C’est un premier pas dans le domaine de l’ophtalmologie à Mayotte. Deux infirmières du 101ème département sont actuellement en formation au Mans pour pouvoir effectuer les premiers soins d’orthoptie, l’une des branches de l’ophtalmologie. Pour rappel, le territoire n’a aucun ophtalmologue permanent, une situation qui a des conséquences sur la population qui n’est pas assez sensibilisée. Les deux infirmières, Blandine Méliand et Haladati Mtsounga, auront la mission de démocratiser cet aspect de la santé encore méconnu sur l’île. Cela passera notamment par la création de plu-sieurs centres de médecine spécialisés dans la santé oculaire.
Flash Infos : Vous êtes en formation d’orthoptie. En quoi consiste-t-elle ?
Blandine Méliand : C’est une mission qui a été initiée par le docteur Rottier pour pallier au désert médical et paramédical qu’il y a à Mayotte. Nous allons intervenir en tant qu’infirmières ayant été formées aux premiers examens d’orthoptie. Nous pourrons faire les entretiens et les dépistages, et ensuite réorienter les patients vers des médecins par le biais de la télémédecine ou directement vers le CHM. Il y a des orthoptistes à Mayotte mais ils ne sont pas assez nombreux, et le territoire en a besoin de beaucoup plus. Il n’y a pas d’ophtalmologue permanent à Mayotte, alors nous serons en contact avec ceux de la métropole. Dans un second temps, il y aura des médecins de métropole qui viendront en mission prendre le relais.
FI : Comment se passe la formation ?
Haladati Mtsounga : C’est une découverte, nous ne savions pas trop à quoi nous attendre. Cela fait six semaines que nous avons commencé. Au début, ce n’était pas facile parce qu’il y a des cours théoriques et l’ophtalmologie est un sujet délicat. Il faut revoir des notions et nous avons l’habitude de travailler, alors revenir sur les bancs de l’école n’est pas évident. Mais maintenant cela va mieux.
B. M. : Nous avons des cours théoriques pour nous appuyer dans nos connaissances et appréhender le vocabulaire adéquate pour pouvoir tout comprendre. Puis nous avons une partie pratique pour apprendre à faire fonctionner les machines et à communiquer avec les patients, à savoir quelles informations il faut aller chercher auprès d’eux. Notre objectif est d’aider l’ophtalmologue avec qui nous serons en contact. Nous serons ses yeux et ses mains, alors il faudra que notre diagnostic soit complet pour qu’il ait toutes les clés pour pouvoir prescrire les bons traitements.
FI : Lorsque l’appel a été lancé, pourquoi avez-vous décidé d’y répondre ?
H. M. : Je l’ai fait pour changer de rythme de travail. Je suis à l’hôpital et il y a pas mal de boulot, je n’arrivais plus à suivre. Je suis jeune maman, cela me fatiguait et j’avais besoin de changer. Et en plus, c’est un beau projet qui m’intéressait. Je me suis inscrite par curiosité.
B. M. : Pour ma part, c’est cet aspect de la nouveauté qui m’a attirée. C’est une pratique nouvelle pour moi. Cela nous permet de faire évoluer notre profession d’infirmière et d’aider la population locale parce qu’ayant été infirmière libérale, je voyais bien que j’avais du mal à faire consulter mes patients par manque de praticiens.
FI : Jusqu’à quel point le manque d’ophtalmologue a un impact sur les diagnostics faits aux Mahorais ?
B. M. : Les diagnostics se font tardivement, mais cela va même au-delà. Étant donné qu’il n’y a pas d’ophtalmologues et de suivis orthoptistes, la population mahoraise est très peu sensibilisée à la santé oculaire. Par manque de connaissances et d’informations, elle ne va pas facilement consulter. Et quand elle le fait parce que c’est obligatoire, les cas sont déjà bien avancés. C’est ce que j’ai pu constater avec mes patients atteints de maladies chroniques. Dans le milieu de la clinique, c’est plus difficile à identifier parce qu’il n’y a pas encore de cabinet. Nous avons du mal à nous projeter, nous ne savons d’ailleurs pas ce que nous allons trouver sur le terrain, ce sera la surprise…
FI : Si les Mahorais ne sont pas sensibilisés à la santé oculaire, de quelle manière allez-vous procéder, une fois installées, pour les inciter à consulter ?
H. M. : Nous ferons des missions de sensibilisation dans le milieu scolaire et des dépistages. Et je pense que cela va aller très vite, parce que les enfants vont en parler à leurs parents, aux autres enfants. Nous n’avons même pas encore commencé et il y a déjà pas mal de monde au courant, donc ça va le faire.
B. M. : L’éducation passe par les enfants donc nous allons nous rendre dans tous les milieux scolaires au rythme de deux demi-journées par semaine. Nous voulons sensibiliser les enfants pour leur faire comprendre que porter des lunettes n’a rien de grave et qu’au contraire, cela peut leur servir dans la vie. C’est de cette manière que les mentalités vont changer. C’est ce qui a été fait en métropole dans les années 80 où les infirmières ont sensibilisé dans les écoles. C’est important pour le docteur Rottier de faire ces dé-marches auprès des plus petits, c’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à lancer le projet.
FI : Une fois que vous aurez fini votre formation, quelle sera la suite ?
B. M. : Bonne nouvelle : nous venons de recevoir les financements de l’agence régionale de santé de Mayotte. Le docteur Rottier qui est en charge du projet a pu lancer la production des machines qui nous seront nécessaires pour faire les soins complémentaires. Nous espérons les recevoir d’ici deux mois. Dès leur réception, il va falloir ouvrir les cabinets. Le premier sera dans la commune de Bandrélé, le second à Hamjago à la fin de l’année 2021, et le troisième à Sada dans le premier semestre de l’année 2022. Ça c’est dans l’idéal parce que pour l’instant, nous ne sommes que deux infirmières donc nous ne pouvons ouvrir que deux centres. Le principe est d’avoir une infirmière dans chaque cabinet, nous ne pouvons pas avancer autrement. Nous lançons donc un appel pour qu’un ou une infirmière rejoigne le projet. C’est absolument nécessaire pour pouvoir ouvrir le troisième centre !