Alors que le ministre de la Santé, François Braun, est à Mayotte à partir de ce mardi, le plus grand désert médical de France souffre d’un manque d’attractivité qui bloque l’arrivée des soignants. Dans la perspective du développement de l’offre de soins sur le territoire, avec notamment la création d’un second hôpital à Combani et la rénovation du centre hospitalier à Mamoudzou, attirer des professionnels de santé et former localement devient un enjeu crucial.
Le 2 novembre, le cabinet dentaire de Chiconi se faisait braquer par six personnes cagoulées. Un événement qui a poussé l’établissement à fermer ses portes pendant plusieurs jours. « Nous avons rouvert pour nos patients, mais nous ne savons pas encore si nous continuerons à y exercer », précise Frédéric Peltier, chirurgien-dentiste installé depuis deux ans, conscient que la fermeture de son cabinet serait « un drame pour la population ».
L’établissement concentre en effet trois des douze dentistes libéraux du territoire. Sa fermeture entrainerait donc la disparition d’un quart des effectifs dans un contexte déjà particulièrement tendu. Selon un rapport du Sénat – faisant un état des lieux de la situation sanitaire à Mayotte début 2022 – le renoncement aux soins est en effet particulièrement préoccupant sur l’île. En 2019, 45 % des habitants de plus de quinze ans déclaraient avoir dû renoncer à se faire soigner. « La population a un état de santé fortement dégradé. Notamment parce que, culturellement, ce n’est pas une population habituée à consulter », souligne Patrick Boutié, directeur de l’offre de soins de l’agence régionale de santé (ARS). D’autant que « tout repose quasi exclusivement sur le centre hospitalier de Mayotte. L’ensemble du territoire mahorais est aujourd’hui classé en zone « très sous-dense »», soulignent les sénateurs s’étant rendus sur place.
86 médecins pour 100.000 habitants
L’île est en effet le plus grand désert médical du pays. Elle compte 86 médecins généralistes et spécialistes pour 100.000 habitants, en 2021, contre 339 en métropole. S’ils sont peu nombreux, ces professionnels sont aussi majoritairement situés autour de Mamoudzou. Des parties de l’île, notamment le Nord et le Sud, demeurent très largement sous-dotées, le Nord de l’île étant considéré comme « une quasi-zone blanche ». « Avec une absence ou une carence de certaines filières sur tous le territoire », poursuit Patrick Boutié. Selon l’ARS, aucun dermatologue n’est présent sur le territoire. Il n’y a pas d’ophtalmologue non plus. Ces spécialistes viennent uniquement pour des missions, de manière ponctuelle. Et le CHM ne compte aucun neurologue, endocrinologue, néphrologue ou cancérologue et seulement un cardiologue.
Une absence de spécialistes qui oblige les équipes à contacter des professionnels à La Réunion « ou à se débrouiller par (eux)-mêmes », souligne Margaux Servant, interne en médecine générale. Lors de leurs déplacements en mars 2022, les sénateurs ont pu constater que les établissements disponibles étaient largement débordés au regard des besoins d’une population dans une situation de grande précarité. « L’accès aux soins à Mayotte se borne souvent à gérer les urgences, sans pouvoir proposer une prise en charge et un suivi adéquat y compris pour des pathologies qui pourraient être traitées sur place. L’activité hospitalière est de fait essentiellement tournée vers la maternité, quand les activités de chirurgie programmées sont réduites voire inexistantes et dirigées vers La Réunion, à plus de 1.400 kilomètres », stipule le rapport du Sénat.
Insécurité et difficulté d’accès au logement
Si le manque de soignants est tel, cela s’explique surtout par le manque d’attractivité du territoire. « Les principaux freins sont l’insécurité, l’accès au logement et les contraintes administratives liés
au changement de département », indique Patrick Boutié. Autre enjeu : fidéliser les soignants. Selon une enquête de l’ARS, publié en octobre dernier, 62% des professionnels de santé estiment qu’ils recommanderaient à leurs confrères ou consœurs de venir exercer à Mayotte, mais plus de la moitié envisagent de ne rester vivre que moins de trois ans sur l’île. « Beaucoup souligne l’obstacle considérable qu’est la situation sociale extrêmement tendue et le niveau particulièrement élevé d’insécurité sur l’île », précise le rapport du Sénat. La question du niveau des établissements scolaires est également régulièrement évoquée.
Pour autant, dans la perspective du développement du système d’offre de soins, avec notamment la construction d’un nouvel hôpital à Combani et la rénovation du CHM, qui nécessiteront la venue de nombreux professionnels sur l’île, l’attractivité du territoire devient un enjeu crucial. En 2018, un plan régional de santé d’une durée de dix ans a été lancé à Mayotte. Le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (Cesem) vient d’ailleurs d’y apporter sa contribution via plusieurs préconisations. Selon lui, il faut notamment « développer et promouvoir les filières d’excellence et les spécialités afin de réduire les évacuations sanitaires et permettre à la population mahoraise d’être soignée chez elle ». Avec notamment le développement de la cardiologie, de l’ophtalmologie, de la neurologie, de la psychiatrie ou encore de la chirurgie thoracique, cardiaque vasculaire. Pour cela, le Cesem estime qu’il faut avant tout former localement. « Cela doit être une priorité pour répondre à moyen et long terme à la problématique du désert médical », estime Abdou Dahalani, le président. Selon la structure, cela devrait passer par l’installation d’une antenne de faculté de médecine européenne pour la première année et des accords avec d’autres régions pour l’accueil en formation des jeunes mahorais en métropole ou dans d’autres pays européens. L’objectif serait aussi que le second hôpital prévu à Mayotte puisse dès à présent prendre la forme d’un centre hospitalier universitaire (CHU) et qu’une politique attractive soit mise en place pour faire revenir les diplômés de Mayotte.
Développer la télémédecine
Depuis le mois de juin, l’ARS a également engagé des travaux autour de l’attractivité et de la pérennisation. « L’une des pistes est notamment de mettre en place une agence de recrutement pour travailler sur les freins à l’installation des professionnels de santé, faciliter les processus réglementaires et travailler avec les collectivités pour mobiliser des logements », énumère Patrick Boutié de l’ARS. L’idée est également de favoriser la pluridisciplinarité en créant des maisons de santé pour les professionnels libéraux. « Autour des cinq zones de soins – avec le CHM et les quatre dispensaires de Mramadoudou, Kahani, Petite-Terre et Dzoumogné – notre ambition est aussi de renforcer les liens entre les structures hospitalières et les professions libérales », précise Patrick Boutié. L’ARS souhaite également miser sur la télémédecine via des centre de « téléconsultation », comme le nouveau centre médical de Hamjago, village de M’tsamboro. Mais aussi accueillir des « missionnaires » dans des cabinets secondaires afin d’avoir ponctuellement des ophtalmologues ou des professions médicales manquantes sur le territoire.