Chaque année, 30 nouvelles personnes sont dépistées séropositives dans le département. Problème : plus de la moitié de ces individus sont des femmes, qui apprennent la nouvelle lors de leurs examens de grossesse. Le réflexe du dépistage n’est donc toujours pas acquis sur le territoire, et le sujet est généralement uniquement évoqué lors de campagnes nationales ou régionales spécifiques. Pourtant l’urgence est là, et son combat se mène au quotidien.
Le sujet est grave, et pourtant majoritairement abordé dans l’espace public uniquement lors d’événements particuliers.Tout au long de l’année pourtant, le sida continue sa route dans le département. Dans le petit local de Narike M’sada à Cavani, l’association travaille au quotidien pour faire reculer le virus dans l’île. Avec comme fer de lance : « La nécessité du dépistage », martèle Moncef Mouhoudhoire, directeur et membre fondateur de l’association.
Depuis l’année dernière, cette structure permet aux hommes et aux femmes de se faire dépister en toute discrétion. « L’année dernière, nous avons réalisé 178 dépistages alors même que l’île était sujette à de graves mouvements sociaux », indique Moncef. Plus qu’une prise de sang, il s’agit également d’accompagner les malades en leur offrant un soutien. Également dans leurs activités ? « Des campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, associatifs, daministratifs et pénitenciers. Nous réalisons également des maraudes nocturnes afin notamment de sensibiliser les travailleurs du sexe ». Pour autant, sa priorité reste inchangée: « le dépistage reste le meilleur moyen de freiner l’avancée du virus. Une fois la personne consciente de la maladie, elle peut prétendre à la charge virale indétectable qui la rend intransmissible auprès de ses partenaires sexuels, même sans préservatif », insiste-t-il. À Mayotte pourtant, le « réflexe du dépistage » semble loin d’être acquis, selon le professionnel.
Un changement timide
« L’urgence pour la population mahoraise, c’est d’assurer le quotidien. Pour ce qui est du futur, beaucoup sont tentés de dire: « Inchallah, Dieu y pourvoira ». Il y a donc un manque d’anticipation », introduit le président de Narike M’sada. Il poursuit : « Les gens vont voir le médecin quand ils sont malades, mais comment leur expliquer la nécessité d’y aller en amont, par anticipation ? » Pour autant, pas question de blâmer la population. « Il faut dire aussi qu’on ne fait pas assez la promotion du dépistage. Celui-ci reste généralement hospitalocentré sur Mamoudzou et ses environs. Or, on connaît le manque de transports en commun sur le territoire », explique-t-il. Malgré ces difficultés, force est de constater que les mentalités évoluent. « Lorsque nousavons lancé notre campagne de communication sur le dépistage avec des couples en février dernier. Douze couples ont répondu à l’appel. Il y avait même des personnes âgées dont une djahoula. C’était impensable, il y a encore peu de temps, que des gens acceptent d’associer leur image avec la problématique du sida ». Si cette dernière semble relativement connue pour les jeunes publics, notamment autour de la promotion du port du préservatif, celui-ci semble nettement moins automatique « en ce qui concerne leurs parents ». Pour autant, « chez les jeunes, nous constatons toujours les mêmes questions et les mêmes remarques que lors de nos premières interventions dans les collèges. Il y a encore beaucoup de méconnaissance. Pourtant cette jeunesse a accès au savoir via internet. Mais elle a aussi accès à du cyber sexe… »
Le combat continue
En 1989, Mayotte enregistrait son premier dépistage positif sur le territoire. Depuis, « le nombre de séropositifs n’a jamais dépassé 300.
Cela s’expliquant par les mouvements des populations, entre les métropolitains qui finissent leur contrat, les reconduits à la frontière, ou les Mahorais qui préfèrent s’exiler en métropole ou à La Réunion par crainte du jugement social ». Chaque année pourtant, 30 nouveaux cas sont décelés. À 62%, il s’agit de femmes ayant appris la nouvelle lors de leurs examens de grossesse. Pour modifier cette tendance, Narike M’sada ambitionne de nouveaux projets. « On est en train de récupérer un véhicule pour aller faire du dépistage au plus près de la population. Il faut se décentrer de Mamoudzou », insiste-t-il. Son objectif ? S’inscrire avec succès dans l’objectif universel de l’ONU sida à l’horizon 2025, à savoir « 90% de la population mondiale dépistée, 90% de séropositif ayant accès à une prise en charge médicale, et 90% de personnes ayant accès à la charge virale indétectable ». Également dans ses espoirs : « Mettre en place durablement le traitement PreP à Mayotte, qui permet aux personnes non atteintes, mais qui ont une conduite à risque, de ne pas contracter la maladie ».
Conscient que la problématique sida relève d’un contexte particulier dans l’île, Moncef Mouhoudhoire n’oublie pas la situation sociale et économique du département le plus pauvre de France. « Il faut faciliter l’accès au préservatif. Or Mayotte ne compte que vingt pharmacies dont près de la moitié sont concentrées sur Mamoudzou. 84% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Nous avons le taux de chômage le plus élevé de France. Difficile dans ces conditions d’imaginer un jeune prendre le taxi pour se rendre à la pharmacie, puis mettre encore la main au portefeuille pour acheter des préservatifs ». On l’aura compris : réduire la progression du sida est donc un combat global, qui doit se mener au quotidien pour espérer un avenir meilleur dans l’île aux parfums.
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