Au Centre Médico-Psychologique du CHM, le personnel hospitalier occupe la lourde responsabilité du traitement des maladies psychiatriques. Entre les croyances locales qui mêlent religion et animisme, et la médecine occidentale, l’équilibre est délicat. Un exercice sanitaire particulier, qui porte néanmoins ses fruits auprès d’une population en constante augmentation dans les visites
Un petit bâtiment caché au milieu des grandes infrastructures. Au Centre Médico-Psychologique (CMP) du CHM, une quinzaine de professionnels accueillent et accompagnent les individus atteints de troubles psychiatriques profonds. Avec une vingtaine d’années d’existence sur le territoire, cette structure est encore jeune comparé aux autres services du CHM. Son bâtiment, en revanche, l’est nettement moins. “Nous sommes dans l’ancien laboratoire de l’hôpital”, présente l’infirmière Anne-Cécile Puget, 39 ans, en fine connaisseuse des lieux. Depuis presque dix ans qu’elle exerce dans le service, la professionnelle assure que les profils des troubles des patients “se sont diversifiés avec le temps”. Pour autant, certaines tendances restent inchangées.
Un djinn ou une maladie ?
“D’une manière générale, nous traitons de tout type de souffrances et de handicaps psychiques. À Mayotte, certaines particularités sont néanmoins constatables. Il nous arrive régulièrement de travailler auprès de personnes atteintes de troubles anxiodépressifs profonds, liés à leur clandestinité, leur absence de moyens financiers, d’entourage, et de perspective d’avenir”, détaille l’infirmière. Autres particularités : “Nous constatons aussi beaucoup de syndromes de stress post-traumatique chez les ressortissants de l’Afrique des Grands Lacs en raison des persécutions qu’ils ont pu subir. D’autres viennent également nous voir suite à un choc provoqué par une agression : vol, viols, cambriolages, etc.” Autant dire que le travail ne manque pas pour ces professionnels particulièrement investis dans leurs missions. Lesquelles relèvent d’un enjeu particulier, sur un territoire où les croyances animistes et religieuses s’articulent tant bien que mal avec la médecine occidentale. “À Mayotte, il est impensable de faire l’impasse sur le contexte socioculturel des patients. Pour les nouveaux arrivants, ce temps d’adaptation est incontournable”, insiste Anne-Cécile Puget. Elle prévient d’emblée : “Qu’il s’agisse des patients comme des soignants, il n’y a aucun tabou à évoquer ces questions. Les traitements prodigués ne sont pas forcément incompatibles avec les techniques de soin traditionnelles recherchées par les individus en dehors du CHM”.
Si la professionnelle reconnaît que ces traitements parallèles sont “assez obscurs”, elle dégage deux grandes tendances : “D’une part, les récitations du Coran couplées de pratiques religieuses, et d’un autre côté, des rites particuliers de tendance animiste censés établir un contact avec le djinn”. Autant de spécificités locales qui nécessitent une attention particulière pour le personnel hospitalier. “Nous travaillons beaucoup auprès des familles et de l’entourage du patient, quitte à nous déplacer à domicile. Il nous est même arrivé de nous entretenir avec un fundi, même si cette tendance est aujourd’hui à la baisse”. Un jeu d’équilibre permanent entre tradition autochtone et modernité, qui s’avère indispensable pour comprendre le parcours des patients.
Entre précarité et espoirs
La tâche des soignants dédiés au CMP est aussi noble et que nécessaire. Elle n’en reste pas moins des plus éprouvantes, d’autant plus vu la précarité du travail des professionnels de santé. “On manque
cruellement de personnel. Les consultations s’enchaînent alors que les patients sont accueillis dans des salles sombres et non adaptées. On ne fait jamais au mieux, on fait au moins pire”, résume Anne-Cécile Puget. Parmi les symboles de ces moyens succincts, seuls une dizaine de lits sont disponibles dans les chambres d’isolement du CMT. Dans cette petite arrière-cour à l’ambiance chaleureuse, infirmiers et psychiatres tentent tant bien que mal d’apaiser la santé mentale des internés malgré le manque de moyens. Un baby-foot, un ballon, quelques activités entre les visites… On s’adapte comme on peut aux circonstances. “Les places sont continuellement prises. Nous devons donc être très sélectifs quant aux personnes accueillies ici”, déplore-t-elle tout en reconnaissant : “Ce n’est pas toujours approprié au profil de ces hommes et femmes, parfois en grande souffrance”.
Loin de s’apitoyer sur son sort, l’infirmière nourrit des espoirs quant à l’avenir de ce secteur de santé dans le département. “D’ici l’année prochaine, nous devrions voir la création d’un CMP en Petite-Terre. La filière adolescente est aussi en train de se structurer. Les budgets et les projets ont été acceptés”, se réjouit-elle. Autre source d’optimisme : “Le développement du Diplôme universitaire en Santé communautaire à l’université de Dembéni.” Une approche des soins unique, qui mobilise l’ensemble des acteurs sociaux (pouvoirs politiques locaux, milieux professionnels, familles, etc.) pour un traitement global du patient. Une goutte d’eau dans l’océan face aux besoins nécessaires, qui n’en reste pas moins encourageante quant au traitement des maladies psychiatriques dans le département.
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