«Situation critique» au centre hospitalier

Manque de médicaments et d’oxygène, arrêt des évacuations sanitaires, difficultés d’intervention du Samu avec les barrages : le centre hospitalier de Mayotte tire la sonnette d’alarme, alors que la grève générale a progressivement paralysé l’île, depuis le 20 février.

«La situation est critique d’un certain point de vue», affirme Philippe Durasnel, le vice-président de la commission médicale d’établissement au centre hospitalier de Mayotte (CHM). La grève générale, et les nombreux barrages qui l’accompagnent, ont une incidence notable sur le fonctionnement du CHM. «L’hôpital est déjà en rupture de stock sur certains médicaments essentiels, notamment certains antibiotiques», détaille le médecin. Un temps, «on n’avait plus de tenues, des problèmes de draps, plus de couches-culottes pour les enfants hospitalisés en pédiatrie». Il y a «des problèmes d’approvisionnement en oxygène» sur certains centres de référence de l’hôpital, hors Mamoudzou.

EVACUATIONS SANITAIRES STOPPÉES

«C’est une situation qui est déjà arrivée à plusieurs reprises», rappelle la directrice de l’établissement, Catherine Barbezieux. L’équivalent de trois mois de stocks existe bien sur l’île, mais l’essentiel se trouve au port de Longoni, inaccessible en raison des points de blocage routier. «Tous les matins, il y a une cellule de crise», informe la directrice du CHM. «On est en très grande tension mais pour l’instant, on a toujours réussi à ne pas tomber en rupture», soulignet- elle, ce mercredi. L’insularité fait qu’on «n’a pas la possibilité de demander de l’aide à qui que ce soit, en dehors de la voie aérienne […] On est vraiment très fragile». D’autant que les barges fonctionnent au ralenti. Dans ce contexte, les évacuations sanitaires ont été stoppées, dès la troisième semaine du mouvement social. En cas d’extrême urgence, le dispositif serait réactivé pour un patient.

Côté barrages, les organisateurs de la grève générale ont donné l’ordre de laisser passer les secouristes. «Quand les points de contrôle sont non contrôlés sur des points de blocage qui sont sauvages, les véhicules [de secours] ne passent pas. Le Samu a été à plusieurs reprises bloqué. Il y a des barrages où les gens vérifient l’identité des gens transportés dans l’ambulance. Si quelqu’un n’est pas de nationalité française, il est refoulé. Les équipages ont été pris à partie sur certains barrages. On craint pour l’intégrité physique de certains de nos personnels», déplore Philippe Durasnel.

SECOURS RALENTIS SUR DES URGENCES

«Il y a eu depuis le début [de la grève générale] deux décès d’enfants, de près ou de loin en rapport avec la situation», ajoute-t-il. Le premier, «pour des problèmes respiratoires, qui est mort à domicile. Les parents n’avaient jamais fait appel au Samu. [Ils] nous ont expliqué avoir essayé d’aller au dispensaire et ne pas avoir pu […] à cause des barrages. Il y a un autre enfant qui est décédé à domicile, qu’on n’aurait pas pu aller chercher parce que le chemin était bloqué. Il était décédé au moment de l’appel des parents. » Un responsable des pompiers confirme de son côté le décès d’un nourrisson de deux mois, en début de semaine à Koungou. Les soldats du feu ont été ralentis dans leur intervention par un barrage, sans que l’on puisse faire de lien entre la mort de l’enfant et cet élément.

La directrice, Catherine Barbezieux, rappelle en parallèle qu’en cas d’urgence vitale, « le Samu n’est pas paralysé. Il y a aussi la possibilité de faire appel à l’hélicoptère de la gendarmerie. C’est arrivé à plusieurs reprises », mais ce dernier ne peut pas voler de nuit. Par ailleurs, « environ 200 agents par jour » ne peuvent pas rejoindre leur poste au centre hospitalier, du fait des barricades dressées sur les axes. D’autres personnels « se lèvent à 3h du matin ou marchent pendant une, deux ou trois heures pour rejoindre leur poste », salue la directrice. « On a mis en place des navettes maritimes. On va chercher certains personnels avec des bateaux. On ne peut le faire qu’au nord ». Les agents peuvent aussi se rendre dans un centre de référence du CHM plus proche de chez eux. Des logements ont été réquisitionnés pour certains. Par ailleurs, il a été constaté une affluence conséquente au centre hospitalier de Mayotte à l’issue des précédents mouvements sociaux. « Les problèmes nous arrivent après. On s’attend à être débordés », anticipe Philippe Durasnel. « On est en train de faire appel à la réserve sanitaire pour venir épauler les équipes », annonce Catherine Barbezieux.

Côté pompiers, « il y a eu quelques difficultés à deux ou trois reprises » à hauteur des barrages, indique un responsable. « On a de grosses difficultés pour mettre le personnel de garde dans les casernes […] Les gens ne nous laissent pas forcément passer en civil […] Les agents sont contraints de faire [des gardes] de 24, 36 ou 48 heures » pour assurer le fonctionnement du centre de traitement des appels et des cinq casernes. Ces dernières nécessitent la présence de 5 à 16 pompiers en permanence.

«ON EST DES TRAÎTRESSES, ON DONNE NAISSANCE À DE FUTURS DÉLINQUANTS»

« Depuis le début de la grève, on a beaucoup d’accouchements à domicile (…) On a même eu une femme qui a accouché dans un centre de consultation périphérique, ce qui n’est évidemment pas adéquat », témoigne Mélanie*, sage-femme au centre hospitalier de Mayotte. « Une femme avec de gros antécédents, qui aurait dû accoucher sous supervision médicale, a dû donner naissance dans l’ambulance en raison des rotations difficiles qui prennent beaucoup plus de temps, avec seulement une sage-femme pour l’accompagner. L’enfant est né en état de mort apparente et, heureusement, a pu être réanimé », poursuit-elle encore. Pour le personnel aussi, la situation est extrêmement épuisante et déstabilise complètement l’organisation du CHM : le week-end dernier, les chambres ont été triplées en raison de l’impossibilité du transfert des patientes vers des maternités périphériques ; tous les jours, des sages-femmes sont obligées de passer les barrages à pied, d’autres partent plus tôt pour être sûres d’avoir une barge, certaines changent de poste selon les besoins – « Aujourd’hui, je suis auxiliaire de puériculture et aide-soignante », explique encore Mélanie. « On a des difficultés à passer les barrages car on est des traîtresses, on donne naissance à de futurs délinquants », déplore-telle. « Ca va être le chaos quand on va reprendre, il n’y a pas eu de suivi de nombreuses patientes, pas d’échographie non plus… ».

*le prénom a été changé

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