Le premier diplôme universitaire plaie et cicatrisation enseigné à Mayotte

Une vingtaine d’infirmiers et de médecins du centre hospitalier de Mayotte suivent actuellement la deuxième session de formation du diplôme universitaire plaie et cicatrisation, en présence du docteur Sylvie Meaume, chef de service de gériatrie, dermatologie, plaie, cicatrisation à l’hôpital Rothschild à Paris dans le 12ème arrondissement, de Luc Teot, médecin directeur du projet ministériel intitulé Domoplaies jusqu’en 2024, ancien chef de service de chirurgie plastique, reconstructrice, esthétique, brûlure, plaie et cicatrisation au CHU de Montpellier, et de Franz Weber, médecin au CHU Sud Réunion, coordinateur du diplôme universitaire plaie et cicatrisation à La Réunion et à Mayotte. Explications.

Flash Infos : Alors qu’il existe depuis 1997 en métropole et 2006 à La Réunion, pourquoi ce diplôme universitaire a-t-il mis autant de temps à arriver à Mayotte ?

Franz Weber : Il s’agissait d’une demande très forte du centre hospitalier de Mayotte de pouvoir bénéficier de ce diplôme universitaire, avec des propositions de formations diplômantes et qualifiantes courtes. Il fallait se motiver pour créer ce DU dans le sens où cela requiert pas mal de démarches… En raison du Covid-19, nous avons dû repousser le premier DU qui aurait déjà dû être terminé ! Cela fait deux ans et demi que nous y travaillons.

premier-diplome-universitaire-plaie-cicatrisation-enseigne-mayotte

FI : Concrètement, comment se décompose-t-il ?

Luc Teot : C’est un diplôme universitaire d’une durée d’un an dont le format concentre une centaine d’heures de cours théorique et quelques heures de pratique. Tout cela est suivi d’un examen écrit à la fin et de la soutenance d’un mémoire d’une quinzaine de pages sur un sujet au choix devant l’ensemble de la communauté qui permet de se mettre dans une situation d’apprenant. Nous insistons sur le volet pédagogique pour que ces « étudiants » deviennent à leur tour des formateurs.

FI : Cela sous-entend qu’ils pourront dès l’année prochaine former leurs collègues qui souhaitent également suivre ce DU ?

Franz Weber : Pas pour le DU… L’idée consiste plutôt à transmettre localement ces bonnes pratiques en plaie et cicatrisation le plus largement possible. Par exemple, les deux infirmières employées au CMR du Sud qui sont actuellement en formation ont tout intérêt à prêcher pour leur paroisse, tout comme celles et ceux en service de médecine, de chirurgie, de réanimation, au caisson hyperbare. Que toutes ces nouvelles méthodes fassent tache d’huile dans les différents services. Notre objectif par la suite est de revenir et de former régulièrement d’autres promotions, en sachant qu’il y a un turnover assez important.

Sylvie Meaume : C’est vrai qu’avec les années, en nous déplaçant dans les différents DOM-TOM, nous avons augmenté le nombre de praticiens spécialisés qui venaient précédemment exclusivement en métropole, ce qui coûtait extrêmement cher. Désormais, nous nous rendons dans ces territoires tous les deux ans pour former 25 à 30 nouveaux infirmiers et médecins, qui acquièrent une certaine expertise et qui transmettent leurs savoirs en la matière.

FI : L’intérêt de ce DU est aussi de réunir les personnels soignants, à savoir les infirmières et les médecins…

Luc Teot : Ce qu’il faut bien comprendre sur ce domaine qui est nouveau, c’est la multidisciplinarité et la transdisciplinarité. Le médecin ne travaille pas sur des plaies sans les infirmières, et ces dernières ne travaillent pas sans les médecins de spécialités différentes. Sylvie est gériatre, Franz est interniste, moi je suis chirurgien. Tout le monde doit bosser ensemble et tirer dans le même sens parce que la plaie ne cicatrise que si le cœur, le poumon, le foie, le rein sont en bonne capacité de fonctionner normalement. En plaie et cicatrisation, nous ne pouvons que remettre les pendules à l’heure autour de l’ensemble du patient pour que la plaie puisse cicatriser.

Franz Weber : Dans cette prise en charge multidisciplinaire à Mayotte, il n’y a pas du toutes les spécialités. L’avantage de venir sur le terrain, c’est que cela nous permet de connaître les particularités de prise en charge, qui sont totalement différentes de celles à Paris, à Montpellier ou à La Réunion… Ici, il y a seulement 20% des habitants qui ont accès aux soins classiques.

L’autre point positif est que nous nous apercevons, sur un domaine comme les plaies, tellement interdisciplinaire, que les professionnels de santé ne se connaissent pas si bien cela… Grâce à la première session en février et à celle qui se déroule en ce moment, des interactions se créent. Nous assistons à la naissance d’un groupe. Cette évolution de la communication permet une prise en charge beaucoup plus avancée !

FI : Quelles sont les spécificités mahoraises en termes de plaie et de cicatrisation ?

Luc Teot : La prise en charge globale de la médecine impacte la prise en charge des plaies. Le fait qu’une partie de la population n’ait pas accès à un remboursement de soins change les pratiques. Nous ne pouvons pas lui proposer des techniques extrêmement sophistiquées parce que les conditions de vie ne permettent pas de les appliquer… Et puis il existe des pratiques locales ancestrales à respecter. Quand nous sommes allés en Guadeloupe ou en Polynésie, nous nous sommes rendu compte que l’utilisation de pratiques culturelles, comme le miel, pouvait fonctionner !

Juste un chiffre : 65% des plaies cicatrisent facilement si nous avons traité la cause. Le problème réside dans les 35% restants qui amènent, en particulier dans une pathologie qui est le pied diabétique, un véritable cancer. Une petite plaie sous la plante de pied est équivalent à un cancer du sein chez la femme… Il faut que la prise en charge se modifie et s’adapte et qu’elle combine de la médecine et de la chirurgie pour ainsi faire diminuer le taux d’amputation.

FI : Concrètement, qu’est-ce que cette formation qualifiante va changer dans la prise en charge des patients ?

Karim Mechergui, responsable du pôle URSEC au CHM : Dans un territoire insulaire, nous visons toujours l’autonomisation. Et c’est ce que nous allons gagner ! Nous avons déjà quelques idées concernant la télémédecine, la téléexpertise, la téléconsultation. À Mayotte, l’incidence du diabète et de l’amputation est double, car cela dégénère beaucoup plus vite qu’ailleurs… Clairement, il y a une nécessité d’apprendre très tôt les bons réflexes en plaie et cicatrisation.

Franz Weber : L’objectif est vraiment d’intégrer les libéraux dans ce DU pour qu’encore une fois, la communication devienne plus fluide avec le personnel soignant du CHM.

Luc Teot : Au niveau de la caisse nationale d’assurance maladie, les plaies deviennent un vrai sujet. Il y a des remboursements de plus en plus intéressants pour les infirmières de « ville », que ce soit pour des actes de diagnostic de plaie complexe ou pour des actes de télémédecine. Il y a un encouragement plus reconnu dans la prise en charge.

Sylvie Meaume : Les actes de pédicurie sont remboursés aux diabétiques pour de la surveillance, ce que nous ne pensions pas possible il y a 15 ou 20 ans et que nous avons réussi à obtenir parce qu’il vaut mieux, bien évidemment, faire de la prévention !

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1112

Le journal des jeunes

À la Une