Ce week-end, une centaine de personnes atterrissaient à Mayotte depuis Madagascar, rapatriées in extremis en vue d’être confinées, ensemble, au RSMA pendant quatorze jours. Parmi elles, un médecin coincé dans la caserne tire la sonnette d’alarme quant au risque d’une contamination générale au sein du bâtiment, où aucun geste barrière ne peut être respecté. Le risque est tel que ces confinés promettent de porter plainte contre la préfecture.
Mesure de précaution ou irresponsabilité de l’État ? Samedi, 104 résidents mahorais “bloqués” à Madagascar ont atterri, à bord d’avions spécialement affrétés pour eux, sur le tarmac du 101ème département, où ils ont ensuite été placés en quatorzaine au RSMA de Combani. Une décision censée éviter de renforcer la propagation du Covid-19 à Mayotte, mais qui pourrait finalement avoir tout l’effet inverse.
“On est confinés par quatre ou cinq personnes par chambre”, alerte le docteur Alexandre Devieux, lui aussi bloqué entre les murs de la caserne militaire. “On touche les mêmes poignées de porte à longueur de journée, on utilise les mêmes savons, les mêmes douches, les mêmes toilettes.” Autrement dit, la centaine de personnes vit, depuis près de trois jours, sans ne jamais pouvoir respecter les mesures préventives. D’autant plus que ces 104 hommes et femmes sont tenus de nettoyer eux-mêmes les lieux qu’ils occupent. “Il y a une méconnaissance du préfet des gestes barrières”, souffle Alexandre Devieux. Des gestes que le général du RSMA a toutefois tenu à rappeler aux “résidents” par le biais d’une lettre qu’il leur adressera régulièrement, les prévenant par la même qu’il limiterait au maximum les ustensiles susceptibles d’être utilisés par le plus grand nombre. À titre d’exemple, les cafetières ont ainsi été interdites, et leur absence palliée par des nourrices.
À leur arrivée à l’aéroport de Dzaoudzi, tous ont été soumis à un contrôle sanitaire “minimaliste”, selon les mots du médecin qui exerce dans le Sud : “On n’a même pas pris notre température ! On nous a mis un masque sur le nez, alors que nous aurions dû l’avoir avant même de monter dans l’avion pour ne pas nous contaminer les uns les autres pendant le vol.” Ainsi, sur 104 passagers, seule une jeune fille âgée de huit ans qui présentait des symptômes suspects – fièvre et nez qui coule selon l’agence régionale de santé – a été dépistée au Covid-19, auquel elle s’est révélée être négative, avant de pouvoir retrouver le domicile familial.
Alors que les autres voyageurs n’avaient encore pas la moindre idée de ce qui allait se passer ensuite, les autorités leur présentent finalement un document qui leur notifie leur transfert immédiat au RSMA. “J’ai refusé de le signer, mais on m’a fait comprendre que je n’avais pas le choix”, témoigne encore Alexandre Devieux. “Si les gens avaient su qu’ils seraient bloqués comme ça, ils seraient restés à Madagascar où on ne nous laissait pas rentrer dans un magasin sans qu’on prenne notre température”.
Une réaction en chaîne inéluctable ?
Entre les rangs de ces 104 personnes, plusieurs retraités, un nourrisson de trois mois encore exposé aux risques d’infection prénatale, et des malades atteints de diverses pathologies. Tous privés de leurs effets personnels, médicaments compris. Au bout de quelques heures de confinement, le docteur Devieux signale plusieurs cas de diabète, d’hypertension, “des enfants qui toussent, qui crachent, enfermés dans des chambres de quatre”, ou encore un homme porteur d’un abcès, situation qui peut, si elle n’est pas traitée, nécessiter une intervention.
Finalement, le lendemain, des infirmières sont dépêchées sur les lieux. Deux professionnelles qui travaillaient au contact d’un médecin généraliste fraîchement dépisté positif au Covid-19. Dans la foulée, des pompiers sont également envoyés pour évacuer du RSMA une femme atteinte de diabète, après plusieurs heures d’appel. Pour les autres confinés, les ordonnances devraient converger vers une pharmacie privée pour que, dès mardi (aujourd’hui ndlr), les premiers médicaments manquants soient livrés. 72 heures après. “Il ne faut vraiment pas souhaiter de choses graves ici”, déplore Alexandre Devieux qui tempère tout de même : “Pour l’instant, personne parmi nous ne présente de cas suspects.” Mais que se passera-t-il si l’une des 104 personnes confinées dans les mêmes lieux venait à présenter les symptômes du Covid-19 ? Et quid des porteurs asymptomatiques qui demeurent contagieux ? “Là, le risque de tomber malade est nettement supérieur par rapport à un confinement strict à domicile”, assure le médecin. “On est en train de créer une bombe virale, et nous sommes potentiellement en train de tous nous contaminer entre nous. Dans 14 jours, on ne sera pas beaucoup plus sûrs de ne pas avoir contracté la maladie.”
Interrogée à ce sujet, la préfecture semble s’étonner des conditions de vie des personnes qu’elle a placées là, conformément aux directives du ministère de l’Intérieur. “Nous nous sommes assurées que l’espace dans les chambres était suffisant pour garantir le respect des gestes barrières”, promet l’autorité, occultant tout risque de propagation du virus par les surfaces touchées ou par voie aérienne. Toujours est-il qu’“on ne laissera aucun porteur du Covid sortir du RSMA dans 14 jours”, assure la préfecture. Pourtant, “on ne procédera pas à des dépistages automatiques en l’absence de symptômes suspects”, annonce de son côté l’agence régionale de santé, qui reconnaît elle aussi que la situation présente un haut niveau de risque. En effet, si une personne au sein du RSMA est contaminée et que commence une vaste réaction en chaîne étalée sur 14 jours, certains en sortiront inévitablement pendant leur période d’incubation. Sans symptômes, donc sans contrôle.
En attendant, une infirmière rend visite aux confinés chaque matin. “Mais pour voir tout le monde en une seule fois, il lui faudrait une semaine”, déplore le docteur Alexandre Devieux. Et de conclure : “En cherchant à protéger la population, en pensant faire quelque chose de bien, on est train de faire tout l’inverse.” Ainsi, une vingtaine de personnes enfermées au RSMA ont d’ores et déjà décidé d’intenter une action en justice contre la préfecture pour mise en danger de la vie d’autrui, alors que le délégué du gouvernement, Jean-François Colombet, et Dominique Voynet, directrice de l’ARS, doivent s’entretenir sur cette situation dans les prochains jours.
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