Évacuations sanitaires à Mayotte : plongeon dans un service régulé comme du papier à musique

Depuis près d’un mois, le service des évacuations sanitaires bénéficie d’un avion dédié pour réaliser cinq rotations par semaine jusqu’à La Réunion. Un dispositif dans lequel s’entremêlent anticipation et adaptation pour apporter une offre de soin de base aux patients du centre hospitalier. Flash Infos a pu suivre un transfert de Mayotte jusqu’à l’île Bourbon. Récit d’une journée épique.

Jeudi. 9h. Responsable des évacuations sanitaires, Ludovic réunit son équipe au pied levé pour préparer le vol du lendemain, comprenant treize patients dialysés, dont six ont besoin d’assistance. “C’est le plus important que l’on fait en termes d’effectif depuis qu’on a reçu l’avion le mois dernier”, souligne le médecin. Au total : pas moins de dix-neuf personnes à bord ! Raison de plus pour passer au peigne fin tout le dispositif – dossiers administratifs et médicaux — pour éviter une surprise de dernière minute. Le maître mot lorsqu’il s’agit d’un transfert vers La Réunion. Face à lui, un tableau blanc sur lequel il présente les spécificités de l’appareil. Velleda à la main, il pointe d’un rond bleu et vert les sièges des malades et ceux des personnels soignants, en respectant toujours les mesures barrières. “Les valides seront au fond. Les autres iront devant pour leur éviter de marcher.” Deuxième étape indispensable lors d’un tel déplacement, lister le matériel nécessaire (2 sacs adultes, 1 respirateur, 1 aspi, 5 PSE, 1 coquille, 1 DSA, 2 GSD, 2 kits d’oxygène, des draps, etc.) pour faire face aux imprévus. “On prévoit une civière si l’un d’eux est fatigué ou s’il ne se sent pas bien.” Autre point à ne pas oublier ? La collation préparée par la cuisine du CHM ainsi que les transports en ambulance jusqu’à l’aéroport de Mayotte et ceux jusqu’aux trois sites de prise en charge sur l’île voisine. “On décolle à 9h pour atterrir à 12h et on doit repartir à 16h max. En 4 heures, c’est largement faisable”, conclut Ludovic.

Vendredi. 6h. Alors que les premiers patients, entourés de leur famille pour certains, attendent déjà devant l’entrée des évacuations sanitaires, Fatima et Hadidja, deux assistantes sociales également du voyage, sortent à peine de la pénombre. Changées en deux temps trois mouvements, elles filent immédiatement dans le bureau pour un rapide briefing. Première surprise du jour avec la réduction du nombre de passagers : “on procède à un test obligatoire 24 à 48h avant le décollage. Trois d’entre eux, dont un qui s’était greffé au groupe, sont revenus positifs hier après-midi.” Les aléas de la crise sanitaire puisque le service préfère ne pas mélanger les Covid+ et les non-Covid… Ni une ni deux, tout le monde connaît son rôle en attendant le go. Clara et Antoine, deux internes en médecine générale débarqués dix jours plus tôt sur le territoire, ont pour mission de s’occuper du relevé des identités et des traitements des uns et des autres. Un recensement qui démontre toute son utilité au bout de quelques minutes. Deux malades n’ont en effet pas leur pièce d’identité avec eux. En charge de la logistique, Alan appelle en vain leurs proches pour les récupérer. “Tant pis, on tente avec les photocopies”, réagit immédiatement Ludovic, en pleine discussion avec les ambulanciers pour un dernier tour de chauffe.

Première tension avec la PAF à Mayotte

7h30. Heure du départ. Quatre véhicules décollent du CHM en direction de la barge. Puis, arrivés sur le tarmac, les patients valides grimpent fissa dans l’Embraer 145, suivis de près par deux dames assises sur une chaise portoir pour entrer dans l’habitacle, avant d’être allongées sur les civières homologuées. Et alors que l’avion s’apprête à refermer ses portes, un imbroglio administratif retarde quelque peu l’envol : le contrôle de la police aux frontières ! Soit il se réalise devant l’aéroport, pour des raisons pratiques comme l’exige l’officier un tantinet remonté, soit il se fait au pied de la piste, comme le recommande l’un de ses collègues par téléphone… Ce jour-là, aucune des options avancées ne se produit, en raison de cette incompréhension interne. Finalement, l’histoire se conclut par une vérification, sans accroc, à l’intérieur de l’appareil. À peine les roues hors de portée du sol, un vieil homme se penche tête la première sur le siège placé devant lui en serrant fermement le fauteuil de ses deux mains. Pris d’angoisse. Clara lui apporte son soutien psychologique. Une petite attention concluante.

9h. Dans les airs, Ludovic décompresse enfin, visiblement satisfait de la gestion des trois dernières heures. “Il y a toujours des petits couacs, mais ça fait partie de notre quotidien. On a bien géré”, précise-t-il. Un sang-froid qui s’explique grâce à la location de l’avion sanitaire par l’agence régionale de santé au groupe aéronautique Amelia. Qui lui offre de facto une certaine liberté dans les opérations. “On peut décaler les départs en cas de besoin. Et pour travailler, c’est plus confortable puisqu’on n’a plus de passagers qui circulent entre nous.” Et surtout, ce moyen de transport privé permet d’embarquer un nombre de patients bien plus conséquent que lors d’un vol commercial avec Air Austral. “On a été contacté dans la semaine pour emmener des dialysés qui doivent se faire poser une fistule artério-veineuse (une dérivation du sang de l’artère radiale dans une veine superficielle de l’avant-bras qui va s’hypertrophier, ndlr.). En prenant en compte le temps de la cicatrisation, on devrait les ramener d’ici une dizaine de jours.” Si le vol se passe sans encombre, le personnel soignant reste tout de même aux petits soins en raison des comorbidités lourdes (hypertension, diabète) des voyageurs. À l’instar de Clara et d’Antoine qui relèvent le taux de glucose dans le sang d’une personne âgée amputée et malvoyante. Verdict : elle se trouve en hyperglycémie.

