Depuis deux mois, l’Ordre national des infirmiers (ONI) effectue une grande consultation – la première du genre – auprès de l’ensemble de la profession. Patrick Chamboredon, président du conseil national de l’ONI, était à cette occasion en visite à Mayotte durant trois jours pour prendre le pouls de la situation sur le terrain. Explications.
Les infirmiers sont-ils reconnus à la hauteur de leur expertise ? Leur rôle ne devrait-il pas évoluer ? Est-il normal que le « décret de compétences » qui régit la profession n’ait pas été révisé depuis près de quinze ans ? Autant de légitimes questions que l’Ordre national des infirmiers et de nombreux professionnels se posent aujourd’hui. Alors que le projet de loi santé, présenté mi-février à l’Assemblée nationale, prévoyait une procédure de re-certification des compétences des professionnels de santé s’appliquant uniquement aux médecins, des objectifs plus larges ambitieux ont finalement émergé. En effet, un texte instaurant une obligation de se soumettre à un contrôle régulier des compétences a été élaboré à destination de tous les professionnels de santé : médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues.
En parallèle, l’instance professionnelle a décidé, par la voix de son président Patrick Chamboredon, de lancer une « grande consultation » de l’ensemble des infirmiers afin de peser davantage dans le débat public et de faire évoluer le métier. « Nous faisons réagir les professionnels sur des propositions que nous avons étudié en conseil national de façon à faire mieux reconnaitre la profession, la valoriser. Nous souhaitons une évolution de nos textes. Il est grand temps qu’ils évoluent sur les soins que nous pouvons apporter aux patients pour leur prise en charge« . À cet égard, Patrick Chamboredon souhaite notamment un « virage ambulatoire » – évolution des techniques médicales – pour plus d’efficacité.
Première étape : la vaccination
En effet, l’explosion des maladies chroniques, le vieillissement de la population, les déserts médicaux, le virage ambulatoire représentent autant de nouveaux besoins de santé qui nécessitent à la fois un élargissement du champ de compétences des infirmiers et une plus grande coordination avec les autres professionnels de santé. Le conseil national de l’ONI s’est d’ores et déjà rendu dans cinq villes en métropole.
« Mayotte est une étape importante de notre tournée« , explique le président, pour qui les problématiques mahoraises préfigurent des situations qui auront lieu de façon récurrente dans les cinq ou six prochaines années en métropole si rien n’est fait. « La démographie médicale est au plus bas à Mayotte, la démographie des pharmaciens est également assez basse. Nous avons aussi tous les problèmes que nous connaissons de maladie chronique de vieillissement de la population. C’est ce qui attend la métropole« . Des expérimentations pourraient ainsi avoir lieu sur l’île aux parfums afin de déterminer les évolutions à mener en métropole. « Il y a quelque chose qui va sortir très rapidement sur la vaccination. C’est un vrai sujet parce que nous dérogeons au droit initial des infirmiers pour la vaccination. C’est pourquoi l’Ordre plaide pour une extension des compétences infirmières« .
Une nécessaire montée en compétence
L’Ordre national des infirmiers souhaite également montrer qu’au-delà du savoir universitaire, il y a le savoir empirique. « La profession a une tradition orale. C’est une tradition qui est intéressante mais qui ne permet pas l’évolution. Le dernier exemple de la profession qui a écrit des textes de façon globale, c’était le code de déontologie. C’est quelque chose de significatif de donner la parole à la profession« . L’Ordre souhaite donc passer de l’oral à l’écrit avec un livre blanc qui transcrira un nouveau cadre d’exercice. Les professionnels pourront s’y référer pour faire évoluer les textes relatifs à leurs compétences.
À ce jour, l’Ordre a déjà récolté près de 13.000 réponses sur son site Internet. « Nous voyons bien que les infirmiers se mobilisent. C’est un vrai exercice de démocratie participative« . Consulter les professionnels, la pratique est encore peu reconnue dans le secteur de la santé, au même titre que la prescription de certains dispositifs médicaux par les infirmiers, autorisée depuis 2012. « Nous le faisons déjà dans les faits, donc ce sont des choses qui sont de nature à aller tout à fait dans le sens de la loi Santé 2022. C’est comment mieux organiser la médecine de ville, l’ambulatoire, de façon à éviter de saturer les urgences. C’est un vrai enjeu« , assure Patrick Chamboredon.
Et d’ajouter que « si les compétences des infirmiers étaient mieux reconnues, ils prendraient une part plus active dans cette problématique de déserts médicaux, de carences médicales, d’organisation de soins primaires, de premier recours« , ajoute-t-il. Pour rappel, 700.000 infirmiers exercent au niveau national à l’heure actuelle.
Pour autant, le pouvoir politique semble encore rechigner à les faire monter en compétence afin d’apporter une meilleure réponse sur des soins primaires pour la population, déplore le président du conseil national de l’ONI. « C’est du bon sens. Nous avons les professionnels qui sont déjà formés et qui connaissent leurs patients. Nous pourrions développer ces compétences« . Une solution déjà expérimentée à l’étranger et notamment aux États-Unis avec l’Obamacare, lors de l’élection de Barack Obama en 2008.
Loi Santé, infirmiers oubliés
L’Ordre plaide également pour une loi Santé plus en adéquation avec la réalité quotidienne actuelle des patients. « Nous nous demandons par exemple si, quand le patient doit renouveler une ordonnance toute simple, il est obligé d’aller voir un médecin. Moi je pense que non, l’infirmier est tout à fait apte à le faire« . Selon Patrick Chamboredon, il existe un triptyque majeur, défini par l’infirmier et le médecin, suivi du pharmacien. « L’objectif est donc que tout le monde travaille ensemble et plus en solo. Il ne faut pas opposer les professions« .
Pour autant, il n’est pas question que les infirmiers viennent combler, à eux-seuls, les déserts médicaux. « Les infirmiers n’ont pas du tout l’ambition de remplacer les médecins. Nous voulons simplement réduire le manque de praticiens dans les territoires délaissés en leur donnant plus de libertés« . Mayotte et ses 21 médecins pour 290.000 habitants recensés annoncent ainsi une situation qui devrait d’ici cinq ans concerner « énormément » de villes en France, chez les généralistes comme chez les spécialistes.
L’Ordre national des infirmiers a déposé un amendement sur ces propositions d’évolutions des textes. « On nous annonce un passage au Sénat la semaine du 3 juin et une promulgation dans la foulée parce qu’il y a beaucoup de réformes des études médicales du PACES [1ère année commune aux études de santé, ndlr] pour que les futurs médecins puissent connaître les nouvelles règles du jeu au plus tôt. Il faut donc que la loi soit votée rapidement« .
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