Des prostituées de Mamoudzou, repérées par l’association Man océan Indien, reçoivent une visite médicale pour un dépistage dans le local associatif à Kawéni, à Mamoudzou. Dans le groupe de ce mardi 23 avril, les jeunes femmes malgaches confient ne pas aller consulter par peur de sortir dehors et se faire arrêter par la police aux frontières (Paf).
« Vous me dîtes quand vous ne comprenez pas, et quand quelqu’un comprend, elle traduit ? », suggère Aurore Méheux, la médecin du centre de santé sexuelle le Cegidd (centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic) venue avec une infirmière, Marion Dauchel, mardi 23 avril, au local du Mouvement pour une alternative non violente de l’océan Indien (Man océan Indien), à Kawéni. Une façon d’approcher un public qui ne va pas de lui-même consulter, à l’instar des dix prostituées malgaches réunies devant elles. Repérées lors de maraudes nocturnes dans le cadre d’un projet financé par la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, elles font partie du deuxième groupe constitué par l’association pour se faire dépister contre les maladies sexuellement transmissibles (IST).
Avant les prises de sang, les prélèvements vaginaux voire anaux au besoin et les entretiens individuels, les professionnelles de santé leur parlent du Pep, un médicament préventif à prendre tous les jours délivré à titre gratuit au Cegidd qui permet d’éviter la transmission du VIH (virus de l’immunodéficience humaine). C’est cette infection qui est responsable du sida dans son stade le plus avancé. « Un oubli, c’est sept jours avec capote », résume l’infirmière.
« Moi, c’est la capote en échange de l’argent, avant le sexe », déclare d’un ton ferme Faïda, soit 20 euros en extérieur (surtout la nuit), 50 à la maison et 100 euros pour toute une nuit jusqu’au réveil (comparé aux 2 euros maximum pour la nuit à Madagascar, indique-t-elle). Mais « les clients méchants font exprès de casser la capote » au cours du rapport, signale celle qui a commencé à se prostituer il y a deux ans, en arrivant à Mayotte.
Elle est intéressée par la prise de ce médicament contre le VIH. Mais « très puissant », il « abîme le rein » et ne fait pas barrage à l’hépatite, la syphilis et autres IST, précise la médecin devant des jeunes femmes déjà très préoccupées par leur santé en général. Croyant bien faire, certaines n’hésitent pas à se laver le vagin avec du savon. Ce que la médecin les dissuade très fortement de faire pour préserver les bonnes bactéries protectrices.
« Je ne peux pas leur dire d’attendre dehors »
« Elles ont toutes mal partout et ne vont jamais consulter, ni au CHM (centre hospitalier de Mayotte) ni au dispensaire Jacaranda (le Cegidd se situe à l’étage), ni vers les camions de dépistage (de Nariké M’Sada) », rapporte Ashimta Fournier, la gestionnaire adjointe de l’association. « Dans le premier groupe, certaines étaient déçues de leurs résultats négatifs après leur dépistage au local car elles pensaient qu’une maladie sexuelle pouvait expliquer leurs douleurs », expose celle qui s’apprête à déposer deux autres jeunes femmes au CHM pour des examens complémentaires. « Pour les emmener, je suis obligée de me garer devant chez elles avec le camion et les appeler devant. Je ne peux pas leur dire d’attendre dehors », détaille-t-elle.
La raison à ça ? La peur d’être contrôlée et arrêtée par la police aux frontières (Paf), la même qui les pousse à s’éloigner de plus en plus des endroits passants la nuit pour monnayer des rapports sexuels, même si plusieurs ont leurs clients réguliers et organisent leurs rendez-vous par téléphone. L’équipe associative les rassure en leur disant que la Paf ne peut intervenir dans ces locaux médicaux, ni sur le trottoir devant le CHM ni au sein de la structure de Man océan Indien. Ce qu’une source au service de la Paf dément totalement, assurant que celle-ci peut réaliser des contrôles aux abords, partout sur la voie publique et même à l’intérieur du CHM. « Ce n’est pas une ambassade », signifie-t-elle. Selon le code de procédure pénale, dans sa version en vigueur depuis 2019, « toute personne peut être contrôlée […] en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi à Mayotte sur l’ensemble du territoire ».
Alors dans l’espoir de réduire les risques de contrôles, certaines préfèrent payer 25 euros pour prendre un rendez-vous l’après-midi au dispensaire et s’organiser avec le taxi pour être certaines d’être tout de suite prises en charge au dispensaire plutôt qu’attendre le matin sans rendez-vous pour 10 euros.
