Rhin) en sont les rapporteurs. Pendant six mois, ils ont entendu en audition des personnalités des différents territoires, parfois en les rencontrant sur place. Pour Mayotte, ils ont notamment écouté les représentants du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), ainsi que de l’Institut nationale d’études démographiques (INED), le 2 février 2023. Le 16 mars, ce sont ceux de l’Udaf, les Ceméa ou de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte qui étaient interrogés en visioconférence.