À l’initiative d’une enseignante, l’Amicale des personnels de Mamoudzou Nord (APMN) a eu l’idée de commander une paire de lunettes Lexilens, pour lancer un test sur les classes de CM1 de Kawéni. Le but : détecter une éventuelle dyslexie, et aider les élèves en difficulté à améliorer leur lecture.
“Tu as peur ? Il ne faut pas”, glisse Kristel Bianchi à la jeune écolière qui s’installe à son bureau, avec un hochement de tête timide. Chronomètre au poignet, la chargée de projet à l’Amicale des personnels de Mamoudzou Nord (APMN) lui présente une liste de mots sous les yeux, et fait passer le bout de son stylo sur chaque ligne. “Faute. Nuit. Vague Ss… euh… soif”, s’empresse de corriger la petite fille en bégayant un peu. Pas de panique ! Malgré les apparences, le test qu’elle s’apprête à passer n’a rien d’une évaluation. “Il s’agit vraiment d’une expérimentation”, insiste l’inspectrice de l’Education nationale Colette Cabort.
Un dispositif médical certifié
Après une première lecture classique, Kristel Bianchi pose délicatement une paire de lunettes noires sur le visage de l’élève. Objectif : vérifier si cet accessoire Lexilens, développé par Atol, l’aide à améliorer sa lecture. “L’idée c’est de tester ces lunettes sur des élèves qui peuvent avoir des troubles, ou être en échec scolaire. La dyslexie peut être une des raisons”, déroule l’inspectrice. En comparant les scores avec ou sans lunettes, le dispositif peut aider à renforcer cette dernière hypothèse. Et ainsi orienter le diagnostic. Certifié comme dispositif médical de classe I, cet appareil électronique 100% français, que les enfants peuvent activer ou désactiver avec un simple bouton, permet, grâce à un système de flashs lumineux, de filtrer les “images miroir” et d’aider à distinguer les lettres avec précision.
Depuis environ une semaine, ce sont 300 élèves de CM1 des cinq établissements de Kawéni qui sont amenés à passer ce test, d’ici à la fin du mois de juin. En fonction des premiers résultats, l’APMN entend bien poursuivre l’aventure l’année prochaine, dans le cadre d’un appel à projets, en commandant 24 lunettes, une paire par classe de CM2. “Il y a déjà des élèves pour qui nous notons une amélioration, c’est encore trop tôt pour en tirer des conclusions, mais c’est plutôt bon signe”, sourit Kristel Bianchi. Et pour éviter les biais, comme le stress, ou la plus grande concentration liée à cet exercice inédit, la responsable compte revoir ceux qui ont obtenu les meilleurs scores.
Pas de donnée dans un contexte de bilinguisme
Ce projet, Mayotte le doit à une Bretonne d’origine, Sarah Mahé. C’est en lisant un article de l’université de Rennes que la vice-présidente de l’amicale, a eu l’idée de lancer l’expérimentation dans le 101ème département. “Le message d’Atol, c’est que cela sert 80% des dyslexiques, mais nous n’avons aucune donnée pour un contexte de bilinguisme, comme ici”, décrit-elle. Grâce au soutien de la cité éducative de Kawéni, et la participation financière de la mutuelle MGEN, un premier équipement – de 400 euros tout de même – a été acheminé jusqu’à l’île au lagon, pour bénéficier aux élèves de Kawéni. “Cela fait cher pour une famille ici. Nous ne savons pas encore si cela sera efficace dans un contexte bilingue, mais nous remonterons les résultats au niveau national. Et nous pouvons imaginer que le dispositif soit un jour pris en charge par la mutuelle, comme le sont d’autres innovations passées”, souligne Bruno Bonnefoy, le directeur de la section locale de la MGEN.
Repérer la dyslexie, un vrai défi pour Mayotte
Croisons les doigts ! Car les difficultés scolaires sont un combat de chaque instant à Mayotte où l’illettrisme concerne 48,5% des jeunes de 16 à 18 ans contre 9% des jeunes métropolitains. Et pour repérer des troubles comme la dyslexie chez les enfants, l’absence d’orthophonistes sur le territoire n’arrange pas les choses. “En libéral, il n’y en a aucun à Mayotte… Parfois, certains s’installent de manière ponctuelle dans des associations. Mais en ce moment, pour vous donner une idée, cela fait un an que nous essayons d’en recruter un à l’APAJH, sans succès”, témoigne Bruno Bonnefoy, qui est aussi président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés. Bien sûr, une paire de lunettes, aussi innovante soit-elle, pourra difficilement changer la donne, et le diagnostic devra toujours être effectué par un spécialiste. “Mais en tant qu’enseignante, on se retrouve parfois face à des murs, sans savoir comment faire. Cet équipement, c’est une canne, une béquille, pour avancer”, conclut Sarah Mahé. À tâtons, peut-être, mais avancer quand même.