Les sages-femmes hospitalières, territoriales et libérales de Mayotte ont répondu à l’appel de l’organisation nationale syndicale des sages-femmes ce mardi 26 janvier. Présentes devant le centre hospitalier aux aurores, elles ont d’abord sensibilisé les patientes et les autres professionnels de santé avant de prendre la direction de l’ARS où elles ont été reçues en fin de matinée.
« Où t’es, sage-femme où t’es ? » Si l’air remixé de Stromae donne lieu à quelques pas de danse aux abords du centre hospitalier de Mayotte, les paroles de la chanson démontrent bien le malaise profond au sein de la profession. En effet, l’ambiance chaleureuse de la grève de ce mardi 26 janvier, à l’instar de cette haie d’honneur pour un scootériste, ne cache en aucun cas l’exaspération criante. Il faut dire que l’organisation nationale syndicale des sages-femmes n’y va pas avec le dos de la cuillère : invisibilité, statut hybride, défaut de personnel, indécence des salaires…
Retour devant l’entrée du CHM avec près d’une centaine de sages-femmes, vêtues de leur blouse blanche. « Code rouge » peut-on entendre sur le bout des lèvres mais aussi lire sur les pancartes au moment où un taxi klaxonne en signe de soutien. Une expression médicale qui se dit lors d’une césarienne en extrême urgence pour sauver la mère et/ou l’enfant et qui reflète leur environnement.
Dans le 101ème département, où se trouve la plus grande maternité de France et ses quelque 10.000 naissances par an, bénéficier de telles compétences (gynécologie, obstétrique, pédiatrie, échographie, orthogénie, contraception, suivi médical, examens de la mère et de l’enfant, deuil périnatal, etc.) se justifie au quotidien. Mais encore faut-il avoir les moyens de faire son boulot dans de bonnes conditions… D’où la rencontre très tôt avec la directrice de l’hôpital, Catherine Barbezieux, et le directeur des affaires médicales, Guy Allouard, pour évoquer l’application des revendications nationales à l’échelle locale.
Sur la table des discussions revient avec insistance la ligne de recrutement. « Au sein même du CHM, nous manquons de 40 sages-femmes », dénonce Anaïs Mydlarz, l’une des manifestantes du jour. Un sous-effectif non négligeable qui a des répercussions sur la prise en charge de manière générale mais aussi et surtout sur les transferts vers la ville chef-lieu depuis les centres de soins et d’accouchement. D’autant plus que certaines de ces infrastructures ne jouissent pas d’ambulances la nuit pour effectuer ces trajets. Réponse de la direction avec la mise en place d’un groupe de travail pour évoquer ces différentes problématiques. « Cela reste très vague, nous sommes toujours dans le flou », confie la professionnelle de santé, qui ne semble pas totalement convaincue.
Oubliées dans les chiffres Covid
Quelques minutes plus tard, direction l’agence régionale de santé pour échanger avec Patrick Boutie, le responsable par intérim de l’offre de soins et de l’autonomie. « Nous avons parlé de nos différents corps de métier – hospitalier, libéral et territorial – qui sont mobilisés aujourd’hui », précise Mathilde Lozano, la représentante régionale de l’ONSSF. Toutes regrettent de ne pas être reconnues à leur juste valeur. Elles rappellent l’oubli du ministère au moment des dotations des équipements de protections individuelles, en début de crise lors de la première vague. À titre d’exemple, les sages-femmes libérales de l’île aux parfums consultaient au cabinet ou au domicile des patientes enceintes malades avec les moyens du bord. Il aura fallu attendre l’envoi d’une lettre ouverte du conseil national de l’ordre des sages-femmes au ministre de la Santé, Olivier Véran, pour que la situation s’inverse. « Nous sommes autant touchées par la crise que les services de réanimation et de médecine. Sauf que les nombres d’hospitalisations en gynécologie et en maternité ne sont pas recensés dans les chiffres publiés [par l’autorité sanitaire]. »
Un malaise de plus au compteur. Preuve en est, si elles sont considérées comme des personnels médicaux aux yeux de la loi, la gestion quotidienne et les conclusions du Ségur de la santé les déconsidèrent en faisant l’amalgame avec les paramédicaux. Toujours dans la même thématique : elles demandent la création du statut de maître de stage pour être dédommagées lors de leur temps de formation auprès des étudiants sage-femme et médecin.
Silence radio pour les sages-femmes de la PMI
Autre point de divergence et non des moindres avec le service d’urgences gynéco-obstétricales, qui n’est à l’heure actuelle toujours pas reconnu comme « des urgences à proprement parler ». Conséquence ? Les patientes ne sont, en théorie, autorisées à être prises en charge que lors d’un accouchement. Difficile à imaginer sur un territoire comme Mayotte. « Beaucoup d’entre nous ont perdu l’envie de travailler », soupire Mathilde Lozano. Pis encore, nombre d’entre elles se réorientent, harassées par la considération reçue et le traitement réservé… Malgré tout, un espoir existe selon elle. « On nous a entendues, c’est plutôt une bonne nouvelle. L’ARS compte se pencher sur la question comme cela a pu être le cas avec les kinés par le passé. »
Présidente du conseil départemental de l’ordre des sages-femmes de Mayotte, Cloé Mandard juge important que « l’ensemble des sages-femmes de l’île se sente soutenu par leur instance ordinale dans leurs revendications de conditions d’exercice et dans leur demande de reconnaissance de la profession, si méritée ». Malheureusement, toutes n’ont pas été logées à la même enseigne ce mardi, puisque les sages-femmes de la protection maternelle et infantile (PMI) déplorent de ne pas avoir reçu de retour de la part de Issa Issa Abdou, vice-président du Département en charge de l’action sociale, de la solidarité et de la santé. Code rouge !