« Il y a des filles qui n’ont pas vu le soleil depuis longtemps »
« Il y a des filles qui n’ont pas vu le soleil depuis longtemps », assure Faïda, assise à côté d’une Malgache qui ne sort que très exceptionnellement dehors en plein jour comme ce mardi. Près d’elles, Esther ne sait pas si elle est malade malgré ses douleurs au ventre et elle n’a pas réussi à convaincre une copine de venir au local de peur de se faire contrôler. Faïda, elle, avoue sans problèmes avoir fait un bébé français pour lui permettre d’obtenir les papiers. Le nourrisson lui permettrait de circuler plus librement à condition de l’avoir toujours avec elle pour justifier la présentation de ses papiers en règle auprès de la police.
Il est gardé par une nourrice la nuit lorsqu’elle travaille pour subvenir à leurs besoins, payer le loyer d’une chambre dans une maison en dur (peut varier entre 150 à 300 euros pour les femmes présentes), et envoyer de l’argent à sa famille à Madagascar à qui elle raconte être salariée dans un restaurant. Et elle s’estime chanceuse de ne pas avoir à rembourser les 750 à 800 euros de trajet en kwassa kwassa voire 1.400 euros avec intérêts a priori demandés à Madagascar lorsque l’argent n’est pas emprunté à des proches.
« L’infertilité ressort beaucoup dans les discussions et elles sont déçues qu’on n’ait pas toutes les réponses. Mais avec les troubles psychosomatiques qu’elles peuvent avoir… », relate Aurore Méheux, la seule médecin généraliste du Cegidd qui doit rester cantonnée à la santé sexuelle lors des entretiens, objet du financement pour ce projet. Mais elle arrête son contrat en mai. Or c’est obligatoirement un médecin qui peut délivrer les résultats médicaux de dépistage. Ainsi, en fonction des moyens personnels dont dispose le Cegidd, c’est encore trois séances qui devaient avoir lieu : en mai pour les annonces de résultat de ce groupe et les deux rendez-vous pour un autre groupe.
Sur les cinquante femmes repérées dans la rue qui souhaitaient faire les dépistages et mises sur liste d’attente, un maximum de trente pourraient donc y avoir droit en tout jusqu’à juin, mois qui signera la fin du projet.
3,5 sérologies positives en 2021 à Mayotte sur 1.000 sérologies
Selon le bulletin de santé publique publié en novembre 2022 par Santé publique France, le nombre de découvertes de séropositivité au VIH était de 263 par million d’habitant, soit 3,5 pour 1.000 sérologies, en 2021. Le nombre de diagnostics de sida était lui estimé à 17 par million d’habitants. Le nombre de dépistages avait augmenté de 23 % comparé à 2020 (116 sérologies VIH pour 1.000 habitants en 2021 contre 94 l’année précédente). « Par rapport aux autres régions françaises, Mayotte présente le nombre de découvertes de séropositivité au VIH le plus élevé », lit-on dans le bulletin.
Un colloque pour la semaine de la santé sexuelle ce mardi
Le conseil départemental de Mayotte, par l’intermédiaire de la Protection maternelle et infantile (PMI), organise son premier colloque en collaboration avec le Centre local de santé (CLS) de Mamoudzou, mardi 4 juin, à l’hémicycle Younoussa Bamana, à partir de 8 heures. Cet événement intervient dans le cadre de la semaine nationale de la santé sexuelle. Pour le conseil départemental, ce colloque constitue « une opportunité unique pour mettre en lumière les nombreuses actions et initiatives déployées sur notre territoire en matière de santé sexuelle. Souvent méconnues du grand public, ces actions sont essentielles pour améliorer la coordination entre les différents acteurs et avancer ensemble vers des objectifs communs. »
À 8 heures 30, après les discours d’ouverture, il sera question de culture et de religion avec le conseil cadial. À 9 heures, l’Observatoire régional de la Santé (ORS) présentera son enquête de santé Unono. 25 minutes plus tard, ce sont les résultats d’une enquête sur la prostitution ainsi qu’une table ronde avec la déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité, Taslima Soulaimana, et les associations Mlezi Maore et Narike M’Sada, qui auront lieu. À 10 heures 40, une deuxième table ronde aux côtés de plusieurs autres associations permettra de débattre de la précarité menstruelle. À 11 heures 05, ce sont les missions de la PMI qui seront discutées. Pour finir, à 11 heures 25, les différents outils présents sur le territoire seront présentés par les différents acteurs de la santé sexuelle.
Colloque ouvert au public sur inscription par mail à mathilde.lozano@cg976.fr
Journaliste à Mayotte Hebdo et pour Flash Infos arrivée en décembre 2023. Mes sujets de prédilection ? Les sujets sociaux, sociétaux, de culture et concernant la jeunesse.