Bis repetita à La Réunion

12h. Peu avant l’atterrissage, Alan revoit l’ensemble du dispositif avec ses collègues pour que le transfert jusqu’aux cliniques se déroule sans accroc. Une préparation et une anticipation mises à mal par le mille-feuille administratif propre aux évacuations sanitaires… En cause, cette fois-ci : un report par la PAF du contrôle d’identité initialement prévu à la descente de l’appareil, et un schmilblick avec le personnel de Réunion Air Assistance, qui fait preuve de mauvaise foi et d’irascibilité. Tandis que la situation se décante pour les valides qui empruntent le circuit dit classique pour sortir, c’est une autre paire de manches pour les trois autres malades, trimballés à droite à gauche, alors qu’ils présentent des difficultés pour se déplacer. La vérification pour deux d’entre eux se passe alors directement à l’intérieur de l’ambulance, le dernier étant tout simplement oublié par l’agent… “Il faut vraiment que je rencontre les directions de l’aéroport et de la sécurité pour fluidifier les démarches”, souffle Ludovic, relativement irrité par cette perte de temps.

13h30. Une fois les patients en route pour leurs établissements de santé respectifs, la mission du CHM s’arrête là. Ne reste plus qu’à recevoir le feu vert pour le renvoi vers l’île aux parfums. Mais avant cela, il faut tout d’abord attendre l’arrivée de Yannick, infirmier anesthésiste au SMUR, qui doit rapatrier deux jumeaux prématurés d’un mois, envoyés juste après leur naissance à La Réunion pour libérer de la place dans le service de néonatologie, et d’un dialysé évasané quelques semaines plus tôt pour les mêmes raisons que le transfert du jour. Quelques minutes de battement donc, le temps de souffler et de s’aérer l’esprit, avant de repartir dans le sens inverse aux alentours de 15h30. Un vol retour qui s’avère donc moins turbulent en termes de suivi, grâce au précieux conseil de celui qui a rejoint l’équipe en cours de route. “N’oublie pas les tétines pour que les bébés dépressurisent leurs oreilles”, confie-t-il à Clara, en bon père de famille. Noté ! À peine le temps de remarquer leurs yeux se plier que l’avion touche déjà le sol mahorais. 17h, timing parfait. Tout le cortège rentre alors tranquillement à bon port, exténué par ce voyage harassant, mais le sentiment du devoir accompli.

L’agence régionale de santé (ARS) veut un avion sanitaire pour Mayotte

En temps normal, le service des évacuations sanitaires passe par les vols commerciaux d’Air Austral pour envoyer des patients à La Réunion. Avec la fermeture du trafic aérien le 20 mars, toute l’organisation se voit complètement chamboulée. Devant bricoler en fonction de la disponibilité des vols mis en place dans le cadre du pont aérien, l’ARS de Mayotte réfléchit à une solution de repli pour maintenir ce dispositif dans le but de conserver la capacité d’hospitalisation du territoire. C’est alors qu’Amelia approche la structure pour proposer une offre de service de transport sanitaire, à un prix défiant toute concurrence. “On a pris attache avec le centre de ressources national en appui aux ARS ultramarines pour monter le dossier et passer un marché à bon de commande temporaire grâce à une certaine souplesse permise en période de crise sanitaire”, souligne Stéphanie Frechet, secrétaire générale de l’ARS. Le temps de formaliser le contrat et voilà qu’un avion Embraer 145 de la flotte d’Amelia, équipé de deux civières homologuées, débarque à Mayotte le 24 mai dernier. Coût de l’opération pour une collaboration de trois mois : 1.4 million d’euros, comprenant les frais de mise en place, les frais fixes (équipage, maintenance, hangar) et les frais variables qui correspondent à cinq rotations par semaine. Une dépense importante qui rentre dans les 23 millions d’euros de budget du fonds d’intervention régional de l’ARS pour l’année 2020. Étant aussi donneur d’ordre, l’établissement peut mobiliser l’appareil pour d’autres missions, comme pour récupérer des blouses lavables pour les professionnels de santé commandées à Madagascar.

Et visiblement, l’ARS ne compte pas rompre ce dispositif. Au contraire, elle veut lancer un appel d’offres en bonne et due forme, ouvert à la concurrence, dans le but de pérenniser ce moyen de transport. “Cette demande a été formulée au ministère de la Santé, on attend sa réponse”, confie Stéphanie Frechet, qui ne comprend pas qu’un tel outil ne soit pas encore opérationnel sur le territoire. “C’est de l’offre de soins de base d’avoir un avion sanitaire positionné à Mayotte. Je vois mal les arguments qui pourraient justifier un refus de Paris.” Prochaine étape en attendant l’aval : calibrer et ajuster l’offre en fonction des données engrangées au cours de ces dernières semaines pour savoir s’il est préférable de se doter d’un si gros appareil, “sachant qu’il est peut-être surdimensionné”, ou privilégier deux petits, “comme l’a fait la Guyane”.

Autre bonne nouvelle, la demande formulée auprès du ministère de la Santé concerne également l’hélicoptère, dont le montant du marché passé pendant la crise sanitaire s’élève à 440.000 euros.

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