La situation est arrivée à un point de non retour au centre hospitalier de Mayotte. Le service de psychiatrie ne tient plus qu’à un fil. Depuis plusieurs mois, les infirmiers en psychiatrie, les psychologues et les médecins psychiatres démissionnent un à un du CHM. Ils se sentent lésés et incompris par la direction de l’hôpital. Actuellement, il ne reste plus aucun psychiatre titulaire, une situation qui inquiète les infirmiers libéraux. Ces derniers qui suivent les patients à domicile, redoutent le pire.
« Le service de psychiatrie était l’un des plus dynamiques du CHM », regrette ce professionnel de santé qui a démissionné du centre hospitalier de Mayotte et qui a souhaité garder l’anonymat. Il se souvient avec amertume l’époque où le service psychiatrie tenait encore debout grâce à des médecins, des infirmiers et des psychologues. Depuis la fin du mois de mai, la réalité est différente au sein de l’établissement. Toute l’équipe qui assurait le service a démissionné, ne supportant plus le manque de considération de leur hiérarchie. La situation s’est dégradée petit à petit, pour arriver à un point de non retour et le mal ne date pas d’hier. « On a écrit et monté des projets pour faire de la santé communautaire, pour faire de la consultation pour les adolescents, ou encore un nouveau centre médico-psychologique (CMP) en Petite-Terre. L’ARS avait validé tous ces projets et en 2019, bizarrement au moment des recrutements le CHM n’a recruté personne », raconte le professionnel de santé. Les équipes qui avaient travaillé sur ces dossiers sont déçues, découragées et les infirmiers et psychologues commencent à partir petit à petit.
La crise sanitaire en 2020 a remué le couteau dans la plaie. Les médecins se voient obligés d’annuler toutes les consultations faites dans les différents CMP de l’île. « Les familles se sont retrouvées sans rien, ou bien obligées de venir à Mamoudzou donc on en a perdu beaucoup. Les infirmiers et psychologues ont été davantage déçus de ce qu’il se passait au CHM et ont continué à partir. Et aucun recrutement n’a été fait pour remplacer ces postes vacants », continue le démissionnaire. À ce moment-là, il reste encore les médecins psychiatres qui veulent y croire, mais lorsque les activités reprennent à l’hôpital, une grande partie du service psychiatrie reste fermée.
Les professionnels de santé ne comprennent pas cette décision et alertent leur direction. « C’est remonté jusqu’à l’agence régionale de santé, mais rien n’a été fait pour soutenir les équipes », assure notre interlocuteur. Petit à petit, l’hôpital se voit obligé de fermer certains services. « On a été très choqués que le CHM puisse valider la fermeture de quasi-ment un service entier, sans rien proposer, et sans communiquer. Suite à cela, les quatre derniers médecins qui restaient avec l’espoir que ça bouge, sont tous partis à la fin du mois de mai », déplore le professionnel. Les trois CMP éparpillés sur les quatre coins de l’île, et le service d’urgences psychiatriques ne sont plus en activité. Actuellement, seuls les quelques lits d’hospitalisation sont encore ouverts.
Une réserve sanitaire pour freiner l’hémorragie
Dans le numéro du Flash Infos du 3 juin, le directeur par intérim du centre hospitalier de Mayotte admettait à demi-mot la situation critique au sein de la structure de l’établissement. « En psychiatrie, il ne reste plus qu’une seule psychiatre pour assurer le service. On est, par conséquent, obligés de réduire la voilure sur cette offre de soins, à sa-voir la santé mentale, le temps de trouver de nouveaux professionnels », relatait alors Christophe Blanchard.
La direction a alors trouvé une alternative à court terme… « J’étais en ligne avec le directeur de l’établissement public de santé mentale de La Réunion pour savoir s’il pouvait nous envoyer en rotation des missionnaires sur des durées assez courtes. Idem avec les associations et les groupements en métropole », annonçait le responsable. Le CHM porte ses espoirs sur la réserve sanitaire qui vient pallier le manque de spécialistes psy. Leur présence permet de maintenir les lits d’hospitalisation, mais cette alternative est décriée par ceux qui ont travaillé au service psychiatrie pendant des années. « Quand la réserve sanitaire partira dans quelques semaines, je ne suis pas sûre que les lits d’hospitalisation puissent tenir », redoute le professionnel de santé.
Des conséquences désastreuses sur les patients
Le départ de tous les psychiatres du service hospitalier de Mayotte a des conséquences alarmantes sur les patients. La situation inquiète particulièrement les infirmiers libéraux qui s’occupent d’eux. « Le CHM n’a pas été capable d’anticiper les départs et on se dirige doucement vers une crise. Les gens schizophrènes vont se retrouver sans traitement, sans suivi, alors que ce sont des personnes difficiles à traiter parce qu’elles sont constamment dans le refus », redoute Jean Meunier, infirmier libéral. Les personnes atteintes de maladies psy doivent suivre des traitements parfois lourds, et les ordonnances ne peuvent être délivrées que par un psychiatre.
Pour le moment, les médecins qui ont démissionné ont pris la précaution d’en prescrire pour les six prochains mois, mais cette solution n’est pas vue d’un bon œil par les infirmiers libéraux. « L’état de santé d’un patient psychiatrique peut varier du jour au lendemain. Les ordonnances ne sont jamais définitives. Les infirmiers doivent signaler la nécessité de réajuster le traitement au médecin psychiatre et c’est ce dernier qui modifie l’ordonnance. Aujourd’hui, ça ne peut plus se faire », explique Ismael El Habib, représentant des infirmiers libéraux de Mayotte à l’Union régionale des professionnels de santé (URPS).
Par conséquent, qu’importe l’état d’amélioration ou d’aggravation du patient, il continuera à avoir le même dosage. « J’ai déjà des retours de collègues qui disent que la situation commence à s’aggraver, il y a des patients qui décompensent et ils n’ont aucun recours pour les retenir chimiquement (traitement médicamenteux). Ces patients vont empirer, certains deviennent agressifs. Ça peut péter à tout moment », prévient Ismael El Habib. Les infirmiers ont des limites, ces malades et leurs familles se retrouvent donc livrés à eux-mêmes. Sans traitement adapté ou en l’absence totale de médicaments, ils deviennent dangereux et les effets secondaires peuvent être désastreux. « Ma principale crainte c’est que ces gens retournent à nouveau à leurs béquilles artificielles qui sont les drogues et l’alcool et cela va entraîner des aggravations sévères de leur état avec des passages à l’acte violents », appréhende Jean Meunier. L’heure est grave, la psychiatrie à Mayotte est en décompensation et a besoin de psys.